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Décisions

CA Versailles, 1re ch. sect. 1, 11 mars 1993

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Perraudin

Défendeur :

Perraudin

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marc

Conseillers :

Mme Petit, M. Gillet

Avoués :

SCP Lefèvre, Tardy, Me Bommart

Avocats :

Mes Mener, Melesse

TGI Nanterre, 2e ch., du 8 avr. 1991

8 avril 1991

Sur les éléments du litige

1°) M. Léon Perraudin et Mme Danel se sont mariés en 1955, après avoir fait précéder de leur union d'un contrat comportant adoption du régime de la communauté réduite aux acquêts.

2°) Ce régime matrimonial a été modifié aux termes d'un jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Clamecy le 24 avril 1956 qui a prononcé la séparation de biens judiciaire d'entre les époux.

3°) Par jugement du 5juin 1974, le Tribunal de grande instance de Nanterre a prononcé, aux torts du mari, la séparation de corps, et aux torts de la femme le divorce des époux Perraudin-Danel; le jugement a condamné M. Perraudin à servir à Mme Danel une pension alimentaire mensuelle de 1 000 F, payable d'avance, pour l'entretien de leurs deux filles Florence et Isabelle, à raison de 500 F par enfant, jusqu'à ce qu'elles aient atteint l'âge de 21 ans ; ledit jugement a débouté Mme Perraudin d'une demande de pension alimentaire formée pour elle-même ; il a été partiellement infirmé par arrêt rendu le 16 octobre 1976 par la Cour de Paris lequel a été lui-même annulé le 20 décembre 1977 par la Cour de Cassation, et la Cour d'Orléans, désignée comme juridiction de renvoi, a, par arrêt du 28 février 1980, confirmé le jugement du 5 juin 1974, sauf en ce qui concerne le montant de la contribution du père qui a été porté à 700 F par enfant à compter dudit arrêt et indexé.

4°) Mme Danel a parallèlement à cette instance en divorce et pour prétendre à la sûreté, conservation et paiement de créances qu'elle aurait à l'encontre de M. Perraudin ainsi que pour avoir sûreté, conservation et paiement des pensions alimentaires fixées par l'ordonnance de non-conciliation rendue par M. le Président du Tribunal de grande instance de Nanterre, en date du 2 février 1973, fait inscrire une hypothèque le 1er mars 1973, volume 38 n° 6 sur

- les lots n° 22, 23, 24 et 27 dépendant d'un immeuble sis à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) 21 et 23 Rue Anatole France, cadastré section V N° 152.

- sur les lots n° 14 et 32 dépendant d'un immeuble sis à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) 114 Rue Victor Hugo, cadastré section n° 85 pour sûreté des sommes de 9 000 F + 36 000 F + 120 000 F = 165 000 F.

5°) Cette inscription a été renouvelée le 22 février 1983 volume 231 n° 67.

6°) Estimant que cette sûreté n'a plus de raison d'être, M. Perraudin a fait délivrer une sommation afin de mainlevée d'hypothèque légale en date du 19 avril 1989.

7°) Cette sommation n'ayant pas été suivie d'effet, M. Perraudin a assigné son ex-épouse le 31janvier 1991 en mainlevée d'hypothèque ; il demandait, en outre, qu'elle soit condamnée à lui payer diverses sommes d'argent à titre de dommages-intérêts et au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

8°) Le Tribunal de grande instance de Nanterre a prononcé le 8 avril 1991 le jugement réputé contradictoire aujourd'hui frappé d'appel, et dont le dispositif est ainsi libellé :

"Ordonne la mainlevée :

1°) de l'inscription d'hypothèque légale prise le 1er mars 1973- 3° Bureau des Hypothèques de Nanterre, volume 38 n° 6, par Mme Solange Rose Maria Danel née à Rabat (Maroc) le 20 mars 1928, alors épouse de M. Léon, Joseph Perraudin et à l'encontre dudit M. Léon, Joseph Perraudin né à Limanion (Nièvre) le 1er juin 1924, et portant :

- sur les lots 22, 23, 24 et 27 dépendant d'un immeuble sis à Levallois-Perret, 21/ 23 Rue Anatole France, cadastré section V n° 152,

- les lots n° 14 et 32 dépendant d'un immeuble sis à Levallois-Perret, 114 Rue Victor Hugo, cadastré section P n° 85,

Ainsi que de l'inscription prise en renouvellement de celle-ci le 22 février 1983, volume 231 n° 67,

"Dit que lesdites inscriptions seront rayées par le Conservateur des Hypothèques de Nanterre, 3 Bureau au vu d'une expédition du présent jugement devenu définitif,

"Condamne Mme Danel épouse divorcée Perraudin à payer à M. Perraudin la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts et une somme de 5 000 Fen vertu de l'article 700 du NCPC,

" Condamne Mme Danel en tous les dépens y compris le coût des radiations des dites inscriptions ".

9) Au soutien de leur décision, les premiers juges ont notamment relevé ce qui suit

"Il est établi par les éléments du dossier que l'inscription d'hypothèque litigieuse a des causes anciennes qui sont maintenant réglées à savoir :

- pour la somme de 9 000 F, un engagement souscrit aux termes d'un acte de Me Choix, notaire à Neuilly, du 10 septembre 1959 qui est éteint depuis longtemps,

- pour la somme de 36 000 F, diverses avances prétendument faites par la femme à son ex-mari, qui se sont trouvées en fait réduites à une somme de 3 000 F selon arrêt de la Cour de Paris du 17juillet 1979 laquelle somme a été payée ainsi qu'il en est justifié selon courrier non contesté du 5 septembre 1979,

- enfin pour la somme de 120 000 F, une condamnation du mari dans le cadre de la procédure de divorce au paiement de pensions alimentaires aujourd'hui sans objet puisque la pension alimentaire au profit de la femme a pris fin par effet de l'arrêt rendu le 28 février 1980 par la Cour d'appel d'Orléans et puisque celle au profit des enfants a pris fin par la majorité de ceux-ci, la dernière fille Isabelle étant née le 25 mars 1965,

"En conséquence, il faut faire droit à la demande principale en mainlevée d'hypothèque".

Sur la position des parties :

Appelante, Mme Danel, ex-épouse divorcée de M. Perraudin, demande à la cour, en infirmant le jugement entrepris :

- de dire qu'il n 'y avait pas lieu à ordonner la mainlevée de l'inscription d'hypothèque légale prise le 1er mars 1973 sur les biens immobiliers susvisés de M. Perraudin,

"- de débouter M. Perraudin de ses demandes en disant celles-ci non fondées, et ce, eu égard aux arriérés de pensions alimentaires dus par lui à la concluante,

"- de le condamner à lui payer 10 000 F, à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et injustifiée,

- de le condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel".

Intimé, M. Perraudin, de son côté, prie la cour :

- de dire Mme Danel irrecevable en son moyen d'appel par application des articles 122 du nouveau Code de procédure civile et 2277 du Code civil,

- en conséquence, de confirmer purement et simplement ledit jugement

- y ajoutant de condamner Mme Danel à lui payer une somme complémentaire de 10 000 F, à titre de dommages-intérêts "pour sa résistance abusive et dilatoire à la mainlevée de l'inscription d'hypothèque légale devenue sans cause et en raison de la continuité du préjudice ainsi causé", ainsi qu'une somme complémentaire de 7000 f, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, pour frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

- de condamner Mme Danel aux entiers dépens.

Sur la solution du litige

Considérant que l'appelante ne conteste pas que les deux premières causes de l'inscription d'hypothèque litigieuse rappelées par les premiers juges ont été réglées ; qu'elle soutient par contre que M. Perraudin resterait lui devoir d'importantes sommes d'argent au titre des arrérages des pensions alimentaires qui lui ont été allouées dans le cadre de la procédure de séparation de corps et de divorce, ce qui justifierait, selon elle, le maintien de l'inscription d'hypothèque dont s'agit; qu'elle prétend que M. Perraudin ne serait pas fondé à lui opposer la fin de non-recevoir tirée de l'acquisition de la prescription extinctive quinquennale de l'article 2277 du Code civil; qu'elle fait valoir que M. Perraudin ne se serait jamais acquitté spontanément et régulièrement des arrérages des pensions alimentaires mises à sa charge et qu'elle aurait "multiplié" les procédures à son encontre pour tenter de parvenir au paiement de ses pensions ; qu'elle fait état, notamment, de mesures de prélèvements directs, puis d'une procédure de saisie arrêt sur les rémunérations de M. Perraudin qu'elle aurait introduit en 1978 devant le Tribunal d'instance de Levallois-Perret, qui aurait été retardée par une perte du dossier retrouvé en 1984 et qui aurait abouti à une ordonnance, selon elle critiquable, le juge du Tribunal d'instance ayant retenu qu'il y avait eu prescription ; qu'elle soutient qu'en faisant procéder au renouvellement de l'inscription d'hypothèque litigieuse elle aurait, là encore, interrompu la prescription en manifestant sans ambiguïté son intention de ne pas laisser prescrire ses droits à recouvrer les aliments qui lui étaient dus ;

Mais considérant que Florence et Isabelle Perraudin ont eu 21 ans respectivement, la première le 5 novembre 1983, et la seconde, le 25 mars 1986 ; que par un arrêt prononcé ce jour, il mars 1993 et rendu dans une autre instance opposant les parties, sur l'appel relevé par Mme Danel de l'ordonnance rendue le 15 octobre 1991 par le juge du Tribunal d'instance de Levallois-Perret, qui a dit n'y avoir lieu d'autoriser Mme Danel à faire saisir arrêter les rémunérations du travail de son débiteur M. Perraudin, la créance invoquée étant prescrite, la cour de céans a confirmé ladite ordonnance en précisant qu'elle faisait droit à la fin de non-recevoir soulevée par M. Perraudin et tirée de l'acquisition de la prescription extinctive quinquennale de l'article 2277 du Code civil, toutes les créances de pensions alimentaires invoquées à l'encontre de son ex-époux par Mme Danel en exécution des décisions successives prononcées dans le cadre de la procédure de séparation de corps et de divorce étant prescrites ; que le premier moyen de Mme Danel sera donc rejeté ;

Considérant que Mme Danel soutient encore un moyen en ces termes " La communauté ayant existé entre les parties n'a jamais fait l'objet d'un règlement définitif et, à ce titre, M. Perraudin reste redevable envers son ex-femme de sommes non négligeables " ;

Mais considérant qu'il résulte de la production et de l'examen du jugement rendu le 18 avril 1977 par le Tribunal de grande instance de Nanterre, dans un litige ayant opposé les époux Perraudin, et de l'arrêt de la Cour de Paris du 17 juillet 1979 qui, sur appel de Mme Perraudin, a confirmé ce jugement, que Mme Perraudin avait "renoncé à la communauté", qu'il n'y avait donc pas lieu à liquidation de celle-ci, qu'en outre Mme Perraudin, comme elle l'avait reconnu au cours d'une mesure de comparution personnelle, avait "exercé ses reprises, en se faisant colloquer sur le prix provenant de la vente forcée en date du 5 mars 1957 d'un immeuble de M. Perraudin, ce dans le cadre d'une procédure d'ordre" et qu'elle a été "remplie de ses droits en ce qui concerne lesdites reprises" ; que ces décisions ont, par ailleurs, débouté Mme Perraudin de diverses demandes en paiement formulées au titre de prétendues reconnaissances de dette ; que le deuxième moyen de Mme Perraudin sera donc également écarté, celle-ci ne s'expliquant nullement sur les prétendues sommes "non négligeables" qui lui resteraient dues ;

Considérant que, dans ces conditions, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné la mainlevée de l'inscription d'hypothèque légale susvisée et en ce qu'il a condamné Mme Danel aux dépens;

Considérant que Mme Danel, qui succombe, ne saurait se voir allouer des dommages-intérêts pour procédure selon elle abusive diligentée à son encontre ;

Considérant qu'il n'est pas établi que Mme Danel ait abusé de son droit de se défendre en justice et d'interjeter appel ; qu'il convient dès lors, en infirmant de ce chef, la décision déférée de débouter M. Perraudin de sa demande en dommages-intérêts;

Considérant que l'équité commande, en revanche, que M. Perraudin soit remboursé des frais irrépétibles par lui exposés ; qu'il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il lui a alloué, à ce titre, 5 000 F, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et, y ajoutant, de condamner Mme Danel à lui payer, sur le fondement du même texte, une somme complémentaire de 5 000 F, pour frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, à l'exception de celles condamnant Mme Danel à verser à son ex-époux divorcé M. Perraudin 10 000 F (dix mille francs), à titre de dommages-intérêts, Et l'infirmant sur ce point et statuant à nouveau, Déboute M. Perraudin de sa demande en dommages-intérêts, Rejette la demande de dommages-intérêts de Mme Danel, Condamne Mme Danel, ex-épouse divorcée de M. Perraudin, à payer à M. Perraudin une somme complémentaire de 5 000 F (cinq mille francs), au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, pour frais irrépétibles exposés en cause d'appel, Condamne Mme Danel, ex-épouse divorcée de M. Perraudin aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de Me Bommart, avoué, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.