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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 22 février 2006, n° 05-07367

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Springfield France (SAS), Cortefiel France (SA)

Défendeur :

Naf Naf Distribution BV (Sté), Etablissement Charles Chevignon (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Carre-Pierrat

Conseillers :

Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland

Avoués :

Me Teytaud, SCP Bernabe-Chardin-Chevillier

Avocats :

Mes Lavergne, Lilti

T. com. Paris, du 4 mars 2005

4 mars 2005

Vu l'appel interjeté le 29 mars 2005, par la société Cortefiel et la société Springfield d'un jugement rendu le 4 mars 2005 par le Tribunal de commerce de Paris qui a:

* dit le modèle GASP/Bi Touch des sociétés Etablissements Charles Chevignon et Naf Naf Distribution original et digne de la protection des Livres I et III du Code de la propriété intellectuelle,

* dit les sociétés Cortefiel France et Springfield France coupables d'actes de contrefaçon au préjudice des sociétés Etablissements Charles Chevignon et Naf Naf Distribution,

* dit les sociétés Cortefiel France et Springfield France coupables d'actes de concurrence déloyale au préjudice des sociétés Etablissements Charles Chevignon et Naf Naf Distribution,

* ordonné la cessation, sous astreinte définitive de 150 euro par jour de retard, de toute importation, exportation, fabrication, diffusion du modèle contrefaisant,

* ordonné la confiscation et la remise des stocks contrefaisants en quelques lieux qu'ils se trouvent,

* condamné les sociétés Cortefiel France et Springfield France conjointement et solidairement à payer aux sociétés Etablissements Charles Chevignon et Naf Naf Distribution la somme de 250 000 euro à titre de dommages et intérêts tous préjudices confondus,

* ordonné la publication du jugement dans quatre journaux dont le Journal du Textile aux frais des défenderesses sans que le coût de chaque publication ne puisse excéder la somme de 3 500 euro HT,

* condamné in solidum les sociétés Cortefiel France et Springfield France à payer aux demanderesses la somme de 7 500 euro au titre des frais irrépétibles;

Vu les uniques écritures en date du 29 juillet 2005, par lesquelles les sociétés Cortefiel France et Springfield France, poursuivant l'infirmation de la décision entreprise, demandent à la cour de:

* dire que le blouson GASP/Bi Touch n'est pas un original digne de la protection des Livres I et III du Code de la propriété intellectuelle,

* dire qu'elles ne se sont pas rendues coupables de contrefaçon et d'actes de concurrence déloyale au préjudice des sociétés Etablissements Charles Chevignon et Naf Naf Distribution,

* dire que les sociétés Etablissements Charles Chevignon et Naf Naf Distribution n'ont subi aucun préjudice,

* débouter les sociétés Etablissements Charles Chevignon et Naf Naf Distribution de leurs demandes,

* condamner conjointement les sociétés Etablissements Charles Chevignon et Naf Naf Distribution au paiement de la somme de 50 000 euro pour chacune à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de la somme de 6 000 euro pour chacune par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les uniques écritures en date du 28 octobre 2005, aux termes desquelles les sociétés Etablissements Charles Chevignon et Naf Naf Distribution prient la cour de confirmer la décision entreprise, sauf sur le montant des dommages et intérêts et statuant à nouveau, de:

* condamner conjointement et solidairement les sociétés Cortefiel France et Springfield France à payer à la société Naf Naf Distribution la somme provisionnelle de 150 000 euro au titre de l'atteinte patrimoniale au modèle original, à l'image de marque et à l'enseigne Chevignon,

* condamner conjointement et solidairement les sociétés Cortefiel France et Springfield France à payer à la société Naf Naf Distribution la somme provisionnelle de 255 070 euro au titre du profit illicite et du manque à gagner résultant de la contrefaçon,

* condamner conjointement et solidairement les sociétés Cortefiel France et Springfield France à leur payer la somme provisionnelle de 300 000 euro à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et parasitaire,

* condamner conjointement et solidairement les sociétés Cortefiel France et Springfield France à payer, à chacune d'elles, la somme de 20 000 euro au titre des frais irrépétibles;

Sur ce, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu'il suffit de rappeler que:

* la société Naf Naf Distribution a pour activité la commercialisation de vêtements de prêt à porter,

* par acte du 1er septembre 1994, elle a acquis de la société Etablissements Charles Chevignon les marques Chevignon, Charles Chevignon,

* par acte du même jour, elle a concédé à la société Etablissements Charles Chevignon une licence d'exploitation de la marque Chevignon,

* la société Naf Naf Distribution est titulaire des droits de création et d'exploitation des modèles diffusés sous cette marque et commercialisés par la société Etablissements Charles Chevignon,

* elle revendique des droits sur la création d'un modèle de blouson, référencé GASP/Bi Touch dans la collection de la société Etablissements Charles Chevignon automne-hiver 2002/2003,

* reprochant à la société Springfield France, filiale de la société Cortefiel France, de commercialiser un blouson, reproduisant, selon elle, les caractéristiques du modèle GASP/Bi Touch, la société Naf Naf Distribution a fait pratiquer quatre saisies-contrefaçon:

- la première, le 3 novembre 2003, dans une boutique Springfield située au Forum des Halles à Paris,

- la deuxième, le 3 novembre 2003, dans une boutique Springfield située au centre commercial les Quatre Temps à La Défense,

- la troisième, le 3 novembre 2003, dans un magasin situé boulevard de la Madeleine à Paris,

- la quatrième, le 14 novembre 2003, au siège social de la société Cortefiel France,

* dans ces circonstances, les sociétés Etablissements Charles Chevignon et Naf Naf Distribution ont assigné les sociétés Cortefiel France et Springfield France en contrefaçon et concurrence déloyale;

Sur la protection du modèle:

Considérant que la société Naf Naf Distribution caractérise le modèle de blouson GASP/Bi Touch, du genre "doudoune", par la combinaison:

- d'une fermeture à glissière sur le devant,

- une face avant en nylon matelassé, comportant quatre surpiqûres horizontales,

- un dos et des manches en maille côtelée,

- un col droit de la même matière que la face avant;

Considérant que pour s'opposer au grief de contrefaçon, les sociétés Cortefiel France et Springfield France prétendent que ce modèle de blouson n'est ni nouveau, ni original;

Mais considérant que le vêtement vendu sous la marque Burberry au cours de la saison automne/hiver 2000/2001 se distingue du modèle revendiqué en ce qu'il ne présente pas l'aspect matelassé des "doudounes", de telle sorte qu'il en résulte une impression visuelle d'ensemble différente;

Qu'il en est de même du modèle présenté à la vente dans le catalogue La Redoute automne/hiver 2001/2002, lequel est un gilet polaire;

Que par voie de conséquence, la combinaison revendiquée ne se retrouve dans aucun des modèles qui sont opposés et résulte, au contraire, d'un processus créatif qui porte l'empreinte de la personnalité de son auteur;

Que le modèle litigieux est donc protégeable au titre du Livre I du Code de la propriété intellectuelle;

Sur la contrefaçon:

Considérant qu'il résulte de l'examen des blousons, auquel la cour a procédé, que celui commercialisé par les sociétés Cortefiel France et Springfield France reproduit les caractéristiques du modèle, une fermeture à glissière sur le devant, une face avant en nylon matelassé, comportant quatre surpiqûres horizontales, des manches en maille côtelée, un col droit de la même matière que la face avant;

Que la seule différence liée à l'absence de maille côtelée au dos du blouson est sans effet sur la contrefaçon, à défaut d'affecter l'impression d'ensemble qui se dégage des modèles en présence;

Que de sorte, la décision entreprise, qui a retenu des actes de contrefaçon au préjudice de la société Naf Naf Distribution, sera confirmée;

Qu'il sera, en revanche réformé, en ce qu'il a dit que les sociétés Cortefiel France et Springfield France ont commis des actes de contrefaçon au préjudice de la société Etablissements Charles Chevignon, cette demande n'ayant pas été formée par cette dernière;

Sur la concurrence déloyale:

Considérant que la société Naf Naf Distribution ne peut utilement prétendre que les sociétés Cortefiel France et Springfield France auraient en outre commis des actes distincts de concurrence déloyale en vendant des copies serviles du modèle à des prix nettement inférieurs;

Qu'en effet, si ces griefs sont susceptibles d'aggraver le préjudice résultant de la contrefaçon laquelle se définit comme la reproduction intégrale ou partielle de l'œuvre sans l'autorisation de son auteur, ils ne constituent pas des faits distincts de concurrence déloyale; qu'il n'est pas démontré que les prix pratiqués seraient abusivement bas ou que les ventes seraient réalisées à perte;

Considérant en revanche, que les ressemblances ci-dessus relevées sont de nature à créer, dans l'esprit de la clientèle, un risque de confusion de sorte que les faits de contrefaçon commis au préjudice de la société Naf Naf Distribution constituent pour la société Etablissements Charles Chevignon, qui distribue et commercialise les blousons originaux, des actes de concurrence déloyale engendrant pour celle-ci qui en est l'objet un préjudice qu'aggrave la vente des vêtements contrefaisants à un moindre prix;

Considérant enfin, que les sociétés Etablissements Charles Chevignon et Naf Naf Distribution ne sont pas fondées à soutenir que les sociétés Cortefiel France et Springfield France se seraient sans bourse délier, appropriées les efforts créatifs, commerciaux et publicitaires déployés pour la commercialisation du blouson GASP/Bi Touch;

Qu'en effet, elles ne rapportent pas la preuve que ce modèle, par la publicité qui en a été faite, constituait l'un des produits phare de leur collection et était apte à l'identifier aux yeux du public, de sorte que les sociétés appelantes auraient cherché, en le reproduisant, à détourner leur clientèle et à tirer profit du succès rencontré par ce produit;

Que de sorte, la décision déférée, sera confirmée en ce qu'elle a retenu des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Etablissements Charles Chevignon et réformée en ce qu'elle a retenu des actes déloyaux au préjudice de la société Naf Naf Distribution;

Sur les mesures réparatrices:

Considérant que les opérations de saisie-contrefaçon ont révélé que la masse contrefaisante pouvait être évaluée à environ 5 545 articles et que le modèle contrefaisant était vendu au prix de 39,90 euro alors que le prix pratiqué par la société Etablissements Charles Chevignon était de 75 euro;

Considérant que la mise sur le marché du blouson contrefaisant, commercialisé à moindre prix, a pour effet de dévaloriser le modèle original de la société Naf Naf Distribution en le banalisant et d'inciter la clientèle à s'en détourner;

Qu'au vu de ces éléments, il convient d'allouer à la société Naf Naf Distribution la somme de 100 000 euro en réparation de l'atteinte portée à la valeur patrimoniale de son modèle et du manque à gagner lié aux redevances que lui verse sa licenciée, la société Etablissements Charles Chevignon, sur le montant du chiffre d'affaires réalisé;

Considérant qu'il s'infère des faits de concurrence déloyale et parasitaire l'existence pour la société Etablissements Charles Chevignon d'un préjudice résultant d'un manque à gagner et d'un trouble commercial;

Que ce préjudice sera réparé par l'allocation de la somme de 300 000 euro;

Considérant que les mesures d'interdiction, de confiscation et de publication ordonnées par le tribunal seront confirmées, sauf pour cette dernière à faire mention du présent arrêt;

Sur les autres demandes:

Considérant que la solution du litige commande de rejeter la demande reconventionnelle en dommages et intérêts formée par les sociétés Cortefiel France et Springfield France;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier aux sociétés Etablissements Charles Chevignon et Naf Naf Distribution ; qu'il leur sera alloué à ce titre, à chacune d'elles, la somme complémentaire de 10 000 euro ; que les sociétés Cortefiel France et Springfield France qui succombent en leurs prétentions doivent être déboutées de leurs demandes formées sur ce même fondement;

Par ces motifs, Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a retenu des faits de contrefaçon au préjudice de la société Etablissements Charles Chevignon, des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Naf Naf Distribution et sur le montant des dommages et intérêts, Statuant à nouveau sur ces points : Constate que la société Etablissements Charles Chevignon n'a formé aucune demande au titre de la contrefaçon du modèle, Déboute la société Naf Naf Distribution de ses demandes fondées sur des actes de concurrence déloyale, Condamne in solidum les sociétés Cortefiel France et Springfield France à payer à la société Naf Naf Distribution la somme de 100 000 euro en réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon, Condamne in solidum les sociétés Cortefiel France et Springfield France à payer à la société Etablissements Charles Chevignon la somme de 300 000 euro en réparation du préjudice subi par les actes de concurrence déloyale, Y ajoutant, Dit que la mesure de publication, ordonnée par le tribunal, devra faire mention du présent arrêt, Condamne in solidum les sociétés Cortefiel France et Springfield France à payer à chacune des sociétés Etablissements Charles Chevignon et Naf Naf Distribution la somme complémentaire de 10 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel, Rejette toutes autres demandes, Condamne in solidum les sociétés Cortefiel France et Springfield France aux dépens d'appel et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.