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Décisions

CA Paris, 25e ch. B, 23 février 2007, n° 04-16524

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Promoporte (SARL)

Défendeur :

Barandiaran

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jacomet

Conseillers :

M. Laurent-Atthalin, Mme Delmas-Goyon

Avoués :

SCP Monin-d'Auriac de Brons, SCP Bolling-Durand-Lallement

Avocats :

Mes Harnay, Clerc, Delcros

T. com. Paris, 5e ch., du 28 mai 2004

28 mai 2004

Invoquant la rupture, selon lui abusive, d'un contrat dit de concession de distribution par lequel la société Promoporte lui a confié le portage de divers quotidiens au domicile des abonnés, dans les 5e, 6e et 7e arrondissements de Paris, et l'organisation de ce portage, Jaime Barandiaran sollicite des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture ainsi que le remboursement de pénalités qui auraient été indûment retenues sur sa rémunération;

Par jugement du 28 mai 2004, le Tribunal de commerce de Paris a condamné la société Promoporte à lui payer les sommes de 86 655 euro à titre de dommages et intérêts, 21 000 euro à titre de restitution des pénalités non justifiées, ainsi que 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Au soutien de sa décision, le tribunal a essentiellement retenu que :

la société Promoporte ne justifie pas de la dégradation de la qualité des prestations durant les treize années de collaboration entre les parties, ses courriers des 14 janvier 1991, 28 décembre 1992, 30 août 1999 et 5 octobre 1999 ne l'ayant pas empêchée de renouveler régulièrement le contrat établi en 1989 et même de procéder à la rédaction d'un nouveau contrat, signé le 1er mars 2000 et renouvelé le 1er mars 2001,

c'est à tort que la société Promoporte fait valoir un conflit interne entre Jaime Barandiaran et deux de ses salariés dès lors qu'en application du contrat, le concessionnaire fait son affaire personnelle de l'exploitation de son entreprise,

un seul porteur a sollicité de quelques abonnés de son secteur des étrennes de fin d'année, ce manquement pouvant entraîner tout au plus un avertissement au salarié, mais pas la résiliation du contrat,

du fait des clauses d'exclusivité de son activité et de non-concurrence, Jaime Barandiaran était sous l'entière dépendance de la société Promoporte,

la société Promoporte ne démontre pas l'existence d'une faute lourde de Jaime Barandiaran et, au surplus, n'a pas respecté les dispositions de la clause de résiliation pour faute de l'article 18-1, en sorte que la résiliation du contrat au 28 février 2002 est abusive, à ses torts exclusifs, les dommages et intérêts alloués étant équivalents à la rémunération annuelle calculée sur la moyenne des trois dernières années,

la société Promoporte ne démontre pas le bien fondé des pénalités appliquées pour le 4e trimestre 2001, dès lors que celles-ci résultent du nombre de réclamations d'abonnés inscrites sur une liste établie unilatéralement par elle, qu'il ressort de l'analyse des listes produites que celles-ci sont peu fiables et que de toute évidence, de nombreuses pénalités ont été décomptées pour cette période sans qu'elles soient justifiées, la société Promoporte étant condamnée à restituer à Jaime Barandiaran la somme de 21 000 euro à titre de pénalités non justifiées, calculée à partir d'une moyenne des pénalités appliquées en période de collaboration sereine;

Vu les conclusions déposées le 9 janvier 2007 par la société Promoporte, appelante en principal et intimée incidemment, aux termes desquelles, reprenant la thèse soutenue en première instance, elle fait valoir pour l'essentiel que :

elle a fait application des cas de rupture contractuellement prévus à savoir, d'une part, l'article 2 relatif à la durée, le contrat se renouvelant par tacite reconduction pour des périodes successives d'une année sauf dénonciation dans un délai de trois mois avant l'expiration de la période contractuelle en cours, d'autre part, l'article 18-1 qui lui donnait la faculté de résilier le contrat de plein droit quinze jours après mise en demeure d'en respecter les obligations restée infructueuse, outre la résiliation du contrat pour cause d'inexécution par Jaime Barandiaran de ses obligations contractuelles en application de l'article 1184 du Code civil,

en effet, Jaime Barandiaran a manqué à son obligation contractuelle de résultat consistant à faire parvenir quotidiennement à l'ensemble des abonnés de son territoire les produits qui lui ont été confiés, selon les modalités précisées et avec un taux de qualité acceptable, étant précisé qu'aux termes du contrat, un pourcentage de pénalités supérieur à 0,59 % pouvait conduire à la résiliation du contrat pour inexécution en application de l'article 18-1,

c'est ainsi qu'un taux important de réclamations a été enregistré, au titre de mauvais dépôts, mauvaises heures de livraison, réassorts non effectués et réitérations de réclamations, justifiant la résiliation du contrat, le taux de pénalités étant largement supérieur au taux de 0,59 % précité, que les plaintes des abonnés n'ont pas été prises en considération par Jaime Barandiaran de manière à résoudre les problèmes, étant précisé que le système de pénalités mis en œuvre depuis le début de leur collaboration n'a jamais été remis en cause par lui,

les rapports des contrôles effectués durant les mois d'octobre et novembre 2001 ont révélé les carences de l'organisation mise en place par Jaime Barandiaran, qui avaient nécessairement une répercussion sur le service rendu,

Jaime Barandiaran a également manqué à ses obligations contractuelles en matière de gestion de son personnel et d'organisation, les porteurs s'étant adressés à elle en qualité d'arbitre en raison des lacunes de leur employeur,

enfin, certains de ses porteurs ont violé l'interdiction contractuelle de contact direct avec les abonnés afin de solliciter des étrennes;

Elle demande en conséquence à la cour, infirmant le jugement déféré, de dire bien fondée la rupture du contrat pour cause d'inexécution, par Jaime Barandiaran, de ses obligations contractuelles et de le débouter de l'ensemble de ses demandes;

Vu les conclusions déposées le 17 janvier 2007 par Jaime Barandiaran, intimé en principal et appelant incidemment, par lesquelles il conteste les manquements contractuels qui lui sont reprochés et soutient pour l'essentiel que :

il n'a commis aucune faute de nature à permettre la résiliation du contrat, étant observé, surabondamment, que la société Promoporte n'a pas même respecté les modalités contractuelles de l'article 18-1,

à l'évidence, la société Promoporte a cherché à constituer un dossier pour tenter de justifier son éviction en, à défaut d'éléments, envoyant un inspecteur qui s'est fait passer pour une personne à la recherche d'un emploi pour traquer la moindre faute, et en faisant brutalement et abusivement progresser les pénalités au dernier trimestre 2001 de manière à justifier la résiliation, la détérioration des relations datant du changement de direction de cette société;

il demande à la cour de condamner la société Promoporte à lui payer les sommes de 31 379,09 euro à titre de restitution des pénalités indues, 186 239,63 euro à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat, soit deux années de bénéfices moyens, ainsi que 7 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Sur ce, LA COUR,

Considérant que pour un exposé complet des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère aux énonciations du jugement déféré et aux écritures ci-dessus visées;

Considérant, tout d'abord, que si le contrat conclu entre les parties ne saurait être qualifié de contrat de concession, s'agissant de prestations de service, il ne permet pas non plus de caractériser un mandat d'intérêt commun, ainsi que le suggère Jaime Barandiaran, les prestations effectuées par lui ne constituant pas des actes juridiques et ne comportant pas le pouvoir de représenter la société Promoporte;

Qu'il s'agit d'un contrat d'entreprise, conclu pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction pour des périodes d'une année, que la société Promoporte avait la faculté, soit de ne pas renouveler, sans motif, à condition de respecter un préavis suffisant tenant compte de l'ancienneté des relations commerciales - en l'espèce treize ans - soit, le cas échéant, de résilier en raison de l'inexécution, par Jaime Barandiaran, de ses obligations contractuelles, après mise en demeure restée infructueuse, en conformité avec les dispositions de l'article 18-1 du contrat;

Considérant, à cet égard, que par lettre du 18 décembre 2001, la société Promoporte a notifié à Jaime Barandiaran la rupture du contrat, en application de l'article 18-1 précité, avec effet au 1er mars 2002;

Qu'elle invoque, d'une part, une dégradation constante de la qualité de la prestation de portage depuis plusieurs mois, un état récapitulatif des taux de réclamation depuis le 1er janvier 2001 concernant son secteur étant joint, d'autre part, trois lettres recommandées des 15 novembre, 5 décembre et 14 décembre 2001 le mettant en demeure de régler sans délai les litiges l'opposant à trois de ses porteurs de manière à ce qu'elle ne soit pas recherchée ou inquiétée, enfin, des plaintes de certains abonnés concernant une demande d'étrennes de l'un des porteurs pour le service rendu durant l'année, en violation des dispositions contractuelles;

Or considérant, en premier lieu, que la société Promoporte n'a pas respecté les dispositions de l'article 18-1 du contrat dès lors qu'à l'exception des litiges opposant Jaime Barandiaran à deux de ses porteurs, objet de ses lettres des 15 novembre et 5 décembre 2001, elle s'est abstenue de délivrer les mises en demeures prévues à cet article et de laisser à Jaime Barandiaran un délai de quinze jours pour lui permettre de satisfaire aux dites mises en demeure en conformité avec les dispositions contractuelles;

Que s'agissant du conflit ayant opposé Jaime Barandiaran à ses deux salariés, la société Promoporte n'allègue pas qu'elle aurait été recherchée ou inquiétée à ce sujet, hormis une lettre et quelques communications téléphoniques qui ne sauraient caractériser une violation des dispositions contractuelles;

Considérant, en second lieu, que c'est par d'exacts motifs que les premiers juges n'ont pas retenu le grief relatif à une sollicitation d'étrennes de la part de l'un des porteurs comme une inexécution du contrat suffisamment grave pour justifier la résiliation;

Considérant, enfin, que le tribunal a exactement retenu que la société Promoporte ne justifie pas des manquements allégués quant à la qualité des prestations de Jaime Barandiaran;

Que c'est ainsi que les états récapitulatifs des réclamations qui auraient été reçues ne permettent pas de justifier un taux de livraisons défectueuses, et donc un taux de pénalités, supérieur à 0,59 % au cours de l'année 2001, ouvrant droit à la résiliation du contrat en application de l'article 18-1, ainsi que le soutient l'appelante, dès lors qu'ils ont été établis unilatéralement sans aucun contrôle, que les pénalités relatives à l'année 2001 sont contestées par Jaime Barandiaran, la circonstance qu'il n'ait antérieurement jamais contesté le système de pénalités étant inopérante au vu de l'augmentation très sensible des pénalités infligées à la fin de l'année 2001 par rapport aux années précédentes, que l'examen des pièces produites montre des incohérences dans le détail des réclamations de l'année 2001 tel qu'il figure sur les états récapitulatifs et sur les factures de Jaime Barandiaran, dont il n'est pas contesté qu'elles ont été établies par la société Promoporte;

Qu'en outre, les rapports des contrôles opérés par la société Promoporte au cours des mois d'octobre et novembre 2001 dont, au demeurant, le caractère dissimulé ne procède pas d'une exécution de bonne foi d'une faculté qui lui était contractuellement ouverte, ne mettent en évidence, en tout état de cause, ni manquement de Jaime Barandiaran à ses obligations contractuelles, ni déficiences du service rendu, n'étant pas démontré que les anomalies relevées, telles le caractère jugé insolite des lieux de rendez-vous des porteurs ou le non-respect de la réglementation relative à la déclaration d'embauche, aient nui à la qualité des prestations fournies;

Qu'ils révèlent au contraire des exemples d'insuffisance du nombre d'exemplaires de produits livrés par la société Promoporte pour distribution, ou de retard dans ces livraisons, ce qui est de nature à expliquer certaines des réclamations des abonnés, dont Jaime Barandiaran ne peut être tenu responsable;

Considérant, enfin, qu'à défaut de justifier d'inexécutions du contrat caractérisant un motif légitime de résiliation, la société Promoporte serait en tout état de cause en droit de se prévaloir de la faculté qui lui était ouverte de ne pas renouveler le contrat;

Mais considérant, d'une part, qu'elle n'a pas même respecté le préavis contractuel de dénonciation de trois mois, d'autre part et surtout, qu'en application des dispositions de l'article L. 442-6 I 5°, ce délai est nettement insuffisant au regard de la durée de la relation commerciale, le contrat s'étant renouvelé d'année en année pendant treize ans, et de la dépendance économique dans laquelle Jaime Barandiaran se trouvait à son égard, en raison, notamment, des dispositions contractuelles relatives à l'exclusivité de son activité pendant la durée du contrat et, lors de sa rupture, à l'interdiction d'exercer une activité similaire dans Paris et la région parisienne pendant une période de deux ans;

Qu'au vu des éléments fournis, il apparaît que la société Promoporte aurait dû respecter un préavis de deux ans, ainsi que le soutient Jaime Barandiaran;

Considérant, dès lors, que c'est par d'exacts motifs que le tribunal a condamné la société Promoporte à payer à Jaime Barandiaran la somme de 21 000 euro à titre de restitution des pénalités non justifiées retenues sur sa rémunération de l'année 2001, le jugement étant confirmé de ce chef;

Que la brusque rupture du contrat, avec un préavis de seulement deux mois et demi, a entraîné pour Jaime Barandiaran un préjudice qui peut être évalué à la perte de 21,5 mois de bénéfice moyen à savoir, au vu de ses déclarations fiscales de bénéfices pour les années 2000 et 2001, bénéfices auxquels il convient d'ajouter la somme de 21 000 euro au titre des pénalités indûment retenues, la somme de (98 859 + 69 330 + 21 000) x 21,5/24 =) 169 481,81 euro, le jugement étant réformé de ce seul chef;

Considérant, par ailleurs, qu'il convient de condamner la société Promoporte à verser à Jaime Barandiaran une indemnité complémentaire de 3 000 euro pour les frais exposés par lui en cause d'appel, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Que la société Promoporte sera condamnée aux dépens de l'appel;

Par ces motifs, Confirme le jugement déféré, sauf sur le montant des dommages et intérêts, Statuant à nouveau de ce chef, Elève à 169 481,81 euro le montant des dommages et intérêts que la société Promoporte est condamnée à payer à Jaime Barandiaran, Et, y ajoutant, Condamne la société Promoporte à payer à Jaime Barandiaran une indemnité de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette toute autre demande des parties, Condamne la société Promoporte aux dépens de l'appel, et admet la SCP Bolling Durand Lallemand, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.