CA Paris, 5e ch. A, 25 janvier 2006, n° 04-06502
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Desgue
Défendeur :
Sofral (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
MM. Roche, Byk
Avoués :
SCP Varin-Petit, SCP Calarn-Delaunay
Avocats :
Mes Combes, Misslin
Par acte du 18 juillet 2003 M. Desgue a assigné devant le Tribunal de commerce de Créteil la société Sofral pour lui réclamer une indemnité de clientèle de 21 500 euro pour rupture abusive d'un contrat d'agent commercial. Par jugement du 23 janvier 2004, le tribunal l'a débouté de sa demande et condamné à payer 1 500 euro à la société Sofral sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par déclaration du 24 février 2004, M. Desgue a interjeté appel de ce jugement et sollicite par conclusions du 23 novembre 2005 l'infirmation du jugement entrepris et la condamnation de la société Sofral à lui payer 21 500 euro d'indemnité compensatrice avec intérêts de droit à compter du 25 mars 2003, anatocisme et 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Sofral conclut le 19 novembre 2004 à la confirmation du jugement entrepris et subsidiairement à la réduction de l'indemnité compensatrice, 5 000 euro étant réclamés en tout état de cause au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
SUR CE,
Sur le statut de M. Desgue à l'égard de la société Sofral
Considérant que pour soutenir son appel, M. Desgue fait valoir que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, il a bien exercé la qualité d'agent commercial au profit de la société Sofral et qu'il a donc droit à une indemnité compensatrice;
Considérant que pour s'opposer à cette thèse, l'intimée estime que M. Desgue n'a jamais eu la qualité d'agent commercial à son égard, toutes les commandes passées par les sociétés Fructamine et Agrumaria ayant été faites directement auprès d'elle;
Considérant cependant qu'il résulte des pièces au débat que l'appelant a été à l'origine des relations contractuelles entre l'intimée et les deux sociétés italiennes précitées, que la participation de M. Desgue aux relations contractuelles ainsi nouées ne s'est pas arrêtée à cette phase initiale mais que M. Desgue a continué à être l'intermédiaire de ces relations;
Considérant que Sofral ne saurait nier cette réalité en invoquant que l'appelant agissait comme mandataire des deux sociétés italiennes, M. Desgue, en l'absence de clause d'exclusivité, n'étant tenu qu'à une obligation de non-concurrence, dont la violation n'est ni alléguée ni démontrée de la part de Sofral, les sociétés concernées n'étant pas ses concurrentes mais ses fournisseurs;
Considérant que l'argument de Sofral visant à dire que les échanges directs entre elles et les sociétés concernées démontreraient l'absence de tout contrat d'agent commercial à son profit n'est pas plus convaincant dès lors que cette pratique doit s'interpréter au regard des accords conclus entre les parties;
Considérant en l'espèce, que la société Sofral, en acceptant, par télécopie du 30 janvier 2003 répondant à la demande de paiement de commissions faite par M. Desgue, de lui payer celles-ci pour la période de juin à décembre 2002, reconnaissait le caractère permanent de la mission que M. Desgue exerçait en tant que négociateur de la société Sofral;
Considérant, au surplus, qu'en affirmant dans ce même courrier qu' "à l'avenir nous sommes prêtes à vous commissionner sur toute commande de colorants dans la mesure où celle-ci nous est transmise par vos soins, et après avoir vérifié avec vous les conditions de prix, livraison... " et dans un courrier subséquent du 27 février 2003 que "Fructamine ayant clairement exprimé son désir de travailler directement avec nous aussi bien techniquement que commercialement... nous considérons qu'il n'y a plus de raison de poursuivre notre collaboration", la société Sofral reconnaissait l'existence de relations continues avec M. Desgue dans le cadre des relations contractuelles qu'elle avait jusqu'alors avec ses fournisseurs précités;
Considérant enfin, s'il en était besoin, que dans un courrier du 7 avril 2003, Sofral écrivait à M. Desgue "nous annulons par la présente notre décision d'arrêter la collaboration avec vous dans les conditions telles que citées par notre fax du 27 février 2003. Nous sommes prêts à maintenir le système comme par le passé et vous décompterons les commissions";
Considérant qu'au vu de ces pièces M. Desgue avait bien la qualité d'agent commercial de la société Sofral;
Sur l'imputabilité de la rupture
Considérant qu'à titre subsidiaire la société Sofral, pour échapper au principe de l'indemnité compensatrice due aux agents commerciaux en cas de rupture des relations contractuelles, fait valoir que la rupture est due au refus de M. Desgue de poursuivre lesdites relations et qu'à tout le moins, il aurait commis, en s'abstenant de toute activité, une faute grave le privant du droit à indemnisation par application des dispositions de l'article 134-1 du Code de commerce;
Mais, considérant, sur le premier point, qu'il ne saurait sérieusement être reproché à M. Desgue d'avoir fait connaître à la société Sofral le 28 avril qu'il ne souhaitait pas continuer les relations contractuelles dès lors que les revirements brusques et répétés de Sofral ainsi que l'attitude de cette société vis-à-vis de ses fournisseurs italiens le mettaient dans une situation professionnelle intenable du fait du comportement de la société Sofral;
Considérant, sur le second point, que Sofral n'apporte au dossier aucune pièce visant à établir l'existence d'une faute grave commise par M. Desgue, que le reproche d'avoir manqué de diligence pour démarcher et suivre la clientèle n'est pas caractérisé dès lors que Sofral dans le courrier précité du 30 janvier 2003 reconnaît explicitement la légitimité des commissions dues à M. Desgue;
Considérant que la Sofral devra, en conséquence, être condamnée à payer à M. Desgue une indemnité compensatrice pour cessation de son activité d'agent commercial;
Sur le montant de l'indemnité,
Considérant que pour justifier réclamer deux années de commissions M. Desgue avance qu'il amenait à la Sofral 120 000 euro annuels de chiffre d'affaires lui apportant 10 750 euro de commissions;
Considérant que la Sofral estime que M. Desgue ayant reconnu dès le 28 avril 2003 avoir de nouveaux engagements professionnels, le préjudice n'est pas rapporté et l'indemnisation doit être en conséquence substantiellement réduite ou supprimée;
Considérant que l'agent commercial a droit à une indemnité compensant la perte de son activité;
Considérant que M. Desgue a exercé l'activité d'agent commercial de la société Sofral entre le début 2000 et le début 2003;
Considérant qu'il ne soumet, toutefois, au débat aucune pièce tendant à démontrer tant le chiffre d'affaires annuel effectué que le montant des commissions qu'il prétend avoir perçues, que seul figure au dossier un décompte non contesté de sa part pour le second semestre 2003 d'une commission de 3 153,79 euro ; que, d'autre part, la société Sofral a fait une proposition d'indemnisation à hauteur de 5 000 euro;
Considérant que compte tenu des éléments de référence en possession de la cour, le préjudice de M. Desgue sera justement compensé par une somme de 6 000 euro avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 18 juillet 2003, outre, vu l'équité, une somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Dit que M. Desgue avait la qualité d'agent commercial de la société Sofral, Réforme le jugement entrepris, Condamne la société Sofral à lui payer une indemnité compensatrice de 6 000 euro avec intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2003, Condamne la société Sofral à payer 1 500 euro à M. Desgue au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Sofral aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Varin Petit, avoué.