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Décisions

TPICE, 4e ch., 12 juillet 2007, n° T-229/05

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

AEPI Elliniki Etaireia pros Prostasian tis Pnevmatikis Idioktisias AE

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Legal

Juges :

MM. Vadapalas, Wahl

Avocat :

Me Asprogerakas-Grivas

TPICE n° T-229/05

12 juillet 2007

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

Antécédents du litige

1. La requérante est une société de droit grec, créée en 1930, chargée de la protection des droits de propriété intellectuelle dans le domaine de la musique en Grèce.

2. Le 3 mars 1993, la République hellénique a adopté la loi nº 2121-1993, relative aux droits d'auteur, droits voisins et questions culturelles (FEK A 25-4.3.1993), visant à transposer plusieurs directives communautaires. En vertu de l'article 54 de cette loi, les auteurs peuvent confier la gestion ou la défense de leurs droits intellectuels à des organismes de gestion collective, dont l'activité est subordonnée à un agrément délivré par le ministère de la Culture grec. L'article 58 de la même loi énonce que les dispositions de cet article sont applicables par analogie à la gestion et à la défense des droits voisins.

3. La requérante a sollicité un agrément pour l'ensemble des droits d'auteur et des droits voisins dans le domaine de la musique. Le ministère de la Culture grec lui a accordé un agrément, cependant limité à la gestion collective des droits d'auteur sur les œuvres musicales.

4. Trois organismes grecs de gestion collective des droits voisins, à savoir, Erato, Apollon et Grammo (ci-après les " trois organismes de gestion collective "), ont obtenu un agrément pour la gestion collective des droits voisins respectivement, des chanteurs interprètes, des musiciens exécutants et des producteurs de supports matériels de sons et/ou d'images.

5. Le 22 mars 2001, la requérante a adressé une plainte à la Commission visant la République hellénique ainsi que les trois organismes de gestion collective. Elle a soutenu, d'une part, que ces trois organismes avaient enfreint les articles 81 CE et 82 CE dans la mesure où ils pratiquaient un abus de position dominante et créaient des ententes et des pratiques concertées et a demandé, d'autre part, le renvoi de la République hellénique devant la Cour pour infraction à l'article 81 CE, au motif que la loi nº 2121-1993 permettait auxdits organismes de procéder à ces ententes et pratiques concertées.

6. Dans sa plainte, la requérante souligne que la rémunération des droits voisins avait été fixée à un niveau excessif, qui allait jusqu'à 5 % des recettes brutes des stations de radio et des chaînes de télévision grecques. Ce comportement constituerait une violation des articles 81 CE et 82 CE, qui lui causerait des préjudices graves et irréparables, dans la mesure où les entreprises ne seraient pas en mesure de payer ces montants excessifs, privant ainsi la requérante de la perception des redevances qu'elle réclamait pour les droits d'auteur.

7. Par lettre du 7 décembre 2004, la Commission, invoquant des motifs juridiques et procéduraux, a divisé la plainte en deux volets, l'un concernant la République hellénique et l'autre concernant les trois organismes de gestion collective.

8. Le 10 décembre 2004, la Commission a notifié à la requérante son appréciation provisoire de l'affaire et son intention de rejeter le volet de la plainte concernant les trois organismes de gestion collective, pour défaut d'intérêt communautaire. Elle a également invité la requérante à présenter ses observations.

9. Par lettre du 23 décembre 2004, la requérante a tout d'abord considéré que la Commission, en lui suggérant de saisir les autorités grecques de la concurrence, avait admis l'existence de pratiques contraires au droit communautaire. Elle a ensuite souligné qu'il n'était pas nécessaire que le commerce interétatique soit affecté pour qu'une violation des articles 81 CE et 82 CE se produise.

10. Le 18 avril 2005, la Commission, après avoir estimé que les arguments additionnels présentés par la requérante n'étaient pas de nature à modifier son avis, a décidé de rejeter le volet de la plainte concernant les trois organismes de gestion collective pour défaut d'intérêt communautaire [décision SG-Greffe (2005) D-201832, ci-après la " décision attaquée "].

11. La décision attaquée se fonde, en particulier, sur les considérations suivantes :

" Dans le cas d'espèce[,] l'infraction alléguée n'est pas de nature à provoquer des disfonctionnements importants du Marché commun étant donné que toutes les parties impliquées ont leur siège en Grèce et n'exercent leurs activités qu'en Grèce. Il n'est pas prévisible que cette situation change, c'est-à-dire que les trois organismes [de gestion collective] commencent à brève échéance à exercer leurs activités dans d'autres pays, vu la structure des [marchés de] services pour la protection des droits voisins et les difficultés pratiques d'une telle entreprise. En outre, les effets des pratiques allégué[e]s ne se produisent que dans le contexte du marché grec. Les contrats [d']utilisation de musique ne se font qu'avec des stations [de] radio et [de] télévision et d'autres utilisateurs qui se trouvent en Grèce. Le[s] trois organismes [de gestion collective] ne sont compétents que pour la protection des droits voisins en Grèce et n'ont pas la possibilité pratique d'exercer cette compétence [en] dehors [de] ce pays.

D'autre part, afin d'établir une éventuelle infraction[,] la Commission devrait s'engager dans une enquête complexe sur les conditions prévalentes dans le marché en cause et les alternatives disponibles. En premier lieu, vu que, d'une part, la loi grecque (en conformité avec la directive 92-100-CEE) prévoit qu'une rémunération unique [sera] payée pour tous les droits voisins et que, d'autre part, l'infraction alléguée proviendrait du fait que les trois organismes [de gestion collective] se présentent en commun aux utilisateurs afin de revendiquer cette rémunération, la Commission devrait établir l'éventuelle existence et [l']efficacité de méthodes pour revendiquer séparément le paiement de la rémunération unique. En deuxième lieu[,] la Commission, [devrait non seulement] démontrer la détention d'une position dominante collective par les trois organismes [de gestion collective], [mais], selon les arrêts Tournier et Lucazeau de la Cour, [également] enquêter sur les niveaux relatifs des prix des droits d'auteur et des droits voisins dans tous les pays de l'Union, les bases respectives sur lesquelles ils sont calculés, les critères utilisés et les conditions prévalents dans le marché grec par rapport [aux marchés des] autres pays européens.

En outre, il faut noter que votre société a la possibilité de présenter ses griefs devant les autorités nationales. Notamment[,] elle peut saisir de son cas l'autorité grecque de la concurrence. L'autorité de la concurrence grecque serait[,] de par sa connaissance approfondie des conditions du marché national[,] parfaitement en mesure de traiter votre plainte. Le fait que toutes les parties impliquées et tous les utilisateurs de musique concernés ont leur siège et exercent leurs activités dans le marché grec renforce l'importance de la connaissance détaillée des conditions du marché local. D'ailleurs, cette autorité a la compétence d'appliquer les articles [81 CE et 82 CE] du même droit que la Commission européenne.

Il faut donc conclure que l'étendue et la complexité des mesures d'investigation requises pour constater si le comportement des trois organismes de gestion collective [...] est ou non en conformité avec les règles du droit communautaire de la concurrence sont disproportionnées par rapport à l'importance très limitée d'une éventuelle infraction [sur] le fonctionnement du Marché commun. L'affaire ne présente donc pas le degré d'intérêt communautaire requis pour l'ouverture d'une enquête de la part de la Commission. "

12. Le 20 avril 2005, la Commission a classé le volet de la plainte concernant la République hellénique.

Procédure et conclusions des parties

13. La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- déclarer le recours recevable ;

- annuler la décision attaquée ;

- déclarer recevable la plainte rejetée par la décision attaquée ;

- reconnaître que l'ensemble de la politique appliquée par les trois organismes de gestion collective est contraire au droit communautaire ;

- condamner la Commission aux dépens.

14. La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours en annulation comme irrecevable et, en tout état de cause, comme non fondé ;

- condamner la requérante aux dépens.

Sur la recevabilité

Sur la recevabilité du quatrième chef de conclusions

15. Par son quatrième chef de conclusions, la requérante demande au Tribunal de reconnaître que l'ensemble de la politique appliquée par les trois organismes de gestion collective est contraire au droit communautaire.

16. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre d'un recours en annulation fondé sur l'article 230 CE, la compétence du juge communautaire est limitée au contrôle de la légalité de l'acte attaqué. Si le recours est fondé, le juge déclare, en vertu de l'article 231 CE, l'acte contesté nul et non avenu. En vertu de l'article 233 CE, il appartient à l'institution dont émane l'acte annulé - et non au juge communautaire - de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt (arrêt du Tribunal du 24 janvier 1995, BEMIM/Commission, T-114-92, Rec. p. II-147, point 33).

17. Il s'ensuit que les conclusions tendant à ce que le Tribunal procède à certaines constatations d'ordre général sont irrecevables, du fait que, ce faisant, le Tribunal outrepasserait les limites de la compétence qui lui est conférée dans le cadre d'un recours en annulation.

18. Pour autant que le chef de conclusions puisse être interprété comme une argumentation au soutien des conclusions en annulation, il y sera répondu ultérieurement.

Sur la recevabilité des moyens présentés dans la réplique

19. Dans sa réplique, la requérante invoque la violation de l'article 5 de la directive 93-83-CEE du Conseil, du 27 septembre 1993, relative à la coordination de certaines règles du droit d'auteur et des droits voisins du droit d'auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble (JO L 248, p. 15), aux termes duquel la protection des droits voisins du droit d'auteur ne porte pas atteinte et ne modifie en aucune façon la protection conférée par le droit d'auteur.

20. Aux termes de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite, à moins qu'ils ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui sont relevés pendant la procédure.

21. En outre, selon une jurisprudence constante, un moyen constituant une ampliation d'un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d'instance et présentant un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable (arrêts du Tribunal du 19 septembre 2000, Dürbeck/Commission, T-252-97, Rec. p. II-3031, point 39, et du 30 septembre 2003, Cableuropa e.a./Commission, T-346-02 et T-347-02, Rec. p. II-4251, point 111).

22. Dans le cas d'espèce, le Tribunal constate, premièrement, qu'aucun argument concernant la directive 93-83 n'a été invoqué dans la requête et, deuxièmement, que ce moyen ne constitue pas une ampliation d'un autre présenté dans la requête, ne présentant pas de liens étroits avec les moyens qui y sont avancés, à savoir l'erreur manifeste d'appréciation de l'intérêt communautaire que présentent les pratiques dénoncées et la violation de l'obligation de motivation.

23. Le moyen ne se référant pas à des éléments de fait ou de droit apparus au cours de la procédure, il y a lieu de le rejeter comme irrecevable.

Sur le défaut d'intérêt légitime

24. La Commission soutient que le recours doit être rejeté comme irrecevable pour défaut d'intérêt légitime de la partie requérante, aux termes de l'article 7 du règlement (CE) nº 1-2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 CE et 82 CE (JO L 1, p. 1).

25. À cet égard, il convient de rappeler que le juge communautaire est en droit d'apprécier, suivant les circonstances de chaque espèce, si une bonne administration de la justice justifie de rejeter au fond le recours, sans statuer préalablement sur le grief d'irrecevabilité soulevée par la partie défenderesse (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C-23-00 P, Rec. p. I-1873, points 51 et 52 ; France/Commission, C-233-02, Rec. p. I-2759, point 26, et arrêt du Tribunal 15 juin 2005, Regione autonoma della Sardegna/Commission, T-171-02, Rec. p. II-2123, point 155).

26. Dans les circonstances du cas d'espèce et dans un souci d'économie de procédure, il y a lieu d'examiner d'emblée les moyens invoqués par la requérante, sans statuer préalablement sur l'irrecevabilité invoquée par la Commission, le recours étant, en tout état de cause et pour les motifs exposés ci-après, dépourvu de fondement.

Sur le fond

27. La requérante présente, en substance, deux moyens tirés, respectivement, d'une erreur manifeste d'appréciation de l'intérêt communautaire que présentent les pratiques dénoncées et d'une violation de l'obligation de motivation.

Sur le premier moyen, tiré d'une erreur manifeste d'appréciation de l'intérêt communautaire que présentent les pratiques dénoncées

Arguments des parties

28. La requérante fait valoir, tout d'abord, que dans la lettre du 10 décembre 2004, la Commission a reconnu l'illégalité des pratiques dénoncées et l'existence d'une infraction aux articles 81 CE et 82 CE.

29. Elle soutient, ensuite, que la Commission n'a ni mentionné ni analysé l'étendue et les conséquences des pratiques dénoncées, se limitant à constater qu'elles avaient eu lieu sur le territoire grec.

30. Concernant la gravité desdites pratiques, la requérante affirme que les redevances demandées par les trois organismes de gestion collective sont excessives et non équitables et qu'elles ne devraient pas excéder, sans que des raisons objectives et pertinentes soient invoquées, les redevances demandées pour les droits d'auteur.

31. La requérante invoque par ailleurs une décision du Monomeles Protodikeio Athinon (tribunal de première instance d'Athènes, Grèce), par laquelle cette juridiction a décidé de réduire les montants réclamés par les trois organismes de gestion collective en question à une compagnie aérienne grecque pour la diffusion de musique dans les avions.

32. La requérante fait également observer qu'elle a une activité commerciale de très grande ampleur et que l'infraction concerne les droits des créateurs grecs aussi bien que ceux des créateurs étrangers, les droits d'auteur étant reversés à des sociétés établies principalement dans l'Union européenne. Elle considère ainsi qu'un bouleversement total du marché européen dans le secteur des droits d'auteur peut se produire même si les redevances excessives ne sont perçues qu'en Grèce.

33. À cet égard, la requérante précise que le lieu de l'infraction ne peut pas être le seul critère pour établir son degré d'importance, car, même si l'infraction est limitée au territoire d'un État membre, une violation des articles 81 CE et 82 CE pourrait être constatée.

34. À cet égard, la requérante invoque plusieurs décisions de la Cour, à savoir, notamment, les arrêts du 13 juillet 1989, Tournier (395-87, Rec. p. 2521), Lucazeau e.a (110-88, 241-88 et 242-88, Rec. p. 2811), et du 6 avril 1995, RTE et ITP/Commission (C-241-91 P et C-242-91 P, Rec. p. I-743), pour démontrer que le critère de la limitation géographique d'une infraction ne peut pas être décisif pour conclure à un défaut d'intérêt communautaire.

35. La requérante allègue, en outre, que, en vue de l'application des articles 81 CE et 82 CE, l'infraction doit pouvoir potentiellement affecter le commerce entre États membres, sans nécessairement l'avoir déjà fait.

36. Se référant à l'arrêt de la Cour du 6 février 2003, SENA (C-245-00, Rec. p. I-1251), la requérante allègue que la fixation de tarifs beaucoup plus élevés et abusivement disproportionnés pour les droits voisins est contraire aux exigences d'uniformité et de proportionnalité entre les États membres.

37. La Commission réfute tous les arguments invoqués par la requérante.

Appréciation du Tribunal

38. Tout d'abord, s'agissant des pouvoirs de la Commission en matière de traitement des plaintes, il y a lieu de souligner que l'évaluation de l'intérêt communautaire que présente une plainte en matière de concurrence dépend des circonstances factuelles et juridiques de chaque espèce, qui peuvent différer considérablement d'une affaire à l'autre, et non de critères prédéterminés qui seraient d'application obligatoire. De plus, la Commission, investie par l'article 85, paragraphe 1, CE de la mission de veiller à l'application des articles 81 CE et 82 CE, est appelée à définir et à mettre en œuvre la politique communautaire de la concurrence et dispose à cet effet d'un pouvoir discrétionnaire dans le traitement desdites plaintes (voir, arrêt du Tribunal du 26 janvier 2005, Piau/Commission, T-193-02, Rec. p. II-209, point 80, et la jurisprudence citée).

39. En outre, il est de jurisprudence constante que, lorsque la Commission décide d'accorder des degrés de priorité aux plaintes dont elle est saisie, elle peut arrêter l'ordre dans lequel ces plaintes seront examinées et se référer à l'intérêt communautaire que présente une affaire, comme critère de priorité (arrêts du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T-24-90, Rec. p. II-2223, point 83 à 85, et du 24 janvier 1995, Tremblay e.a./Commission, T-5-93, Rec. p. II-185, point 60).

40. Pour apprécier l'intérêt communautaire à poursuivre l'examen d'une affaire, la Commission doit tenir compte des circonstances du cas d'espèce et, notamment, des éléments de fait et de droit qui lui sont présentés dans la plainte dont elle est saisie. Il lui appartient, notamment, de mettre en balance l'importance de l'infraction alléguée sur le fonctionnement du Marché commun, la probabilité de pouvoir établir son existence et l'étendue des mesures d'investigation nécessaires, en vue de remplir, dans les meilleures conditions, sa mission de surveillance du respect des articles 81 CE et 82 CE (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal Automec/Commission, précité, point 86 ; Tremblay e.a/Commission, précité, point 62, et du 14 février 2001, Sodima/Commission, T-62-99, Rec. p. II-655, point 46).

41. À cet égard, il appartient au Tribunal de vérifier, notamment, s'il ressort de la décision que la Commission a mis en balance l'importance de l'atteinte que l'infraction alléguée est susceptible de porter au fonctionnement du Marché commun, la probabilité de pouvoir établir son existence et l'étendue des mesures d'instruction nécessaires en vue de remplir, dans les meilleures conditions, sa mission de veiller au respect des articles 81 CE et 82 CE (arrêts Automec/Commission, précité, point 86 ; Tremblay e.a./Commission, précité, point 62, et Sodima/Commission, précité, point 46).

42. S'agissant de l'atteinte au fonctionnement du Marché commun, il ressort d'une jurisprudence constante que, pour être susceptible d'affecter le commerce entre États membres, un accord entre entreprises doit, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre États membres, dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique entre États (arrêt de la Cour du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission, 42-84, Rec. p. 2545, point 22, et arrêt du Tribunal du 28 février 2002, Atlantic Container Line e.a./Commission, T-395-94, Rec. p. II-875, point 90).

43. En outre, toute entente et toute pratique susceptible de mettre en cause la liberté du commerce entre États membres dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique entre les États membres, notamment en cloisonnant les marchés nationaux ou en modifiant la structure de la concurrence dans le Marché commun, relève du domaine du droit communautaire. En revanche, les comportements dont les effets sont localisés sur le territoire d'un seul État membre relèvent du domaine de l'ordre juridique national (arrêt de la Cour du 31 mai 1979, Hugin/Commission, 22-78, Rec. p. 1869, point 17, et arrêt du Tribunal du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich/Commission, T-259-02 à T-264-02 et T-271-02, non encore publié au Recueil, point 162).

44. Plus particulièrement, dans le domaine des droits d'auteur, il convient de rappeler qu'il est de jurisprudence constante que, lorsque les effets des infractions alléguées dans une plainte ne sont ressentis, pour l'essentiel, que sur le territoire d'un État membre et lorsque des juridictions et des autorités administratives compétentes de cet État membre ont été saisies de litiges opposant le plaignant et l'entité visée par la plainte, la Commission est en droit de rejeter la plainte pour défaut d'intérêt communautaire suffisant pour poursuivre l'examen de l'affaire, à condition que les droits du plaignant puissent être sauvegardés d'une façon satisfaisante, notamment par les juridictions nationales (voir, en ce sens, arrêts Automec/Commission, précité, points 89 et 90 ; Tremblay e.a./Commission, précité, point 65 et 74, et BEMIM/Commission, précité, point 86).

45. En l'espèce, le Tribunal constate que, dans la décision attaquée, la Commission s'est fondée sur trois motifs pour conclure au défaut d'intérêt communautaire que présentent les pratiques dénoncées. Tout d'abord, celles-ci ne seraient pas de nature à provoquer des dysfonctionnements importants dans le Marché commun. Ensuite, la Commission devrait engager une enquête complexe sur les conditions du marché pour établir l'existence de la prétendue infraction. Enfin, la protection des droits et des intérêts de la requérante pourrait être assurée par les autorités nationales compétentes.

46. Or, il y a lieu de relever que, dans le cadre de la procédure écrite, la requérante n'a contesté que le premier de ces motifs. En tout état de cause, s'agissant du deuxième motif, la requérante elle-même, dans sa plainte et dans son mémoire en réplique, a mentionné une décision du Monomeles Protodikeio Athinon qui aurait jugé excessives les redevances demandées par les trois organismes de gestion collective. Cet élément permet de considérer que la requérante dispose d'une protection juridictionnelle nationale suffisante, dans la mesure où la décision de ce tribunal grec a apporté une solution aux litiges découlant des infractions dénoncées.

47. En conséquence, il convient de limiter l'analyse du Tribunal aux arguments de la requérante selon lesquels elle conteste l'absence d'atteinte au commerce entre États membres, en faisant valoir que l'imposition de redevances d'un montant excessif pour les droits voisins est une pratique susceptible d'affecter le Marché commun au sens des articles 81 CE et 82 CE, même si elle est limitée au territoire grec.

48. À ce propos, la Commission a considéré, premièrement, que toutes les parties impliquées dans l'affaire avaient leur siège et exerçaient leurs activités en Grèce, deuxièmement, qu'il était improbable que les activités des trois organismes de gestion collective puissent s'étendre à d'autres pays et, troisièmement, que les utilisateurs de musique avaient la nationalité grecque et que les trois organismes de gestion collective avaient une compétence limitée au territoire grec.

49. Il convient de relever d'emblée qu'aucun des éléments de fait et de droit avancés par la requérante ne permet de démontrer que les pratiques dénoncées exercent une influence sur les courants d'échanges entre États membres dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique. En effet, la requérante se contente d'invoquer les difficultés financières ressenties par les sociétés de gestion des droits d'auteur et par les utilisateurs de musique en Grèce et dans tous les États membres et demeure incapable d'étayer ses affirmations ou, à tout le moins, de présenter des éléments de nature à le faire.

50. S'agissant de l'argument de la requérante selon lequel des dysfonctionnements importants du Marché commun découleraient du fait que les droits des créateurs grecs et étrangers sont reversés à des sociétés établies dans l'Union européenne, force est de constater que la compétence des trois organismes de gestion collective est limitée au territoire grec et que, par conséquent, ce sont essentiellement les utilisateurs de musique sur le territoire grec et les créateurs grecs qui subissent les prétendus préjudices découlant des pratiques dénoncées.

51. S'agissant des arguments selon lesquels la Cour aurait déjà jugé que des infractions limitées au territoire d'un État membre étaient susceptibles de constituer une violation des règles de concurrence, il y a lieu de souligner que, dans les affaires ayant donné lieu à ces décisions, l'atteinte au commerce entre États membres découlait soit d'une concertation entre sociétés nationales de gestion de droits d'auteur, qui aurait eu pour effet le refus systématique de l'accès direct à leur répertoire aux utilisateurs étrangers (arrêts Lucazeau e.a, précité, point 17 et Tournier, précité, point 23), soit de l'exclusion de tout concurrent potentiel sur le marché géographique constitué par un État membre (arrêt RTE et ITP/Commission, précité, point 70). En conséquence, les affaires invoquées ne présentent pas de points communs avec la présente affaire.

52. S'agissant d'une prétendue exigence d'uniformité et de proportionnalité entre les États membres en matière de redevances pour les droits voisins, qui serait énoncée par l'arrêt SENA, précité, il convient de relever que, dans cet arrêt (point 34) la Cour s'est, au contraire, prononcée dans le sens d'une absence de définition communautaire de la rémunération équitable et de l'inexistence de raisons objectives justifiant la fixation par le juge communautaire de modalités de détermination d'une telle rémunération.

53. Enfin, s'agissant de l'argument selon lequel la Commission aurait reconnu l'existence d'une infraction aux articles 81 CE et 82 CE, il ressort manifestement du courrier du 10 décembre 2004 et de la décision attaquée qu'il est infondé dès lors que la Commission n'a nullement reconnu l'existence d'une telle infraction.

54. Au vu de ce qui précède, il y a lieu de constater que la requérante n'a produit aucun élément concret établissant l'existence actuelle ou potentielle de dysfonctionnements importants dans le Marché commun.

55. Par conséquent, la requérante ne démontre pas que, dans la décision attaquée, la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation lorsqu'elle a considéré que les pratiques dénoncées par la requérante produisaient leurs effets dans une large mesure ou même intégralement dans le marché grec, et que, en conséquence, elles n'étaient pas de nature à affecter le commerce entre États membres au sens des articles 81 CE et 82 CE.

56. Le premier moyen doit, par conséquent, être rejeté comme non fondé.

Sur le deuxième moyen tiré de la violation de l'obligation de motivation

Arguments des parties

57. Selon la requérante, la Commission ne se serait pas prononcée sur tous les mémoires et éléments complémentaires à la plainte présentés à plusieurs reprises, alors qu'elle était légalement tenue d'examiner tous les moyens présentés et de se prononcer sur leur bien-fondé.

58. En outre, en s'appuyant seulement sur l'arrêt Automec/Commission, précité, la Commission aurait dépassé les limites de son pouvoir discrétionnaire.

59. La Commission réfute tous les arguments invoqués par la requérante.

Appréciation du Tribunal

60. Lorsqu'elle refuse de poursuivre l'examen d'une plainte, la Commission est astreinte à une obligation de motivation (arrêt Sodima/Commission, précité, point 41). Selon une jurisprudence constante, la motivation d'un acte doit être adaptée à sa nature et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution. Le respect de telles exigences doit permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de pouvoir défendre leurs droits et à la juridiction compétente d'exercer un contrôle de légalité (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 6 mars 2003, Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission, T-228-99 et T-233-99, Rec. p. II-435, point 278 ; du 14 janvier 2004, Fleuren Compost/Commission, T-109-01, Rec. p. II-127, point 119, et du 7 juin 2006, Österreichische Postsparkasse et Bank für Arbeit und Wirtschaft/Commission, T-213-01, Rec. p. II-1601, point 134).

61. En outre, la Commission n'est pas tenue de prendre position sur tous les arguments que les intéressés ont soumis à l'appui de leur plainte. Il suffit qu'elle expose les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l'économie de la décision (arrêts du Tribunal du 18 septembre 1996, Asia Motor France e.a./Commission, T-387-94, Rec. p. II-961, point 104, et Sodima/Commission, précité, point 44).

62. En l'espèce, s'agissant des arguments par lesquels la requérante reproche à la Commission de n'avoir pas pris position sur toutes les pièces et arguments présentés et d'avoir seulement pris en compte l'arrêt Automec/Commission, précité, il y a lieu de constater que la Commission était seulement tenue d'exposer les considérations juridiques qui revêtaient une importance essentielle pour la prise de décision.

63. En effet, dans la décision attaquée, la Commission a indiqué clairement les motifs concrets du rejet de la plainte, énonçant les raisons spécifiques qui ont déterminé son appréciation.

64. Tout d'abord, il ressort de la décision attaquée que la Commission a considéré que les prétendues infractions n'étaient pas de nature à provoquer des dysfonctionnements du Marché commun. À cet égard, elle a indiqué avec la clarté requise les éléments qui permettaient de conclure à un défaut d'atteinte au commerce entre États membres, notamment le fait que toutes les parties impliquées avaient leur siège et exerçaient leurs activités en Grèce.

65. Ensuite, elle a souligné l'étendue et la complexité des mesures d'instruction, en énonçant précisément les multiples mesures concrètes à entreprendre afin d'établir les ententes et l'abus de position dominante allégués et en relevant la disproportion entre de telles mesures et l'importance de l'infraction.

66. Enfin, la Commission a constaté que la requérante avait la possibilité de saisir les autorités nationales de la concurrence, tout en relevant l'existence d'une compétence partagée entre la Commission et ces autorités dans l'application des articles 81 CE et 82 CE.

67. Il s'ensuit que l'argumentation de la requérante tirée d'un défaut de motivation de la décision de rejet ne saurait être retenue.

68. Partant, le deuxième moyen doit être rejeté.

69. Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté dans son intégralité.

Sur les dépens

70. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) AEPI Elliniki Etaireia pros Prostasian tis Pnevmatikis Idioktisias AE est condamnée aux dépens.