Cass. soc., 12 juillet 2007, n° 06-40.248
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Régie Networks (SA)
Défendeur :
Daulouède, ASSEDIC Aquitaine
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
M. Texier (faisant fonction, rapporteur)
Avocat général :
M. Foerst
Avocats :
SCP Gatineau, SCP Massen-Dessen, Thouvenin
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 14 novembre 2005), que Mme Daulouède a été engagée par la société Régie Networks, en qualité d'attachée technico-commerciale, pour exercer ses fonctions à Pau, à compter du 24 novembre 1997 ; qu'elle a été mutée à compter du 14 septembre 1998 à Bordeaux, par un contrat, suivi de plusieurs avenants ; qu'elle a été licenciée le 18 juillet 2000 et a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes ;
Sur le premier moyen : - Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt d'avoir dit que la salariée était fondée à se prévaloir du statut de VRP et de l'avoir, en conséquence, condamné à lui verser diverses sommes à ce titre, alors, selon le moyen : 1°) qu'un salarié dont la zone d'activité peut varier et varie effectivement selon les besoins de l'employeur ne satisfait pas aux conditions du statut de VRP ; qu'en l'espèce, il résulte du contrat de travail que Mme Daulouède a été embauchée le 19 novembre 1997 en qualité d'attaché commercial exerçant à titre principal ses fonctions sur la ville de Pau, étant expressément précisé que "compte tenu de la nature de l'activité de la société, l'attaché commercial pourra être amené à effectuer des déplacements ou des missions, quelle que soit leur durée, en France comme à l'étranger, ce qu'il accepte expressément par avance. L'attaché commercial pourra en outre, pour quelque durée que ce soit, être mis à disposition de manière partielle ou totale, temporaire ou permanente, d'une ou plusieurs sociétés du groupe auquel appartient la société ; qu'il résulte encore des termes de l'arrêt que le secteur de Mme Daulouède a effectivement varié, ayant été mutée en région bordelaise en septembre 1998 puis s'étant vue affecter un secteur d'activité modifié à deux reprises ; qu'en octroyant néanmoins le statut de VRP à Mme Daulouède tout en relevant qu'il était contractuellement prévu que sa zone d'activité pouvait varier, et qu'elle avait effectivement varié selon les besoins de l'employeur à 3 reprises en 2 ans et demi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l'article L. 751-1 du Code du travail ; 2°) que la clause de mobilité prévue au contrat est valide ; que sa mise en œuvre est opposable au salarié et ne nécessite pas son accord, sauf à ce dernier de démontrer que cette décision a en réalité été prise pour des raisons étrangères à cet intérêt, ou bien a été mise en œuvre dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle ou encore a entraîné une modification de la rémunération ; qu'en affirmant que l'employeur ne pouvait valablement invoquer la clause de mobilité figurant au contrat de travail sans l'accord de Mme Daulouède, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; 3°) que la prise d'ordre est une condition nécessaire du statut de VRP ; que ne peut prétendre au statut de VRP le salarié qui se contente de transmettre à sa direction des ordres potentiels, lesquels sont effectivement et définitivement pris que par son supérieur hiérarchique ; qu'en l'espèce, il résulte des termes de l'arrêt que Mme Daulouède ne prenait que des ordres potentiels, lesquels ne devenaient définitifs qu'une fois signés et avalisés par le supérieur hiérarchique ; qu'en accordant néanmoins le statut de VRP à Mme Daulouède quand il résultait de ses propres constatations qu'elle n'avait pas le pouvoir d'engager son employeur, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l'article L. 751-1 du Code du travail ; 4°) que le statut de VRP ne saurait résulter du fait que le salarié bénéficie d'un abattement de 30 % pour les frais professionnels ; que cet abattement forfaitaire tel qu'il résulte de l'article 5 de l'annexe IV du Code général des impôts bénéficie non seulement aux VRP, mais à de nombreuses autres professions dont les "représentants en publicité" ; qu'en accordant le statut de VRP à Mme Daulouède au motif inopérant qu'elle bénéficiait d'un abattement de 30 %, la cour d'appel a violé l'article L. 751-1 du Code du travail ; 5°) qu'en matière prud'homale, la preuve est libre et peut être administrée par voie d'attestations, même si elles émanent de personnes ayant un lien de subordination avec les parties ; qu'en déclarant par principe non probantes les attestations établies par la société Régie Networks au prétexte qu'elles émanaient de supérieurs hiérarchiques de la salariée, la cour d'appel a violé les articles 1315 et 1341 du Code civil et l'article 202 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel a relevé, par motifs propres et adoptés, que le contrat de travail conclu entre les parties attribuait à Mme Daulouède le secteur de prospection de la ville de Pau et qu'elle s'était vue affecter ensuite un autre secteur précis en région bordelaise, modifié par la suite à deux reprises ; qu'elle a pu en déduire, sans encourir les griefs du moyen que la clause de mobilité insérée au premier contrat était nulle dès lors qu'un secteur avait été initialement fixé et que les conditions d'exercice du travail de la salariée répondaient aux prescriptions de l'article L. 751-1 du Code du travail ;
Attendu, ensuite, que la cour d'appel a constaté que la salariée prospectait, négociait avec les clients et prenait des commandes, c'est-à-dire des ordres effectifs ; qu'elle a ainsi, appréciant les éléments de preuve versés aux débats et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la quatrième branche du moyen, légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen : - Attendu que l'employeur reproche à l'arrêt de l'avoir condamné à payer à la salariée des sommes à titre d'indemnité complémentaire de préavis et congés payés afférents, d'indemnité de clientèle, alors, selon le moyen : 1°) que les juges ne peuvent dénaturer les conclusions des parties ; qu'en page 21 de ses conclusions, la société Régie Networks exposait "on rappellera que l'application de l'article L. 751-9 du Code du travail impose à celui qui prétend à l'indemnité de clientèle de rapporter la preuve soit d'un apport personnel de clientèle, soit d'une création, soit d'un développement. Qu'à ce titre, il incombe au salarié de rapporter la preuve de l'argumentation et d'établir la part qui lui revient personnellement, ainsi que l'importance en nombre et en valeur de la clientèle développée par lui. La cour observera la carence de Mme Daulouède dans l'administration de la preuve tant en nombre qu'en valeur" ; qu'il résultait clairement des conclusions de la société Régie Networks que celle-ci contestait le principe même d'un quelconque apport, création ou développement en nombre et en valeur de la clientèle par Mme Daulouède, d'ailleurs licenciée pour insuffisance professionnelle ; qu'en affirmant néanmoins qu'elle ne contredisait pas la salariée lorsque celle-ci affirmait avoir créé et fidélisé sur le secteur bordelais une nouvelle clientèle constituée d'importantes enseignes, lorsque précisément elle reprochait à la salariée de ne pas apporter la preuve de ses affirmations, la cour d'appel a violé les articles 1134 du Code civil, 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ; 2°) que les juges ne peuvent condamner une société à payer une indemnité de clientèle sans préciser l'importance en nombre et en valeur de la part de cette clientèle créée et développée par le représentant, ni sans rechercher si les clients démarchés par le représentant renouvelaient leurs commandes assez fréquemment pour que l'intéressé puisse éprouver un préjudice du fait de la perte pour l'avenir du bénéfice de cette clientèle ; qu'en se contentant en l'espèce d'accorder une indemnité de clientèle au salarié au seul vu du chiffre d'affaires réalisé par la société sur certaines enseignes sans préciser l'importance en nombre et en valeur de la part créée ou développée par Mme Daulouède ni rechercher si les clients avaient renouvelé leur commande, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 751-9 du Code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel a relevé que Mme Daulouède avait créé et développé une clientèle sur le secteur bordelais, dont l'employeur ne contestait que l'importance et la valeur ; qu'elle a évalué le montant de l'indemnité de clientèle au vu des éléments de preuve versés aux débats ; que le moyen, qui ne tend qu'à remettre en discussion, devant la Cour de cassation, ces éléments de fait et de preuve souverainement appréciés par les juges du fond, ne saurait être accueilli ;
Sur le troisième moyen : - Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné à verser à Mme Daulouède des dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 122-14-4 du Code du travail, alors, selon le moyen : 1°) que la modification du secteur d'un attaché commercial n'est susceptible de priver de cause le licenciement pour insuffisance professionnelle que si elle a rendu l'objectif à atteindre irréaliste ; qu'en se contentant en l'espèce d'affirmer que nulle insuffisance professionnelle ne pouvait être reprochée à Mme Daulouède dès lors que l'employeur avait modifié son secteur, sans rechercher si en dépit de cette modification l'objectif attribué n'en était pas moins réalisable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 122-14-4 du Code du travail ; 2°) que les juges sont tenus de répondre aux moyens développés par les parties ; qu'en l'espèce, pour caractériser le caractère objectif et réaliste de l'objectif de Mme Daulouède, la société Régie Networks établissait, productions à l'appui, que l'objectif qui lui avait été attribué était parmi les plus faibles de la société ; qu'en se contentant, pour dire l'insuffisance professionnelle non établie, d'affirmer qu'un tiers des salariés ne parvenait pas à atteindre leurs objectifs, sans rechercher ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si Mme Daulouède n'avait pas un objectif plus faible qu'eux, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 3°) que les juges doivent préciser les documents sur lesquels ils fondent leur affirmation ; qu'en se contentant d'affirmer que l'attribution du client Interama à Mme Daulouède n'avait compensé que partiellement le retrait d'autres clients, sans préciser les documents sur lesquels elle s'est fondée pour l'affirmer, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel a relevé que les objectifs assignés à la salariée étaient peu réalistes et réalisables, dès lors qu'elle avait été privée par l'employeur d'une partie de son secteur et que l'attribution du client Interama n'avait compensé que partiellement le retrait d'autres clients ; que le moyen, qui ne tend qu'à remettre en discussion, devant la Cour de cassation, cette appréciation souveraine par les juges du fond des éléments de fait et de preuve, ne saurait être accueilli ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.