CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 24 mai 2007, n° 07-01287
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Mano Médical (SARL)
Défendeur :
Idexx Laboratories Inc (Sté), Idexx (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mandel
Conseillers :
Mmes Valantin, Delfosse
Avoués :
SCP Debray-Chemin, SCP Jullien-Lecharny-Rol, Fertier
Avocats :
Mes Desmazières de Sechelles, Pech de la Clause
Vu le jugement rendu le 31 mars 2006 par le Tribunal de commerce de Versailles dans un litige opposant les sociétés Idexx Laboratories et Idexx à la société Mano Médical à laquelle il était reproché des actes de contrefaçon, publicité mensongère, tromperie et concurrence déloyale et par lequel, le tribunal a, notamment:
- débouté la société Mano Médical de sa demande itérative de jonction avec une procédure distincte, introduite par cette société devant le Tribunal de commerce de Versailles sur le fondement des articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne contre les sociétés Idexx Laboratories, Idexx, Idexx Europe et Ortho Clinical Diagnostics (procédure ayant donné lieu à un jugement du 22 septembre 2006 par lequel le Tribunal de commerce de Versailles s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris),
- condamné la société Mano Médical à payer à la société Idexx Laboratories la somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation d'actes de contrefaçon de logiciel,
- prononcé diverses mesures d'interdiction,
- débouté les sociétés Idexx Laboratories et Idexx de leur demande tendant à. voir interdire à la société Mano Médical la vente des réactifs QCR Dry Test,
- débouté les sociétés Idexx Laboratories et Idexx de leurs demandes de dommages et intérêts en réparation de préjudices financier et d'atteinte à la réputation,
- dit n'y avoir lieu à expertise judiciaire,
- débouté la société Mano Médical de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts.
Vu les conclusions d'incident aux fins d'exception d'incompétence signifiées par la société Mano Médical tendant à ce que la cour d'appel de ce siège se déclare incompétente au profit de la Cour d'appel de Paris sur le fondement des articles L. 420-7 du Code de commerce, R. 212-1 troisième alinéa du Code de l'organisation judiciaire, de l'article 22 du décret 2005-1756 du 30 décembre 2005, des articles 81, 82, 226 et 227 du traité instituant la Communauté européenne, les articles 6 et 15 du règlement n° 1-2003 du Conseil du 16 décembre 2002, des articles 96 deuxième alinéa, 97, 426, 427, 428, 699 et 700 du NCPC et de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme.
Vu les conclusions des sociétés Idexx Laboratories et Idexx (ci-après les sociétés Idexx) soulevant l'irrecevabilité de l'exception d'incompétence et subsidiairement tendant à ce que cette exception soit rejetée comme mal fondée.
Vu l'ordonnance du 6 février 2007 par laquelle le conseiller de la mise en état a retenu que la société Mano Médical était irrecevable en son exception au motif qu'elle n'avait pas été soulevée préalablement devant le tribunal de commerce et estimant par ailleurs qu'il n'y avait pas lieu à transmission de l'ordonnance à la Commission européenne en application de l'article 15 du règlement n° 1-2003 du Conseil dès lors que l'ordonnance ne concernait pas l'application des articles 81 et 82 du traité CE et ne prononçait aucune condamnation à ce titre.
Vu la requête aux fins de déféré déposée par la société Mano Médical à l'encontre de cette ordonnance.
Vu les conclusions récapitulatives signifiées le 20 mars 2007 par la société Mano Médical tendant à titre principal à ce que l'ordonnance soit rapportée, que la cour se déclare incompétente au profit de la Cour d'appel de Paris et à titre subsidiaire à ce que la cour sursoit à statuer et par application des articles L. 441-1 à L. 441-4 du Code de l'organisation judiciaire et des articles 1031-1 à 1031-7 du NCPC soumette à la Cour de cassation la demande d'avis suivante:
"au regard des articles 2, 4 et 22 du décret n° 2005-1756 du 30 décembre 2005, un tribunal de commerce compétemment saisi avant l'entrée en vigueur dudit décret reste-t-il compétent pour connaître du litige dont il a été saisi pour ce qui concerne l'application du droit de la concurrence et notamment des articles 81 CE et 82 CE?
Une fois rendu son jugement, quelle est la cour d'appel qui est compétente pour connaître au regard du droit de la concurrence et notamment des articles 81 CE et 82 CE des appels interjetés contre ledit jugement ? Est-ce la Cour d'appel de Paris désignée par l'article 2 du décret n° 2005-1756 du 30 décembre 2005 ? Ou est-ce la cour d'appel "de droit commun" qui aurait en tout état de cause été compétente si le décret n° 2005-1756 du 30 décembre 2005 n'avait pas été pris ?"
et à ce que l'arrêt à intervenir soit transmis à la Commission européenne en application de l'article 15 du règlement CE n° 1-2003 et à ce que les sociétés Idexx soient condamnées à lui payer la somme de 5 000 euro par application de l'article 700 du NCPC,
Vu les conclusions signifiées le 6 mars 2007 par les sociétés Idexx tendant à titre principal à l'irrecevabilité de la requête aux fins de déféré, à titre subsidiaire à la confirmation de l'ordonnance en ce qu'elle a dit que l'exception d'incompétence était irrecevable et à titre infiniment subsidiaire au mal fondé de l'exception d'incompétence et à ce que la société Mano Médical soit condamnée au paiement de la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC,
Vu les observations écrites de Monsieur l'Avocat général,
Vu les notes en délibéré communiquées les 5 et 30 avril 2007,
Sur ce, LA COUR
I. Sur la recevabilité du déféré:
Considérant que l'article 914 alinéa 1 du nouveau Code de procédure civile dans sa rédaction modifiée par le décret du 28 décembre 2005 dispose : "les ordonnances du conseiller de la mise en état ne sont susceptibles d'aucun recours indépendamment de l'arrêt sur le fond"; que toutefois l'alinéa 2 énonce qu' "elles peuvent être déférées par simple requête à la cour dans les quinze jours de leur date lorsqu'elles statuent sur une exception de procédure ou un incident mettant fin à l'instance" ;
Considérant que les sociétés Idexx ne peuvent valablement soutenir que la demande de déféré est irrecevable au motif que l'ordonnance ne met pas fin à l'instance;
Qu'en effet, l'ordonnance entreprise statuant sur une exception de procédure, à savoir en l'espèce une exception d'incompétence, est susceptible de déféré peu important qu'elle ne mette pas fin à l'instance ; que les termes "exception de procédure" et "incident mettant fin à l'instance" étant séparés par la conjonction "ou" ce n'est que dans le cas où l'ordonnance statue sur un incident ne mettant pas fin à l'instance (exemple : incident de communication de pièces); que la procédure de déféré est irrecevable;
II. Sur la recevabilité de l'exception:
Considérant que les sociétés Idexx se prévalant des dispositions de l'article 74 alinéa 1 du nouveau Code de procédure civile font valoir que la société Mano Médical n'ayant pas soulevé d'exception d'incompétence devant les premiers juges avant de conclure sur le fond, alors qu'elle était en mesure de le faire puisque le décret du 30 décembre 2005, sur lequel elle se fonde, est entré en vigueur le 1er janvier 2006 et que l'affaire a été plaidée devant le juge rapporteur le 17 février 2006, est irrecevable à opposer cette exception devant la cour;
Considérant qu'en vertu de l'article 74 alinéa 1 du NCPC les exceptions doivent à peine d'irrecevabilité être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir;
Considérant qu'il est constant que devant le tribunal, la société Mano Médical a conclu sur le fond du litige sans soulever préalablement une quelconque exception d'incompétence du Tribunal de commerce de Versailles qui, après avoir dans un premier jugement en date du 25 janvier 2006 dit n'y avoir lieu à jonction avec l'instance pendante entre la société Mano Médical d'une part et les sociétés Idexx, Idexx Europe et Ortho Clinical Diagnostics d'autre part, a entendu les parties le 17 février 2006 et rendu le 31 mars 2006 sa décision sur le fond;
Considérant que devant la cour, la société Mano Médical a, par conclusions signifiées le 23 novembre et 27 décembre 2006, soulevé liminairement l'incompétence de la cour d'appel de ce siège en se prévalant des dispositions de l'article L. 420-7 deuxième phrase du Code de commerce et de l'article 2 du décret n° 2005-1756 du 30 décembre 2005;
Considérant que l'article L. 420-7 du Code de commerce dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 4 novembre 2004 dispose que "sans préjudice des articles L. 420-6, L. 462-8, L. 463-1 à L. 463-4, L. 463-6, L. 463-7 et L. 464-1 à L. 464-8, les litiges relatifs à l'application des règles contenues dans les articles L. 420-1 à L. 420-5 ainsi que les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne et ceux dans lesquels ces dispositions sont invoquées sont attribués, selon le cas et sous réserve des règles de partage de compétence entre les ordres de juridiction, aux tribunaux de grande instance ou aux tribunaux de commerce dont le siège et le ressort sont fixés par décret en Conseil d'Etat. Ce décret détermine également le siège et le ressort de la ou des cours d'appel appelées à connaître des décisions rendues par ces juridictions",
Considérant que l'article R. 212-1 du Code de l'organisation judiciaire alinéa 3 entré en vigueur à compter du 1er janvier 2006 suite au décret du 30 décembre 2005, énonce que pour l'application de la deuxième phrase de l'article L. 420-7 du Code de commerce, la Cour d'appel de Paris est compétente;
Mais considérant que l'article 22 de ce décret énonce que " la juridiction compétente primitivement saisie demeure compétente pour statuer sur les procédures introduites antérieurement à la date d'entrée en vigueur du présent décret ";
Considérant que les sociétés Idexx ayant introduit leur procédure devant le Tribunal de commerce de Versailles le 8 décembre 2004, il s'ensuit que ce tribunal primitivement saisi avant l'entrée en vigueur du décret du 30 décembre 2005 demeurait compétent pour statuer sur les demandes tant principale que reconventionnelle formées devant lui, aucune autre exception d'incompétence n'ayant été soulevée;
Qu'il ne peut être fait grief à la société Mano Médical de ne pas avoir soulevé même à titre conservatoire une exception d'incompétence devant le Tribunal de commerce de Versailles dès lors que celle-ci était vouée à l'échec; que de plus ce n'est que par un décret publié le 31 décembre 2005 au JO n° 304 que la Cour d'appel de Paris a été désignée comme étant compétente pour connaître des litiges visés à l'article L. 420-7 du Code de commerce qu'antérieurement à cette date, la société Mano Médical était donc dans l'impossibilité de soulever valablement une exception d'incompétence, l'article 75 du NCPC lui faisant obligation, à peine d'irrecevabilité, de faire connaître la juridiction devant laquelle elle demandait que l'affaire soit portée ; que postérieurement au 1er janvier 2006 outre le fait qu'une exception d'incompétence fondée sur l'article L. 420-7 du Code de commerce était vouée à l'échec, elle ne pouvait plus en toute hypothèse être soulevée, la société Mano Médical ayant conclu au fond;
Considérant en revanche que la société Mano Médical est recevable en appel à soulever avant toute défense au fond, une exception d'incompétence de la cour de ce siège au profit de la Cour d'appel de Paris dès lors que la cour n'a été saisie du litige que postérieurement à l'entrée en vigueur du décret n° 1756 du 30 décembre 2005; que l'ordonnance du conseiller de la mise en état sera donc infirmée de ce chef;
III. Sur le bien fondé de l'exception:
Considérant que la société Mano Médical se prévalant des dispositions de l'article L. 420-7 du Code de commerce et de l'article 2 du décret du 30 décembre 2005 (article R. 212-1 du Code de l'organisation judiciaire alinéa 3) fait valoir que seule la Cour d'appel de Paris est compétente pour connaître du présent litige dès lors qu'elle reproche aux sociétés Idexx d'utiliser le logiciel Vettest comme moyen, instrument et conséquence d'une entente répréhensible au regard des articles 81 CE et 82 CE ;
Considérant que les sociétés Idexx lui opposent que le présent litige est étranger au droit de la concurrence, tant national que communautaire;
Considérant ceci exposé que l'article L. 420-7 du Code de commerce en ce qu'il constitue une exception aux règles de compétence doit, comme toute exception, être interprété de manière restrictive;
Que la Cour d'appel de Paris n'est compétente que dans la mesure où les règles contenues dans les articles L. 420-1 à L. 420-5 ainsi que les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne sont invoqués à l'appui d'une demande en justice, qu'elle soit principale ou reconventionnelle, et non simplement comme un moyen de défense à une demande ; qu'en décider autrement reviendrait à permettre à une partie de choisir son juge en soulevant un moyen relevant des pratiques anticoncurrentielles;
Or considérant qu'en l'espèce les sociétés Idexx se fondant sur les dispositions des articles L. 122-4, L. 122-6, L. 331-2 du Code de la propriété intellectuelle, de l'article 1382 du Code civil, des articles L. 121-1 et L. 213-1 du Code de la consommation ont sollicité la condamnation de la société Mano Médical pour contrefaçon de logiciel, publicité mensongère, tromperie et concurrence déloyale à lui payer diverses sommes à titre de dommages et intérêts définitifs ou provisionnels; qu'elles demandaient par ailleurs la désignation d'un expert aux fins d'évaluation de leur préjudice, des mesures d'interdiction et de publication;
Considérant que les sociétés Idexx ne formulaient donc aucune demande sur le fondement des règles communautaires de la concurrence;
Considérant que les sociétés Idexx ont repris ces demandes en appel;
Considérant que devant le tribunal, la société Mano Médical a, sur le fond, conclu au rejet des demandes des sociétés Idexx et a formé une demande reconventionnelle sur le fondement de l'article 1382 du Code civil aux fins d'obtenir le paiement de dommages et intérêts pour dénigrement ainsi que des mesures de publication ; que ce n'est que dans le but de faire échec à la demande en contrefaçon de logiciel et en concurrence déloyale et s'opposer aux mesures d'interdiction formées à son encontre que la société Mano Médical a fait valoir que la société Idexx était en situation de position dominante sur le marché de la fourniture des appareils de biochimie pour la médecine vétérinaire; que par ailleurs, c'est uniquement dans le cadre de sa demande itérative de jonction entre la procédure introduite par les sociétés Idexx et celle pendante devant le tribunal sous le n° 2005 F 5555 et pour laquelle le Tribunal de commerce de Versailles s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris, que la société Mano Médical a fait valoir qu'il existait une entente entre les sociétés Idexx et les sociétés Idexx Europe et Ortho Clinical Diagnostics;
Considérant que les sociétés Idexx Europe et Ortho Clinical Diagnostics n'ont pas été attraites par la société Mano Médical dans la procédure ayant donné lieu au jugement du 31 mars 2006 et que dans le cadre de cette procédure, la société Mano Médical n'a formé aucune demande tendant à voir sanctionner une pratique d'entente ou d'abus de position dominante sur le fondement des articles 81 et 82 CE;
Considérant que par voie de conséquence et sans qu'il soit nécessaire d'envisager de solliciter l'avis de la Cour de cassation, l'exception d'incompétence soulevée par la société Mano Miedical doit être déclarée mal fondée ; qu'elle sera rejetée;
Considérant que le présent arrêt ne statuant que sur une exception d'incompétence, il n'y a pas lieu de le transmettre à la Commission européenne;
IV. Sur l'article 700 du NCPC:
Considérant qu'à ce stade de la procédure, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du NCPC à l'une ou l'autre des parties;
Qu'il convient par ailleurs de réserver les dépens;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement : - Dit la société Mano Médical recevable en sa requête aux fins de déféré, - Infirme l'ordonnance du 6 février 2007, Dit la société Mano Médical recevable mais mal fondée en son exception d'incompétence, - Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - Réserve les dépens. - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.