CA Bastia, ch. civ., 18 juin 1996, n° 00000186-95
BASTIA
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Caisse de Crédit Mutuel d'Ajaccio
Défendeur :
Paquet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Goudon
Conseillers :
MM. Tallinaud, Gire
Avoués :
Me Jobin, SCP Ribaut-Battaglini
Avocats :
Mes Morelli, Vaschetti
La Caisse de Crédit Mutuel d'Ajaccio a interjeté appel d'un jugement rendu le 21 novembre 1994 par le Tribunal de commerce d'Ajaccio qui a déclaré nul l'acte de caution souscrit par Madame Paquet et rejeté la demande de l'appelante en paiement de sommes de 250 000 F, montant du cautionnement, avec intérêts légaux à compter du 8 mars 1994, outre 2 500 F à titre de dommages et intérêts et 2 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Au soutien de son appel, la caisse appelante fait valoir
- Que Madame Paquet a souscrit le contrat de cautionnement le 6 mai 1993 en sa qualité de gérante de la SARL Boulangerie Poli,
- Que cette société a été mise en redressement
- Qu'à la date de son engagement, Monsieur Paquet avait une parfaite connaissance de la situation comptable de la société préalablement gérée par son père, et dans laquelle elle était déjà associée,
- Que depuis 1982, l'intimée bénéficiait d'une procuration sur le compte de la société ouvert dans les livres de la concluante et connaissait la situation débitrice de ce compte,
- Qu'avant de remplacer son père, décédé, à la tête de l'entreprise, elle occupait un emploi salarié dans la société de secrétaire comptable, fonction qui lui a donné accès à la connaissance de l'état financier de la société,
- Que la concluante n'a pu manquer à son devoir de loyauté en raison de ces circonstances ; qu'en réalité, en toute connaissance de cause, par le biais de la caution consentie, la caution s'est assurée la confiance de son banquier, lequel a accepté de maintenir ses concours financiers ; que cette opération de sauvetage était connue de Madame Paquet en toute sa dimension.
Elle conclut, en conséquence, à la réformation, au bénéfice de son assignation introductive et à l'allocation de la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Madame Paquet réplique :
- Qu'après le décès de son père le 4 mars 1993, gérant de la société, la banque a profité de son désarroi pour lui extorquer, le 6 mai 1993, l'acte de cautionnement en litige sans lui expliquer la portée de son engagement, sauf à la menacer de couper court aux concours financiers déjà octroyés,
- Qu'elle n'a pu prendre connaissance du passif que le 1er juin suivant en se rapprochant du comptable qui lui dressait le bilan provisoire au 31 mars 1993, déjà déficitaire et qui la décidait à déposer le bilan,
- Qu'elle n'a passé que quelques mois en 1990 en qualité de salariée dans l'entreprise, fonction vite abandonnée en raison de difficulté relationnelle avec son père,
- Qu'elle n'a été désignée que gérant provisoire en avril 1993 après le décès de son père, précédent gérant,
- Qu'elle n'était associée qu'à hauteur de 5 % du capital social avec sa soeur (5 %), son père étant associé pour les 90 % restant,
- Que la garantie présentée par son père en qualité de caution solidaire pour 200 000 F était déjà dépassée, le compte au Crédit Mutuel au jour du décès étant débiteur de 346 471 F,
- Que la caution donnée par la concluante est nulle, le consentement ayant été vicié par le défaut d'information et de conseil du Crédit Mutuel qui, au jour de l'acte, savait la société débitrice dans ses livres de 395 510 F,
- Que, dès l'information acquise, la concluante a déposé le bilan de la société le 22 juillet 1993,
- Que la banque n'a pas été de bonne foi, sa déloyauté s'étant manifestée par son silence dolosif sur la situation réelle de la société lors de la constitution de la garantie,
- Que l'organisme bancaire a commis une faute en accordant un soutien abusif à une société qu'elle savait en difficulté, rendant impossible le remboursement de la dette et recherchant par déloyauté une garantie en violation des droits de cette caution.
Elle conclut, dès lors, à la confirmation pure et simple de la décision déférée et à l'allocation de la somme de 6 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur quoi, LA COUR,
Attendu que suite au décès de son père, Jean-Baptiste Poli, gérant de la SARL Boulangerie-Pâtisserie Les Salines, survenu le 4 mars 1993, Madame Paquet a été nommée gérante en remplacement, selon décision de l'Assemblée Générale du 15 avril 1993 ;
Attendu que dans le cadre de ses nouvelles fonctions, Madame Paquet se rapprochait du comptable afin d'obtenir l'état de santé financière de la société ; qu'elle n'a eu connaissance de la situation gravement obérée de la société que le 1er juin 1993 sur un état provisoirement arrêté au 31 février 1993 qui aboutit à un dépôt de bilan le 22 juillet 1993 et à l'ouverture d'une procédure collective ;
Que l'état des créances déclarées révélaient un passif de 6 877 083 F qui devait être bien supérieur à celui ressortissant de l'arrêté provisoire du 1er juin 1993 ayant suffit cependant à provoquer le dépôt de bilan ;
Attendu cependant que le 6 mai 1993, le Crédit Mutuel faisait souscrire à Madame Paquet une caution personnelle de 350 000 F ;
Que cet acte intervenait moins de deux mois avant le dépôt de bilan, à une époque où la banque détenait déjà sur la société une créance de 325 500 F ainsi qu'il résulte des relevés de mouvements de compte ; qu'elle produisait au passif de la société une créance de 366 693 F ;
Attendu que le rapprochement des dates suffit à indiquer les conditions dans lesquelles le Crédit Mutuel a su emporter le consentement de Madame Paquet pour se constituer une garantie sur une créance de nature chirographaire en remplacement de la caution personnelle de Monsieur Poli (donnée seulement à hauteur de 200 000 F) qui disparaissait du fait de son décès ;
Que le Crédit Mutuel n'a pu ignorer l'état des comptes de la société ouvert dans ses propres livres et a sciemment omis d'en informer la caution afin de se préserver une sureté ; que la banque ne peut sérieusement alléguer les quelques mois de salariat de Madame Paquet dans la société, trois ans avant les faits, et un statut d'associé dérisoirement à hauteur de 5 % du capital social pour retenir la connaissance suffisante de la future gérante sur la situation déficitaire de l'entreprise ;
Qu'en revanche, il lui appartenait de s'assurer du plein et entier consentement de la personne, dont elle recherchait la caution en faisant précéder l'acte d'une information transparente et totale de la situation de la société cliente ;
Que la précipitation de la banque à se garantir, au regard de l'évolution des dates, rend hautement suspect l'acte conclu en raison du comportement déloyal de l'appelante ;
Que les premiers juges ont, dès lors, à bon droit, annulé l'acte de caution et rejeté les demandes formées contre Madame Paquet ;
Attendu que la procédure d'appel a manifestement fait engager à Madame Paquet des frais irrépétibles qu'il sera équitable de couvrir par la somme de 3 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, contradictoirement, Reçoit le Crédit Mutuel d'Ajaccio en son appel, L'en déclare mal fondé, Confirme le jugement déféré, Condamne le Crédit Mutuel à payer à Madame Paquet la somme de trois mille francs (3 000 F) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette toute autre demande, Condamne l'appelante aux dépens.