TPICE, 3e ch., 19 juillet 2007, n° T-344/04
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Denis Bouychou
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jaeger
Juges :
M. Azizi, Mme Cremona
Avocats :
Mes Vatier, Verger
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),
Faits à l'origine du litige
1. La société Stardust Marine (ci-après " Stardust ") a été créée en 1989 et s'est développée sur le marché de la plaisance nautique. L'activité de la société était la vente de croisières sur bateaux sans équipage dont elle avait la gestion et qui étaient détenus par des copropriétaires dits " quiritaires ", c'est-à-dire titulaires de parts de copropriétés, ou de quirats, sur les bateaux en question.
2. Altus Finance (ci-après " Altus ") faisant partie du groupe du Crédit Lyonnais, a accordé des financements importants à Stardust jusqu'en 1993 sous forme de prêts directs à la société ainsi que sous forme de garanties octroyées aux quiritaires pour l'acquisition de leurs quirats.
3. Le Crédit Lyonnais ayant enregistré d'importants résultats négatifs en 1992 et en 1993, les autorités françaises ont pris, en 1994, des décisions portant soutien financier en sa faveur. Celles-ci comprenaient, d'une part, une augmentation de capital de 4,9 milliards de francs français (F) et, d'autre part, la prise en charge des risques et des coûts liés aux engagements qui ont ensuite été transférés à une structure spécifique de cantonnement, le Consortium de réalisations (ci-après le " CDR "), filiale à 100 % du Crédit Lyonnais, qui a été créé en 1995 dans le cadre d'une opération dite " de défaisance ". Le CDR a acheté pour environ 190 milliards de francs français d'actifs du Crédit Lyonnais. Conformément au plan de restructuration, tous les actifs concernés devaient être cédés ou liquidés.
4. En 1994, Altus a pris le contrôle de Stardust par la souscription d'une augmentation de capital d'un montant de 44,3 millions de FRF. Lors du plan de défaisance de 1995, Stardust a été cédée au CDR en raison de ses faibles résultats et des pertes prévisibles qu'elle pouvait générer. À partir de ce moment, le Crédit Lyonnais a cessé d'avoir un rôle direct dans la gestion de Stardust en raison de la séparation totale de gestion entre cette dernière et le Crédit Lyonnais.
5. Le CDR a ensuite procédé à des augmentations du capital de Stardust en trois étapes. Une première augmentation de capital, pour un montant total de 112 millions de FRF, a eu lieu en avril 1995. Une deuxième augmentation de capital, de 250,5 millions de FRF, a été décidée en juin 1996 et elle a été effectuée en deux tranches souscrites, respectivement, en juin 1996 et en mars 1997. Enfin, une troisième augmentation de capital a été réalisée en juin 1997, pour un montant de 89 millions de FRF.
6. À la suite de la dernière opération de recapitalisation en juin 1997, la propriété de Stardust (soit 99,9 % du capital de celle-ci) a été cédée par le CDR à la société FG Marine pour un montant de 2 millions de FRF.
7. À la suite d'une plainte dirigée contre la République française concernant les recapitalisations successives de Stardust et les conditions dans lesquelles cette dernière avait été cédée par le CDR à la société FG Marine, la Commission a, le 5 novembre 1997, décidé d'ouvrir la procédure formelle d'examen prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE, en ce qui concerne les mesures de soutien en faveur de Stardust. Elle en a informé la République française par lettre du 8 décembre 1997, en l'invitant à lui fournir tous les renseignements nécessaires à l'instruction de l'affaire.
8. En 1997, la société FG Marine a conclu avec le CDR une convention d'option de vente aux termes de laquelle, en cas de demande de restitution des sommes versées à Stardust par le Groupe du Crédit Lyonnais, FG Marine pourrait revendre au CDR sa participation à Stardust au prix pour lequel celle-ci a été achetée.
9. Le 8 septembre 1999, la Commission a adopté la décision 2000-513-CE concernant les aides accordées par la France à l'entreprise Stardust Marine (JO 2000, L 206, p. 6, ci-après la " décision "). En substance, elle a considéré que divers concours financiers octroyés à Stardust par le groupe Crédit Lyonnais n'avaient pas le caractère de concours financier qu'aurait consentis une banque privée en économie de marché. D'après la Commission, ces mesures de soutien, au-delà de la prudence requise d'un banquier, avaient un caractère d'aides d'État puisque les ressources publiques mobilisées dans le cadre de ce soutien par le canal du Crédit Lyonnais, étaient des ressources d'État au sens de l'article 87 CE (considérant 27 de la décision). Par ailleurs, s'agissant de la période qui a suivi l'opération de cantonnement de 1995, la Commission a considéré que les injections en capital à fonds perdus par le CDR, postérieures au cantonnement sont le coût différé des aides accordées depuis plusieurs années à l'entreprise par l'État sous forme de soutien du Crédit Lyonnais (considérant 58 de la décision).
10. Le dispositif de la décision est libellé comme suit :
" Article premier
Les augmentations de capital de Stardust Marine [...] effectuées par Altus Finance [...] et [...] par le CDR sont des mesures d'aides d'État au sens de l'article 87, paragraphe 1, du traité. Ces mesures, d'une valeur totale actualisée au 31 octobre 1994 de 450,4 millions de FRF, ne peuvent être déclarées compatibles avec le marché commun au sens de l'article 87, paragraphes 2 et 3, du traité et avec l'article 61, paragraphes 2 et 3, de l'accord EEE.
Article 2
La France est tenue d'exiger la restitution par Stardust à l'État, ou au CDR, des 450,4 millions de FRF correspondant au contenu en aides des mesures en question, en valeur actualisée au 31 octobre 1994. S'y ajoutent les intérêts calculés sur ce montant, à compter de cette date, au taux d'intérêt de référence établi par la Commission pour le calcul de l'équivalent-subvention net des aides en France.
Article 3
La France informe la Commission dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision des mesures prises pour s'y conformer.
Article 4
La République française est destinataire de la présente décision. "
11. Le 13 septembre 1999, FG Marine a formalisé la levée d'option et rétrocédé sa participation dans Stardust au CDR pour le prix de 2 millions de FRF (304 898 euro).
12. Le 24 septembre 1999, Stardust a fait une déclaration de cessation de paiement auprès du Tribunal de commerce de Paris aux fins d'ouvrir une procédure de redressement judiciaire.
13. Par jugement du 30 septembre 1999, le Tribunal de commerce de Paris a considéré que Stardust était en état de cessation de paiement et ouvert la procédure de redressement judiciaire.
14. Le 13 octobre 1999, la Commission a notifié la décision aux autorités françaises.
15. Le 20 décembre 1999, la République française a saisi la Cour d'un recours visant à l'annulation de la décision (affaire C-482-99).
16. Les 23 décembre 1999 et 4 janvier 2000, les autorités françaises ont adressé à Stardust un titre de perception ainsi qu'une déclaration définitive de la somme due.
17. Par jugement du 7 février 2000, le Tribunal de commerce de Paris a approuvé un plan de cession d'un montant de 30 222 000 F (4 607 314 euro) portant sur certains éléments de l'actif de Stardust. Ce plan a été présenté par la société anglaise Sunsail International Ltd. Le même jugement a désigné Me Bouychou comme commissaire à l'exécution du plan.
18. Par jugement du 27 novembre 2001, le Tribunal de commerce de Paris a condamné le CDR à payer à la société FG Marine à titre de réparation la somme de 30 222 000 F eu égard aux fautes commises par le CDR. Ce jugement a été infirmé par arrêt de la Cour d'appel de Paris du 16 janvier 2004.
19. Par l'arrêt du 16 mai 2002, France/Commission (C-482-99, Rec. p. I-4397), la Cour a annulé la décision en accueillant deux moyens d'annulation invoqués par la France qui portaient sur la notion d'aide d'État au sens de l'article 87 CE. Le premier moyen était tiré d'une interprétation erronée du critère de l'imputabilité à l'État des mesures de soutien financier prises en faveur de Stardust. Le second était tiré d'une mauvaise application du critère de l'investisseur privé dans une économie de marché.
Procédure et conclusions des parties
20. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 août 2004, le requérant a introduit le présent recours.
21. À la suite de la demande de la Commission, déposée le 19 octobre 2004, le président de la troisième chambre du Tribunal lui a permis de limiter ses mémoires aux principes juridiques concernés dans l'établissement de son éventuelle responsabilité non contractuelle, en particulier, l'exigence de comportements fautifs imputables à la Commission, la nature et les catégories de dommages ainsi que le lien de causalité entre les comportements reprochés et le préjudice allégué, sans se prononcer sur les questions relatives à l'évaluation du montant du dommage.
22. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure prévues à l'article 64 du règlement de procédure du Tribunal, a invité le requérant et la Commission à répondre à certaines questions. Il a été déféré à cette demande dans le délai imparti.
23. Par ordonnance du président de la troisième chambre du Tribunal du 12 janvier 2007, les affaires T-344-04 et T-360-04 ont été jointes aux fins de la procédure orale, conformément à l'article 50 du règlement de procédure.
24. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l'audience du 8 février 2007. À cette occasion, le requérant a déclaré qu'il renonçait au chef de conclusions visant à ce que le Tribunal prononce l'exécution provisoire de l'arrêt à intervenir, ce dont il a été pris acte.
25. Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- constater que la décision est entachée d'illégalité et que cette illégalité est de nature à engager la responsabilité de la Commission en vertu de l'article 288 CE ;
- condamner la Commission à payer à la société Stardust la somme de 112 635 569,73 euro, majorée des intérêts courant à compter de la date d'introduction de la requête ;
- condamner la Commission aux dépens.
26. La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- rejeter le recours comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme non fondé ;
- condamner le requérant aux dépens.
Sur la recevabilité
27. Selon la Commission, le recours est irrecevable au motif que le requérant ne dispose pas de la qualité pour agir. En effet, ce dernier aurait été désigné comme commissaire à l'exécution du plan de cession de Stardust uniquement pour une durée maximale de deux ans. Dès lors que cette cession a été exécutée et que Stardust semble être liquidée, la mission dudit commissaire devrait avoir également pris fin en vertu du code de commerce français.
28. En outre, Stardust n'aurait jamais été obligée de rembourser les sommes correspondant aux aides litigieuses. Dans l'hypothèse où la Commission serait tenue d'indemniser le requérant, celui-ci toucherait, en fait, deux fois les mêmes aides.
29. À cet égard, s'agissant de la qualité pour agir du requérant en tant que commissaire à l'exécution du plan, il y a lieu de relever que le requérant a produit, d'une part, un jugement du Tribunal de commerce de Paris du 18 mars 2002 prorogeant sa mission de commissaire à l'exécution du plan jusqu'à la fin des opérations de répartition des fonds aux créanciers de Stardust et, d'autre part, un arrêt de la Cour de cassation française du 3 mars 1998 selon lequel le commissaire à l'exécution du plan a qualité pour exercer, après le jugement ayant arrêté le plan de cession de l'entreprise, contre toute personne, dans l'intérêt collectif des créanciers, une action en paiement d'une créance ayant son origine antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective.
30. Il s'ensuit que l'argumentation de la Commission tenant au défaut de qualité pour agir du requérant en raison de l'expiration de son mandat de commissaire à l'exécution du plan de cession de Stardust doit être écartée.
31. Par ailleurs, il convient de constater que le requérant réclame à la Commission non pas une somme équivalente au montant des aides dont la récupération avait été exigée, mais l'indemnisation de l'intégralité du dommage qui aurait résulté pour lui de la décision. Or, il résulte des écritures des parties que le dommage dont la réparation est réclamée, à savoir l'intégralité du passif apparu suite à la mise en faillite de Stardust prétendument causée par la décision, soit 112 635 569,73 euro, est distinct de la somme dont la récupération a été ordonnée, soit 68 663 037,36 euro (450,4 millions de FRF).
32. Il s'ensuit que le recours est recevable.
Sur le fond
Observations liminaires
33. Selon une jurisprudence constante, l'engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, au titre des articles 235 CE et 288, deuxième alinéa, CE, suppose que le requérant prouve l'illégalité du comportement reproché à l'institution concernée, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (arrêts de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26-81, Rec. p. 3057, point 16, ainsi que du Tribunal du 11 juillet 1996, International Procurement Services/Commission, T-175-94, Rec. p. II-729, point 44, du 16 octobre 1996, Efisol/Commission, T-336-94, Rec. p. II-1343, point 30, du 11 juillet 1997, Oleifici Italiani/Commission, T-267-94, Rec. p. II-1239, point 20, et du 29 janvier 1998, Dubois et Fils/Conseil et Commission, T-113-96, Rec. p. II-125, point 54).
34. Dès lors que l'une des trois conditions d'engagement de responsabilité extracontractuelle de la Communauté n'est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres conditions (arrêt de la Cour du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C-146-91, Rec. p. I-4199, point 81). Par ailleurs, le juge communautaire n'est pas tenu d'examiner ces conditions dans un ordre déterminé (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C-257-98 P, Rec. p. I-5251, point 16).
35. En l'espèce, il convient d'examiner, en premier lieu, la condition relative à l'existence d'un lien de causalité entre le comportement prétendument fautif de la Commission et le dommage invoqué par le requérant.
Sur le lien de causalité
Arguments des parties
36. Le requérant soutient que le dommage subi par Stardust - à savoir, la perte de crédit provoquée par sa faillite ainsi que l'impossibilité de continuer son exploitation et de faire face à son passif d'exploitation (112 635 569,73 euro) du fait de la cessation de ses paiements - a été directement et exclusivement causé par la décision en ce que celle-ci exigeait la restitution des prétendues aides d'État. En effet, en l'absence de la décision, Stardust aurait pu poursuivre son exploitation bénéficiaire.
37. Selon le requérant, l'ouverture de la faillite de Stardust a entraîné une perte de confiance des investisseurs et a abouti à la cession de l'activité à un prix inférieur à la valeur réelle de l'entreprise et sans apurement du passif. Contrairement à la thèse de la Commission, Stardust n'aurait pas librement décidé de déposer son bilan, mais aurait été légalement tenue de le faire en vertu du code de commerce français.
38. Il ne saurait être reproché à Stardust de ne pas avoir sollicité la suspension de l'exécution de la décision devant le juge communautaire. En effet, pour solliciter une telle suspension, le justiciable devrait également avoir introduit un recours contre l'acte qui lui porte préjudice. Or, à la date de la demande de restitution des prétendues aides d'État, Stardust se serait trouvée en état de cessation des paiements et aurait été tenue de déclarer cet état auprès du tribunal dans les quinze jours. Une demande de mesure provisoire n'aurait pas été efficace dans un tel contexte, car jamais la mesure de suspension de l'exécution de la décision n'aurait pu être prononcée avant l'ouverture de la procédure collective. Par ailleurs, engager l'action en association avec l'État français aurait obligé Stardust à se présenter directement devant la Cour. Ce faisant, elle aurait perdu le bénéfice du double degré de juridiction.
39. La Commission conteste l'existence d'un lien de causalité entre ses prétendues fautes et le préjudice invoqué par le requérant. Ce lien de causalité serait rompu par plusieurs circonstances. Premièrement, Stardust aurait elle-même décidé de se mettre en liquidation alors que les autorités françaises n'avaient même pas émis d'ordre de recouvrement. Deuxièmement, le requérant aurait dû poursuivre la suspension de celle-ci devant le juge des référés. Troisièmement, Stardust n'aurait jamais été obligée de rembourser les prétendues aides d'État. Quatrièmement, il ne serait pas certain que Stardust aurait réussi à se maintenir en activité même en conservant les aides et sans se déclarer en cessation de paiement.
Appréciation du Tribunal
40. Selon une jurisprudence constante en matière de responsabilité non contractuelle de la Communauté, le préjudice allégué doit découler de façon suffisamment directe du comportement reproché, ce dernier devant constituer la cause déterminante du préjudice, alors qu'il n'y a pas d'obligation de réparer toute conséquence préjudiciable, même éloignée, d'une situation illégale (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 4 octobre 1979, Dumortier Frères e.a./Conseil, 64-76 et 113-76, 167-78, 239-78, 27-79, 28-79 et 45-79, Rec. p. 3091, point 21, et arrêt International Procurement Services/Commission, précité, point 55). Il appartient à la partie requérante d'apporter la preuve d'un tel lien de causalité (arrêt du Tribunal du 30 septembre 1998, Coldiretti e.a./Conseil et Commission, T-149-96, Rec. p. II-3841, point 101, et la jurisprudence citée).
41. Il a également été jugé que, lors de l'examen du lien de causalité entre le comportement reproché à l'institution communautaire et le préjudice allégué par la personne lésée, il y a lieu de vérifier si cette dernière, au risque de devoir supporter son dommage elle-même, a fait preuve, en justiciable averti, d'une diligence raisonnable pour éviter le préjudice ou en limiter la portée (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 4 février 1975, Compagnie Continentale/Conseil, 169-73, Rec. p. 117, points 22 et 23, et du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission, C-104-89 et C-37-90, Rec. p. I-3061, point 33 ; arrêt du Tribunal du 24 octobre 2000, Fresh Marine/Commission, T-178-98, Rec. p. II-3331, point 121).
42. Par conséquent, même si le comportement incriminé de l'institution communautaire a contribué à la réalisation du préjudice allégué, ce lien de causalité peut être rompu par un comportement négligent de la personne lésée, dès lors que ce dernier s'avère constituer la cause déterminante du préjudice.
43. Un tel comportement négligent peut notamment consister dans le fait que la personne lésée n'a pas utilisé les voies de droit qui étaient à sa disposition pour éviter le préjudice et qu'elle s'est abstenue d'introduire une demande en référé lui permettant d'obtenir une diminution du préjudice invoqué, pourvu que les conditions dont dépend l'octroi de mesures provisoires soient remplies (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 28 janvier 1999, BAI/Commission, T-230-95, Rec. p. II-123, point 36).
44. En l'espèce, le requérant identifie le fait générateur du préjudice allégué comme étant la décision, dans la mesure où cette dernière aurait provoqué la faillite de Stardust.
45. Afin d'examiner s'il existe un lien direct de cause à effet entre la décision et cette faillite, il convient de rappeler la chronologie des événements pertinents. Dans ce contexte, il est constant que :
- le 8 septembre 1999, la décision a été adoptée par la Commission ;
- le 24 septembre 1999, Stardust a fait une déclaration de cessation de paiement auprès du Tribunal de commerce de Paris aux fins d'ouvrir une procédure de redressement judiciaire ;
- le 30 septembre 1999, le Tribunal de commerce de Paris a jugé que Stardust était en état de cessation de paiement et ouvert la procédure de redressement judiciaire ;
- le 13 octobre 1999, la décision a été notifiée aux autorités françaises ;
- le 20 décembre 1999, la République française a saisi la Cour d'un recours visant à l'annulation de la décision ;
- le 23 décembre 1999 et le 4 janvier 2000, les autorités françaises ont adressé à Stardust un titre de perception ainsi qu'une déclaration définitive de la somme due ;
46. Conformément à l'article 254, paragraphe 3, CE, la décision n'a pris effet que par la notification intervenue le 13 octobre 1999. Il s'ensuit que, à la date du 24 septembre 1999, lorsque Stardust a déclaré la cessation de paiement, la décision n'a pu produire aucun effet juridique.
47. Il convient d'ajouter que la décision n'impose aucune obligation directe de paiement dans le chef de Stardust. En effet, en vertu de l'article 2 de la décision, c'est à la France qu'il appartient d'exiger la restitution par Stardust de la somme de 450,4 millions de FRF. Conformément à l'article 249, quatrième alinéa, CE, la décision est donc obligatoire à l'égard des seules autorités françaises, lesquelles en sont les seules destinataires, étant précisé que lesdites autorités disposaient d'un certain délai pour la mise en œuvre de la restitution (article 3 de la décision) et que celle-ci devait s'opérer selon les modalités du droit national applicable.
48. Il résulte de ce qui précède que, à la date du 24 septembre 1999, la décision ne pouvait juridiquement être considérée comme étant susceptible de provoquer la mise en faillite de Stardust. Il ne saurait notamment être prétendu que la somme à restituer en vertu de la décision ait constitué, à cette date, une dette exigible de Stardust dont les autorités françaises auraient été en droit d'exiger le paiement immédiat.
49. Dans la mesure où le requérant invoque le code de commerce français applicable lors de la survenance des faits, il suffit de relever que, si l'article L. 621-1 de ce Code dispose que la procédure de redressement judiciaire est ouverte aux entreprises qui sont dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec leur actif disponible, la jurisprudence française écarte du passif exigible les créances qui font l'objet de contestations judiciaires, si le litige est sérieux (Cass. com. du 15 avril 1986, Bull. civ., IV, n° 61, et du 22 février 1994, JCP, éd. G, 1995 II 22447). Or, il est évident que doivent être écartées, à plus forte raison, les créances qui, comme en l'espèce, ne sont pas encore exigibles.
50. Cette conclusion n'est pas infirmée par le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 30 septembre 1999, en ce qu'il a tenu compte de " l'information par le trésor public de la décision de la Commission " et considéré que Stardust était " dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible " en ajoutant qu'" un plan de redressement [était] envisageable dans le cas d'un plan de cession compte tenu du passif mis à la charge de la société Stardust par une décision de la Commission ".
51. En effet, le jugement du tribunal de commerce ne fait qu'une référence très vague à la décision. En particulier, il ne comporte nulle part la constatation claire et motivée que, même avant son existence juridique, la décision elle-même donnait naissance à une dette exigible dans le chef de Stardust.
52. À titre surabondant, il convient de relever que, ainsi qu'il ressort de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 16 janvier 2004 (voir point 18 ci-dessus), la société FG Marine, qui détenait 99,9 % du capital de Stardust juste avant la déclaration de cessation des paiements, a elle-même estimé, devant cette cour, que la décision de déclarer la cessation des paiements de Stardust le 24 septembre 1999 était " précipitée " et " injustifiée puisque la société Stardust n'avait pas à cette date à faire face à un passif exigible, aucune poursuite n'ayant encore été engagée ".
53. Le requérant souligne encore que les réalités de l'économie obligeaient Stardust à tenir compte de la décision dès la date de son adoption. En effet, dans la vie des affaires, un opérateur averti devrait être sensible à toute rumeur qui émane des pouvoirs publics et réagir au plus vite pour minimiser les possibles effets préjudiciables sur son entreprise. Ainsi, Stardust aurait été tenue de déclarer la cessation de ses paiements aussitôt que possible.
54. À supposer que le principe d'une telle approche économique puisse être retenu dans le présent contexte, il importe de relever que le requérant n'a apporté aucun élément de preuve permettant de considérer que le fait pour Stardust de déclarer la cessation de paiement le 24 septembre 1999 était la réaction raisonnable d'un opérateur averti et diligent face à l'information selon laquelle la décision avait été adoptée le 8 septembre 1999.
55. Au contraire, premièrement, un opérateur averti et diligent se garderait de faire aveu de cessation de paiement sur la foi d'une simple rumeur quant à l'adoption ou à la notification imminente de la décision, sans même en connaître le contenu avec précision et certitude.
56. Deuxièmement, à supposer qu'un tel opérateur ait disposé du texte intégral de la décision, il aurait pu constater, le cas échéant avec l'assistance d'un conseil, d'une part, que la décision ne créait aucune obligation directe de paiement à son égard.
57. D'autre part, il aurait pu observer que, en vertu de la décision (article 3), les autorités françaises disposaient d'un certain délai pour la mise en œuvre de la restitution. Par ailleurs, en pratique, après la notification d'une décision de récupération notifiée par la Commission à l'État concerné, de nombreux mois peuvent s'écouler sans que des mesures soient prises par l'État en question en vue d'obtenir la restitution exigée en vertu de la décision litigieuse.
58. Enfin, il aurait pu se rendre compte que, en vertu de l'article 254, paragraphe 3, CE, la décision ne prendrait effet que par sa notification aux autorités françaises.
59. Dans ces circonstances, un opérateur averti et diligent aurait pris contact avec les autorités françaises afin de se renseigner sur la date de notification de la décision et, notamment, sur la question de savoir si ces autorités entendaient s'y conformer en procédant immédiatement au recouvrement de la somme à restituer ou si elles envisageaient, au contraire, de contester la décision devant la Cour. Cette dernière alternative était loin d'être purement hypothétique, d'autant plus que, selon le requérant, la décision est entachée de plusieurs erreurs graves et manifestes de la Commission.
60. Cela est d'ailleurs confirmé par le fait que, en l'espèce, les autorités françaises ont, d'une part, contesté la légalité de la décision devant la Cour et n'ont, d'autre part, jamais procédé au recouvrement forcé de la somme dont la restitution par Stardust a été imposée à la République française. En effet, il est constant que cette somme n'a jamais été restituée à l'État français, la décision ayant entre-temps été annulée par l'arrêt de la Cour du 16 mai 2002.
61. En tout état de cause, dans l'hypothèse où les contacts avec les autorités françaises se seraient avérés infructueux, un opérateur averti et diligent aurait saisi soit le juge national d'une action visant à empêcher un éventuel recouvrement forcé de la somme à restituer, soit le juge communautaire d'un recours, au titre de l'article 230, quatrième alinéa, CE, visant à l'annulation de la décision, assorti, le cas échéant, d'une demande en référé au titre des articles 242 et 243 CE. Le requérant n'a pas affirmé, et encore moins établi, que ces voies de droit n'auraient pas été accessibles à Stardust avant une quelconque déclaration de cessation de paiement.
62. Par conséquent, il ne saurait être considéré que le comportement de Stardust - consistant à faire aveu de cessation de paiement alors qu'elle ne faisait l'objet d'aucune demande de remboursement des aides, mais que, en outre, la décision n'avait pas encore été notifiée aux autorités françaises - est celui qu'un opérateur averti et diligent aurait adopté.
63. Contrairement à la thèse défendue par le requérant, la faillite de Stardust ne saurait donc être considérée comme la conséquence directe de la décision, le préjudice invoqué étant imputable au seul comportement de Stardust.
64. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'existe pas de lien de causalité direct entre le comportement reproché à la Commission et le préjudice allégué. Dès lors, le recours doit être rejeté, sans qu'il soit nécessaire d'examiner, d'une part, la question de savoir si les vices entachant la décision constituent une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire et, d'autre part, celle relative à la réalité du préjudice.
Sur les dépens
65. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions en ce sens de la Commission.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre),
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté comme non fondé.
2) Le requérant est condamné aux dépens.