CA Rennes, 1re ch. B, 18 décembre 1997, n° 9602274
RENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
DGMP (SARL), Soinne (ès qual.)
Défendeur :
Leblanc
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Boivin
Conseillers :
Mmes Citray, Nivelle
Avoués :
Mes Leroyer-Barbarat, Gauvain, Demirdoff, Chaudet, Brebion
Avocats :
Mes Devigne, Vuillemin
Le 28 septembre 1994 Jean Yves Leblanc a signé un bon de commande d'une unité d'impression Master Carte 6000 pour un montant de 136 627 F TTC, matériel commercialisé par la société DGMP ; le même jour il a signé un contrat de crédit de bail mobilier auprès de l'organisme Fedebail, filiale du Crédit Mutuel, et a remis à la société DGMP un chèque d'acompte de 54 650,80 F, représentant 40 % du prix.
Le 13 février 1995 Monsieur Leblanc a sollicité par courrier le remboursement du chèque de 54 650,80 F ne donnant pas suite à la création d'une imprimerie artisanale.
Le 2 juin 1995 Jean Yves Leblanc a assigné la société DGMP en annulation du contrat et remboursement de la somme de 54 650,80 F.
Par jugement du 8 décembre 1995 le Tribunal d'instance de Rennes a prononcé la nullité du contrat, condamné la société DGMP à restituer à Jean Yves Leblanc la somme de 54 650,80 F avec intérêts légal à compter du 2 juin 1995 outre 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, par application de l'article L. 121-21 et suivants du Code de la consommation, aux motifs que Monsieur Leblanc était au chômage, qu'il n'est pas établi que le contrat avait été souscrit dans le cadre d'un projet réel de création d'entreprise, que démarché à domicile il se trouvait dans le même état d'ignorance que tout consommateur.
La société DGMP qui a relevé appel, et Maître Soinne intervenant en qualité de liquidateur judiciaire de la société DGMP, suivant jugement du 9 avril 1997, sollicitent la réformation du jugement, la condamnation de Monsieur Leblanc au paiement de la somme de 81 976,20 F représentant le solde du prix, outre 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Ils font valoir que ne sont pas soumises aux dispositions des articles L. 121-23 et suivants les ventes qui ont un rapport direct avec les activités exercées dans un cadre professionnel.
- Que Monsieur Leblanc entendait faire un investissement à usage exclusivement professionnel, ainsi le démontre la haute technicité du matériel, son coût élevé, le contrat de financement, la lettre de résiliation.
- Que Monsieur Leblanc, en vue de créer une entreprise artisanale de type imprimerie s'est rendu au salon Graphy Expo, sur le stand de la société DGMP où les parties ont convenu d'un rendez-vous au domicile de Monsieur Leblanc pour signer la totalité des documents, éléments qui ne sauraient impliquer la notion de démarchage à domicile.
- Que la Cour de Justice Européenne considère qu'un particulier qui a conclu en vue de l'exercice d'une activité professionnelle, même future, ne peut être considéré comme un simple consommateur.
Jean Yves Leblanc conclut à la confirmation du jugement, sollicite la fixation de sa créance au passif de la DGMP a la somme de 63 303,13 F sollicite la condamnation de la DGMP et de Maître Soinne es qualité à lui verser 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il réplique qu'il n'a pas agi en tant que professionnel, lors de la signature du bon de commande, n'ayant jamais entrepris de démarches pour créer un établissement quelconque, alors que la société DGMP lui a forcé la main, a encaissé le chèque de 54 654,60F contrairement aux promesses de Monsieur Guilmard, qu'il a été démarché à son domicile et le contrat signé ne comporte pas les mentions obligatoires prévues par la loi du 22 décembre 1972.
Discussion :
Attendu que aux termes de l'article L. 121-21 du Code de la consommation est soumis aux dispositions de la loi du 22 décembre 1972, quiconque pratique ou fait pratiquer le démarchage au domicile d'une personne physique, à sa résidence ou à son lieu de travail, même à sa demande, afin de lui proposer la vente de biens que l'article 121-22 prévoit que ne sont pas soumises à ces dispositions les ventes de biens lorsqu'elles ont un rapport direct avec les activités professionnelles;
Attendu qu'il résulte des éléments de la cause, que Monsieur Leblanc s'est rendu au salon international du matériel graphique et informatique d'occasion, ouvert au grand public et aux professionnels, s'est présenté au stand DGMP qui commercialise du matériel d'imprimerie des machines d'impression pour la fabrication de cartes de visite, menus ; que les parties ont convenu d'un rendez-vous postérieur qui s'est déroulé au domicile de Monsieur Leblanc au cours duquel Monsieur Leblanc a commandé une unité d'impression Master Carte 6000, d'une valeur de 109 520 F, outre un ordinateur, un scanner plat, un Master Plaste, du matériel de présentation ; que ce type de matériels, sa haute technicité eu égard à son coût élevé, ne peut être utilisé pour des besoins personnels, mais s'adresse à un professionnel ; que sur le dossier de financement établi le jour même par Monsieur Leblanc auprès de l'organisme de crédit bail il était mentionné qu'il s'agissait d'une exploitation en nom propre d'imprimerie en cours de création ; que le crédit s'accompagnait d'un apport personnel de 40 % qui a été matérialisé par le versement d'un chèque de 54 650,80 F à titre d'acompte, versement concrétisant définitivement la vente ; qu'une telle somme peut s'entendre pour un investissement d'ordre professionnel, mais difficilement pour un particulier qui se retrouvait en situation de chômage ;
Attendu que dans sa demande de résiliation le 13 février 1995 Monsieur Leblanc a bien précisé qu'il ne donnait pas suite à la création d'une imprimerie artisanale ; que l'ensemble de ces éléments établit que Monsieur Leblanc a passé commande d'un matériel d'imprimerie pour les besoins de son activité professionnelle, d'autant que sur la demande de crédit bail il était fait référence à la profession de cadre photogravure et photocomposition de Monsieur Leblanc ; que la Cour de justice des communautés européennes dans une décision récente du 3 juillet 1997 a répondu qu'un particulier qui avait conclu un contrat en vue de l'exercice d'une activité professionnelle, même future, ne pouvait être considéré comme un simple consommateur;
Attendu que c'est donc à tort que le premier juge a fait application de la loi du 22 décembre 1972;
Attendu que la Cour constate que la vente du 28 septembre 1994 est ferme et définitive pour un montant de 136 627 F, que Maître Soinne, es qualité de liquidateur judiciaire de la société DGMP est bien fondé à réclamer paiement de la somme de 81 976,20 F à titre de solde ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge du liquidateur les frais irrépétibles engagés dans cette procédure qui seront indemnisés par la somme de 4.000 F ;
Par ces motifs, LA COUR, Reçoit la société DGMP en son appel, Au fond, Infirme le jugement du S décembre 1995 ; Dit n'y avoir lieu à annulation de la vente du 28 septembre 1994 ; Condamne Jean Yves Leblanc à verser à Maître Soinne es qualité de liquidateur judiciaire de la société DGMP la somme de 81 976,20 F outre les intérêts légaux à compter du 2 juin 1995 en contre partie de la livraison du matériel ; Condamne Monsieur Leblanc à verser la somme de 4 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Le condamne aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.