CA Bourges, ch. civ., 23 février 2004, n° 03-00515
BOURGES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Daniel Grenin (SA)
Défendeur :
Imphy Ugine Précision (SA), Ugitech (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Puechmaille
Conseillers :
Mmes Le Meunier-Poels, Boutet
Avoués :
Mes Le Roy des Barres, Tracol
Avocats :
Mes Mouchtouris, SCP Normand, Sarda & Associés
Vu le jugement dont appel rendu entre les parties le 13 septembre 2000 par le Tribunal de commerce de Nevers :
Vu les dernières conclusions signifiées le 3 décembre 2003 par l'appelante, la société Daniel Grenin, tendant à voir :
* Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Nevers du 13 septembre 2000 en ce qu'il a retenu sa compétence et a condamné Imphy Ugine Précision et Sprint Métal à indemnité ;
* L'infirmer pour le surplus et statuant à nouveau ;
* Constater :
- l'existence de relations commerciales établies et anciennes entre les parties ;
- la rupture concertée, soudaine et brutale par les intimées, de leurs relations commerciales avec la société Daniel Grenin SA ;
- l'absence de faute justifiant la résiliation ;
- l'insuffisance du délai de préavis donné par les intimées à la société Daniel Grenin SA eu égard à la loi, les accords particuliers existants entre les parties et l'ancienneté des relations commerciales ;
- Dire que la brièveté de ce préavis pour ce qui concerne l'activité de "stockage", et l'absence totale de préavis pour ce qui concerne les activités de "transport", engagent la responsabilité de leurs auteurs et ouvre des droits à des dommages et intérêts ;
- Dire bien fondée la demande en dommages et intérêts en ce qui concerne les investissements relatifs à l'activité de stockage dont la rupture brutale et fautive a été sanctionnée par le Tribunal de commerce de Nevers ;
- Constate que la société Daniel Grenin SA a subi un préjudice important en relation directe avec cette rupture ;
- Dire que ce préjudice doit être indemnisé par les auteurs de la résiliation et qu'il ne saurait être évalué à une somme inférieure à 17 315 976,99 F (2 639 803,67 euro) ;
- Constatant que la rupture est concertée, condamner solidairement ensemble les sociétés Imphy Ugine Précision et Ugitech SA venant aux droits de Sprint-Métal à payer à la société Daniel Grenin SA la somme de 17 315 976,99 F (2 639 803,67 euro), avec intérêts de droit à compter de la date du jugement ;
- Confirmer la condamnation prononcée au titre de l'article 700 en première instance, soit la somme de 762,25 euro ;
- Condamner les intimées solidairement entre elles au versement d'une somme de 11 000 euro au titre de l'article 700 au profit de la société Daniel Grenin SA, dont distraction a profit de Maître Le Roy des Barres, avoué à la cour ;
- Confirmer la condamnation aux dépens de première instance et d'appel
Vu les dernières conclusions signifiées le 23 décembre 2003 par les intimées, la société Imphy Ugine Précision (IUP) et la société Ugitech, tendant à voir :
- débouter la société Grenin de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- réformer le jugement du 13 septembre 2000 en ce qu'il a condamné les sociétés IUP et SM au paiement de la somme de 121 124 F à titre de dommages et intérêts outre la somme de 5 000 F d'article 700 et le confirmer pour le surplus ;
- dire et juger en tout état de cause que Grenin n'est nullement en situation de dépendance économique à l'égard de ces deux sociétés IUP et SM ;
- prendre acte de ce que ces deux sociétés confient toujours des prestations de stockage, de transport interne et de location de véhicules sans chauffeur à Grenin ;
- dire et juger que leur responsabilité ne saurait être engagée ;
A titre subsidiaire
- Sur le fondement des articles 6 et 9 du nouveau Code de procédure civile et juger Grenin défaillante dans l'administration de la preuve du préjudice matériel, commercial et d'exploitation qu'elle invoque à raison du caractère lacunaire et non probant des seuls documents produits (pièces communiquées n° 4, 5, 6, 27, 28, 29, 30 et 31) ;
- dire et juger en tout état de cause que si la responsabilité des sociétés IUP et SM venait à être retenue sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, cette responsabilité ne pourrait dégénérer en dommages et intérêts que sur le fondement de la seule indemnisation de la supposée brutalité de la rupture et non du chef de la rupture elle-même ;
En tout état de cause
- Condamner la société Grenin au paiement de la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 21 janvier 2004 ;
Sur quoi LA COUR :
En la forme :
Attendu qu'il convient tout d'abord de constater que la société Ugitech SA (ci-après Ugitech), inscrite au registre du commerce et des sociétés d'Albertville sous le numéro B 410 436 158, vient aux droits de Sprint Métal (ci-après SM) inscrite au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le n° B 305 871 576, à la suite de sa fusion-absorption par Ugine Savoie Imphy et du changement de dénomination sociale de cette dernière à compter du 3 décembre 2003 ;
* Au fond, sur la rupture des relations concernant le transport
Attendu qu'aux termes de l'article L. 442-6 du Code de commerce : " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan :
5°) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords interprofessionnels " ;
Qu'il est constant en l'espèce que la société Daniel Grenin exerçant notamment une activité de transporteur et de stockiste, a, depuis sa création en 1960, assuré des prestations de transport au profit des Aciéries d'Imphy Creusot Loire, Imphy SA, Usinor auxquelles ont succédé Ugine Savoie Imphy, Sprint Métal, Tecphy et Imphy Ugine Précision (IUP) suite à une réorganisation d'Imphy SA au mois de décembre 1998 ;
Qu'à compter de 1995, la société Daniel Grenin a également effectué des prestations de stockage au profit d'IUP et de SM (Sprint Métal) ;
Qu'à la suite d'une réorganisation importante du groupe Usinor, dont fait partie IU, SM et Ugine Savoie Imphy, incluant notamment une démarche de réduction des coûts, il a été procédé par Usinor Achats agissant pour le compte d'IUP et de SM, à divers appels d'offres auprès de ses sous-traitants ;
Que cette consultation a eu lieu en janvier et février 1999 pour un marché annuel de transport portant sur plusieurs milliers de tonnes ;
Que la société Daniel Grenin ne pouvait ignorer qu'elle était en concurrence avec d'autres sociétés de transport dans la mesure où ses propositions tarifaires initiales communiquées en février 1999 ont par la suite été revues par elle à la baisse en juin 1999 ;
Que cet appel d'offres, outre un aspect économique, revêtait également un caractère technique compte tenu de la spécificité des bobines à transporter, la société Imphy SA ayant à cet égard dès 1998 adressé à la société Daniel Grenin plusieurs réclamations concernant la sous-capacité de ses remorques porte-bobines ;
Que cette dernière n'ayant pu satisfaire aux conditions de l'appel d'offres de 1999, il ne lui a plus été confié de prestations de transport direct à compter du mois de janvier 2000 ;
Qu'elle n'a pas contesté cet état de fait puisque ce n'est que par une lettre du 4 avril 2000 adressée à Usinor qu'elle a sollicité des explications ;
Qu'en tout état de cause, la fin des relations commerciales concernant le transport direct entre la société Daniel Grenin et les sociétés IUP et SM, est intervenue dans un contexte de baisse régulière du pourcentage de chiffre d'affaires de la première avec les deux autres, ainsi que cela résulte des deux tableaux versés aux débats par les sociétés intimées ;
Qu'en outre, IUP n'a pas cessé toute relation commerciale avec la société Daniel Grenin dans la mesure où elle lui confie toujours ses activités de transport interne, location de véhicules sans chauffeur et location de rampes, ainsi que cela résulte du tableau concernant le chiffre d'affaires IUP/Grenin à fin août 2003 également versé aux débats par les sociétés intimées ;
Que le tribunal a pu dans ces conditions estimer que la rupture des relations commerciales concernant le transport n'était pas imprévisible, soudaine et violente, comme le prétend la société Daniel Grenin ;
Que le jugement entrepris qui l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts de ce chef, doit être confirmé ;
Sur la rupture des relations concernant le stockage :
Attendu que la société Daniel Grenin pouvait penser que la fonction stockage n'était pas obligatoirement liée à la fonction transport ; qu'elle pouvait donc perdre le marché transport tout en conservant le marché stockage ;
Qu'il n'est pas établi qu'Usinor Achats ait procédé pour ce dernier marché par voie d'appel d'offres ;
Qu'en informant la société Daniel Grenin par simple télécopie en date du 2 décembre 1999 qu'elle mettait fin aux opérations de stockage effectuées pour le compte d'IUP à compter de janvier 2000, Usinor Achats n'a pas respecté les usages en matière de préavis ;
Qu'il ne peut être déduit, comme le fait la société Daniel Grenin, que celui-ci serait de 15 mois au vu d'un projet de contrat envisagé en 1995 relatif "à des prestations de stockage et de chargement" ;
Que ce projet prévoyant en effet "un préavis de trois mois avant le terme annuel", seule cette durée doit être prise en compte comme l'a fait le tribunal ;
Qu'en allouant sur cette base à la société Daniel Grenin une somme de 121 124 F, il a justement indemnisé cette dernière du seul préjudice dont elle est fondée à obtenir réparation, à savoir celui découlant du caractère brutal de la rupture et non celui découlant de la rupture elle-même ;
Que le jugement entrepris de ce chef doit être confirmé ;
Sur la demande d'indemnité au titre des investissements de stockage :
Attendu que la société Daniel Grenin n'était liée par aucun contrat avec Imphy/SA à laquelle a succédé IUP, concernant l'activité de stockage ; qu'elle assurait celui-ci en parfaite connaissance de sa situation précaire ;
Qu'en tout état de cause, l'activité de stockage de la société Daniel Grenin au profit d'IUP et de SM a débuté en 1995 ; que les investissements réalisés à cette fin, à une époque (1998) où par ailleurs son chiffre d'affaires diminuait, l'ont été de son propre chef et à ses risques périls ;
Que la société Daniel Grenin, qui ne s'est pas assurée avant de les entreprendre de pouvoir en amortir le coût, n'établit pas en outre que les installations de stockage sont spécifiques à Imphy ;
Qu'en définitive, c'est à bon droit qu'elle a été déboutée de sa demande de dommages-intérêts au titre des investissements concernant ces installations ; que le jugement entrepris mérite encore confirmation de ce chef ;
Sur la dépendance économique de la société Daniel Grenin à l'égard d'IUP et de SM et sur le préjudice commercial et matériel :
Attendu que la société Daniel Grenin estime être en droit de revendiquer un délai de préavis d'au moins 15 mois en raison de son état de dépendance économique à l'égard d'IUP et de SM ;
Qu'elle doit pour cela démontrer l'état de dépendance allégué et son éventuel abus, seul susceptible de donner lieu à réparation ;
Or attendu que "la moyenne du chiffre d'affaires réalisé avec l'unité d'Imphy", selon l'expression employée par la société Daniel Grenin, englobe d'autres clients qu'IUP et SM ; qu'ainsi la société Daniel Grenin travaille également pour Ugine Savoie Imphy (USI) qui dispose du plus fort tonnage total expédié comparativement à IUP et SM ; qu'en outre la moyenne en question concernant le chiffre d'affaires n'individualise pas le transport direct et le stockage ; que pour l'activité de transports internes, IUP notamment continue de confier ses prestations à la société Daniel Grenin ; que SM n'a jamais cessé quant à elle de lui confier son "stockage tournant" depuis 1998 ;
Que les éléments communiqués attestent par ailleurs que malgré la baisse régulière du pourcentage de chiffre d'affaires de la société Daniel Grenin avec IUP et SM, son chiffre d'affaires total est resté pratiquement stable ; que l'on doit en déduire qu'elle a su compenser par d'autres activités la réduction constatée ;
Que par décision en date du 27 décembre 2002 le Conseil de la concurrence a d'ailleurs rejeté la saisie de la société Daniel Grenin tendant à faire constater son état de dépendance économique à l'égard d'IUP et de SM ;
Qu'elle est mal fondée dans ces conditions à imputer à une situation de dépendance qui n'existait pas, la détérioration de ses échanges commerciaux avec ces deux sociétés ;
Que le jugement entrepris qui l'a déboutée de ses demandes de dommages-intérêts pour préjudice commercial et matériel doit être confirmé ;
Qu'il serait inéquitable de laisser les intimées supporter la charge de leurs frais irrépétibles en cause d'appel ; qu'il leur sera alloué de ce chef ensemble la somme de 1 500 euro ;
Que l'appelante qui succombe aura la charge des dépens de l'instance ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ; Constate que la société Ugitech SA vient aux droits de la société de production internationale de tréfiles (Sprint-Métal) ; Au fond : Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ; Déboute les parties du surplus de leurs prétentions ; Condamne la société Daniel Grenin à payer à la société Imphy Ugine Précision (IUP) et à la société Ugitech venant aux droits de la société Sprint Métal (SM), ensemble, la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la même aux dépens d'appel ; Accorde à Maître Tracol, avoué, le droit prévu à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.