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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 16 décembre 2004, n° 04-00365

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société Générale (SA)

Défendeur :

Senes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Selmes

Conseillers :

MM. Vergne, Baby

Avoués :

SCP Sorel Dessart Sorel, SCP Rives Podesta

Avocats :

Mes Cuculières, Poquillon

TGI Castres, du 18 déc. 2003

18 décembre 2003

Faits et procédure

M. Georges Senes et son épouse, née Marie-Thérèse Bordes, ont souscrit le 31 mars 1990 auprès de l'agence d'Albi de la Société Générale un prêt dit "in fine" d'un montant de 3 800 000 F, d'une durée de 10 ans, destiné à leur permettre d'effectuer un placement consistant en l'acquisition de 3 000 pars de la SCPI Génépierre 2. Les intérêts au taux de 11,45 % étaient payables en 40 trimestrialités constantes, et les parts étaient affectées en nantissement pour garantir la bonne fin du prêt. Par avenant du 23 mars 1994, le taux d'intérêt a été ramené à 9,70 %, les autres conditions du prêt demeurant inchangées. M. et Mme Senes ont cessé de payer les intérêts en mai 1996, et la Société Générale a affecté les revenus des parts à l'apurement de cette dette.

La banque, après avoir appliqué la déchéance du terme le 18 décembre 1996, a assigné les emprunteurs le 26 décembre 2000 devant le Tribunal de grande instance de Castres, pour obtenir le paiement de 830 592,53 euro représentant le capital restant dû et les intérêts demeurés impayés, la restitution des parts nanties et le paiement de 1 800 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

M. Senes est décédé le 22 février 2001, et ses enfants, héritiers directs, ont renoncé à sa succession, seule Mme Senes, par ailleurs bénéficiaire depuis 1973 d'une donation entre époux, demeurant héritière.

Le tribunal, par jugement du 18 décembre 2003, a estimé que les articles L. 312-2 et suivants du Code de la consommation n'avaient pas été respectés, et a débouté la Société Générale de sa demande en paiement des intérêts conventionnels. Il a jugé que Mme Senes devait rembourser le capital emprunté, déduction faite des sommes déjà payées au titre des intérêts, qu'il a affectées au remboursement du capital, ainsi que des revenus de la SCPI appréhendés par la banque. Il a ensuite condamné Mme Senes à rembourser le reliquat, soit une somme de 15 696,36 euro, sous réserve de l'imputation des revenus de SCPI au titre de 2003. Il a dit que cette somme porterait intérêts au taux légal depuis le 18 décembre 1996, et ordonné leur capitalisation. Il a enfin débouté la banque de sa demande d'attribution des parts nanties, lui allouant cependant 800 euro en indemnisation de ses frais irrépétibles, et ordonnant l'exécution provisoire.

La Société Générale a relevé appel de cette décision par déclaration remise le 26 janvier 2004 au greffe de la cour.

Moyens et prétentions des parties

L'appelante soutient que le prêt litigieux n'entrait pas dans les prévisions du crédit immobilier tel qu'il est réglementé par le Code de la consommation, les articles L. 311-1 de ce Code ne trouvant pas à s'appliquer eu égard au montant de la somme empruntée. L'offre excluait en outre expressément l'application de la loi Scrivener. En outre, les parts de SCPI ne donnent pas vocation à la propriété ou à la jouissance d'un immeuble, comme prévu par l'article L. 312-2 du Code de la consommation.

La volonté de soumettre le prêt litigieux à cette réglementation n'est pas clairement établie, la seule mention, dans un avenant ne valant pas novation, de l'application du Code de la consommation étant insuffisante à cet égard.

Subsidiairement, l'exception de nullité ne pouvait trouver à s'appliquer alors que le contrat avait été exécuté pendant plus de cinq ans, la nullité étant relative puisqu'il s'agit de l'ordre public de protection. La prescription quinquennale de l'article 1304 du Code civil doit s'appliquer. Elle demande donc à la cour de condamner Mme Senes à lui payer le montant du capital, soit 613 263,99 euro, outre les intérêts restant dûs, soit 415 550,60 euro, 3 000 euro sont enfin demandés en indemnisation des frais irrépétibles.

L'intimée s'étonne de devoir rappeler à la Société Générale qu'elle ne sollicite pas l'application des articles L. 311-1 et suivants du Code de la consommation, mais de ses articles L. 312-1 et suivants, relatifs aux seuls prêts immobiliers. L'avenant de 1994 parle bien de prêt immobilier, et cite expressément les articles applicables.

Or, l'article L. 312-10 du Code de la consommation prévoit un délai de réflexion de 10 jours qui n'a pas été respecté en 1990 (l'offre a été acceptée le 100 jour) et en 1994 (offre acceptée le jour-même).

La nullité du contrat s'impose, s'agissant de dispositions d'ordre public.

Subsidiairement, elle sollicite la déchéance des intérêts, par application de l'article L. 312-33 du Code de la consommation, la prescription étant de 10 ans en l'espèce.

Mme Senes n'est dès lors tenue que du remboursement du principal, sur lequel doivent s'imputer les intérêts payés et les revenus de SCPI conservés par la banque, de sorte que celle-ci doit à Mme Senes un trop perçu de 15 218,22 euro, outre les revenus de SCPI perçus postérieurement au 17 mars 2004.

La mainlevée du nantissement devra donc être ordonnée en conséquence, sous astreinte de 500 euro par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir.

Elle demande enfin 3 000 euro en indemnisation de ses frais irrépétibles.

Sur quoi

Il est exact qu'en l'espèce la référence aux articles L. 311-1 et suivants du Code de la consommation manque de pertinence, le crédit litigieux visant à financer un investissement dans le secteur de l'immobilier, et susceptible à ce titre de relever des articles L. 312-1 et suivants de ce même Code, peu important son montant, qui n'est pris en considération que pour les prêts affectés à la réalisation de travaux.

Mais, pour entrer dans le champ d'application de ces articles du Code, un prêt doit être destiné à financer l'acquisition en propriété ou en jouissance d'un immeuble d'habitation ou à usage professionnel et d'habitation, ou des travaux réalisés sur un tel immeuble pour un montant excédant le seuil en deçà duquel s'appliquent les articles L. 311-1 et suivants (situations dont aucune des parties ne prétend qu'elles seraient réalisées en l'espèce), ou encore la souscription ou l'achat de parts ou actions de sociétés donnant vocation à l'attribution en propriété ou en jouissance de tels locaux.

Or, les parts acquises étaient des parts de SCPI, sociétés civiles autorisées par exception à la règle à faire appel public à l'épargne et qualifiées par l'article L. 214-1 du Code monétaire et financier d'organismes de placement collectif. La détention de parts de telles sociétés ne donne nullement vocation à l'attribution en propriété ou en jouissance d'un local à usage d'habitation ou à usage professionnel et d'habitation, mais seulement à la perception des revenus locatifs encaissés par la SCPI dans le cadre de la gestion des immeubles dont elle est propriétaire.

Il résulte donc de la confrontation des définitions légales du crédit immobilier selon le Code de la consommation et des SCPI selon le Code monétaire et financier que l'acquéreur de parts d'une société de cette nature ne peut prétendre bénéficier, pour le prêt souscrit aux fins de cette acquisition, des dispositions protectrices du Code de la consommation. Il est d'ailleurs compréhensible que le législateur n'ait pas eu le souci de protéger de façon particulière un investisseur désireux non pas de loger sa famille, mais d'optimiser sa situation fiscale, sans amputer ses revenus courants puisque les revenus des parts devaient couvrir le service des intérêts du prêt, tout en se donnant les moyens de réaliser à terme une plus-value telle qu'une fois le principal du prêt remboursé, il dispose encore d'un capital à réinvestir.

Dès lors, la cour rejettera les moyens de nullité tirés du défaut d'application des règles impératives contenues dans le Code de la consommation. L'offre de prêt initiale exclut expressément l'application des textes pris pour la protection des consommateurs, et la simple référence à ces textes en tête de l'avenant relatif à la révision du taux d'intérêt, qui stipule par ailleurs qu'il n'emporte pas novation, les autres dispositions du contrat initial demeurant inchangées, relève d'une maladresse de la banque et non d'une volonté clairement exprimée et expressément partagée des deux parties de voir le Code de la consommation régir une situation à laquelle il ne s'appliquait pas de plein droit.

L'application du Code de la consommation étant ainsi écartée, la demande subsidiaire de déchéance des intérêts devient sans fondement et sera rejetée.

L'intimée ne formule aucune observation sur les montants payés et ceux devenus exigibles du fait de la déchéance du terme, et ne tire aucune conséquence juridique de son observation selon laquelle la Société Générale s'est attribué abusivement les revenus des parts nanties à son profit il conviendra de condamner Mme Senes à payer les sommes restant dues, dans les termes de la demande de la banque selon son dernier décompte, cette condamnation étant prononcée en deniers ou quittances pour tenir compte de la perception des revenus des parts depuis le 19 mars 2004, date du décompte, étant précisé que les revenus perçus antérieurement à cette date ont été régulièrement imputés sur le montant de la créance.

Le nantissement régulier des parts en cause n'est pas davantage discuté, et, si la Société Générale ne sollicite plus devant la cour l'attribution des parts, il ne pourra en revanche être fait droit à la demande de mainlevée présentée par Mme Senes.

La capitalisation des intérêts sera enfin accordée à compter de la demande qui en a été faite par l'acte introductif d'instance.

L'intimée qui succombe sera en outre condamnée à indemniser l'appelante de ses frais irrépétibles d'appel, à concurrence d'un montant limité, en équité et eu égard à la position respective des parties, à 1 000 euro.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, En la forme, Reçoit la Société Générale en son appel, Au fond, Y faisant droit, Réforme le jugement déféré en toutes ses dispositions à l'exception de celles relatives à l'article 700 et aux dépens, Dit que le prêt consenti par la Société Générale à M. et Mme Senes le 31 mars 1990 n'est pas soumis aux dispositions du Code de la consommation, Dit n'y avoir lieu en conséquence de l'annuler ni de déchoir l'établissement prêteur de-son droit à percevoir les intérêts convenus, Rejette en conséquence l'intégralité des demandes de Mme Senes, y compris celle en mainlevée du nantissement des parts litigieuses, Condamne Madame Marie-Thérèse Bordes veuve Senes à payer à la Société Générale la somme de 613 263,99 euro (six cent treize mille deux cent soixante trois euro et quatre vingt dix neuf centimes) en principal, majorée de celle de 413 550,60 euro (quatre cent treize mille cinq cent cinquante euro et soixante centimes) au titre des intérêts courus jusqu'au 19 mars 2004, ainsi que des intérêts à courir jusqu'au paiement, Dit que ces intérêts se capitaliseront dans les conditions prévues par l'article 1154 du Code civil, à compter de la demande qui en a été faite dans l'acte introductif d'instance du 26 décembre 2000, Dit que la condamnation ci-dessus s'entend en deniers ou quittances, Condamne Madame Marie-Thérèse Bordes veuve Senes à payer à la Société Générale une somme complémentaire de 1 000 euro (mille euro) en indemnisation de ses frais irrépétibles, La condamne aux entiers dépens, dont distraction en faveur de la SCP Sorel Dessart Sorel, avoués.