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Décisions

CA Rennes, 1re ch., 18 février 1987, n° 1722-84

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Gueguen

Défendeur :

Laurent (Consorts)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lelion

Conseillers :

MM. Duclos, Etienne

Avoués :

Me Castres, Colleu, Leroyer-Barbarat

Avocats :

Mes Jourda, Pierre

TGI Lorient, du 24 févr. 1984

24 février 1984

FAITS ET PROCEDURE

Suivant acte notarié du 15 avril 1980, Mademoiselle Chauvinot a vendu à Madame veuve Le Gall, née Gueguen, une propriété sise à Priziac au lieudit " Ty Pauline " comprenant une maison d'habitation, avec dépendances et diverses parcelles de terre, ainsi que les meubles meublants et objets mobiliers garnissent les immeubles, pour le prix de 200 000 F sur lequel la somme de 30 000 F était déclarée versée hors la vue du notaire ; l'acte stipulait que l'acquéreur devait s'acquitter du solde en s'obligeant à entretenir la venderesse qui conservait jusqu'à son décès le droit d'usage et d'habitation des biens aliénés et la volonté exclusive de convertir cette obligation d'entretien en une rente viagère de 2 000 F par mois.

Arguant du refus de Mademoiselle Chauvinot de la voir exécuter les obligations mises à sa charge, Madame veuve Le Gall l'a assignée devant le Tribunal de grande instance de Lorient pour obtenir la substitution de la rente viagère à l'obligation d'entretien.

Mademoiselle Chauvinot étant décédée le 4 août 1981, l'instance a été poursuivie par les consorts Laurent, ses légataires universels.

Par jugement du 31 janvier 1984, le Tribunal de grande instance de Lorient a prononcé l'annulation de l'acte notarié du 15 avril 1980 portant vente par Mademoiselle Chauvinot à Madame Le Gall a dit les consorts Laurent propriétaires de l'ensemble des immeubles et meubles énoncés audit acte, a débouté les consorts Laurent du surplus de leurs prétentions, ordonné la publication du jugement au bureau des Hypothèques de Pontivy et condamné Madame Le Gall aux dépens.

Madame veuve Le Gall a interjeté appel de cette décision.

OBJET DE L'APPEL ET MOYENS DES PARTIES.

Madame veuve Le Gall conclut que la cour, réformant le jugement entrepris, déboute les consorts Laurent de toutes leurs demandes et les condamne à lui payer la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts, celle de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à supporter tous les dépens.

Elle fait grief au jugement d'avoir retenu l'existence d'un dol au préjudice de Mademoiselle Chauvinot sur la base de trois griefs qu'elle conteste successivement ; elle estime que le forme de vente retenue ne présente pas de caractère suspect dans ses modalités de paiement ; elle affirme que Mademoiselle Chauvinot ne vivait pas dans l'isolement et qu'a eu tout loisir de rompre avec elle lorsqu'elle l'a souhaité ; elle ajoute que le tribunal a commis une erreur de fait en retenant que l'acte avait été passé avec empressement alors qu'elle s'occupait de Mademoiselle Chauvinot depuis 1974. Elle en déduit que, tant avant que lors de la passation de l'acte, aucune manœuvre dolosive ne peut être établie à son encontre, les pièces versées aux débats établissant au surplus la volonté délibéré de la venderesse de conclure les conventions critiquées.

De leur côté, les consorts Laurent, à savoir Madame Guillouet, veuve de Maurice Laurent, Michel Laurent, Pierre Laurent, Roger Laurent, Denise Heraud épouse Laurent, et Anne-Marie Laurent, pris et, leur qualité de légataires universels de Mlle Chauvinot, concluent à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de Madame Le Gall au paiement de la somme de 10 000 F en conformité des dispositions de l'article 700 précité. Ils demandent acte de leurs réserves d'obtenir le paiement d'une indemnité d'occupation depuis la date à laquelle Madame Le Gall a occupé les Immeubles et joui du mobilier inclus dans la vente du 15 avril 1980.

Ils répliquent que l'acte qualifié de vente est en réalité une donation déguisée, le prix convenu étant fictif travestissant une intention libérale ; Ils soulignent que la partie du prix stipulé comptant a été réglée par la venderesse et que le prix convenu n'était pas sérieux. Ils ajoutent que la libéralité litigieuse doit être annulée en raison de manœuvres frauduleuses alléguées à l'encontre de Madame Le Gall et que le jugement a retenues à juste titre, à savoir l'isolement dans lequel était tenue Mademoiselle Chauvinot et le stratagème utilisé par l'appelante pour tenter une apparence de régularité à une opération parfaitement frauduleuse. Ils précisent que l'intéressée n'avait pas besoin de vendre se maison d'habitation pour subvenir à ses besoins permanents et que, si Madame Le Gall s'est occupée d'elle, ses démarches n'étaient pas effectuées de façon bénévole.

Pour un plus ample exposé de la procédure ainsi que des fins et des moyens des parties la cour se réfère aux énonciations de la décision et aux conclusions.

DISCUSSION

Considérant que, par acte notarié du 15 avril 1980, Mademoiselle Chauvinot a vendu à Madame Le Gall, en se réservant le droit d'usage et d'habitation sa vie durant, un ensemble immobilier important comportant une maison d'habitation, ses dépendances, des parcelles de terre d'une superficie de 6 hectares 45 ares 41 centiares, ainsi que les meubles meublants et objets mobiliers garnissant ces immeubles ;

Que le prix fixé à 200 000 F, dont 30 000 F déclarés payés comptant, hors la vue du notaire, a été converti aussitôt en la charge, assumée par l'acquéreur, de donner à la venderesse tous les soins nécessaires à son existence pendant sa vie ; que la valeur des prestations promises par l'acquéreur n'était pas assez insignifiante, bien que Mademoiselle Chauvinot fût âgée de 84 ans et de santé déficiente, pour caractériser l'absence de prix sérieux ou pour établir l'existence d'une intention libérale qui permettrait de qualifier l'acte de donation déguisée ;

Considérant que, cependant, c'est avec raison que les premiers juges ont estimé que de telles modalités de paiement revêtaient un caractère suspect, l'obligation d'entretien représentant plus des 8/10èmes du prix, alors que la venderesse était très âgée et que la note rédigée par elle le 3 octobre 1980 donne à penser qu'elle a payé elle-même les frais de l'acte de vente et que le règlement du comptant hors la vue du notaire est sujet à caution ;

Qu'en outre, par des motifs pertinents que la cour fait siens, les premiers juge ont exactement analysé les attestations produites en ce qu'elles établissent que Madame Le Gall, passée au service permanent de Mademoiselle Chauvinot après l'hospitalisation de celle-ci au mois de décembre 1979, avait alors exercé sur elle une emprise réelle et tenté malicieusement de la maintenu dans l'isolement à la période de la signature de l'acte et dans les semaines suivantes ;

Qu'à juste titre, ils ont également considéré que la lettre adressée par Mademoiselle Chauvinot au notaire le 1er avril 1980 pour lui faire part de ses intentions quant à la vente de ses biens traduisait de sa part un empressement qui ne pouvait résulter que des pressions exercées sur elle par Madame Le Gall;

Que consciente de sa faiblesse Mademoiselle Chauvinot avait d'ailleurs confié à un témoin, au mois de juin 1980, qu'elle voulait se " débarrasser " de Madame Le Gall qui avait profité de son état pour s'approprier ses biens ;

Considérant qu'à bon droit le tribunal a estimé que la réunion de ces circonstances constituait un ensemble de présomptions graves, précises et concordantes de nature à établir que Madame Le Gall, par des manœuvres constitutives du dol, était parvenue à circonvenir Mademoiselle Chauvinot en vue de l'amener consentir à un acte de vente désavantageux pour elle, alors qu'il est évident que, sans ces manœuvres, elle n'aurait pas contracté ; qu'il a justement constaté le nullité d'une telle vente ;

Considérant qu'en raison du sort réservé à l'appel, la demande de Madame Le Gall en paiement de dommages-intérêts n'est en rien justifiée ;

Qu'il n'y a pas lieu de donner aux consorts Laurent, parce qu'il n'est pas susceptible de produire d'effet juridique, acte qu'ils requièrent ;

Que l'équité commande qu'ils ne conservent pas à leur charge les frais qu'ils ont exposés en cause d'appel et qui ne seront pas compris dans les dépens ; qu'au vu des éléments fournis il convient de leur allouer de ce chef la somme de 3 000 F.

DECISION.

Par ces motifs et ceux des premiers juges, En le forme, reçoit Madame veuve Le Gall en son appel ; Au fond, confirme en toutes ses dispositions le jugement attaqué ; Déboute Madame Le Gall de ses demandes ; La condamne à payer aux consorts Laurent la somme de 3 000 F en remboursement de leurs frais non répétibles d'appel ; La condamne aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.