Conseil Conc., 28 juin 2007, n° 07-MC-04
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Demande de mesures conservatoires de la société Direct Energie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de M. Genevaz, par M. Lasserre, président, Mmes Aubert, Perrot, vice-présidentes, M. Piot, Mme Mader-Saussaye, membres.
Le Conseil de la concurrence (section III B) ;
Vu la lettre enregistrée le 22 février 2007, sous les numéros 07/0019F et 07/0020M, par laquelle la société Direct Energie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Electricité de France et a demandé que des mesures conservatoires soient prononcées sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; Vu les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu les décisions de secret des affaires n° 07-DSA-72 du 20 mars 2007, 07-DSA-102 du 2 mai 2007, 07-DSA-106 du 11 mai 2007, 07-DSA-114 du 30 mai 2007, 07-DSA-115 du 30 mai 2007, 07-DSA-116 du 1er juin 2007, 07-DSA-118 du 4 juin 2007, 07-DSA-125 du 6 juin 2007 et 07-DSA-126 du 8 juin 2007 ; Vu l'avis de la Commission de régulation de l'énergie du 2 mai 2007 ; Vu les observations présentées par la société plaignante, par la société mise en cause et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du gouvernement et les représentants des sociétés Direct Energie et Electricité de France, entendus lors de la séance du 20 juin 2007 ; Les représentants de la Commission de régulation de l'énergie entendus sur le fondement des dispositions de l'article L. 463-7 du Code de commerce ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LA SAISINE
1. La société Direct Energie a saisi le Conseil de la concurrence le 22 février 2007 de pratiques mises en œuvre par la société Electricité de France (ci-après EDF) sur les marchés de la production et de la fourniture d'électricité, et a sollicité, en outre, le prononcé de mesures conservatoires.
B. LES SECTEURS D'ACTIVITÉ
1. LA PRODUCTION D'ELECTRICITE
a) Les principaux producteurs d'électricité en France
2. La France a disposé, en 2006, d'une capacité installée de 116 GW. EDF, qui est à l'origine de 87 % de cette capacité (soit 101,2 GW), est le principal producteur d'électricité. Le reste de la capacité de production française est composé d'unités de production de grande puissance et d'unités de petite taille gérées par d'autres producteurs.
3. Quatre d'entre eux disposent d'installations de grande puissance représentant 6 % de la capacité installée. Il s'agit de :
- Electrabel-Suez, qui dispose d'une capacité de 3,7 GW provenant des centrales hydrauliques de la Société Hydro-Electrique du Midi et de la Compagnie Nationale du Rhône ;
- Endesa, qui dispose d'une capacité de 2,4 GW provenant de centrales à charbon ;
- Total, qui dispose d'une capacité de 0,25 GW provenant d'une centrale de cogénération ;
- Gaz de France (ci-après GDF), qui dispose d'une capacité de 0,8 GW provenant principalement d'une centrale à cycles combinés au gaz.
4. Les 7 % de capacité restants (soit 7,6 GW) sont constitués d'unités de production de petite taille. Elles sont exploitées par des producteurs indépendants, qui vendent pour la plupart leur production à EDF, et des industriels produisant pour leur propre consommation.
5. La production française d'électricité a atteint 549,9 TWh en 2006. La même année, EDF a produit 485,2 TWh, soit 88 % de la production totale. Les autres grands producteurs ont généré 6 % de la production totale, dont 4 % provenant du groupe Electrabel-Suez, 1 % d'Endesa, et 0,5 % respectivement de Total et GDF.
b) Le parc de production et la place de la production nucléaire
Le fonctionnement du parc de production
6. Le parc de production recouvre l'ensemble des moyens de production disponibles à un moment donné. Ces moyens sont divers, chaque type de centrale utilisant des technologies et des combustibles différents. Les structures de coûts fixes et variables varient également selon les centrales. Ainsi les moyens de production dont les coûts fixes sont importants mais les coûts variables de fonctionnement sont faibles voient leur prix de revient s'accroître s'ils ne sont utilisés qu'une partie du temps.
7. Ceci explique que les moyens de production dont les coûts variables sont faibles sont utilisés pour une production " en base ", c'est-à-dire une puissance appelée en permanence au cours d'une année. Il s'agit principalement d'unités de production nucléaires, qui, outre leurs caractéristiques de coûts, utilisent une technique de production peu flexible. Les autres moyens de production, dont les coûts variables sont plus élevés, sont utilisés pour la production de " semi-base " et de " pointe ". Il s'agit principalement de centrales au charbon, au fioul et de turbines à combustion, déclenchables à court terme et pour une courte durée.
8. La contribution respective des principaux types de centrales à la production totale française en 2006 est décrite dans le tableau suivant :
<emplacement tableau>
9. Les moyens du parc sont susceptibles de fonctionner simultanément, selon les besoins. En principe, la demande est satisfaite par " empilement " des moyens de production, par ordre de coût variable croissant. Le coût marginal du parc de production correspond donc à celui des unités en fonctionnement dont le coût variable est le plus élevé.
10. Dès lors que le prix de marché de l'électricité s'égalise au coût marginal de sa production, le prix de l'électricité ne reflète le coût marginal du parc nucléaire qu'en période de " marginalité " des centrales nucléaires, c'est-à-dire durant les périodes où la demande n'excède pas la production nucléaire. A l'inverse, les moyens de production nucléaire sont rémunérés au-delà de leur seuls coûts variables lorsque la demande excède la capacité du parc nucléaire. Ceci permet, théoriquement, de couvrir les coûts complets, somme des coûts variables et des coûts fixes considérables des moyens de production nucléaire. On parle de " rente du nucléaire " lorsque le niveau de rémunération du parc nucléaire est supérieur à ce qui est nécessaire pour couvrir son coût complet.
Structure et gestion du parc de production d'EDF
11. Fin 2006, EDF détenait en France 100 % des capacités de production nucléaires, 77 % des capacités hydrauliques et 58 % des autres moyens de production. La même année, 88,2 % de la production d'EDF était d'origine nucléaire, 8,3 % était générée par des centrales hydroélectriques et 3,5 % provenait de centrales à combustibles fossiles.
12. Les principes généraux de fonctionnement du parc de production électrique s'appliquent à EDF. Selon le témoignage de ses représentants, la séquence d'empilement d'EDF commence par la production dite " fatale " (centrales hydroélectriques au fil de l'eau et production éolienne), avant les centrales nucléaires, conçues pour fonctionner en base, puis les centrales à charbon, les centrales au fioul, les barrages (" stocks hydrauliques ") et, enfin, la production de pointe (turbines à combustion).
13. La gestion du parc d'EDF dépend en outre de trois éléments additionnels. Premièrement, la gestion du parc n'est pas conduite indépendamment des transactions d'EDF sur le marché de gros. EDF effectue des arbitrages entre ses coûts de production et les prix disponibles à un moment donné sur le marché de gros. En cas de capacités excédentaires et de prix de marché supérieur aux coûts variables, EDF vend sur le marché. Les données recueillies au cours de l'instruction montrent qu'EDF est vendeur net sur le marché de gros.
14. Deuxièmement, la disponibilité et l'utilisation du parc nucléaire d'EDF varient en cours d'année. La disponibilité est affectée par les arrêts de maintenance, de remplacement du combustible, les problèmes techniques et les essais de fonctionnement. L'utilisation effective du parc nucléaire évolue en fonction de facteurs tels que les débouchés de la puissance disponible selon les périodes, certaines contraintes environnementales et l'optimisation de l'utilisation du combustible. EDF programme donc des arrêts de centrales afin d'adapter sa production aux profils de consommation de ses clients. Ainsi, en 2006, le coefficient de disponibilité du parc nucléaire s'est élevé à 83,6 %. Actuellement, le coefficient d'utilisation s'élève à 93 %. Selon le document de Programmation pluriannuelle des investissements de production électrique pour la période 2005-2015 ce niveau d'utilisation reflète le résultat d'une optimisation efficace du parc nucléaire puisque " les arrêts sont en effet mieux saisonnalisés afin de mieux suivre la courbe de consommation ", " [c]ette optimisation du placement des arrêts condui[sant] à mieux répartir les marges de production sur la période hivernale ".
15. Troisièmement, les activités de production et les activités commerciales ne sont pas gérées de manière autonome. La gestion est intégrée et effectuée par la Direction Optimisation Amont Aval & Trading (ci-après DOAAT), une entité organisationnelle d'EDF située entre la Direction Production Ingénierie en amont et la Direction Commerce en aval. La DOAAT gère l'ensemble des actifs de production d'EDF de manière à honorer ses engagements commerciaux, tout en optimisant le risque financier. Cela signifie, en pratique, que la DOAAT définit quotidiennement un programme de production lui permettant de satisfaire tous les engagements commerciaux d'EDF sans faire appel au marché. Ensuite, EDF Trading, en charge de l'optimisation de ce programme, fait un arbitrage quotidien entre production et marché, selon les coûts de l'une et les prix de l'autre.
Evaluation des besoins d'investissement et barrières à l'entrée dans le secteur de la production
16. Les opérateurs et les pouvoirs publics ont mis en place plusieurs sources d'évaluation de l'évolution de la consommation énergétique en France. Ces sources permettent d'identifier les besoins en investissement. Les deux principales sources suivies par les opérateurs ont été mises en place en application de l'article 6 de la loi du 10 février 2000. Il s'agit de la Programmation pluriannuelle des investissements de production électrique (ci-après la PPI) et du Bilan prévisionnel pluriannuel de l'équilibre offre-demande d'électricité en France publié par RTE (ci-après le bilan prévisionnel RTE).
17. L'objectif du bilan prévisionnel RTE est de quantifier, en fonction de prévisions de consommation, les moyens de production électrique supplémentaires à mettre en service dans les années à venir pour garantir la sécurité de l'approvisionnement sur le territoire français. La PPI, quant à elle, contribue à déterminer la politique énergétique nationale et dépasse la seule considération de sécurité des approvisionnements que reflète le bilan prévisionnel RTE. La PPI intègre donc des choix en matière de filières énergétiques. Ces documents n'envisagent pas la construction de nouvelles centrales nucléaires en dehors des projets conduits par EDF.
18. Dans ce contexte, il ressort des éléments produits au dossier qu'il convient de distinguer deux tendances à l'investissement dans le cadre du marché libéralisé, à savoir d'une part l'investissement dans des moyens de production en semi-base et en pointe et, d'autre part, l'investissement dans des moyens de base. En ce qui concerne les moyens de semi-base et de pointe, la majorité des fournisseurs alternatifs interrogés ont déclaré disposer de tels moyens ou envisager d'investir dans leur construction. Tel est notamment le cas de la saisissante, qui a démontré, outre ses investissements dans le domaine de l'électricité d'origine éolienne et hydraulique, projeter la construction d'une centrale à cycle combiné au gaz et d'une ou plusieurs centrales à turbine à combustion. Poweo a également investit dans de tels moyens, en lançant la construction d'une centrale à cycle combiné au gaz à Pont-sur-Sambre.
19. En ce qui concerne la production nucléaire, principal moyen de production de base, l'instruction a permis, à ce stade, de mettre à jour deux barrières à l'entrée qui contribuent à expliquer l'absence de projet concret d'investissement en dehors d'EDF.
20. Premièrement, la création d'installations nucléaires est soumise à autorisation publique. De plus, il convient de constater l'existence de plusieurs dispositions légales, qui n'ont pas fait l'objet d'abrogation explicite, et qui tendent à réserver à EDF la gestion et la participation à l'exploitation d'une centrale nucléaire. Si EDF et le groupe Electrabel-Suez soutiennent, à ce stade de l'instruction, que ces dispositions doivent être considérées comme implicitement abrogées, tel n'est pas l'avis de la Commission de régulation de l'énergie (ci-après la CRE).
21. Deuxièmement, la constitution d'un parc de production nucléaire suppose un apport en capital considérable. Les coûts de construction d'une centrale nucléaire excèdent très largement ceux d'autres types de centrales. Le tableau ci-dessous présente des estimations de coûts de construction de différents types de centrales :
<emplacement tableau>
22. Or ces seules estimations ne suffisent pas à rendre compte de la réalité de l'intensité capitalistique de la production nucléaire. Outre les frais de construction, une particularité de la filière nucléaire est que le coût d'investissement d'une centrale dépend étroitement du programme mis en œuvre (c'est-à-dire du nombre de tranches du parc nucléaire et de leur rythme d'engagement). La production nucléaire comporte également des coûts à long terme en aval de la filière, puisque le combustible usé génère des charges spécifiques de transport, de stockage et de retraitement.
23. Les entreprises interrogées au cours de l'instruction ont confirmé ne pas être en mesure d'envisager de tels investissements, à l'exception du groupe Electrabel-Suez. Par exemple, selon GDF, " la barrière d'entrée pour devenir exploitant nucléaire en France est trop élevée pour un groupe comme GDF ". A ce stade de l'instruction, seule une participation aux investissements nucléaires d'EDF semble envisageable pour la plupart des opérateurs en vue d'obtenir un accès de long terme à l'électricité de base d'origine nucléaire. La société Poweo est, à ce jour, l'unique opérateur alternatif à disposer d'un tel accès. Celui-ci découle d'un accord d'échange d'électricité de base tirée du parc nucléaire d'EDF contre de l'électricité de semi-base et de pointe tirée de la centrale à cycle combiné au gaz de Pont-sur-Sambre, cet accord constituant, pour Poweo, " la seule possibilité effective de sécuriser [un approvisionnement de long terme en énergie de base] compte tenu des quantités offertes sur les VPP et du caractère limité des approvisionnements de long terme accessibles sur les marchés de gros ".
2. LE MARCHE DE GROS
a) Définitions et produits disponibles sur le marché de gros
24. L'électricité est un bien homogène, standardisé sur la base de quatre critères principaux, à savoir une puissance, une durée, une date et un lieu de livraison. Le marché de gros regroupe les échanges concernant ces produits standards. Ces produits standards sont des " blocs " représentant une puissance consommée constante pendant une certaine durée. Si la puissance est permanente, il s'agit d'un " bloc de base ". Si elle n'est appelée qu'entre 8h et 20h en semaine, il s'agit d'un " bloc de pointe ". Les produits échangés sont dits " spot " ou " à terme " en fonction de la période de livraison physique.
25. L'essentiel des transactions de gros s'organise en échanges de " gré à gré " (ou " over the counter ", ci-après OTC). Le reste des transactions a lieu sur des bourses de l'énergie (Powernext en France), ou de manière bilatérale au moyen de contrats " sur mesure ".
26. En ce qui concerne plus particulièrement le marché organisé, des produits spot sont échangés sur " Powernext Day-Ahead " depuis novembre 2001. Il s'agit d'un marché quotidien d'enchères pour livraison physique sur chacune des 24 heures de la journée du lendemain, essentiellement utilisé par les opérateurs pour gérer leur risque de volume. Un marché à terme a ensuite été lancé sur Powernext en juin 2004 (" Powernext Futures "). Ce marché est animé par deux " teneurs de marché " : EDF Trading et Electrabel. Ces deux opérateurs ont pris des engagements d'offres à l'achat et à la vente qui assurent la liquidité du marché. Les échéances disponibles sur Powernext Futures sont le prochain trimestre, la prochaine année et les trois prochaines années.
27. Les volumes échangés à terme sur Powernext ne représentent cependant qu'une part marginale des transactions à terme en France. Selon la CRE, les transactions de gré à gré représentent actuellement, en France, 93 % des échanges sur les produits à terme. Les échéances disponibles en OTC sont la fin de la semaine, la prochaine semaine, les trois prochains mois, les deux prochains trimestres et les deux prochaines années.
b) Le manque de liquidité du marché de gros et le système des centrales virtuelles
28. Le marché de gros français souffre d'un manque de liquidité particulièrement sensible pour les transactions à terme. Ce manque de liquidité tend à s'aggraver à mesure que les échéances concernées s'éloignent dans le temps. Au-delà de l'échéance de trois ans, le déficit de liquidité sur le marché est total. L'ensemble des opérateurs auditionnés font ainsi état de difficultés d'approvisionnement, notamment pour des produits assurant une livraison d'électricité à terme. Selon les représentants de l'Association Nationale des Opérateurs Détaillants en Electricité (ci-après l'ANODE) : " [l]a liquidité du marché français est extrêmement faible, notamment sur les échéances supérieures à un an. Les détaillants ont d'énormes difficultés à acheter des quantités importantes sur ce marché ".
29. Ce manque de liquidité s'explique notamment par l'insuffisance de développement du marché organisé français. Il n'y a en effet pas de raison théorique qui justifierait, objectivement, que les échéances des produits offerts sur le marché de gros soient limitées à un maximum de trois ans. Ainsi, selon le directeur de Powernext, " [c]'est une question de liquidité : plus il y a d'incertitude sur l'avenir, plus on'tire court'. Un marché très mûr et développé pourrait éventuellement proposer des contrats à terme de 5 ans ".
30. La Commission européenne a constaté, dans sa décision du 7 février 2001 autorisant la concentration EDF/EnBW, l'existence de limites structurelles au développement de la liquidité pour les transactions de gros en France, à savoir la domination par EDF à la fois sur le marché de la production, les producteurs indépendants ne représentant, à l'époque, que 5 % de la production totale, et sur celui de l'approvisionnement des clients éligibles. La structure de la concurrence en amont et en aval n'a que très marginalement évolué depuis : à ce jour, EDF génère 88 % de la production totale, les grands producteurs indépendants ne représentant que 6 % de la production totale et les fournisseurs alternatifs n'ayant capté que 6,2 % des sites éligibles.
31. Ces limites structurelles, conjuguées au constat de difficultés d'accès aux capacités de production en France, ont conduit la Commission européenne à accepter un engagement des parties à l'opération EDF/EnBW à mettre en place un système de centrales virtuelles (" virtual power plants ", ci-après VPP). Les VPP constituent un droit de tirage sur un montant de capacité dont la réservation est mise aux enchères. Une fois un produit acquis, l'acheteur peut tirer sur le montant de capacité réservé à un prix de l'énergie reflétant les coûts variables d'un type de filière de production. Ce système visait à s'assurer qu'environ un tiers du marché éligible à l'époque de la décision de la Commission européenne pourrait être approvisionné par des concurrents d'EDF avec de l'électricité produite en France.
32. A la suite d'une consultation publique conduite en 2005, la CRE a publié le 16 mars 2006 une " communication sur les VPP mis en œuvre par EDF et leur évolution vers un programme régulé de mise à disposition d'électricité sur le marché de gros ". La CRE constate que si les ressources de production des opérateurs alternatifs leur permettent de couvrir leurs engagements actuels vis-à-vis de leurs clients, elles ne leur suffisent pas à assurer la croissance attendue de leurs activités. Le régulateur se dit donc favorable, à défaut de mesure structurelle, à l'existence d'un programme de mise à disposition d'électricité " mis en œuvre selon des modalités analogues aux VPP " pour accroître la liquidité du marché de gros pour les produits à terme. Dans ce cadre, la CRE préconise de doubler les capacités mises à disposition afin d'accompagner l'ouverture du marché avant le 1er juillet 2007, cette capacité devant être à nouveau majorée à cette échéance. La CRE recommande également la création d'offres de produits simulant l'économie des centrales nucléaires pouvant aller jusqu'à 15 ans.
c) La formation des prix de gros et la représentativité limitée des prix publics disponibles sur Powernext
33. A court terme, en principe, le prix de l'électricité s'aligne sur le coût marginal de production. Ce principe explique que le prix de l'électricité reflète le coût de l'unité de production marginale, c'est-à-dire la dernière centrale utilisée pour satisfaire la demande à un moment donné. La gestion du parc de production conduit théoriquement le producteur à établir un " ordre de mérite " pour l'empilement de ses unités de production, c'est-à-dire un classement des centrales du parc en ordre croissant de coût du MWh. Il s'ensuit donc que l'unité de production marginale peut générer des coûts variables substantiellement plus élevés que les unités de production de base (ces dernières générant, logiquement, les coûts variables les plus faibles). Ceci explique que l'électricité en heure de pointe soit plus chère que l'électricité livrée en heure creuse.
34. En pratique, cependant, les prix spot sont fixés sur Powernext par le biais d'enchères. Selon le rapport final de la Commission européenne concernant l'enquête sur le secteur de l'énergie du 10 janvier 2007, ces enchères aboutissent à un prix de marché et des quantités correspondantes que la société de bourse déduit des courbes d'offre et de demande agrégées. Rien ne s'oppose dans ce contexte à ce qu'un producteur fasse des offres sans rapport avec son coût marginal.
35. En revanche, les transactions OTC sont continues, les offres et demandes étant transmises au marché soit de manière bilatérale entre les parties, soit par le biais d'intermédiaires. Le prix de marché n'est donc pas connu, et ne peut faire l'objet que d'évaluations par certaines agences spécialisées.
36. A terme, les variations de consommation et les durées de marginalité des différentes unités de production sont difficiles à anticiper. Cela s'explique notamment parce que ces anticipations portent au moins partiellement sur des facteurs exogènes comme les prix des combustibles, les conditions météorologiques, le niveau des réservoirs, etc. En principe, néanmoins, à moyen terme, les producteurs doivent couvrir leurs coûts complets de production, lesquels incluent les coûts de construction des centrales et les coûts fixes de fonctionnement.
37. En pratique, les prix à terme incluent également un facteur de risque. Les transactions à terme reflètent la préférence des parties pour un prix certain à l'échéance prévue et une aversion à la volatilité des prix spots. Lorsque la valeur attachée à l'obtention d'un prix certain à terme est élevée, les prix à terme incluent un premium reflétant ce rôle d'assurance contre la volatilité.
38. Dans ce contexte, il ressort de l'instruction que les prix observés sur Powernext, et notamment Powernext Futures, jouent un rôle directeur dans les relations contractuelles d'EDF.
39. L'essentiel du marché de gros fonctionne pourtant en gré à gré, c'est-à-dire sur la portion non transparente du marché de gros français. La CRE relève ainsi que le volume des transactions sur Powernext reste limité au regard des volumes échangés entre acteurs. Le développement des échanges à terme sur le marché organisé connaît en outre un ralentissement du fait de l'introduction d'un " tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché " par la loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006 (ci-après, le TarTAM). De plus, l'essentiel des transactions sur le marché à terme de Powernext se concentre sur les échéances courtes. Ceci résulte du manque de visibilité des opérateurs sur les échéances plus longues, situation qui devrait s'aggraver avec l'entrée en vigueur du TarTAM.
40. Il en découle que la représentativité déjà peu importante des échanges publics sur Powernext au regard des seuls volumes d'échanges est d'autant plus limitée que la liquidité du marché est faible. Ceci conduit à considérer que le prix affiché sur Powernext ne constitue pas une référence robuste pour les ventes à terme, et que le rôle directeur que joue ce prix semble d'autant moins justifié que l'échéance de livraison est éloignée.
3. LE MARCHE DE DETAIL
41. Depuis le 1er juillet 2004, tous les professionnels, définis comme les personnes physiques ou morales achetant de l'électricité pour un usage non domestique, ont le droit d'acheter leur électricité auprès du ou des fournisseurs de leur choix à un prix déterminé par le jeu de l'offre et de la demande. Ces clients sont dénommés clients éligibles, l'éligibilité s'exerçant par rapport à un point donné (dénommé " site ") de livraison de l'énergie. La libéralisation complète du marché, correspondant à la date à laquelle tous les consommateurs deviendront éligibles, interviendra dans quelques jours, le 1er juillet 2007.
42. L'exercice de l'éligibilité n'est cependant pas une obligation pour les professionnels, qui peuvent, sans avoir à effectuer une quelconque démarche, continuer de se fournir en électricité au tarif réglementé fixé par les pouvoirs publics. En revanche, le choix par un professionnel d'exercer son éligibilité est irréversible.
43. Il en découle que deux secteurs distincts coexistent pour la fourniture au détail d'électricité aux consommateurs professionnels : la fourniture à un tarif réglementé, assurée par EDF, et la fourniture à un prix librement déterminé, assuré par des opérateurs concurrents, parmi lesquels EDF. Or l'évolution des tarifs réglementés de l'électricité, et notamment des tarifs dits " Bleus " réservés aux petits professionnels, apparaît déconnectée des prix de vente constatés sur le marché libre, incitant de fait les professionnels à ne pas exercer leur éligibilité.
44. Dans ce contexte, la CRE a mis en exergue l'entrave au développement de la concurrence sur le marché de la fourniture de détail que constitue l'écart croissant entre les tarifs réglementés et les prix de marché. Le régulateur constate, dans son rapport annuel de 2006, que " les fournisseurs ne disposant pas de moyens de production de base aussi compétitifs que le nucléaire sont victimes d'un effet de ciseau car les prix d'approvisionnement sur le marché sont plus élevés que les tarifs réglementés dont le niveau n'évolue pas ".
45. Ce constat est partagé par les fournisseurs alternatifs d'électricité aux petits professionnels. Par exemple, selon les représentants du groupe Electrabel-Suez : " Depuis le 1er juillet 2004, le prix de marché a augmenté de 20 euro, et les tarifs Bleus ont augmenté de 1,5 euro. Aucun fournisseur ne devrait naturellement être en mesure de proposer des prix concurrentiels. [Cette situation conduit à] peu de concurrence, et peu d'acteurs sur le marché des petites entreprises ". Le groupe Electrabel-Suez, qui dispose pourtant de moyens de production en France, considère que " [s]ur la partie'énergie' [des offres aux petits professionnels sur le marché libre] on ne pouvait pas être concurrentiels par rapport aux tarifs ". De fait, la présence d'Electrabel France sur le segment des petits professionnels est, à ce jour, marginale, EDF faisant face, pour l'essentiel, à la concurrence de trois fournisseurs alternatifs, à savoir GDF, Poweo et Direct Energie.
4. LES OFFRES DE DETAIL D'EDF AUX PETITS PROFESSIONNELS
46. L'offre d'EDF aux petits professionnels exerçant leur éligibilité en vigueur depuis 2004 est généralement dénommée " EDF Pro ". Cette offre comporte deux parties : une partie fixe que représente l'abonnement mensuel (en euro HT), dont le niveau dépend du niveau de puissance souscrite (soit 9 tranches de puissance, de 3 à 36 kVA) ; et une partie qui varie en fonction du niveau de consommation, soit le prix de l'énergie (en euro/kWh).
47. Le montant de la partie fixe est celui du tarif réglementé Bleu, applicable aux sites présentant les mêmes caractéristiques, auquel est ajoutée une " sur-prime " qui s'échelonne de 2 à 6 euro et rémunère des services supplémentaires par rapport à ceux du tarif Bleu, offerts par EDF aux opérateurs souscrivant l'offre de marché. Il existe trois niveaux de services, qui correspondent aux trois offres EDF Pro (dénommées " Essentiel Pro ", " Présence Pro " et " Souplesse Pro ").
48. La partie variable est identique en niveau à celle des tarifs réglementés Bleu. Le prix de l'énergie au tarif réglementé comme au prix libre est ainsi proposé sous la forme de deux options : une fourniture en " base " c'est-à-dire le même niveau de prix à tout moment de la journée (ci-après l'option base) ; une fourniture dont le prix en heures creuses (8 heures par jour déterminées dans les plages 12h-17h et 20h-8h) et heures pleines est différencié (ci-après l'option HC).
49. Le tableau suivant résume la structure de l'offre " EDF Pro " (chiffres en vigueur depuis le 15 août 2006) :
<emplacement tableau>
50. EDF a suspendu son offre " EDF Pro " le 2 avril 2007. Les contrats en cours ne sont pas affectés (et restent renouvelables), mais EDF propose désormais aux petits professionnels une offre intitulée " Electricité Pro ".
51. Cette offre prévoit une structure différente de celle des tarifs réglementés, avec un niveau d'abonnement généralement moins élevé (sauf pour les très petites puissances, 3kVA) et un prix du kWh plus élevé (sauf pour les clients 3 kVA).
52. Le tableau suivant résume la structure de l'offre " Electricité Pro " :
<emplacement tableau>
C. LES ENTREPRISES
1. LA SOCIETE DIRECT ENERGIE
53. La société Direct Energie est un fournisseur alternatif d'électricité, dont le capital est détenu majoritairement par le groupe Louis Dreyfus depuis juin 2006. Direct Energie est présente depuis 2004 sur le segment des ventes d'électricité aux petits professionnels. Le chiffre d'affaires de la société s'est élevé à environ 116,4 millions d'euro en 2006, pour un résultat net accusant une perte d'environ 9,5 millions d'euro.
2. LE GROUPE ELECTRICITE DE FRANCE
54. Le groupe comprend la société anonyme Electricité de France et ses filiales. Il est l'opérateur historique de l'électricité en France et est présent sur l'ensemble des métiers de l'électricité : la production, le transport (cette activité est exercée à travers RTE, filiale d'EDF, gestionnaire du réseau de transport d'électricité français depuis le 1er septembre 2005), la distribution (également filialisée) et la fourniture. Le chiffre d'affaires du groupe s'est élevé à 58,9 milliards d'euro en 2006, pour un résultat net courant positif de 4,2 milliards d'euro.
D. LES PRATIQUES DENONCÉES
55. Direct Energie dénonce quatre pratiques d'EDF constitutives, selon elle, d'un abus de position dominante au sens des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE.
56. Premièrement, EDF optimiserait sa " rente nucléaire " et imposerait à Direct Energie un prix de gros trop élevé, qui générerait un effet de ciseau tarifaire.
57. Deuxièmement, le prix de l'approvisionnement d'électricité réservé à Direct Energie serait discriminatoire au regard des conditions de transfert interne qu'EDF réserve à ses propres activités aval non réglementées.
58. Troisièmement, EDF aurait abusivement refusé de proposer à Direct Energie une offre d'approvisionnement en électricité de long terme simulant les coûts de son parc de production nucléaire. Direct Energie reproche ainsi à EDF de ne pas faire d'offre d'approvisionnement sur un terme de 15 ans à un prix représentatif de ses coûts de production, notamment nucléaire. Plus généralement, EDF refuserait abusivement de mettre en œuvre le programme de mise à disposition d'électricité recommandé par la CRE.
59. Quatrièmement, EDF aurait abusivement refusé de proposer à Direct Energie un accès non discriminatoire et transparent à ses allocations de capacité de production nucléaire.
II. Discussion
60. L'article L.464-1 du Code de commerce énonce que " la demande de mesures conservatoires mentionnée à l'article L. 464-1 ne peut être formée qu'accessoirement à une saisine au fond du Conseil de la concurrence. Elle peut être présentée à tout moment de la procédure et doit être motivée ". Une demande de mesures conservatoires ne peut donc être examinée que pour autant que la saisine au fond ne soit pas rejetée faute d'éléments suffisamment probants, en application de l'alinéa 2 de l'article L. 462-8 du Code de commerce.
A. SUR LES PRATIQUES
1. LES MARCHES PERTINENTS
61. Se situent sur un même marché les produits et services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les regardent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande. Dans le secteur de l'électricité, la distinction des marchés de la production, de la fourniture sur le marché de gros et de la fourniture au détail découle d'une pratique décisionnelle établie.
62. En amont, l'ensemble des quantités d'électricité produites et importées constitue les injections physiques sur les réseaux. Le marché de la production peut donc être défini comme celui portant sur les quantités d'électricité produites par les centrales et importées par le biais des interconnexions.
63. Ces quantités sont ensuite vendues en gros ou au détail, exportées ou encore affectées aux pertes des réseaux. Compte tenu des caractéristiques de l'offre et de la demande auxquelles elles donneront lieu, il y a lieu de distinguer deux marchés : le marché de gros (ou intermédiaire) et le marché de détail (ou aval).
64. Le marché de la vente d'électricité en gros peut être défini comme le marché sur lequel les producteurs nationaux et les importateurs vendent les quantités physiques, produites ou importées, aux revendeurs et aux consommateurs achetant directement sur le marché de gros. Ce marché se compose principalement, du côté de l'offre, de la production française que les producteurs ont décidé d'affecter au marché libre (y compris les VPP), d'offres sur Powernext par des négociants et de l'électricité importée. Du côté de la demande, le marché de gros comporte deux segments. Le premier est constitué d'intermédiaires qui font commerce de l'électricité : d'une part, les fournisseurs qui achètent en gros pour approvisionner les clients finals sur le marché libre et, d'autre part, des négociants et des acteurs financiers qui revendent à d'autres opérateurs. Le second segment comprend les gros consommateurs qui négocient sur le marché de gros des offres sur mesure pour leurs besoins propres.
65. Les blocs offerts sur le marché de gros sont définis en fonction de leur durée et de leur période de livraison. A cet égard, les blocs de pointe visent, par principe, à couvrir les besoins des consommateurs pendant les périodes où la puissance appelée en permanence (la base) est insuffisante. Ces produits sont donc imparfaitement substituables aux produits de base, et leur prix plus élevé. Il est donc envisageable de séparer le marché de gros des produits de base de celui des produits de pointe. Cette question peut néanmoins rester ouverte à ce stade de l'instruction.
66. En aval, la vente au détail aux sites raccordés au réseau en basse tension présente certaines particularités qui en font un marché distinct. Les professionnels disposant de sites raccordés au réseau en basse tension et dont la puissance souscrite n'excède pas 36 kVA (ci-après les petits professionnels) ont accédé à l'éligibilité au 1er juillet 2004. Il s'agit de clients dits " profilés ", c'est-à-dire dont la consommation est évaluée par avance sur la base de profils types, à la différence des grands clients qui bénéficient d'offres sur mesure négociées de gré à gré. Il ressort de l'instruction que les petits professionnels font l'objet d'offres spécifiques sur le marché libre et impliquent de la part du fournisseur une approche commerciale de masse.
67. La persistance de problèmes significatifs de congestion des interconnexions aux frontières, le caractère marginal des importations d'électricité et les spécificités tenant à l'exercice de l'éligibilité en France conduisent à conclure, à ce stade de l'instruction, que la dimension géographique des marchés pertinents définis plus haut reste nationale.
2. SUR LA POSITION D'EDF SUR LES MARCHES EN CAUSE
68. EDF dispose de 87 % des capacités de production en France, dont la totalité des capacités de production nucléaire et une part importante des capacités hydroélectriques. EDF a généré, en 2006, 88 % de la production d'électricité totale en France, dont 100 % de la production nucléaire et 66 % de la production hydroélectrique. La filière nucléaire a représenté, à elle seule, 78 % de la production totale.
69. Fournissant la majorité de la production sur le marché, EDF est indispensable pour satisfaire la demande. En aval, en ce qui concerne les ventes aux clients ayant exercé leur éligibilité, la CRE estime à environ 88 % la part de marché en volume de EDF en 2006. L'ensemble des autres fournisseurs ne représente que 12 % des volumes livrés en 2006 et le premier d'entre eux seulement 2 % des livraisons. Sur le segment plus restreint des ventes aux petits professionnels, EDF assure l'approvisionnement de 61 % des petits sites ayant souscrit une offre de marché.
70. L'ensemble de ces éléments conduit à considérer qu'EDF est susceptible de détenir une position dominante aussi bien sur le marché de la production d'électricité que sur celui de la vente en gros et celui de la fourniture d'électricité aux petits professionnels ayant exercé leur éligibilité.
3. SUR L'APPLICATION DU DROIT COMMUNAUTAIRE
71. Les abus de position dominante commis dans le territoire d'un Etat membre sont susceptibles dans certains cas d'affecter le commerce intracommunautaire, comme l'énonce le paragraphe 93 de la communication de la Commission européenne comportant les lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité, qui mentionne que " [l]orsqu'une entreprise, qui occupe une position dominante couvrant l'ensemble d'un État membre constitue une entrave abusive à l'entrée, le commerce entre États membres peut normalement être affecté ". La communication expose ainsi que " [t]oute pratique abusive qui rend plus difficile l'entrée sur le marché national doit donc être considérée comme affectant sensiblement le commerce " (§96).
72. En l'espèce, les pratiques dénoncées, qui portent à titre principal sur une pratique de ciseau tarifaire et de prix discriminatoires, sont susceptible de rendre plus difficile l'entrée sur le marché national, et dès lors d'affecter le commerce intracommunautaire. Les témoignages des sociétés originaires d'autres pays européens comme Atel, Centrica, Endesa et HEW en attestent puisque celles-ci n'envisagent pas, à ce jour, de proposer des offres commerciales aux petits professionnels ou aux consommateurs résidentiels du fait de l'effet conjugué du maintien et du niveau des tarifs réglementés et de l'insuffisance des offres de gros, Endesa dénonçant la " position écrasante [de l'opérateur historique] sur la production électrique 'de base', les possibilités d'accès à cette production [étant] ainsi quasi-nulles " et Atel expliquant que " [l]e niveau des prix de l'électricité a interdit de facto depuis la fin de l'année 2005 aux opérateurs ne disposant pas de capacités de production en France de concurrencer le niveau des tarifs réglementés et d'attirer dans des conditions économiques acceptables la clientèle professionnelle. La même raison s'appliquera à la clientèle domestique, qui pourra en théorie choisir son fournisseur à compter du 1er juillet 2007 ".
73. Il résulte que l'effet des pratiques dénoncées est susceptible de dissuader des entreprises d'entrer sur le marché national. Le commerce entre Etats membres est donc susceptible d'être affecté de manière significative et le droit communautaire est, dès lors, applicable.
4. SUR LA PRATIQUE DE CISEAU TARIFAIRE
74. Il ressort de la jurisprudence qu'une entreprise abuse de sa position dominante " lorsque, dans le cas d'une entreprise intégrée dominant le marché, il existe entre les prix des prestations intermédiaires aux concurrents sur un marché en amont et les prix de détail sur un marché en aval un rapport qui se traduit par une restriction de la concurrence sur le marché des prestations intermédiaires ou sur le marché [aval] " (décision de la Commission européenne du 21 mai 2003, Deutsche Telekom, §106). En effet, " [c]e genre de situation donne lieu à une pression anticoncurrentielle sur les marges commerciales des concurrents, car ces marges sont soit inexistantes soit trop faibles pour permettre à ces derniers d'entrer en concurrence avec l'opérateur historique sur les marchés [aval]. Une marge insuffisante entre les prix des prestations intermédiaires et les prix de détail d'un opérateur verticalement intégré occupant une position dominante constitue plus particulièrement un comportement anticoncurrentiel, dès lors que d'autres opérateurs s'en trouvent écartés de la concurrence sur le marché en aval, même s'ils sont au moins aussi efficaces que l'opérateur historique " (id., §108).
75. Direct Energie soutient qu'EDF aurait abusé de sa position dominante en imposant aux fournisseurs alternatifs un prix de fourniture d'électricité en gros entraînant un effet de ciseau tarifaire par rapport à ses prix de fourniture en aval. Direct Energie rappelle qu'un prix de détail doit nécessairement couvrir trois coûts : le coût de fourniture de l'électricité, le coût de son transport et le coût de sa commercialisation. Elle relève que la part " fourniture d'électricité " de l'offre de détail proposée par EDF aux petits professionnels qui ont souscrit une offre EDF Pro jusqu'au 2 avril 2007 est fixée au niveau du tarif réglementé applicable au même type de sites (dit tarif Bleu). L'évolution de l'offre EDF Pro est ainsi indexée sur celle du tarif Bleu. Dans ce contexte, en fournissant de l'électricité en gros à Direct Energie au prix moyen de 52,6 euro/MWh, EDF empêcherait Direct Energie de concurrencer l'offre EDF Pro sur le marché libre des petits professionnels sans subir de perte, ce qui constituerait un ciseau tarifaire.
76. Mais EDF conteste la pertinence même d'un test de ciseau tarifaire au cas d'espèce, en relevant que le bien concerné par le grief de la saisissante, à savoir l'approvisionnement en électricité de base acheté et revendu en l'état, ne constitue ni un bien ou un service " intermédiaire " au sens de la jurisprudence, ni à proprement parler une matière première destinée à être transformée.
77. A titre subsidiaire, elle observe que l'effet de ciseau tarifaire, au sens comptable du terme et non au sens du droit de la concurrence, est en réalité observé pour tous les fournisseurs non intégrés qui s'approvisionnent sur le marché de gros pour concurrencer sur le marché de détail les tarifs réglementés fixés par les pouvoirs publics. Cet effet ne découlerait donc pas de pratiques d'EDF, ni en amont ni en aval.
78. En aval, EDF relève que les fournisseurs alternatifs interrogés au cours de l'instruction considèrent que l'obstacle principal à leur entrée ou à leur développement sur le marché de détail est le maintien des tarifs réglementés. Au regard des prix observés sur le marché de gros, ces opérateurs déclarent que tenter de concurrencer ces tarifs leur ferait subir un ciseau tarifaire. Cet état de fait ne pourrait donc être imputé à EDF. En outre, l'effet de ciseau constaté en ce qui concerne l'offre EDF Pro trouverait en réalité sa source dans l'existence des tarifs réglementés. En effet, tous les fournisseurs doivent concurrencer les tarifs réglementés pour inciter les clients potentiels à faire jouer leur éligibilité. Si EDF remontait ses prix de détail sur le marché libre, elle ferait sans doute disparaître l'effet de ciseau tarifaire mais, en supprimant mécaniquement l'incitation à sortir du tarif réglementé, raréfierait le nombre de clients à prospecter. Selon cette analyse, non seulement EDF ne commettrait pas d'abus sur le marché aval, mais servirait au contraire les intérêts des fournisseurs alternatifs en faisant sortir de manière irréversible des clients du tarif réglementé.
79. En amont, EDF considère que Direct Energie peut s'approvisionner sur le marché de gros et que c'est bien grâce à cette possibilité que son compétiteur a assuré son activité de fourniture en 2004 et 2005 sans avoir recours à un contrat de gré à gré avec EDF. La vente d'électricité de base par EDF ne constituerait donc pas un bien intermédiaire indispensable. Au demeurant, EDF rappelle avoir consenti à Direct Energie un contrat d'approvisionnement de 5 ans, à un prix ferme de 52,6 euro/MWh, plus compétitif que ceux observés sur le marché pour l'année 2006, comme pour l'année 2007. EDF fait également valoir que ce niveau de prix a été déterminé en référence aux cotations de Powernext, pratique qui ne serait pas contestable en elle même puisqu'on ne peut reprocher à un industriel de vendre au prix du marché. EDF rappelle enfin que le contrat avec Direct Energie ne mentionne nullement que l'électricité fournie serait destinée à la revente au détail et que cette société a pu profiter de débouchés rentables sur le marché de gros pour revendre avec profit l'énergie achetée à bon prix à EDF, aussi bien en 2006 qu'en 2007.
a) L'existence d'un bien intermédiaire
80. Ainsi qu'il a été dit plus haut, EDF considère que le bien concerné par le grief de ciseau tarifaire, à savoir l'approvisionnement en électricité de base achetée et revendue en l'état, ne constitue ni un bien ou service " intermédiaire " au sens de la jurisprudence, ni à proprement parler une matière première destinée à être transformée. L'activité des fournisseurs sans moyens de production propres s'apparenterait donc à celle de grossistes classiques. Or, rien n'oblige un opérateur, fut-il en position dominante, à passer par un grossiste pour distribuer ses produits. Aucun texte ni aucun principe jurisprudentiel ne permettrait donc à Direct Energie de se prévaloir d'un droit à jouer un rôle d'intermédiaire pour revendre l'électricité produite par EDF.
81. Mais le caractère " intermédiaire " d'un bien ne dépend pas nécessairement de la transformation physique du bien concerné. Ainsi, la Commission européenne a pu sanctionner une pratique de ciseau tarifaire concernant la vente de sucre acheté en gros et revendu au détail sans transformation intrinsèque du produit, la prestation du fournisseur sur le marché aval étant limitée au conditionnement en petits emballages adaptés à la vente au détail. La pratique de ciseau tarifaire consistait, en l'espèce, dans le maintien d'une marge trop étroite pour refléter le propre coût de conditionnement de l'entreprise dominante (décision de la Commission du 18 juillet 1988, Napier Brown/ British Sugar).
82. De même, il n'est pas établi que l'activité d'un fournisseur alternatif se limite à une activité d'achat en vue d'une revente en l'état. En effet, si l'électricité en tant que bien physique n'est pas soumise à une transformation par les intermédiaires sur le marché, le produit vendu par le fournisseur au détail n'est pas identique à celui qu'il acquiert en gros. L'électricité acquise par Direct Energie en application du contrat du 27 décembre 2005 est livrée en blocs correspondant à des puissances prédéterminées en fonction des horaires de livraison, pour chaque période contractuelle. Le produit acheté sur le marché de gros a pour support un contrat entre professionnels de type " take or pay " pour une durée de cinq ans. Ce contrat n'est pas purement et simplement répercuté sur le marché de détail. Les produits vendus au consommateur final par la saisissante correspondent, en pratique, à un ensemble de biens et prestations différents : Direct Energie fournit de l'électricité à des clients dont le profil de consommation est estimé ex ante sur la base de profils types qui ne correspondent qu'imparfaitement à leur consommation réelle. Il n'y a donc pas de correspondance univoque entre les livraisons amont au fournisseur en application d'un contrat d'approvisionnement à terme correspondant essentiellement à ses besoins en électricité de base, et les livraisons du fournisseur aux clients finals, correspondant à leurs profils individuels de consommation.
83. On le voit, si l'approvisionnement électrique ne subit lui-même aucune transformation physique, la prestation servie au client final est sur le plan commercial et financier toute autre que celle qui a fait l'objet de l'échange marchand sur le marché de gros : le client final a en effet la garantie d'être livré à hauteur de sa consommation et bénéficie pour celle-ci, d'une facturation reposant sur l'application d'un tarif binôme (part fixe représentant la puissance souscrite et part proportionnelle à l'énergie consommée) sans avoir à payer des quantités appelées et non consommées, son fournisseur supportant ce risque du fait des engagements pris à l'amont comme à l'aval.
84. Au surplus, la thèse selon laquelle le marché de gros ne jouerait aucun rôle économique réel et n'apporterait aucun service au consommateur ne pourrait être soutenue que si les opérateurs intégrés fonctionnaient en autarcie. Mais tel n'est pas le cas, y compris pour EDF qui, bien que vendeur net sur le marché de gros, achète également sur ce marché, notamment en période de pointe, pour les besoins de son propre équilibrage et la fourniture de ses clients finals.
85. Les éléments réunis à ce stade de l'instruction sont donc suffisants pour considérer que l'électricité acquise sous forme de contrats sur le marché de gros par un fournisseur alternatif est susceptible de constituer un bien intermédiaire pour la revente au détail à un client final. Il convient de rechercher si les conditions de cet approvisionnement sont susceptibles d'entraîner un effet de ciseau tarifaire.
b) Les éléments du test de ciseau tarifaire
86. L'instruction puis les débats en séance ont fait apparaître que le ciseau tarifaire pouvait être décrit de plusieurs façons puisque deux prix de détail sont en cause (les tarifs réglementés (tarif Bleu) d'une part, les tarifs de la gamme EDF Pro d'autre part) et que trois prix de gros pourraient être pris en compte (le prix du contrat entre EDF et Direct Energie, le prix constaté sur le marché de gros pour des produits équivalents ou un prix interne à EDF reconstitué à partir de ses coûts).
En ce qui concerne la coexistence de tarifs réglementés avec des prix de détail libres
87. EDF considère que sa politique commerciale sur le marché libéralisé est liée au niveau des tarifs réglementés. Ces tarifs s'imposent en effet comme une référence sur le marché aval dans la mesure où ils contraignent le comportement des fournisseurs qui ne peuvent espérer gagner de nouveaux clients, en les incitant à faire jouer leur éligibilité et à abandonner les tarifs réglementés, sans offrir un prix proche, voire égal ou inférieur à ces tarifs.
88. Mais les articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE trouvent à s'appliquer dès lors que les entreprises présentes sur le marché conservent la possibilité d'adopter un comportement autonome susceptible d'empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence (voir décision de la Commission européenne du 21 mai 2003, Deutsche Telekom, §54). Or la seule coexistence de tarifs réglementés avec des prix de détail libres ne retire pas à EDF son autonomie commerciale sur le marché libéralisé de la vente d'électricité aux petits professionnels. Force est d'ailleurs de constater qu'EDF a récemment fait usage de son autonomie commerciale en modifiant son offre de détail aux petits professionnels sur le marché libre, le 2 avril 2007.
89. Il est donc possible de construire un test de ciseau tarifaire à partir des prix de la gamme EDF Pro, proposée sur le marché de détail entre juillet 2004 et avril 2007, qui sont bien des tarifs librement choisis par EDF, nonobstant le fait qu'ils sont construits pour concurrencer les tarifs réglementés et donc fortement contraints par ces derniers.
90. En outre, les témoignages recueillis à ce stade de l'instruction font état d'un effet de ciseau tarifaire découlant de l'impact conjugué de tarifs réglementés bas, d'un prix de gros trop élevé et de volumes restreints sur le marché de gros, particulièrement en électricité de base à terme. Ainsi, les représentants de la société Poweo ont expliqué que : " nous avons dû ralentir notre croissance [sur le segment des fournitures aux petits professionnels] parce que le prix d'achat de l'énergie était supérieur au tarif réglementé, notamment fin 2005 (pointe de prix). Plus on se développait, plus nos marges unitaires (par clients) baissaient (puisque les prix augmentaient fortement, et que les tarifs n'augmentaient pas) " (soulignement ajouté). De même, selon GDF : " le maintien des tarifs réglementés est un obstacle [à une offre commerciale aux particuliers]. GDF sera obligée de faire une proposition autour du tarif réglementé ce qui sera un frein à notre développement étant donné nos prix d'approvisionnement " (soulignement ajouté). Il n'est donc pas possible d'imputer l'effet de ciseau supporté par les opérateurs alternatifs aux seules conditions aval de leurs activités et a fortiori à la seule existence des tarifs réglementés.
En ce qui concerne la liberté commerciale d'EDF dans la détermination de ses offres d'approvisionnement en gros
91. EDF soutient que rien ne l'oblige à accorder à Direct Energie des conditions d'approvisionnement plus favorables que celles prévues dans le contrat du 27 décembre 2005. En tout état de cause, le prix de l'énergie du contrat d'approvisionnement en cause a été fixé par référence aux cotations Powernext, ce qui ne serait pas contestable en soi.
92. Mais, si EDF n'avait certes aucune obligation d'accorder à Direct Energie les conditions contractuelles souhaitées par cette dernière s'il les jugeait économiquement infondées, il n'en demeure pas moins que le comportement commercial qu'il a adopté en concluant un tel contrat constitue une pratique pouvant être qualifiée au regard du droit de la concurrence.
93. A cet égard, contrairement à ce que prétend EDF, le seul fait que le prix du contrat d'approvisionnement du 27 décembre 2005 ait été déterminé par référence aux cotations de Powernext ne permet pas d'écarter a priori toute appréciation du caractère anticoncurrentiel des conditions qui en résultent. En effet, le rôle directeur des prix de marché dont EDF se prévaut ne s'imposerait que pour la vente d'un produit identique à ceux proposés sur le marché organisé et donc pour lesquels un prix de marché peut effectivement être observé. Le contrat avec Direct Energie est différent puisqu'il propose un prix fixe pour un approvisionnement dont l'échéance de 5 ans excède les échéances des produits disponibles sur le marché à terme, qui sont limitées à 3 ans.
94. Il ressort en outre de l'instruction que les transactions sur Powernext ne représentent qu'une portion très minoritaire des transactions à terme en France et que la liquidité sur cette bourse de l'électricité tend à se réduire à mesure que les échéances concernées s'éloignent dans le temps, l'essentiel des volumes échangés portant sur des échéances à un an ou sur le marché " spot ". De plus, comme le Conseil l'a relevé dans sa décision n° 07-MC-01 du 25 avril 2001, le marché à terme ne joue pas un rôle de couverture s'agissant d'opérateurs produisant eux-mêmes l'électricité qu'ils vendent, surtout s'il s'agit du producteur ultra-dominant sur le marché français, producteur qui, de surcroît, obtient 90 % de l'électricité qu'il produit de moyens de production nucléaires et hydrauliques, à des coûts très inférieurs aux cotations de Powernext.
95. Ainsi, dès lors qu'EDF a choisi de vendre des quantités d'énergie à prix ferme sur cinq ans, produit qui n'est pas actuellement échangé sur le marché à terme et pour lequel il n'existe donc pas de prix de marché, il ne peut se prévaloir des prix observés sur le marché spot ou de ceux constatés sur le marché à terme pour considérer que ces derniers constituent une référence obligatoire pour la négociation du contrat. Si EDF a librement contracté avec Direct Energie, c'est donc qu'EDF avait un intérêt économique à offrir un approvisionnement à prix fixe sur une durée plus longue que celle des produits disponibles sur le marché de gros. Dès lors, il est légitime de rechercher si le prix de gros consenti peut être à l'origine d'un effet de ciseau tarifaire subi par le cocontractant.
En ce qui concerne les autres sources d'approvisionnement
96. EDF soutient que Direct Energie disposait d'autres sources d'approvisionnement en gros lui permettant de couvrir ses positions. Ces sources alternatives comprenaient, selon EDF, les produits disponibles sur le marché de gros à un prix favorable en mars 2003, les VPP mises aux enchères, les contrats bilatéraux en gros, y compris via des importations et les produits disponibles sur Powernext. EDF rappelle en outre que tout fournisseur alternatif peut s'approvisionner par le biais d'investissements dans des moyens de production propres.
97. Mais le Conseil de la concurrence a déjà eu l'occasion de considérer que l'application d'un test de ciseau tarifaire restait pertinent lorsque les solutions alternatives à la prestation intermédiaire en cause n'étaient pas effectives. Dans sa décision n° 04-D-48 du 14 octobre 2004 concernant une pratique de ciseau tarifaire dans le secteur des communications fixes vers mobiles, le Conseil de la concurrence avait considéré que, sur la période incriminée, " les opérateurs ne disposaient pas de moyens permettant de significativement échapper à l'obligation d'acquitter [la charge exigée pour la prestation en cause] imposée par les opérateurs de GSM du fait de leur position dominante " (§199, soulignement ajouté). Cette approche a été validée par la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 10 mai 2006, a considéré qu'il ne convenait pas de rechercher si, comme l'avait fait la Cour d'appel de Paris, les opérateurs alternatifs ne disposaient plus d'aucun moyen permettant d'éviter l'effet de ciseau, mais si la pratique de ciseau tarifaire mise en œuvre avait pour objet ou pouvait avoir pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. Il en découle que la pertinence, en soi, d'un test de ciseau tarifaire ne peut être exclue lorsque les sources alternatives d'approvisionnement existantes ne sont pas effectives, au sens où le caractère insuffisamment significatif de ces sources ne permet pas aux opérateurs d'éviter de recourir à la prestation ou au bien en cause.
98. Il convient donc d'examiner le caractère suffisamment significatif des sources alternatives d'approvisionnement invoquées par EDF.
99. A cet égard, la seule existence, à la supposer établie, de produits disponibles en mars 2003 permettant la livraison d'électricité en base produits en 2004, ne résout pas la question de l'approvisionnement sur la période suivant le 1er juillet 2004, date d'accession à l'éligibilité des petits professionnels.
100. En ce qui concerne l'acquisition de VPP, l'ensemble des opérateurs interrogés considère que les VPP contribuent à la liquidité du marché de gros. Néanmoins, EDF reconnaît que le système des VPP n'a que partiellement rempli l'objectif d'augmentation du jeu concurrentiel aval.
101. Selon la CRE, les VPP ne constituent pas un moyen pour les fournisseurs alternatifs de s'affranchir des références de prix du marché de gros. Les enchères de VPP portent sur le niveau d'une prime fixe, qui rémunère la réservation de capacités. Or les échéances de produits proposés aux enchères sont identiques à celles de produits à terme offerts sur le marché de gros. Les participants aux enchères de VPP enchérissent donc pour des droits de réservation en arbitrant entre l'acquisition de VPP et l'achat de produits disponibles sur le marché. Le régulateur observe que les niveaux de primes fixes sont ainsi déterminés de manière à ce que le prix de revient des quantités d'électricité obtenues rejoigne les prix de marché. En outre, le montant de capacité initialement mis à disposition a été défini en 2001 en référence à la taille du marché alors éligible. Ce montant n'a été augmenté que de 400 MW en septembre 2006, alors que la taille du marché éligible a plus que doublé depuis 2001.
102. L'instruction a également relevé l'existence de certains usages qui n'avaient pas été prévus au lancement du système. Ainsi, les VPP constitueraient la source principale d'approvisionnement utilisée pour la couverture des pertes des gestionnaires de réseau. Il apparaît également qu'une partie des volumes mis à disposition serait ensuite vendue sur le marché de gros, et donc susceptible d'être rachetée par EDF.
103. En ce qui concerne les importations, celles-ci ne représentent qu'une portion marginale des injections physiques sur le réseau (de l'ordre de 5 %). En outre, les problèmes de congestion aux frontières restent significatifs.
104. En ce qui concerne les contrats bilatéraux et les achats sur Powernext, leur caractère insuffisant a été étayé par les témoignages recueillis au cours de l'instruction. L'ensemble des concurrents d'EDF sur le marché aval ont fait état de l'insuffisance des sources d'approvisionnement disponibles en électricité de base. Comme l'explique GDF : " pour être un fournisseur d'électricité, il faut avoir accès à de l'énergie en base. Nos actifs actuels sont des actifs dits de semi-base ou de pointe. Or aujourd'hui la base intéressante en France c'est le nucléaire ". La société Poweo précise qu'elle risque " d'être confrontée rapidement à la déconnexion entre la croissance de ses capacités de production en semi-base en amont et le plafonnement de son potentiel commercial en aval du fait du rationnement des quantités d'électricité de base de long terme accessibles à un prix proche du coût marginal des installations nucléaires ". Ce constat est partagé par des électriciens qui n'envisagent pas, à ce jour, de proposer une offre de détail aux petits professionnels ou aux clients résidentiels. La société Endesa explique par exemple ne pas envisager de proposer une offre commerciale aux clients résidentiels au 1er juillet 2007 notamment parce que : " [n]otre parc actuel est composé uniquement de centrales (...) qui assurent la production d'électricité en'semi-base' et en'pointe'. Nous ne disposons pas de moyens de base qui nous permettraient d'asseoir une offre complète [aux résidentiels]. (...) D'une part [les conditions d'approvisionnement en gros] sont très insuffisantes au regard du niveau anormalement bas des tarifs. D'autre part sur le marché électrique français, l'opérateur historique occupe une position écrasante sur la production électrique de'base', les possibilités d'accès à cette production sont ainsi quasi-nulles " (soulignement ajouté).
105. Direct Energie et Poweo, deux fournisseurs alternatifs ayant initié leurs activités sans disposer de capacités de production, mettent en évidence le fait que, passé le stade du lancement d'offres alternatives, les conditions d'approvisionnement en gros ne permettent pas un développement commercial viable.
106. Enfin, en ce qui concerne l'investissement dans des moyens de production propres, il ressort de l'instruction que les opérateurs entrés sur le marché sans moyen de production adoptent aujourd'hui une politique d'intégration en amont. Mais la constitution de moyens de production alternatifs au parc d'EDF reste limitée à des centrales destinées à produire de l'électricité en semi-base et en pointe, compte tenu des fortes barrières à l'entrée dans la production d'électricité de base. Les témoignages recueillis au cours de l'instruction ont montré que l'intensité capitalistique de la production nucléaire nécessite des capacités d'autofinancement et d'endettement considérables, hors de portée pour la plupart des acteurs, à l'exception possible du groupe Electrabel-Suez.
107. Cette contrainte est par ailleurs matérialisée dans la programmation des besoins d'investissements par les pouvoirs publics. En application de l'article 6-II de la loi du 10 février 2000, la Programmation Pluriannuelle des Investissements de production électrique encadre les décisions d'autorisation d'exploitation d'installations de production. Or, si la PPI pour la période 2005-2015 intègre le projet de construction d'un réacteur nucléaire EPR par EDF et le maintien du niveau de la production hydroélectrique, il n'envisage pas d'autres développements de moyens de base.
108. Il résulte de ce qui précède qu'il n'apparaît pas, à ce stade de l'instruction, que les produits offerts en gros et la constitution de capacités de production propres constituent des solutions alternatives effectives à l'approvisionnement d'électricité de base auprès d'EDF.
En ce qui concerne l'existence de débouchés rentables
109. EDF soutient que Direct Energie demeurait libre de revendre l'énergie acquise en application du contrat du 27 décembre 2005 sur le marché de gros ou de réorienter sa stratégie commerciale en visant d'autres segments de clientèle sur la partie libéralisée du marché de détail.
110. Un tel arbitrage est possible et la saisissante a confirmé avoir revendu une partie de ses acquisitions d'énergie sur le marché de gros afin de limiter ses pertes financières. Mais l'exercice de cette option, qui n'est que la conséquence de l'éviction de la saisissante du marché de détail pertinent, ne peut non plus exonérer EDF de sa responsabilité éventuelle, si l'existence d'une pratique de ciseau tarifaire est démontrée.
c) Sur les tests de ciseau
Tests produits par Direct Energie et la CRE
111. Un premier test, communiqué par la saisissante, a été vérifié et affiné par la CRE qui, dans son avis, en confirme le résultat. Ce test consiste à vérifier qu'un fournisseur alternatif s'approvisionnant sur le marché est en mesure de concurrencer l'offre EDF Pro commercialisée par l'opérateur historique.
112. Il convient de relever que le test effectué ne prend pas comme référence les deux prix fixés par EDF mais un seul, celui du marché de détail libéralisé dont EDF a la pleine responsabilité (EDF Pro), et s'efforce par ailleurs de reconstituer un approvisionnement standard sur le marché pour fixer le prix de gros.
113. Le prix facturé pour l'alimentation d'un consommateur en électricité comprend, en dehors de la marge du fournisseur, trois éléments : le coût de l'approvisionnement (dite " part énergie " ou " part production "), le coût d'utilisation du réseau (c'est-à-dire le coût de transport et de distribution, facturé à un tarif réglementé) et le coût de commercialisation (c'est-à-dire le coût d'acquisition et de gestion de la clientèle, de marketing, etc.). La part " énergie " est obtenue en retranchant les coûts de commercialisation et d'utilisation du réseau au coût total d'alimentation. Or les tarifs Bleu et l'offre EDF Pro, qui alimentent le même type de sites, ont la même structure. La part " électricité " des tarifs Bleu et des offres EDF Pro est donc identique.
114. Le coût de la part " énergie " dépend des caractéristiques de consommation des clients concernés. Plus la segmentation de clientèle est fine, plus les coûts sont estimés avec précision. Les consommateurs livrés au tarif Bleu comme au prix EDF Pro sont segmentés en fonction des puissances souscrites. Les deux études procèdent donc à une segmentation de la clientèle. Direct Energie segmente les clients en fonction des puissances souscrites et simule une répartition de la clientèle sur chaque puissance.
115. La CRE procède à une segmentation plus détaillée. Pour les clients de l'option " base " comme ceux de l'option " Heures Creuses ", elle propose une distinction des clients en fonction de la puissance souscrite ; ensuite chaque groupe de clients défini selon ce dernier critère est à nouveau segmenté en dix groupes constitués d'un même nombre de sites et classés, pour les clients en " base ", selon leur consommation annuelle moyenne et, pour les clients en " HC ", selon le rapport de la consommation annuelle en heures creuses sur la consommation totale. Ces derniers groupes sont appelés " déciles de consommation ". Les calculs de ciseau de la CRE sont effectués sur chaque décile de consommation puis agrégés pour chaque niveau de puissance souscrite.
Evaluation des coûts commerciaux
116. Les coûts commerciaux recouvrent les coûts d'équilibrage, ceux dérivés des systèmes d'information ainsi que les coûts de facturation, de marketing et d'acquisition des nouveaux clients. Direct Energie prend comme hypothèse que les coûts de commercialisation sont répartis proportionnellement à l'énergie consommée. La saisissante aboutit à un niveau global de coûts commerciaux, pour les clients professionnels au tarif Bleu, de 7,3 euro/MWh.
117. La CRE se fonde, en ce qui la concerne, sur l'hypothèse d'une répartition des coûts commerciaux par client. Cette hypothèse est appliquée à une estimation confidentielle des coûts de commercialisation d'EDF produite en 2006. Il résulte néanmoins des estimations du régulateur que la saisissante aurait tendance à sous-estimer le total des coûts de commercialisation d'EDF sur le segment des professionnels. En outre, l'hypothèse de répartition retenue par Direct Energie la conduirait à sous-estimer l'effet de ciseau sur les petites puissances souscrites et à le surestimer sur les grandes puissances souscrites.
Evaluation du coût de l'énergie
118. Le coût d'approvisionnement d'un client recouvre la quantité d'électricité consommée multipliée par son coût unitaire. Le coût unitaire d'un client dépend de la forme de sa consommation. Le " sous-profil " de consommation se définit comme la forme de consommation par période et par client. Ainsi, le coût d'approvisionnement unitaire est le prix payé pour disposer d'une fourniture d'électricité correspondant à un sous-profil. Ce coût comprend le prix de la consommation régulière tout au long de l'année (part dite de " ruban ") et de la consommation variable (part dite de " forme ")
119. La saisissante et le régulateur adoptent un même scénario de référence, à partir duquel le coût d'approvisionnement de chaque sous-profil est calculé. Ce scénario comporte un approvisionnement en électricité sur le marché de gros dont le prix estimé en 2008 résulte des moyennes de cotations observées sur Powernext durant le 1er trimestre de 2007. Il s'élève à 50 euro/MWh pour la base annuelle 2008 et à 75 euro/MWh pour la pointe annuelle 2008. La CRE aboutit à une évaluation des coûts d'approvisionnement des sous-profils plus élevés que ceux estimés par la saisissante.
Evaluation du coût d'utilisation des réseaux
120. Le niveau du Tarif d'Utilisation des Réseaux Publics d'Electricité (ci-après le TURPE) est réglementé. Direct Energie évalue ce coût en sélectionnant l'option tarifaire la moins élevée pour chaque sous-profil.
Synthèse des résultats
121. Les résultats comparés des tests produits par la saisissante et la CRE sont repris dans les schémas suivants :
<emplacement tableau>
Test produit par le commissaire du gouvernement
122. Un second test, élaboré par les services du ministre de l'Economie (DGCCRF), consiste à comparer l'offre de détail d'EDF aux éléments connus des coûts supportés par Direct Energie, à savoir son propre coût d'approvisionnement auquel il faut ajouter le coût d'utilisation du réseau, à l'offre de détail d'EDF. Cette comparaison permet de déterminer une marge résiduelle, censée couvrir les coûts de commercialisation et la marge bénéficiaire de l'opérateur.
123. Le test ainsi mené distingue deux résultats possibles : si la marge obtenue est inférieure à zéro, l'étude constate un " effet de ciseau négatif " qui contraint nécessairement Direct Energie à vendre à perte ; si la marge obtenue est positive, l'étude doit être poursuivie pour rechercher si cette marge suffit à couvrir les coûts de commercialisation et la marge bénéficiaire (à défaut, on constaterait un " effet de ciseau positif ").
124. L'étude est fondée sur une estimation du coût d'utilisation des réseaux, ensuite additionnée au coût d'approvisionnement appliqué par EDF à Direct Energie. Ces calculs sont présentés pour l'offre EDF Pro (portion dite " avant le 2 avril 2007 ") et l'offre Electricité Pro (portion dite " après le 2 avril 2007 "), pour chaque niveau de puissance.
125. Les calculs concernant l'option HC tiennent compte d'hypothèses de répartition de consommation fondés sur le fait qu'un client final doit consommer un minimum d'électricité en heures creuses afin que le choix de cette option lui soit plus profitable que l'option base.
126. Les résultats sont présentés dans les tableaux suivants :
<emplacement tableau>
127. L'étude conclut qu'un effet de ciseau tarifaire " négatif ", contraignant Direct Energie à vendre à perte, est observable pour la quasi-totalité des tranches de puissance de l'offre EDF Pro. Pour le reste, selon l'étude produite, la question demeure de savoir si la marge laissée est suffisante pour couvrir les frais de commercialisation et la marge bénéficiaire de Direct Energie.
Appréciation
128. Le choix, adopté par la saisissante et la CRE, de fonder un test de ciseau tarifaire par référence à une fourniture en base sur le marché de gros s'élevant à 50 euro/MWh est contestable. En effet, le Tribunal de première instances des Communautés européennes (TPICE) a précisé, dans son arrêt du 30 novembre 2000, Industries des Poudres Sphériques, que, " à défaut pour [le fournisseur en cause] soit de pratiquer des prix abusifs pour la matière première (...) soit de pratiquer des prix prédateurs pour le produit dérivé (...) le fait que la requérante ne puisse pas, vraisemblablement du fait de ses coûts de transformations plus élevés, rester concurrentielle dans la vente du produit dérivé ne saurait justifier la qualification des pratiques de prix [du fournisseur en cause] d'abusives ".
129. Il s'ensuit que la qualification d'une pratique de ciseau tarifaire au regard des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 CE repose sur le constat du caractère abusif de la pratique de prix du fournisseur en cause. Tel est, en tout état de cause, le grief de la saisissante à l'encontre d'EDF, Direct Energie confirmant que " ce qui est reproché à EDF, à travers notamment le contrat de décembre 2005 (...) c'est sa politique consistant à aligner artificiellement ses prix d'approvisionnement de gros en base sur les prix'directeurs' du marché de gros, au mépris de l'effet de ciseau tarifaire en résultant au regard des ses tarifs de référence sur le marché aval ". Il en découle que le test de ciseau ne doit pas porter sur les prix moyens observés sur le marché, mais sur le prix d'approvisionnement consenti par EDF à Direct Energie.
130. Les représentants de la CRE ont cependant confirmé en séance que la substitution des conditions appliquées par EDF à Direct Energie dans le contrat du 27 décembre 2005 au " scénario de référence " utilisé par la saisissante serait sans conséquence notable sur l'effet de ciseau mis en évidence dans l'avis du régulateur.
131. Le test produit par les services du ministre de l'Economie recourt à des calculs reposant, conformément à la jurisprudence, sur le prix d'approvisionnement consenti par EDF à la saisissante. L'étude considère cependant que lorsque le résultat du calcul de ciseau est positif, la marge résiduelle devrait être comparée aux frais de commercialisation et à la marge bénéficiaire de Direct Energie. Tel n'est pas le test prévu par la jurisprudence, selon laquelle l'évaluation de la restriction de concurrence générée par une pratique de ciseau tarifaire repose sur une appréciation de ses effets sur une entreprise au moins aussi efficace que l'opérateur dominant en cause (voir la décision de la Commission européenne du 21 mai 2003, Deutsche Telekom, §108). Il conviendra donc d'estimer, en cas " d'effet de ciseau positif ", si la marge résiduelle est suffisante pour couvrir les coûts d'un fournisseur au moins aussi efficace que l'opérateur historique. En l'espèce, aucun élément du dossier ne permet d'apprécier l'efficacité respective d'EDF et de Direct Energie en matière de coûts de commercialisation. Néanmoins, en l'état, le test produit par les services du ministre de l'Economie tend à montrer que, s'il existe des indices graves permettant de présumer l'existence d'une pratique de ciseau tarifaire en ce qui concerne l'offre EDF Pro, un tel effet est à tout le moins atténué en ce qui concerne l'offre Electricité Pro.
132. L'ensemble des éléments réunis au dossier permettent donc, à ce stade de l'instruction, de considérer qu'EDF est susceptible d'avoir mis en œuvre une pratique de ciseau tarifaire, constitutif d'un abus de la position dominante occupée par EDF sur les marchés de la production et de la vente d'électricité en gros, ayant pour objet ou pour effet d'exclure un concurrent sur le marché aval de la vente d'électricité aux petits professionnels, prohibé par les articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE.
b) Sur la pratique de prix discriminatoires
133. L'article 82(c) du traité CE qualifie d'abusives les pratiques pouvant notamment consister à " appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence ". De même, l'article L. 420-2 du Code de commerce, cite, au nombre des cas possibles d'abus de position dominante, les " conditions de vente discriminatoires ".
134. Direct Energie soutient que le prix de l'approvisionnement d'électricité qui lui est appliqué serait discriminatoire au regard des conditions de transfert interne qu'EDF réserve à ses propres activités aval non réglementées. Ainsi, en s'appliquant à lui-même des prix de " cessions internes " reflétant les coûts de production de son parc nucléaire, EDF se réserverait l'avantage tiré de sa " rente nucléaire ", alors que le niveau de prix appliqué à Direct Energie est sensiblement plus élevé.
135. Dans un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 26 septembre 2006, dont la saisissante se prévaut, la Cour a considéré qu'un appel d'offres portant sur la fourniture en eau potable, le délégataire faisant son affaire de l'approvisionnement en eau, exprimait " nécessairement, directement ou par l'intermédiaire [des] délégataires, une demande d'eau en gros pour être en mesure de la distribuer ". La Cour a également constaté que l'entreprise en cause avait proposé un prix différent pour la fourniture d'eau selon que le contrat portait sur la connexion au réseau et la gestion du " service d'eau syndical " ou sur la dissociation de ces deux éléments. La Cour a conclu que, " en se réservant des prix de production plus faibles et en en faisant bénéficier la commune délégante, si elle acceptait de contracter avec elle sur un marché global de la fourniture et de la distribution, la Lyonnaise des Eaux a mis en œuvre à son profit une pratique qui avait pour objet et, nécessairement, un effet anticoncurrentiel ".
136. EDF fait valoir que cette jurisprudence serait inapplicable au cas d'espèce. L'entreprise rappelle notamment que l'espèce visée par les arrêts de la Cour d'appel de Paris du 29 juin 1998 et du 26 septembre 2006 et la décision du Conseil de la concurrence n° 05-D-58 du 3 novembre 2006 concernait des entreprises en concurrence dans le cadre d'un appel d'offres, les concurrents du producteur en cause ne disposant d'aucune ressource substituable à celle de ce dernier, qui jouissait d'un monopole de fait sur le marché pertinent.
137. Mais, nonobstant ces circonstances d'espèce, la jurisprudence citée plus haut concerne une pratique de prix discriminatoire dans le cadre d'offres couplées, le Conseil ayant rappelé dans sa décision n° 05-D-58 que " ce qui est reproché [c'est] de s'être réservé de manière discriminatoire ce prix bas dans le cadre de couplage de prestations et d'avoir communiqué au concédant, et partant aux concurrents, un prix sensiblement plus élevé ". Le grief de la saisissante est ainsi implicitement fondé sur l'idée que la concurrence entre EDF et les fournisseurs alternatifs porte nécessairement sur la fourniture d'au moins deux éléments, d'une part la commercialisation et d'autre part la livraison d'électricité, et que la fourniture d'électricité en base par EDF est indispensable pour constituer une offre comprenant ces deux éléments. Rien ne permet donc d'exclure, à ce stade de l'instruction, l'existence d'une pratique similaire en l'espèce.
138. EDF explique en outre ne pas pratiquer de " prix de cession interne ", puisque la gestion des activités de production et de commercialisation du groupe est totalement intégrée au sein d'une seule et même entité juridique et comptable. Néanmoins, les transferts internes d'énergie au sein d'EDF sont une réalité qu'il est possible de valoriser, notamment lorsque cette valorisation est nécessaire pour le contrôle du respect des règles de concurrence par un opérateur intégré. Au demeurant, la notion de " prix de cession interne " d'EDF a déjà fait l'objet d'une appréciation du Conseil de la concurrence qui, dans son avis n° 05-A-19 du 20 octobre 2005, a considéré que " [l]'adoption du prix spot Powernext pour [valoriser] l'électricité achetée par les entités commerciales paraît contestable ", une telle valorisation étant déconnectée de la réalité.
139. Quant à l'existence de conditions discriminatoires, EDF rappelle avoir négocié début 2007 la conclusion d'un accord de partenariat visant notamment à organiser l'accès de la saisissante à de l'électricité d'origine nucléaire. L'analyse du caractère discriminatoire des contreparties exigées par EDF soulève la question des coûts qu'EDF peut légitimement récupérer dans le cadre d'un approvisionnement de long terme. EDF considère qu'elle doit être en mesure de facturer l'énergie nucléaire à son " coût de développement ", qui refléterait l'économie d'un investissement dans un moyen de production apte à se substituer aux moyens existants. La saisissante conteste cette analyse et considère que la référence par EDF au coût de développement de la seule tête de série EPR, à l'exclusion de tout effet de série, est impropre parce qu'il conduit à faire artificiellement peser la totalité de certains frais (étude, R&D) sur une seule centrale alors qu'ils sont normalement amortis sur une série.
140. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'instruction doit être poursuivie afin de rechercher si les conditions exigées par EDF pour l'accès à de l'électricité en base sont discriminatoires au regard des conditions réservées à ses propres activités aval.
c) Sur le refus de proposer une offre d'approvisionnement répondant aux caractéristiques du programme de mise à disposition d'énergie recommandé par la CRE
141. L'article L. 420-2 du Code de commerce cite le refus de vente au nombre des cas possibles d'abus de position dominante. Les conditions dans lesquelles le refus de contracter est susceptible de constituer un abus de position dominante ont été néanmoins bien délimitées dans la jurisprudence tant nationale que communautaire. Un élément indispensable à la qualification des faits est le constat de l'existence d'un refus de contracter ou l'imposition de conditions injustifiées.
142. Direct Energie soutient qu'EDF aurait abusivement refusé de proposer une offre d'approvisionnement en électricité de long terme simulant les coûts de son parc de production nucléaire. Direct Energie reproche ainsi à EDF de ne pas faire d'offre d'approvisionnement sur un terme de 15 ans à un prix représentatif de ses coûts de production, notamment nucléaires. Plus généralement, EDF refuserait abusivement, selon elle, de mettre en œuvre un programme de mise à disposition d'électricité recommandé par la CRE.
143. Il convient néanmoins de relever qu'EDF n'a pas refusé de conclure un contrat d'approvisionnement avec Direct Energie, celle-ci disposant d'un contrat d'une durée de 5 ans conclu le 27 décembre 2005. Il faut également rappeler que la recommandation de la CRE, dont Direct Energie se prévaut, vise l'extension du système des VPP. Ce système aboutit à l'allocation de droits de tirage à la suite d'une mise aux enchères, et non à l'attribution de contrats d'approvisionnement " à la demande " comme l'envisage Direct Energie. Enfin, la seule adoption d'une recommandation par la CRE ne saurait, par elle-même, fonder une obligation, pesant sur EDF, de contracter selon ses termes au regard du droit de la concurrence.
144. Il résulte de ce qui précède qu'aucun des éléments apportés par la saisine n'est suffisamment probant pour caractériser l'existence d'une pratique anticoncurrentielle consistant dans le refus de proposer une offre d'approvisionnement répondant aux caractéristiques du programme de mise à disposition d'énergie recommandé par la CRE.
d) Sur le refus de proposer un accès non discriminatoire et transparent aux allocations de capacités de production nucléaire
145. Direct Energie soutient qu'EDF aurait abusivement refusé d'accéder à sa demande de pouvoir être associée aux investissements nécessaires pour le renouvellement de son parc de production nucléaire en France.
146. Il ressort cependant de l'instruction que les parties ont négocié début 2007 la conclusion d'un accord de partenariat au terme duquel Direct Energie aurait obtenu un accès de long terme à de l'électricité d'origine nucléaire. Un document communiqué par EDF à la saisissante le 2 février 2007 présente les conditions envisagées pour un tel partenariat, et définit notamment le principe d'un accès garanti de long terme à la production d'origine nucléaire à un prix tenant compte d'un partage des risques de ce type de production dans la durée. Direct Energie a néanmoins clos les négociations la veille du dépôt de la présente saisine.
147. La saisissante rappelle que les négociations en cause étaient couvertes par un accord de confidentialité. Direct Energie considère donc que les éléments versés au dossier par EDF en défense, produites en violation délibérée de cet accord de confidentialité, seraient irrecevables. Mais la saisissante qui, par sa saisine, a initié un débat contradictoire sur l'existence d'un refus d'EDF de proposer un accès non discriminatoire et transparent aux allocations de capacité de production nucléaire ne saurait valablement opposer l'existence d'un accord de confidentialité couvrant les faits qu'elle dénonce. Il découle en outre des éléments versés au dossier que la clôture des négociations a été le fait du groupe Louis Dreyfus, actionnaire de Direct Energie.
148. Dans ces conditions l'existence d'un refus de proposer un accès non discriminatoire et transparent aux allocations de capacités de production nucléaire n'est appuyé d'aucun élément probant.
B. SUR LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES
149. L'article L. 464-1 du Code de commerce prévoit que le Conseil de la concurrence ne peut imposer des mesures conservatoires que " si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante " et que ces mesures doivent " rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence ".
1. EN CE QUI CONCERNE L'ATTEINTE GRAVE ET IMMEDIATE
150. Les éléments versés au dossier montrent que les résultats de la saisissante ont accusé une perte de 12,2 millions d'euro en 2005 et de 9,5 millions d'euro en 2006, pour un chiffre d'affaires de plus de 100 millions d'euro. Une attestation des commissaires aux comptes de Direct Energie, en date du 4 avril 2007, indique que ces pertes sont directement liées aux ventes de Direct Energie aux clients finals, les ventes au détail de la société générant des marges brutes négatives comprises entre -7,5 et -8,5 millions d'euro.
151. L'évolution de ces résultats doit être interprétée à la lumière de la mise en œuvre, par Direct Energie, d'une stratégie défensive consistant à freiner ses acquisitions de nouveaux clients, génératrices de pertes, et à revendre une partie de son approvisionnement sur le marché de gros pour dégager des ressources financières. Cette stratégie, mise en place en 2006, a ainsi permis à la société de limiter ses pertes, ce qui est démontré par l'évolution de ses résultats. Ceux-ci restent, néanmoins, fortement déficitaires.
152. L'octroi de mesures conservatoires n'est fondé que s'il existe un lien de causalité direct et certain entre la pratique en cause et le trouble illicite allégué. Direct Energie ne disposant pas d'alternatives effectives, son approvisionnement en électricité de base est assuré par le contrat conclu avec EDF le 27 décembre 2005. EDF, qui ne s'estime responsable ni des prix de gros, ni du maintien des tarifs réglementés, conteste l'existence d'un lien direct et certain entre la pratique reprochée et l'atteinte aux intérêts de la saisissante.
153. Les représentants d'EDF ont, toutefois, reconnu en séance l'existence d'un effet de ciseau tarifaire entre le prix de l'offre de détail EDF Pro et le prix de vente de l'électricité à Direct Energie fixé dans le contrat du 27 décembre 2005. Ce ciseau a bien été générateur de pertes pour l'exécution des contrats avec des clients finals. Il a également été l'une des causes de l'impossibilité pour Direct Energie de prospecter des nouveaux clients. Ce sont donc bien les pratiques évoquées ci-dessus qui sont à l'origine de la situation actuelle de l'entreprise, qui est de nature à compromettre gravement la poursuite de son activité, quand bien même cette situation aurait été également compromise en l'absence de contrat avec EDF.
154. S'agissant de l'atteinte portée au secteur, il faut noter que le nombre de fournisseurs alternatifs proposant des ventes de détail aux petits professionnels est très réduit, l'opérateur historique ne faisant face qu'à trois concurrents : Poweo, GDF et Direct Energie. L'instruction a établi que les autres opérateurs sont soit marginaux, soit simplement en attente d'un déblocage de la situation du secteur par la suppression des tarifs réglementés, leur relèvement ou l'émergence d'une offre de gros de nature à leur permettre de concurrencer de manière viable les offres de détail de l'opérateur historique.
155. Il en découle que l'éviction de la saisissante intervient dans un contexte défavorable au développement d'offres alternatives à celle d'EDF à la veille de la libéralisation complète du marché le 1er juillet prochain. Les caractéristiques techniques de la consommation et de la fourniture des petits professionnels et des résidentiels étant similaires, l'effet de ciseau tarifaire décrit plus haut est susceptible de concerner l'ensemble des fournisseurs qui souhaiteront prospecter les consommateurs résidentiels. Les témoignages des sociétés Atel, Endesa et HEW, déjà cités au paragraphe 72, en attestent. Ces entreprises, électriciens européens actifs sur les marchés français de la vente d'électricité aux grands sites industriels, ne proposent pas d'offres commerciales aux petits professionnels et n'envisagent pas de proposer une offre de détail aux clients résidentiels au 1er juillet 2007 du fait, notamment, de conditions d'approvisionnement en gros inadaptées, Endesa dénonçant la " position écrasante [de l'opérateur historique] sur la production électrique 'de base', les possibilités d'accès à cette production [étant] ainsi quasi-nulles " et Atel expliquant que " [l]e niveau des prix de l'électricité a interdit de facto depuis la fin de l'année 2005 aux opérateurs ne disposant pas de capacités de production en France de concurrencer le niveau des tarifs réglementés et d'attirer dans des conditions économiques acceptables la clientèle professionnelle. La même raison s'appliquera à la clientèle domestique, qui pourra en théorie choisir son fournisseur à compter du 1er juillet 2007 " (soulignement ajouté).
156. Il ressort ainsi des témoignages recueillis en cours d'instruction que les conditions de fourniture en gros d'électricité de base, conjuguées au maintien et au niveau des tarifs réglementés, forment un obstacle à l'émergence d'une concurrence effective sur le marché de la vente au détail aux petits professionnels, et le futur marché libéralisé de la vente au détail aux consommateurs résidentiels.
157. L'échéance du 1er juillet 2007 marquera, en effet, l'ouverture à la concurrence de la totalité du marché de l'électricité. Les consommateurs professionnels n'ayant pas encore aujourd'hui exercé leur éligibilité comme les consommateurs résidentiels désormais en mesure de choisir leur fournisseur pourraient vouloir profiter du développement des offres de fourniture, escompté de cette libéralisation totale du marché.
158. Parmi les neuf fournisseurs entendus au cours de l'instruction, hormis la saisissante, seuls EDF, Electrabel France, GDF et Poweo ont expliqué envisager de proposer une offre commerciale aux clients résidentiels au 1er juillet 2007. Or si la saisissante subit un effet d'éviction sur le marché de la vente d'électricité aux petits professionnels, les conditions d'approvisionnement de Direct Energie la conduisent actuellement à renoncer à proposer une offre aux futurs clients résidentiels éligibles. La libéralisation de cette ultime portion du marché étant désormais imminente, la situation est caractérisée par l'urgence.
2. SUR LES MESURES CONSERVATOIRES DEMANDEES
159. Aux termes de l'article L. 464-1 du Code de commerce, selon lequel les mesures conservatoires imposées par le Conseil de la concurrence doivent, comme il a déjà été indiqué, " rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence ", le Conseil peut " prendre les mesures qui lui sont demandées ou celles qui lui apparaissent nécessaires ".
160. Direct Energie demande au Conseil de la concurrence de prononcer quatre mesures à titre conservatoire.
161. Premièrement, la saisissante demande au Conseil d'enjoindre à EDF de lui proposer une offre d'approvisionnement en " énergie nucléaire " répondant à des conditions de prix, de volume et de durée équivalentes à celles qu'EDF s'applique à lui-même. La saisissante considère qu'une telle offre devrait, au minimum, comporter les éléments suivants :
- un approvisionnement d'électricité en base, à terme de 15 ans, simulant l'économie du parc de production nucléaire existant d'EDF ;
- une livraison de 1 TWh pour 2007, puis 1 TWh additionnel et cumulatif pour chaque année contractuelle suivante ;
- un prix n'excédant pas 34,2 euro/MWh de 2007 à 2010, ensuite indexé sur le niveau de " prix de cession interne " d'EDF.
162. Deuxièmement, la saisissante demande au Conseil de la concurrence d'enjoindre à EDF de suspendre la commercialisation de ses offres sur le marché libre aux petits professionnels et aux clients résidentiels, ainsi que ses offres réglementées, hors la seule poursuite des contrats en cours.
163. Troisièmement, la saisissante demande au Conseil de la concurrence d'enjoindre à EDF, dans un délai de deux mois, d'indiquer à Direct Energie les conditions non discriminatoires d'un accès à ses capacités de production nucléaire, notamment dans le cadre d'un investissement au renouvellement du parc de production nucléaire d'EDF.
164. Quatrièmement, Direct Energie demande au Conseil de la concurrence d'enjoindre à EDF de cesser sans délai de présenter la compétitivité économique et commerciale de ses moyens de production nucléaires dans sa communication institutionnelle comme un avantage réservé à ses clients finals et associé aux tarifs réglementés.
165. La résolution par le Conseil, à titre conservatoire, des effets de pratiques de ciseau tarifaire consiste à enjoindre à l'opérateur dominant de prendre les mesures qui s'imposent pour permettre aux opérateurs alternatifs de le concurrencer sur un pied d'égalité et sur la base de leurs seuls mérites. Il n'est donc pas possible de faire droit à la demande principale de Direct Energie, à savoir l'octroi d'un contrat personnel dont le prix, le volume, et la durée seraient déterminés par le Conseil de la concurrence. Une telle mesure risquerait, au contraire, de créer de nouveaux déséquilibres entre les fournisseurs concurrents d'EDF.
166. La deuxième demande de mesure conservatoire est sans objet en tant qu'elle vise la suspension de l'offre EDF Pro, dès lors qu'EDF a effectivement cessé de la proposer depuis le 2 avril 2007, et l'offre libre d'EDF aux clients résidentiels, qui n'existe pas à ce jour. En tant qu'elle concerne la suspension des offres réglementées d'EDF, la demande de la saisissante est fondée sur une interprétation d'une décision du Conseil constitutionnel du 30 novembre 2006 concernant certaines dispositions de la loi relative au secteur de l'énergie et selon laquelle les tarifs réglementés seraient inapplicables à toute nouvelle installation éligible et à tout site voyant son contrat d'approvisionnement réglementé arriver à échéance. Mais cette interprétation se heurte aux dispositions de l'article 66 de la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 sur les orientations de la politique énergétique qui prévoit que : " un consommateur final d'électricité bénéficie des tarifs réglementés d'électricité (...) pour la consommation d'un site pour lequel il n'use pas de la faculté [de choisir son fournisseur sur le marché libre] à la condition qu'il n'ait pas été fait précédemment usage de cette faculté, pour ce site, par ce consommateur ou par une autre personne ". L'article 66-2 de la même loi ajoute que " [l]'article 66 est également applicable aux nouveaux sites de consommation raccordés aux réseaux de distribution ou de transport avant le 1er juillet 2010 ". La demande de Direct Energie ne peut donc être accueillie.
167. Les autres demandes de la saisissante ne sont pas de nature à prévenir l'atteinte grave et immédiate identifiée aux paragraphes 150 à 158. Tout d'abord, l'instruction a fait valoir qu'EDF avait présenté au groupe Louis Dreyfus les conditions exigées pour la conclusion d'un accord de partenariat comportant une mise à disposition de capacités de production nucléaire de manière transparente, ce qui rend sans objet la troisième demande de Direct Energie. En outre, la quatrième demande de la saisissante n'est pas assortie de la démonstration d'un lien direct et certain avec l'atteinte grave identifiée.
3. SUR LES MESURES CONSERVATOIRES QUI APPARAISSENT NECESSAIRES AU CONSEIL
168. L'atteinte grave et immédiate démontrée aux paragraphes 150 à 158 ne peut être prévenue que par la cessation des pratiques de ciseau tarifaire dans les offres d'approvisionnement d'EDF et la définition d'une offre permettant aux fournisseurs alternatifs au moins aussi efficaces que l'opérateur historique de concurrencer les offres de détail proposées par ce dernier aux petits professionnels.
169. Tout en contestant la nécessité du prononcé de mesures conservatoires en l'espèce, les représentants d'EDF ont proposé, en séance, de mettre en place, sous forme d'engagement, un approvisionnement des fournisseurs alternatifs en énergie de base d'origine nucléaire sur la longue durée, à des conditions transparentes et non discriminatoires. Les représentants d'EDF ont proposé la création d'un produit dont les caractéristiques techniques restent à déterminer, mais dont le prix refléterait un juste partage des risques afférents à la production nucléaire. EDF envisage d'aménager le paiement du prix d'un tel produit en deux périodes de manière à permettre, sur une première période, le développement d'activités de fourniture de détail viables sur des marchés aval encore dirigés par les tarifs réglementés, afin d'assurer aux consommateurs finals la possibilité effective d'exercer un choix entre fournisseurs concurrents. Le produit acquis pourrait ainsi, dans une première période, faire l'objet d'un prix tenant compte de la corrélation mentionnée plus haut puis, dans une seconde période, être fixé à un niveau reflétant les coût d'exploitation d'un moyen de production nucléaire et tenant compte d'un partage des risques industriels liés à ce type d'actif.
170. Ce produit serait proposé par voie d'appels d'offres ouverts aux fournisseurs alternatifs, assortis d'un prix de réserve. EDF envisagerait de permettre une livraison progressive des quantités acquises.
171. Sous réserve d'un examen approfondi qui devra être mené, une telle offre est susceptible de répondre à moyen terme aux problèmes soulevés lors des débats en séance mais ne peut cependant utilement remédier à l'atteinte grave et immédiate créée par le contrat conclu avec Direct Energie identifiée aux paragraphes 150 à 158.
172. Toutefois, cette proposition pourrait constituer une réponse à la demande du Conseil de la concurrence de mettre en place un dispositif d'approvisionnement en électricité de base de nature à permettre l'exercice d'une réelle concurrence. L'effet utile d'un tel dispositif, auquel veillera le Conseil, dépendra du caractère suffisant de la durée du produit et des quantités accessibles qui doivent permettre l'exercice d'une concurrence effective sur les marchés de détail.
173. Par ailleurs, dans la mesure où le système proposé par EDF ne pourra être mis en place dans un délai suffisant pour résoudre la situation d'urgence qui caractérise l'atteinte à l'entreprise plaignante et au secteur, il conviendra d'enjoindre à EDF de ne pas s'opposer à négocier de bonne foi les conditions d'un approvisionnement en gros à Direct Energie jusqu'à la mise en place d'un dispositif plus général à l'ensemble des fournisseurs alternatifs. Cette offre pourra prendre la forme, comme EDF l'a proposé oralement en séance, d'un nouveau contrat d'un an.
174. Enfin, les représentants d'EDF ont confirmé en séance être disposés à formaliser leur engagement dans un délai inférieur au délai réglementaire d'un mois et au plus tard avant le 14 juillet 2007. Il conviendra donc d'enjoindre à EDF, si elle souhaite formaliser l'engagement présenté en séance, de le faire avant l'expiration de ce délai.
DÉCISION
Article 1er : A titre conservatoire, il est enjoint à EDF de transmettre au Conseil de la concurrence, dans un délai qui ne pourra excéder deux mois à compter de la notification de la présente décision, une proposition de fourniture d'électricité en gros ou toute autre solution techniquement et économiquement équivalente permettant aux fournisseurs alternatifs de concurrencer effectivement, sans subir de ciseau tarifaire, les offres de détail faites par EDF aux consommateurs d'électricité sur le marché libre. Cette offre devra préciser les conditions objectives, transparentes et non discriminatoires qui lui sont associées.
Dans l'hypothèse où EDF souhaiterait, comme elle l'a proposé en séance, répondre à cette injonction par un engagement d'offrir un produit à terme en énergie de base d'origine nucléaire à un prix conventionnel, cette proposition devra, tout en satisfaisant les conditions énoncées à l'alinéa précédent, répondre aux orientations suivantes :
- couvrir une durée et proposer des quantités suffisantes pour la mise en place effective d'une offre de détail viable par un opérateur aussi efficace ;
- proposer des conditions contractuelles non discriminatoires, applicables à tous les fournisseurs souhaitant servir les clients finals.
Article 2 : A titre conservatoire, il est enjoint à EDF de négocier de bonne foi avec Direct Energie, comme EDF l'a proposé en séance, un contrat transitoire d'approvisionnement en gros à un prix reflétant ses coûts complets de production, jusqu'à la mise en place du dispositif prévu à l'article 1er ci-dessus, ce contrat devant avoir un durée minimale d'un an.
Article 3 : Si, comme elle a en fait la proposition lors de la séance, EDF souhaite présenter des engagements de nature à répondre à l'injonction prévue à l'article 1er, elle devra le faire avant le 14 juillet 2007. Cette proposition sera publiée sur le site Internet du Conseil de la concurrence, soumise à un test de marché qui permettra de recueillir dans un délai d'un mois les observations de l'ensemble des tiers intéressés et, dans le cadre de la procédure contradictoire qui présidera à son examen, communiquée également à l'entreprise saisissante. Enfin, le Conseil sollicitera l'avis de la Commission de régulation de l'énergie avant de statuer, au cours d'une séance contradictoire, sur les engagements finalement formalisés par EDF.