Livv
Décisions

Cass. crim., 15 novembre 2005, n° 04-86.051

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

Mme Gailly

Avocats :

SCP Waquet, Farge, Hazan

Paris, 12e ch., du 13 sept. 2004

13 septembre 2004

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par X Simone, épouse Y, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, 12e chambre, en date du 13 septembre 2004, qui, pour abus de faiblesse, l'a condamnée à 12 mois d'emprisonnement avec sursis, 3 000 euro d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-6, 121-7, 223-15-2 du Code pénal et 313-4 ancien du Code pénal, 388, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale, excès de pouvoirs ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Simone X, épouse Y, coupable d'abus de l'ignorance ou de la faiblesse d'une personne vulnérable pour l'obliger à un acte ou à une abstention et l'a condamnée à la peine de 12 mois d'emprisonnement avec sursis et 3 000 euro d'amende ;

"alors, d'une part, que les juridictions correctionnelles ne peuvent ajouter aux faits de la prévention, lesquels doivent rester tels qu'ils ont été retenus dans l'acte de saisine, à moins que le prévenu ait accepté d'être jugé sur des faits nouveaux ; qu'en l'espèce, aux termes de l'ordonnance de renvoi, en date du 11 février 2002, qui seule fixe les limites de la prévention, il est reproché à Simone X, épouse Y, d'avoir, de septembre 1999 à mai 2000, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n'emportant pas prescription, frauduleusement abusé de la vulnérabilité de Roger Z, due à son âge, une maladie, une infirmité ou une déficience physique ou psychique, pour l'obliger à un acte ou à une abstention, en l'espèce une procuration sur ses comptes bancaires, des objets de valeur et un testament ; que, dès lors en confirmant le jugement qui l'a déclaré coupable pour les faits qualifiés d'abus de l'ignorance ou de la faiblesse d'une personne vulnérable pour l'obliger à un acte ou à une abstention néfaste, faits commis du 1er août 1999 au 31 mai 2000, à Paris et sur le territoire national, la cour d'appel, qui retient à la charge de la prévenue des faits compris dans une période non visée à la prévention, et à propos desquels il ne résulte pas de l'arrêt que l'intéressée ait accepté d'être jugé, a violé l'article 388 du Code de procédure pénale et excédé ses pouvoirs ;

"alors, d'autre part, qu'en se déterminant par la circonstance que les abus frauduleux de l'état de faiblesse de Roger Z ont été commis par Simone X, épouse Y, pour obliger ce dernier à lui remettre des sommes, la cour d'appel, qui retient à la charge du prévenu des faits non visés à la prévention, celle-ci n'ayant visé qu'une procuration sur ses comptes bancaires, des objets de valeur et un testament, et à propos desquels il ne résulte pas de l'arrêt que l'intéressée ait accepté d'être jugée, a de nouveau violé l'article 388 du Code de procédure pénale et excédé ses pouvoirs" ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3, 223-15-2 du Code pénal, 313-4 ancien du Code pénal, 591 à 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Simone X, épouse Y, coupable d'abus de l'ignorance ou de la faiblesse d'une personne vulnérable pour l'obliger à un acte ou à une abstention et l'a condamnée à la peine de 12 mois d'emprisonnement avec sursis et 3 000 euro d'amende ;

"aux motifs que l'expert psychiatre qui a examiné Roger Z le 23 mai 2000 a conclu en ces termes : "l'altération de ses facultés mentales empêche l'expression de sa volonté et le met dans l'impossibilité de pourvoir seul à ses intérêts dans les actes de la vie civile ; il ne dispose pas de ses facultés de jugement et sa compréhension est limitée aux questions simples de l'actualité immédiate ; cet homme est dans un état de particulière vulnérabilité et cet état est bien apparent" ; Simone X, épouse Y, ne peut raisonnablement pas soutenir que l'état de faiblesse de Roger Z ne lui était pas connu en fonction du rythme de ses visites, il est établi en effet que, dans un premier temps, elle venait pour assurer une présence amicale et effectuer des tâches matérielles, puis a intensifié ses prestations, s'occupant non seulement de gérer les affaires de Roger Z au moyen des procurations consenties mais assurant une présence quasi quotidienne, lui apportant même ses repas ; en outre, de l'audition dans le cadre de l'enquête préliminaire de Mme Dos A, - qui effectuait le ménage chez Roger Z -, il ressort qu'excepté Simone X, épouse Y, et elle-même le docteur Roger Z ne recevait aucune visite à son domicile ; dès l'été 1999, au cours de ses visites Simone X, épouse Y, a ainsi pu se rendre compte, ainsi qu'elle l'a elle-même déclaré que Roger Z "perdait un peu de son autonomie, qu'il n'avait plus envie de s'occuper de ses affaires, ne faisait plus les chèques en temps et en heure, et redoutait de partir en maison de retraite", pour constater ensuite, à partir de décembre 1999 - janvier 2000, qu'il n'avait plus d'appétit, était déprimé ; dans ces circonstances, étant une des seules personnes qui rendait visite régulièrement à Roger Z, lequel l'avait chargée de s'occuper de ses affaires, Simone X, épouse Y , se trouvait ainsi dans une situation lui permettant d'apprécier l'évolution de l'état de dépendance de celui-ci, et donc de faiblesse ; qu'elle avait bénéficié de la confiance totale de Roger Z qui n'exerçait plus aucun contrôle notamment sur la gestion de ses comptes bancaires puisqu'il lui avait donné procuration générale et avait demandé que les informations sur ses comptes lui soient adressées ; en effectuant, dans les semaines qui ont suivi l'établissement de la procuration à son profit, des retraits d'espèces ou en libellant à son ordre ces chèques, immédiatement encaissés sur des comptes bancaires à son nom, pour des montants importants, - et en tout cas non justifiés par des dépenses pour Roger Z -, Simone X, épouse Y, a commis des abus frauduleux de la situation de faiblesse de Roger Z ; ces abus frauduleux de l'état de faiblesse de Roger Z ont été commis par Simone X, épouse Y, pour obliger ce dernier à lui remettre des sommes ; en effet, ce dernier n'avait aucun moyen de résister aux remises des sommes susvisées à Simone X, épouse Y, puisqu'il en ignorait même l'existence, dès lors que les informations sur l'état de ses comptes parvenait directement à Simone X, épouse Y ; enfin les agissements de Simone X, épouse Y, étaient par nature gravement préjudiciable à Roger Z dès lors que les sommes procurées par les retraits en espèce ou les chèques établis à son ordre ou encore les lingots déposés dans un coffre à son nom, échappaient ainsi totalement au contrôle de Roger Z qui ne pouvait en disposer en aucune façon, n'ayant pas procuration sur les comptes de Simone X, épouse Y ;

"alors, d'une part, que le délit d'abus de faiblesse suppose pour être constitué que la particulière vulnérabilité de la victime prétendue soit apparente ou connue de l'auteur de l'abus ; que les motifs de l'arrêt, d'où il résulte que l'expert médical ayant constaté ce prétendu état ne s'est prononcé que le 23 mai 2000, soit plusieurs mois après les actes incriminés, sans s'exprimer par ailleurs sur l'apparence de cet état antérieurement à son expertise, ne permettent pas de constater que la particulière vulnérabilité de Roger Z caractérisée par la prétendue altération de ses facultés mentales, eût été apparente et connue de Simone X, épouse Y, au moment des faits reprochés ;

"alors, d'autre part, que ne caractérise pas non plus la connaissance de cette prétendue particulière vulnérabilité, le simple fait que Simone X, épouse Y, ait elle-même constaté que Roger Z perdait un peu de son autonomie, qu'il n'avait plus envie de s'occuper de ses affaires, ou qu'il avait perdu de l'appétit ; qu'ainsi, à défaut d'autres motifs, servant à justifier la connaissance d'une perte totale d'autonomie ou des facultés mentales au moment des actes incriminés, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale ;

"alors, de surcroît, que le délit d'abus de faiblesse, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 12 juin 2001, suppose un élément de contrainte émanant de l'auteur et qui oblige la victime à un acte contraire à ses intérêts ; qu'en se limitant à retenir, pour caractériser la contrainte, que Roger Z a établi volontairement et en parfaite connaissance de cause une procuration à Simone X, épouse Y, pour qu'elle gère ses affaires, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale ;

"alors, enfin que le délit d'abus de faiblesse suppose pour être constitué un grave préjudice qui ne saurait être justifié ni par la simple nature d'un acte, à savoir l'établissement d'une procuration, sans que soit exercée aucune contrainte, ni par le montant des sommes prétendument détournées, en l'absence de justification du patrimoine global de la personne concernée et de l'atteinte portée à ce patrimoine" ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3, 223-15-2 du Code pénal, 313-4 ancien du Code pénal, 591 à 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et de réponse à conclusions, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Simone X, épouse Y, coupable d'abus de l'ignorance ou de la faiblesse d'une personne vulnérable pour l'obliger à un testament ;

"alors, d'une part, qu'il ne ressort ni des motifs du jugement ni de ceux de la cour d'appel que Simone X, épouse Y, ait forcé Roger Z à rédiger un testament en sa faveur ; qu'ainsi en déclarant néanmoins Simone X, épouse Y, coupable pour tous les faits de la prévention, y compris le testament, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs ;

"alors, d'autre part, que la cour d'appel ne pouvait déclarer Simone X, épouse Y, coupable d'abus de faiblesse concernant la prétendue modification du testament, sans répondre aux conclusions de la prévenue qui faisait savoir qu'il n'y avait eu aucune contrainte et qu'en tout état de cause, un testament ne portait pas préjudice à son auteur mais à ses seuls héritiers et ne pouvait donc lui causer un grave préjudice personnel" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Simone Y a été renvoyée devant le tribunal correctionnel pour avoir, "de septembre 1999 à mai 2000 et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription", commis, au préjudice de Roger Z, le délit d'abus de faiblesse prévu par l'article 313-4 ancien du Code pénal ; qu'elle a été déclarée coupable de faits commis "du 1er août 1999 au 31 mai 2000" ;

Attendu que, pour entrer en voie de condamnation, l'arrêt, qui relève que tous les faits constitutifs de l'infraction d'abus de faiblesse ont eu lieu après le 1er septembre 1999, prononce par les motifs reproduits au deuxième moyen ; que les juges ajoutent, par motifs adoptés, que Simone Y "est allée jusqu'à faire modifier en sa faveur des testaments rédigés pour la gardienne et la femme de ménage" ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que, pour une personne vulnérable, l'acte de disposer de ses biens par testament en faveur de la personne qui l'a obligée à cette disposition, constitue un acte gravement préjudiciable au sens tant de l'article 313-4 ancien que de l'article 223-15-2 nouveau du Code pénal, la cour d'appel, qui n'a pas modifié la prévention, a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré la prévenue coupable ; d'où il suit que les moyens doivent être écartés ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Par ces motifs, Rejette le pourvoi.