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Décisions

Conseil Conc., 2 août 2007, n° 07-A-09

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Avis

Relatif à la prise de contrôle conjoint de la société Delaroche par la société L'Est Républicain et la Banque Fédérative du Crédit Mutuel, filiale du Crédit Mutuel Centre Est Europe

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme le Breton, M. Amiel par M. Lasserre, Président, M. Nasse, Mmes Aubert, Perrot, Vice-Présidents, Mme Renard-Payen, MM. Bidaud, Ripotot, membres.

Conseil Conc. n° 07-A-09

2 août 2007

Le Conseil de la concurrence (section III A),

Vu la lettre du 2 mai 2007, enregistrée sous le numéro 07/0041 A, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence, en application des dispositions des articles L. 430-1 à L. 430-7 du Code de commerce, d'une demande d'avis relative à la prise de contrôle conjoint de la société Delaroche par la société du Journal L'Est Républicain (" L'Est Républicain ") et la Banque Fédérative du Crédit Mutuel (" BFCM "), par l'intermédiaire du véhicule d'acquisition Est-Bourgogne-Rhône-Alpes (" EBRA ") ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7, ainsi que le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant ses conditions d'application ; Vu les observations présentées par les représentants de L'Est Républicain et de la Banque Fédérative du Crédit Mutuel et par le commissaire du Gouvernement ; Vu l'avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel, saisi conformément aux dispositions de l'article 41-4 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, telle que modifiée, rendu le 12 juin 2007 ; Vu les autres pièces du dossier ; Les rapporteurs, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement, et les représentants des sociétés L'Est Républicain et Banque Fédérative du Crédit Mutuel entendus au cours de la séance du 25 juillet 2007, ainsi que les représentants du groupe Hersant Média et du Syndicat de la presse quotidienne régionale, en application de l'article L. 430-6, alinéa 3 du Code de commerce ; Adopte l'avis fondé sur les constatations et les motifs ci-après exposés :

1. Le Conseil relève, à titre introductif, les points de procédure suivants.

2. L'opération qui fait l'objet du présent avis a, dans un premier temps, été autorisée par le ministre de l'Economie et des Finances, dans une lettre en date du 17 mai 2006. Le ministre avait alors considéré que la société EBRA était contrôlée exclusivement par L'Est Républicain.

3. Cette décision a été annulée par le Conseil d'État statuant au contentieux par une décision du 31 janvier 2007. Le Conseil d'État a, en effet, considéré que la société EBRA faisait l'objet d'un contrôle conjoint de L'Est Républicain et de la BFCM. Les éléments relevés en ce sens sont, d'une part, les dispositions des statuts d'EBRA relatives à la nomination et à la révocation des membres du comité de direction, organe chargé de la gestion opérationnelle de la société, et, d'autre part, les modalités du financement de l'acquisition de la société Delaroche par la société EBRA. Le Conseil d'État a ainsi relevé que les membres du comité de direction devaient être nommés ou révoqués à la majorité des deux tiers des actionnaires, ce qui impliquait l'accord de la BFCM. Il a également souligné que la BFCM finançait en totalité l'acquisition de la société Delaroche, par le versement d'une avance de 189 millions d'euro sur son compte courant d'associé dans les livres d'EBRA.

4. Conformément à l'article 10 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence " en cas d'annulation totale ou partielle d'une décision prise par le ministre chargé de l'Economie (...) et s'il y a lieu à réexamen du dossier, les entreprises concernées qui ont procédé à la notification soumettent une notification actualisée dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du Conseil d'Etat ". La BFCM et L'Est Républicain ont ainsi notifié au ministre la prise de contrôle conjoint d'EBRA, qui a donné lieu à la présente saisine du Conseil.

5. Par ailleurs, dans une lettre en date du 11 avril 2007, le ministre a autorisé la prise de contrôle exclusif par la BFCM du groupe Républicain Lorrain (" Le Républicain Lorrain "). Le Conseil devant tenir compte des circonstances de droit et de fait en vigueur au moment où il rend son avis, les effets de cette dernière acquisition seront intégrés dans le bilan concurrentiel de l'opération dont il est saisi.

I. Les entreprises parties à l'opération

A. L'EST REPUBLICAIN

6. L'Est Républicain est une société anonyme au capital de 2 400 000 euro ayant son siège social sis 54185 Heillecourt, immatriculée sous le numéro 756 802 328 RCS Nancy. Le groupe L'Est Républicain est actif dans le secteur de la presse, de la télévision, de la radio et de l'édition de livres.

7. Dans le secteur de la presse, il exploite principalement :

* quatre titres de presse quotidienne régionale : L'Est Républicain, La Liberté de l'Est, Les Dernières Nouvelles d'Alsace et Le Journal de la Haute Marne ;

* trois titres de presse hebdomadaire locale généraliste : La Presse de Gray, La Presse de Vesoul et L'Hebdo de Besançon ;

* un titre de presse hebdomadaire locale spécialisé : Les Affiches Moniteur ;

* un titre de presse trimestriel régional : Saisons d'Alsace ;

* trois titres de presse hebdomadaire gratuite : Top Est 55, Top Est 88 et Top Est 52 ;

8. Il est également actif marginalement dans les secteurs suivants :

* impression et distribution de titres tiers de presse ;

* exploitation de sites Internet pour chacun des titres de presse quotidienne régionale ;

* régie publicitaire de presse : France Régie

9. Le groupe exploite enfin :

* une régie publicitaire de radio : Top Régie ;

* une chaîne de télévision à vocation locale : Alsatic (1) ;

* deux sociétés de production de programmes de télévision à vocation locale : SAPA et Métropolest ;

* la société d'édition La Nuée Bleue, spécialisée dans l'édition des beaux livres.

B. LA BFCM

10. La BFCM est une société anonyme au capital de 1 302 192 250 euro, ayant son siège social sis 34, rue du Wacken, 67100 Strasbourg, immatriculée sous le numéro 355 801 929 RCS Strasbourg.

11. Il s'agit d'une filiale du groupe bancaire Crédit Mutuel Centre Est Europe (" CMCEE ") dont elle constitue le véhicule d'investissement et de diversification. Elle contrôle des sociétés actives dans plusieurs secteurs de l'économie, tels que l'immobilier, à travers les filiales Sarest, Sofrédim, Soparim et Afédim, la banque, par l'intermédiaire de sa filiale Crédit Industriel et Commercial (CIC) ou le secteur des médias, via sa filiale Société Française d'Édition de Journaux et d'Imprimés Commerciaux (ci-après " SFEJIC "). La BFCM est active dans les secteurs de la presse, de la télévision, de la radio et de l'édition de livres.

12. Dans ces derniers secteurs, le groupe exploite principalement :

* deux titres de presse quotidienne régionale : L'Alsace-Le Pays et Le Républicain Lorrain ;

* des titres de presse spécialisée locale : en Alsace, Massif des Vosges, Pays Comtois, Alsamed et Chasse en Alsace ; en Lorraine, Revue Lorraine ;

* un titre de presse gratuite d'information : Tout Info.

* des titres de presse gratuite d'annonces généralistes : PAM, PAC, Hebdo Gab, Paru Vendu Mulhouse, Paru Vendu Colmar (2) et 57Mag (3) ;

* des titres de presse gratuite d'annonces immobilières : L'Offre Immobilière 68, L'Offre Immobilière 67, L'Offre Immobilière 54, L'Offre Immobilière 88, L'Offre Immobilière 57 et Reflex Immobilier (4) ;

* un titre de presse hebdomadaire nationale spécialisée : Le Journal des enfants ;

* une régie publicitaire de presse pour des titres tiers : Alsace Publicité.

13. Il est également actif marginalement dans les secteurs suivants :

* distribution non adressée et d'encartage de prospectus publicitaires pour les envois de L'Alsace et de titres du groupe CIME ;

* conception de prospectus publicitaires ;

* distribution de presse gratuite et de prospectus, de portage de presse payante ;

* impression de titres de presse pour compte de tiers ;

* éditique, gestion et exploitation de sites Internet.

14. Le groupe exploite également :

* une régie publicitaire de radio : Europe Régies Alsace (5) ;

* une chaîne de télévision à vocation locale : Alsatic (6) ;

* une régie publicitaire de chaînes de télévision locale : Victoria Multimédia ;

* une société de production de films documentaires pour la télévision : Gingko (7) ;

* une société de correspondance pour des chaînes nationales télévisuelles : RL TV News ;

* les éditions Corpur, spécialisées dans l'édition de beaux livres ;

* les éditions Serpenoises Lorrain, spécialisées dans l'édition de beaux livres.

15. La société Devest Media, dont le capital est détenu à 100 % par la BFCM, possède une participation de 34,48 % dans la société Espace Group, laquelle contrôle les sociétés éditrices des radios locales Couleur 3 Lyon, Couleur 3 Grenoble, Couleur 3 Chambéry/Chamonix (Couleur 3 est une radio essentiellement musicale), Alpes 1 Grenoble (programme musical et d'information), ODS Radio (radio essentiellement musicale, présente en Savoie et Haute- Savoie) et Fréquence Jazz (radio musicale présente en région Rhône-Alpes), de la radio Alpes 1 Paca (région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, programme musical et d'information). Elle détient également des participations dans le capital des sociétés éditrices des radios Générations Paris Jazz, à Paris, et RVA en Auvergne.

16. Les parties notifiantes ont indiqué au Conseil que cette participation, qui n'avait pas été mentionnée dans la notification, pourrait éventuellement être appréciée par les autorités de contrôle comme conférant à la BFCM le contrôle de la société Espace Group, conjointement avec M. Mahé, actionnaire de la société à hauteur de 65,16 % des actions. En particulier, les parties notifiantes relèvent le droit de veto sur l'approbation du budget conféré à la BFCM par les statuts en cas d'exercice déficitaire (article 8.3 (e) du pacte d'actionnaires). Cette disposition pourrait, selon elles, être considérée comme allant au-delà de ce qui est nécessaire à la seule protection des intérêts financiers des actionnaires minoritaires et de nature à conférer à la BFCM une influence déterminante au sens de la pratique décisionnelle en la matière.

17. Le Conseil observe toutefois que, dans la mesure où ce droit de veto ne peut être exercé que dans l'hypothèse où la clôture du budget de l'année précédente aurait dégagé un résultat déficitaire, il apparaît strictement nécessaire à la protection des intérêts des actionnaires minoritaires. De plus, le Conseil rappelle que la caractérisation de l'exercice, par un actionnaire minoritaire, d'une influence déterminante sur une société repose sur la réunion d'un faisceau d'indices concordants. Or, en l'espèce, aucune autre disposition relative au fonctionnement de la société Espace Group n'est de nature à conférer une telle influence déterminante à la BFCM. Le seul droit de veto mis en avant par les parties notifiantes apparaît donc, en tout état de cause, insuffisant pour caractériser, à lui seul, l'influence déterminante de la BFCM sur la société Espace Group.

C. LA SOCIETE DELAROCHE

18. La société Delaroche (" Delaroche ") est une société anonyme au capital de 21 302 912 euro, ayant son siège social au 52/54, rue Servient, 69003 Lyon, immatriculée sous le numéro 712 048 677 RCS Lyon. Delaroche, cédée par la Socpresse dans le cadre de l'opération notifiée, exerce ses activités en Bourgogne et Rhône-Alpes (" pôle BRA ").

19. Elle exploite principalement :

* cinq titres de presse quotidienne régionale : Le Progrès, Lyon Matin, Le Dauphiné Libéré, Le Journal de Saône-et-Loire et Le Bien Public ;

* deux titres de presse hebdomadaire locale généraliste : La Tribune de Montélimar et Le Journal de Tain Tournon (8) ;

* deux titres de presse hebdomadaire spécialisée : Documents AP et Eco Plus 21 ;

* un titre de presse trimestriel régional : Alpes Loisirs ;

* un titre de presse quotidien local gratuit : Lyon Plus ;

* un titre de presse gratuite d'annonces : Immo City ;

20. Par ailleurs, elle est active dans les secteurs suivants :

* impression de titres de presse tiers ;

* une régie publicitaire de presse : Publiprint Prov. n°1 et Publiprint Dauphiné ;

* des sites Internet pour chacun des titres de presse quotidienne régionale ;

* chaîne de télévision à caractère local : Lyon Télévision Métropole ;

* site Internet pour la chaîne de télévision ;

* édition de beaux livres par l'intermédiaire de ses filiales le Journal de Saône-et-Loire et Le Dauphiné Libéré.

II. L'opération notifiée

A. DESCRIPTION

21. L'opération notifiée se décompose en deux opérations :

* d'une part, la création d'une filiale commune entre L'Est Républicain et la BFCM, dénommée EBRA,

* d'autre part, la cession du pôle BRA.

1. LA CESSION DU POLE BRA

22. En application du contrat de cession d'actions du 10 avril 2006, la société Socpresse devait céder à la société EBRA la totalité des actions de la société Delaroche, sous la condition suspensive relative à l'autorisation de l'opération au titre du contrôle des concentrations. Cette condition a été considérée comme étant levée le 8 juin 2006, à la suite de la lettre d'autorisation du ministre du 17 mai 2006.

2. LA CREATION D'EBRA, FILIALE COMMUNE DE L'EST REPUBLICAIN ET DE LA BFCM

23. EBRA, est une société par actions simplifiée au capital de 38 000 euro, soit 3 800 actions de 10 euro, présidée par M. Gérard Lignac. Son siège social est situé rue Théophraste Renaudot à Houdemont (54180). Son capital est détenu à hauteur de 51 % par L'Est Républicain (19 380 actions) et à hauteur de 49 % par la BFCM. Son organisation s'appuie sur un comité de direction composé de cinq membres nommés et révocables par les actionnaires à la majorité des deux tiers (article 13 des statuts) :

* deux membres représentant la BFCM : M. Michel Lucas et M. Marc Bauer (succédant à M. Etienne Pflimlin) ;

* trois membres représentant L'Est Républicain : M. Gérard Lignac, M. Gérard Colin, M. Bertrand Bommelaer.

24. Les décisions de ce comité sont prises à la majorité de ses membres. S'il n'est pas habilité à représenter la société à l'égard des tiers, il est investi des pouvoirs les plus étendus pour diriger, gérer et administrer la société ; en particulier, tout investissement engageant une filiale comprise dans le périmètre d'EBRA, d'un montant supérieur à 1 500 000 euro, doit faire l'objet d'un accord préalable du comité de direction (article 14 des statuts).

25. Les décisions que l'assemblée générale des actionnaires est habilitée à prendre, à la majorité des deux tiers, sont énumérées limitativement (article 19 des statuts). Il s'agit de l'approbation des comptes annuels et de l'affectation des résultats, de la nomination et de la révocation du président et des membres du comité de direction, de la nomination des commissaires aux comptes, de la dissolution et de la liquidation de la société, de l'augmentation et de la réduction du capital, de la fusion, scission et apport partiel d'actif, et de l'exclusion d'un actionnaire.

26. La création d'EBRA n'a pas donné lieu à la conclusion d'un pacte d'actionnaires.

B. LES CONDITIONS FINANCIERES DE L'ACQUISITION DE LA SOCIETE DELAROCHE ET LES RELATIONS FINANCIERES ENTRE LA BFCM ET EBRA

27. L'Est Républicain a apporté au capital d'EBRA la somme de 19 380 euro, donnant droit à une part de 51 % du capital. La BFCM a apporté au capital d'EBRA 18 620 euro, donnant droit à 49 % du capital. Selon les parties notifiantes, L'Est Républicain n'effectue aucun autre apport.

28. Aux termes du contrat de cession d'actions conclu entre EBRA et la Socpresse et du " mémorandum sur les conditions de financement du rachat par la société EBRA du pôle BRA et sur le financement de l'exploitation du groupe EBRA/Delaroche " (" le mémorandum "), signé le 10 mai 2006 entre L'Est Républicain et la BFCM, le financement du prix d'acquisition des actions de Delaroche par EBRA a été assuré par la BFCM au moyen du versement sur son compte courant d'associé dans les livres d'EBRA de la somme de [...] millions d'euro. Par ailleurs, la BFCM a effectué sur ce même compte courant d'associé un deuxième versement de [...] millions d'euro afin qu'il puisse être procédé au remboursement du passif du compte courant d'associé de la Socpresse dans les livres de la société Delaroche. Les parties notifiantes ont précisé dans leurs observations du 19 juillet 2007 que, compte tenu de la capitalisation des intérêts, la créance détenue par la BFCM sur EBRA au titre de son compte courant d'associé s'élevait à ce jour à environ [...] millions d'euro.

29. Il est également prévu par le mémorandum que le compte courant d'associé de la BFCM resterait bloqué pour une durée de trois ans à compter de la date de cession, soit jusqu'au 8 juin 2009. L'échéance de ce délai de trois ans n'imposerait pas automatiquement le remboursement du solde du compte courant mais celui-ci deviendrait alors exigible, sous réserve de ne pas excéder les capacités de trésorerie disponibles d'EBRA. De plus, il n'a pas été établi d'échéancier des remboursements, ces derniers devant être effectués en fonction de la trésorerie disponible de la société EBRA. La rémunération prévue par la convention de compte courant d'associé est indexée sur le taux " Euribor trois mois " majoré de 1,20 %. Il convient encore de relever que le mémorandum ne prévoit pas de sûreté en garantie des sommes ainsi apportées par la BFCM à EBRA.

C. CONCLUSIONS SUR LE PERIMETRE DE L'OPERATION

30. Le groupe Hersant Média, interrogé dans le cadre du test de marché, fait valoir que la société EBRA ne constitue pas seulement un véhicule d'acquisition de la société Delaroche mais également un véhicule d'intégration des activités médias de l'Est Républicain et du groupe Crédit Mutuel. Il soutient en particulier qu'un accord prévoyant le transfert des titres de L'Est Républicain à EBRA existe d'ores et déjà et qu'en conséquence, c'est le cumul des activités des deux sociétés actionnaires d'EBRA qui doit faire l'objet d'une analyse concurrentielle par les autorités.

31. Les sociétés notifiantes admettent en effet que l'opération notifiée pourrait n'être que la première étape d'un rapprochement plus poussé de leurs activités médias. Elles expliquent ainsi que s'il est stipulé dans la convention de compte courant d'associé signée entre la BFCM et EBRA le 22 mai 2006 que l'acompte de [...] euro versé à cette date sur la totalité du financement annoncé " pourra être incorporé au capital dans les conditions qui seront fixées par l'assemblée générale de la SAS EBRA ", c'est bien dans la perspective d'un transfert à EBRA des titres de L'Est Républicain détenus par la famille Lignac et/ou des titres SFEJIC. L'incorporation au capital de tout ou partie de l'avance en compte courant de la BFCM viserait alors à préserver la répartition actuelle du capital entre les deux actionnaires d'EBRA. Dans la même perspective, il peut être noté que le procès-verbal du conseil d'administration de L'Est Républicain du 14 février 2006 mentionne l'éventualité du transfert à EBRA du journal L'Alsace de Mulhouse, actuellement détenu par le groupe Crédit Mutuel.

32. Toutefois, les parties notifiantes réfutent l'affirmation selon laquelle un accord entre elles en ce sens aurait d'ores et déjà été conclu. Elles font notamment valoir que L'Est Républicain ne peut, pour l'heure, transférer ses titres de presse à EBRA puisqu'il avait précédemment octroyé au groupe Hersant Média, l'un de ses actionnaires minoritaires, un droit de préemption sur ses actions en cas de cession, et que les actions en justice qu'il a intentées pour rompre cet accord n'ont pour le moment pas abouti.

33. Il y a lieu effectivement de constater que les projets de gestion commune au sein d'EBRA des autres titres détenus par L'Est Républicain ne sont, en l'état du dossier notifié, pas réalisés. En tout état de cause, leur concrétisation justifierait vraisemblablement la notification d'une nouvelle opération au ministre de l'Economie en application de l'article L. 430-1 et suivants du Code de commerce. Par exemple, toute modification affectant le capital d'EBRA et de nature à conférer à la BFCM le contrôle exclusif de la société constituerait une opération de concentration au sens de l'article L. 430-1. Il en serait de même de l'apport par L'Est Républicain de ses actifs à EBRA.

34. En conséquence, sur la base du dossier de notification transmis par les parties au ministre et des renseignements complémentaires qu'elles ont fournis, le Conseil considère que le périmètre de l'opération notifiée est la création par l'Est Républicain et la BFCM de l'entreprise EBRA dont, ainsi que l'a jugé le Conseil d'État dans sa décision du 31 janvier 2007, elles détiennent conjointement le contrôle, et l'acquisition par EBRA de la société Delaroche. S'il apparaissait néanmoins que la notification était incomplète et que certains des transferts de propriété envisagés faisaient d'ores et déjà l'objet de contrats, les sanctions prévues au III de l'article L. 430-8 du Code de commerce seraient applicables.

III. Contrôlabilité

35. La contrôlabilité d'une opération de concentration relève de la combinaison des articles L. 430- 1 et L. 430-2 du Code de commerce qui posent une condition qualitative relative à la nature de l'opération de concentration et fixent des seuils relatifs au chiffre d'affaires.

36. Aux termes de l'article L. 430-1 du Code de commerce :

"I.- Une opération de concentration est réalisée :

1º Lorsque deux ou plusieurs entreprises antérieurement indépendantes fusionnent ;

2º Lorsqu'une ou plusieurs personnes, détenant déjà le contrôle d'une entreprise au moins ou lorsqu'une ou plusieurs entreprises acquièrent, directement ou indirectement, que ce soit par prise de participation au capital ou achat d'éléments d'actifs, contrat ou tout autre moyen, le contrôle de l'ensemble ou de parties d'une ou plusieurs autres entreprises.

II. - La création d'une entreprise commune accomplissant de manière durable toutes les fonctions d'une entité économique autonome constitue une concentration au sens du présent article.

III. - Aux fins de l'application du présent titre, le contrôle découle des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent, seuls ou conjointement et compte tenu des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d'exercer une influence déterminante sur l'activité d'une entreprise, et notamment :

- des droits de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens d'une entreprise ;

- des droits ou des contrats qui confèrent une influence déterminante sur la composition, les délibérations ou les décisions des organes d'une entreprise ".

37. Au cas d'espèce, l'opération est visée par ces dispositions à un double titre. D'une part, il s'agit de la création par la BFCM et par L'Est Républicain d'une entreprise commune " accomplissant de manière durable toutes les fonctions d'une entité économique autonome ", d'autre part, cette entreprise commune, dénommée EBRA, acquiert la totalité des actions de la société Delaroche.

38. Aux termes de l'article L. 430-2 du Code de commerce :

" Est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du présent titre toute opération de concentration, au sens de l'article L. 430-1, lorsque sont réunies les trois conditions suivantes :

- le chiffre d'affaires total mondial hors taxes de l'ensemble des entreprises ou groupes des personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 150 millions d'euro ;

- le chiffre d'affaires total hors taxes réalisé en France par deux au moins des entreprises ou groupes des personnes physiques ou morales concernées est supérieur à 50 millions d'euro ;

- l'opération n'entre pas dans le champ d'application du règlement (CEE) nº 4064/89 du Conseil du 21 décembre 1989 relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises.

- Toutefois, une opération de concentration entrant dans le champ du règlement précité qui a fait l'objet d'un renvoi total ou partiel à l'autorité nationale est soumise, dans la limite de ce renvoi, aux dispositions du présent titre (...) ".

39. En l'espèce, le cumul des chiffres d'affaires totaux mondiaux, réalisés en 2006 par les entreprises concernées, s'élève à 19 milliards d'euro, de sorte que la première condition est remplie. Le chiffre d'affaires réalisé en France en 2006 s'élève à 252 millions d'euro pour L'Est Républicain, à 16 milliards d'euro pour le groupe CMCEE et à 330 millions d'euro pour le pôle BRA, de sorte que la seconde condition est également satisfaite. Chacune des entreprises concernées réalise plus des deux tiers de son chiffre d'affaires total dans la Communauté à l'intérieur d'un seul et même État membre. La concentration n'est donc pas de dimension communautaire, de sorte que la troisième condition est également remplie.

40. En conséquence, les opérations notifiées constituent une opération de concentration soumise aux dispositions des articles L. 430-1 et suivants du Code de commerce.

IV. Délimitation des marchés concernés par l'opération

41. L'opération notifiée concerne les secteurs de la presse, de la télévision locale, de la radio locale, de l'édition de livres, de la régie publicitaire et des prospectus.

42. Les parties notifiantes indiquent que l'approche " mono-média " des autorités de la concurrence pour la définition des marchés pertinents ne reflète plus la réalité actuelle du secteur, qui est celle d'une concurrence active entre les différents médias qui permettent de satisfaire les mêmes besoins.

43. Mais si les autorités de concurrence n'ignorent pas que, du fait de la convergence de leur objet, les grandes catégories de médias exercent entre elles des contraintes structurelles et dynamiques qui réduisent la liberté de gestion de chacun d'eux, l'appréciation qu'elles ont jusqu'à présent faite de la substituabilité entre ces différents médias du point de vue des demandeurs n'a jamais permis qu'ils puissent être considérés comme un marché pertinent unique. Le Conseil avait encore adopté la même conclusion dans l'avis n° 05-A-18 du 11 octobre 2005 relatif à l'acquisition du pôle Ouest de la Socpresse par la société SIPA. Or, les évolutions enregistrées depuis ne sont pas majeures de sorte que la situation décrite par les parties notifiantes dans la présente affaire n'est pas différente de celle qui avait été prise en compte par le Conseil dans cet avis.

A. LA PRESSE

44. Dans le secteur de la presse écrite, les autorités de concurrence distinguent traditionnellement la presse nationale, la presse régionale, la presse gratuite, la presse spécialisée (9).

45. Au sein de la presse régionale, le marché de la presse quotidienne régionale (" PQR ") est distingué de celui de la presse hebdomadaire régionale (" PHR "), en raison de la périodicité différente des titres (10).

46. Au sein de la presse gratuite, la presse gratuite à contenu rédactionnel ou d'information n'est pas substituable à la presse gratuite d'annonces. Cette même presse gratuite d'annonces a de plus fait l'objet de distinctions plus fines entre annonces immobilières et offres d'emploi (11). Néanmoins, la jurisprudence n'a pas eu l'occasion de préciser, s'agissant des annonces immobilières, s'il y avait lieu de distinguer celles paraissant dans la presse gratuite spécialisée pour les annonces immobilières, de celles publiées dans la presse gratuite généraliste (12).

47. Au sein de la presse spécialisée, la presse spécialisée grand public est distinguée de la presse spécialisée technique et professionnelle. S'agissant de la presse spécialisée grand public, il y a lieu de distinguer entre celle à vocation nationale et celle à vocation locale, et à l'intérieur de ces catégories, différents marchés ont été identifiés en fonction de leur contenu éditorial, de leur présentation, de la périodicité, de la politique commerciale des titres et des caractéristiques des lecteurs (13).

48. Pour chacune des catégories de titres de presse ainsi identifiées, les autorités de concurrence retiennent trois marchés de produits : ceux du lectorat, de la publicité commerciale et des petites annonces.

49. Des marchés connexes à ceux de la presse ont par ailleurs été identifiés, tels que le marché de l'impression des titres de presse pour compte de tiers, celui de l'exploitation de sites Internet relatifs aux titres de presse diffusés et de régie locale de presse (14).

50. S'agissant de l'impression de titres de presse pour compte de tiers, il convient de distinguer l'impression de titres de presse de l'activité d'impression de documents administratifs et publicitaires et d'impression de livres, marché distinct, qui se caractérise par des clients et des prestations très différents (quantités à imprimer, fréquence, contraintes horaires, qualité du papier, type d'impression couleur, etc.) ainsi que des outils de production distincts (une simple imprimante suffit à imprimer des prospectus publicitaires, alors que des rotatives très spécifiques sont utilisées pour l'impression de quotidiens). La pratique des autorités de concurrence tend également à effectuer une telle distinction (15).

51. S'agissant de l'exploitation de sites Internet, il convient de distinguer les sites éditoriaux constituant le prolongement de la version papier des titres de presse, d'une part, et les sites d'annonces, d'autre part. En effet, le modèle économique des sites éditoriaux repose en grande partie sur la vente de publicité commerciale, elle-même corrélée à l'audience du site. Par ailleurs, un annonceur sur deux n'utilise qu'un seul site pour ses campagnes de publicité, privilégiant les sites à plus forte audience. Enfin, pour les consommateurs, il existe, en matière d'information locale, des sites Internet concurrents à ceux des parties, généralistes (par exemple, la rubrique " villes " du site Wanadoo), institutionnels ou thématiques (cinéma, sorties culturelles, etc.). L'édition de tels sites diffère de l'édition de sites d'annonces, certains étant dédiés à des thèmes spécifiques (emploi, annonces immobilières, etc.) et leur modèle économique est assez proche de celui des journaux gratuits (16).

B. LA TELEVISION

52. Dans le secteur de la télévision, les autorités de concurrence ont jusqu'à présent distingué les activités de télévision gratuite et celles de la télévision payante, qui ne correspondent pas au même modèle économique (17).

53. En matière de télévision non payante, il convient de relever les marchés pertinents suivants :

* le marché de l'acquisition des droits de diffusion, sur lequel les offreurs sont les producteurs de programmes et les demandeurs, les chaînes de télévision (marché amont, identifié en matière de télévision payante (18), mais existant également en matière de télévision non payante) ;

* le marché de la publicité télévisuelle, qui met en relation les annonceurs et les chaînes de télévision (marché aval) (19) et sans qu'il y ait lieu a priori de distinguer entre la publicité diffusée sur les chaînes de diffusion gratuite et de diffusion payante (20). Toutefois, le Conseil a eu l'occasion de relever qu'à la différence des chaînes payantes, les chaînes en clair tirent de la vente d'espaces publicitaires l'essentiel de leurs ressources, ce qui les conduit à rechercher une audience maximale (21). Avec le développement des télévisions locales, l'existence d'un marché de la publicité télévisuelle locale distinct de la publicité télévisuelle nationale n'est pas à exclure.

54. En aval, les autorités de concurrence définissent aujourd'hui un marché global de la télévision payante diffusée par satellite, câble, ADSL, TNT ou voie hertzienne, distinct de la télévision payante sur terminaux mobiles ou des services de VoD. Au stade intermédiaire, elles segmentent les marchés de l'édition et de la commercialisation de chaînes de télévision payantes selon le contenu éditorial (premium, cinéma, sport, information générale, jeunesse, etc.) (22).

55. Les marchés situés en amont de ceux relatifs à l'exploitation des chaînes de télévision sont ceux de l'acquisition des droits de diffusion, sur lesquels les offreurs sont les producteurs de programmes et les demandeurs sont les éditeurs de chaînes. Au sein de ce secteur d'activité, les autorités communautaires et nationales de concurrence distinguent traditionnellement les droits relatifs au sport, les droits relatifs aux œuvres cinématographiques et les droits relatifs à des programmes spécifiquement édités pour une diffusion à la télévision. En outre, une segmentation est opérée entre les programmes de stocks (films, téléfilms, etc.) et les programmes de flux (programmes d'information, magazines, jeux, etc.).

C. LA RADIO

56. Les marchés de la publicité étant multiples en fonction de la nature des supports (23), le Conseil a également reconnu l'existence d'un marché de l'espace publicitaire radiophonique (24).

D. L'EDITION DU LIVRE

57. Dans le secteur des livres, les autorités nationales et communautaires de la concurrence ont défini différents marchés de produits et de services caractérisant la " chaîne " du livre (25).

58. En amont, la Commission européenne a notamment distingué les marchés de l'acquisition des droits d'édition selon qu'il s'agit des droits primaires ou des droits secondaires d'édition. En matière de droits primaires d'édition, elle a opéré une première segmentation selon la langue de l'ouvrage (langue française ou langues étrangères) et une seconde distinction selon la catégorie des livres (26), qui constituent autant de marchés pertinents (27).

59. En aval, la Commission européenne a segmenté le secteur de la vente en gros selon le type de revendeurs - hypermarchés ou grossistes - et selon la catégorie d'ouvrages (livres de littérature générale grand format et format poche, livres pour la jeunesse, beaux livres, livres pratiques, bandes dessinées, livres éducatifs - scolaires et parascolaires -, ouvrages universitaires et professionnels, ouvrages de référence et fascicules encyclopédiques) (28).

E. LES PROSPECTUS

60. En matière d'imprimés sans adresse (" ISA "), le ministre a déjà été conduit à se prononcer en matière de définition des marchés pertinents. Ainsi, dans la lettre du 14 août 2001, il a indiqué que la distribution d'ISA est distincte des autres services de publicité hors média et que " la demande nationale et la demande locale ne sont pas substituables ".

F. LA REGIE PUBLICITAIRE

61. Les autorités de la concurrence reconnaissent l'existence de marchés de la régie publicitaire. L'offre fait intervenir une société de régie à laquelle les supports médias confient la gestion de leurs espaces publicitaires, par un contrat de mandat dans lequel le support est le mandant et le régisseur le mandataire. Le rôle de ces régies consiste à commercialiser, auprès des demandeurs, annonceurs et agences, les espaces dont dispose le support (29). Il existe autant de marchés de régie publicitaire que de supports médias (30).

G. LA DELIMITATION GEOGRAPHIQUE DES MARCHES

1. LE SECTEUR DES MEDIAS

62. Il ressort de la pratique décisionnelle des autorités nationales et communautaire de concurrence, non contestée par les parties notifiantes, que la dimension géographique des marchés des médias et de la publicité sur ces médias correspond à leur zone de diffusion (31). La pratique décisionnelle et la jurisprudence traditionnelle des autorités de concurrence (32) considèrent ainsi que les marchés du secteur de la presse ont une dimension nationale dès lors que les publications concernées sont diffusées de manière homogène sur le territoire national et que les annonceurs réalisent leurs investissements en fonction d'une stratégie nationale. A l'opposé, le marché géographique de la publicité commerciale dans la presse gratuite a été appréhendé sur une base locale, en raison du contenu des journaux ou de leur diffusion. S'agissant des sites Internet, la Commission européenne a défini un marché pertinent de la vente d'espaces publicitaires sur Internet de dimension au moins nationale (33).

63. Les marchés de la télévision ont une dimension nationale, les barrières linguistiques et les différentes réglementations nationales ayant pour effet de cloisonner les marchés, à l'exception du marché géographique des droits de diffusion (34) ; la Commission européenne a relevé que l'approvisionnement en droits peut se faire à l'échelle mondiale et que certains opérateurs acquièrent ces droits pour plus d'un territoire à la fois, même si cet approvisionnement se fait essentiellement sur une base nationale linguistique (35). En matière de publicité télévisuelle locale, le marché pertinent serait de dimension locale, correspondant à la zone de diffusion de la télévision.

64. Les titres de presse et chaînes de télévision concernés par l'opération ont une diffusion régionale, départementale ou infra-départementale. Ces zones de diffusion définissent la dimension géographique des marchés pertinents qui leur sont associés.

2. LE SECTEUR DE L'EDITION DU LIVRE

65. Les marchés de l'acquisition des droits primaires d'édition et de droit de reproduction iconographique et cartographique sont de dimension mondiale (36).

66. La Commission européenne considère en outre que les marchés de l'acquisition des droits secondaires d'édition et de vente de livres par les éditeurs aux revendeurs sont de dimension supranationale, correspondant au bassin francophone de la Communauté européenne (37).

V. Bilan concurrentiel

67. L'acquisition d'EBRA ayant été réalisée de façon conjointe par L'Est Républicain et la BFCM, il convient d'examiner dans un premier temps, d'une part, les effets du cumul d'activités de L'Est Républicain et d'EBRA et, d'autre part, les effets du cumul d'activités de la BFCM et d'EBRA. Ces effets, compte tenu des marchés concernés en l'espèce, peuvent être de deux ordres : premièrement, sur les marchés dans lesquels tant la maison-mère que la filiale sont présentes, le cumul de parts de marché serait susceptible de créer ou renforcer une position dominante ou de donner lieu à des effets unilatéraux (" effets horizontaux ", A) ; deuxièmement, même en l'absence de cumul de parts de marché, une atteinte à la concurrence pourrait naître de la disparition d'un concurrent potentiel (B) ; troisièmement, les maisons-mères comme la filiale commune étant actives sur de nombreux marchés du secteur des médias, il convient d'examiner si des effets de gamme pourraient porter atteinte à la concurrence (B).

68. Dans un second temps, la création d'une entreprise commune par deux entreprises indépendantes présentes sur les mêmes marchés pourraient favoriser l'apparition de comportements coordonnés de leur part (C).

A. L'EXAMEN DES EFFETS HORIZONTAUX

1. SUR LES MARCHES DES MEDIAS

69. Sur les marchés de la presse, l'opération n'entraîne d'effets horizontaux dus à l'addition de parts de marché que sur le marché de la presse gratuite d'annonces immobilières en Côte-d'Or et spécifiquement dans la zone de Dijon : ces effets sont liés au chevauchement entre les titres Reflex Immo (détenu par BFCM) et ImmoCity (détenu par Delaroche).

70. Toutefois, le marché concerné se caractérise par la présence d'un opérateur puissant de dimension nationale, le groupe Hersant Média, avec Les Nouvelles de l'Immobilier, et par celle du groupe Spir Communication, avec Logic-immo. Si l'on compare les chiffres de diffusion des titres en 2006, on constate que la somme des diffusions de Reflex Immo et d'ImmoCity ([70 000- 80 000]) est inférieure à la seule diffusion du titre Les Nouvelles de l'Immobilier ([75 000- 85 000]), mais supérieure à celle de Logic-immo ([30 000 - 40 000]). La part de marché cumulée de Reflex Immo et d'ImmoCity, calculée en chiffre d'affaires, est légèrement supérieure pour la seule publicité commerciale à celle des Nouvelles de l'Immobilier ([40-50] % pour [30- 40] %), Logic-immo en détenant [0-10] %. En ce qui concerne les petites annonces, elle équivaut, avec [40-50] %, à celle des Nouvelles de l'Immobilier, Logic-immo réalisant [0-10] % des ventes sur ce marché. Les additions de parts de marché résultant de l'opération placent donc EBRA à un niveau équivalent ou à peine supérieur à son concurrent immédiat. Dans ces conditions, le risque d'effets horizontaux peut être écarté sur ce marché.

71. En ce qui concerne les marchés connexes à la presse, l'opération entraîne des effets horizontaux dus à l'addition de parts de marché sur deux marchés.

72. Les activités de Delaroche et de la BFCM se chevauchent pour l'impression de titres de presse nationale, mais sont concurrencées par l'ensemble des unités d'impression présentes sur le territoire national. En outre, au niveau local, il existe, à Lyon, cinq unités d'impression susceptibles de constituer une offre alternative à celle des parties (Savoy Offset, IGPM, Fot, IPS, Roto Sud et Chirat).

73. Par ailleurs, on relève des chevauchements entre les activités de Delaroche et celles de L'Est Républicain, d'une part, et entre la BFCM et Delaroche, d'autre part, sur les marchés des sites d'annonces et des sites éditoriaux. Néanmoins, les parties occupent une place peu significative sur ces marchés pour lesquels existe une offre alternative très développée.

74. Dans ces conditions, ces chevauchements ne peuvent porter atteinte à la concurrence.

75. On relève enfin un chevauchement d'activité entre Alsatic, détenue par la BFCM et L'Est Républicain, et TLM, détenue par Delaroche, sur le marché de la publicité télévisuelle extralocale. Néanmoins, le caractère marginal de la part de marché prévisionnelle d'Alsatic (active sur ce marché depuis le 25 septembre 2006) et de TLM ([0-1 000 000] euro) exclut toute préoccupation de concurrence.

2. SUR LES AUTRES MARCHÉS

76. Les seuls chevauchements d'activité relevés entre, d'une part, Delaroche et L'Est Républicain et, d'autre part, Delaroche et la BFCM, concernent les marchés de l'édition de livres, notamment l'édition et la commercialisation de beaux livres. Toutefois, le risque que l'opération porte atteinte à la concurrence sur ces marchés peut être écarté dans la mesure où, toutes catégories de revendeurs confondus, les principaux acteurs du marché sont Hachette, Gallimard, La Martinière et Flammarion. En outre, il convient d'observer que ces ouvrages font l'objet d'une diffusion limitée, à prédominance régionale et dans des zones de diffusion différentes.

B. L'EXAMEN DES RISQUES D'ATTEINTE A LA CONCURRENCE LIES A LA DISPARITION D'UN CONCURRENT POTENTIEL

77. Une opération de concentration, bien que n'entraînant pas de chevauchement d'activité sur un marché, peut avoir pour conséquence la disparition d'un concurrent potentiel sur ce même marché. Revêt ce dernier caractère l'entreprise qui possède, ou peut acquérir dans un laps de temps raisonnable, les moyens nécessaires (techniques et commerciaux) pour pénétrer assez rapidement le marché avec une envergure suffisante, et sans avoir à supporter des coûts irrécupérables élevés. En dépit de son caractère potentiel, une telle concurrence discipline le comportement des entreprises installées sur le marché et sa disparition est donc de nature à réduire la pression concurrentielle à laquelle ces entreprises étaient soumises. Cette probabilité est d'autant plus forte lorsque les parties à l'opération sont présentes sur des marchés de produits ou géographiques proches.

78. En l'espèce, L'Est Républicain, la BFCM et la société Delaroche sont présentes sur des marchés locaux de la presse quotidienne régionale dont certains sont géographiquement proches. Notamment, L'Est Républicain et la BFCM diffusent certains de leurs titres de presse dans les départements du Territoire de Belfort, de la Haute-Saône, du Doubs, de la Haute-Marne, du Bas-Rhin, du Haut-Rhin, de la Moselle et de la Meurthe-et-Moselle, situés à proximité, notamment, des départements du Jura, de Côte-d'Or et de Saône-et-Loire où Delaroche est présente.

79. Il convient dès lors d'examiner si Delaroche était incitée, préalablement à l'opération, à pénétrer les zones de diffusion où L'Est Républicain et la BFCM sont présentes dans le secteur de la presse régionale, et en particulier, de la presse quotidienne régionale.

80. Plusieurs éléments conduisent toutefois à estimer que la société Delaroche n'était pas un concurrent potentiel des titres de L'Est Républicain ou de la BFCM sur les marchés de presse quotidienne régionale. En premier lieu, le Conseil relève, comme il l'avait fait dans l'avis n° 05- A-18, SIPA/Socpresse, déjà cité, la crise que traverse le secteur de la presse, et en particulier de la presse quotidienne régionale. La " gravité de la crise que subit la presse d'information générale " a depuis été également soulignée dans le rapport Lancelot. Cette crise trouve en partie son origine dans des mutations de sociétés profondes et dans l'apparition de nouveaux médias en phase avec ces mutations. Dans ces conditions, les efforts de la presse quotidienne régionale ont plus été consacrés à l'endiguement du recul de son lectorat qu'à la conquête de nouveaux territoires de diffusion. D'ailleurs, pour l'ensemble de la presse quotidienne régionale, on n'observe pas dans la période récente de tentative d'incursion d'un titre hors de son marché historique : au contraire, la tendance est à la concentration, pour répondre au besoin de restructuration du secteur. Les groupes privilégient également la diversification de leurs activités.

81. En second lieu, le Conseil a noté dans son avis SIPA/Socpresse l'attachement du lecteur à " son " titre de presse quotidienne régionale en particulier. La pénétration d'un nouveau titre nécessiterait donc des investissements importants en matière de communication.

82. Enfin, dans le cas d'espèce, la dégradation de la situation financière de la société Delaroche ne lui aurait pas permis une telle stratégie d'expansion.

83. S'agissant du marché de la presse hebdomadaire régionale, le raisonnement appliqué à la presse quotidienne régionale peut lui être étendu : les perspectives de gains sont trop faibles face au coût de la création de nouveaux titres (notamment ceux nécessaires à la constitution d'un réseau de distribution et de correspondants sur place), pour que le pôle BRA, en situation financière difficile, ait pu décider de pénétrer les marchés sur lesquels sont présents L'Est Républicain et la SFEJIC.

84. S'agissant de la presse gratuite d'annonces et d'informations, la présence de groupes puissants éditant des titres locaux sur une large partie du territoire (groupes Metro, Ouest France/Spir/20 Minutes, Hersant Média, Sud Ouest, etc.) et, en particulier, sur la plupart des zones de diffusion des titres des mères d'EBRA, relativise la pression concurrentielle qu'aurait pu y exercer le groupe Delaroche. Par ailleurs, et de la même façon que pour les autres marchés de la presse locale, il est peu probable que le pôle BRA ait pu consentir les investissements nécessaires pour développer une activité de presse locale sur des territoires voisins.

85. La même analyse peut être conduite sur les autres marchés dans lesquels les sociétés actionnaires d'EBRA sont présents mais font face à la concurrence d'autres éditeurs (télévision locale, radio locale, édition de livres, régie radio, imprimés sans adresses).

86. Le risque d'atteinte à la concurrence par disparition d'un concurrent potentiel peut donc être écarté sur l'ensemble des marchés.

C. L'EXAMEN DES EFFETS DE GAMME

1. LES EFFETS LIES A L'EXTENSION DE LA PRESENCE DE L'EST REPUBLICAIN, D'UNE PART, ET DE LA BFCM, D'AUTRE PART, SUR DES MARCHES GEOGRAPHIQUES DISTINCTS

87. L'acquisition des titres de presse de la société Delaroche par EBRA permet à L'Est Républicain d'étendre sa présence dans l'Est de la France, sur des marchés de produits identiques à ceux pour lesquels il est déjà présent en Lorraine et en Alsace, mais sur les marchés géographiques différents de Bourgogne et de la région Rhône-Alpes. Il en est de même pour la BFCM. Il convient donc d'examiner les risques liés à l'extension de la présence de l'Est Républicain, d'une part, et de la BFCM, d'autre part, sur plusieurs marchés géographiques voisins. Ils dépendent notamment de l'intérêt que présente pour les annonceurs la possibilité de grouper ou coupler leurs achats dans plusieurs zones géographiques.

a) Sur les marchés du lectorat

88. Compte tenu de l'attachement des lecteurs à leur titre de presse, la zone d'attractivité de ce dernier correspond à son périmètre de diffusion. La détention d'une gamme de titres de presse dans les départements voisins ne constitue donc pas un argument de vente décisif pour les lecteurs.

b) Sur les marchés de la publicité

89. L'avantage concurrentiel susceptible de résulter de la détention de plusieurs titres de presse dans des départements géographiquement proches doit être examiné en distinguant entre les annonceurs locaux et les annonceurs nationaux.

Annonceurs nationaux

90. Pour la publicité des annonceurs nationaux, L'Est Républicain, la BFCM par l'intermédiaire de sa filiale SFEJIC, et Delaroche ont d'ores et déjà recours, préalablement à l'opération, au GIE Quotidiens Associés, dont l'objet est de permettre à la presse régionale d'accéder à des campagnes publicitaires nationales. Le GIE facilite l'accès des annonceurs nationaux mais également régionaux aux espaces publicitaires de l'ensemble de la presse quotidienne régionale.

91. L'opération aura pour effet de porter à sept membres sur treize la représentation de L'Est Républicain, de la BFCM et d'EBRA dans ce GIE. Ils détiendront huit administrateurs sur quatorze (38). Il convient toutefois de relever que :

* les décisions d'assemblée sont prises à l'unanimité des membres, qui doivent être tous présents ou représentés (article 10 des statuts). Or, l'assemblée est un organe déterminant puisqu'il prend " toute décision nécessaire au fonctionnement du groupement " et " définit la politique générale de celui-ci dans le cadre de son objet " (article 11 des statuts) ;

* les décisions du conseil d'administration sont prises à la majorité des membres présents ou représentés, sauf en ce qui concerne l'élaboration du budget, le montant des cotisations, la modification du règlement intérieur et la nomination du président du conseil d'administration, ces décisions requérant une majorité renforcée des 3/4 des membres présents ou représentés (article 12 des statuts). Or, la BFCM, L'Est Républicain et Delaroche ne disposeront pas ensemble de la majorité des 3/4 au sein du conseil d'administration. Le conseil d'administration dispose des pouvoirs les plus étendus pour agir au nom du groupement et pour faire autoriser toutes les opérations relatives à son objet (article 13 des statuts). Le président du conseil est l'organe exécutif du groupement ; il l'engage à l'égard des tiers par tout acte entrant dans son objet social.

92. Il ressort de ces éléments que l'opération n'aura pas pour effet de conférer à EBRA ou à ses deux actionnaires le contrôle du GIE Quotidiens et Associés et donc la possibilité de l'utiliser au profit exclusif de leurs propres titres ou aux dépens des annonceurs.

93. En tout état de cause, l'attractivité de l'offre proposée par le GIE passe par la réunion d'un nombre important de titres de presse quotidienne régionale, afin de couvrir le territoire le plus étendu possible, et d'être ainsi en mesure d'attirer des annonceurs nationaux face à la concurrence des régies nationales de médias plus puissants (régies des télévisions ou radios nationales par exemple). De plus, le GIE Quotidiens et Associés est confronté à la concurrence du GIE Com Quotidiens, dont l'activité est identique, mais qui associe des titres de presse quotidienne régionale différents.

94. Enfin, les annonceurs nationaux, en raison de leur puissance commerciale et financière, disposent d'un pouvoir de négociation suffisant pour s'opposer à toute demande excessive.

Annonceurs locaux

95. Les annonceurs locaux achètent généralement des espaces dans le titre de presse quotidienne régionale diffusé sur la zone dans laquelle ils sont implantés. Les titres de presse estiment que la part de leur chiffre d'affaires publicitaire constitué d'achats d'espaces par des annonceurs locaux extérieurs à la zone de diffusion du titre n'excède pas [0-5] %. De même, les publicités à caractère local insérées dans plusieurs titres ne représentent qu'une faible part des recettes publicitaires des titres (39).

96. L'avantage concurrentiel représenté par la détention d'un ensemble de titres de presse quotidienne régionale sur des zones géographiquement voisines apparaît donc faible. De plus, les annonceurs locaux ont, comme les annonceurs nationaux, d'ores et déjà la possibilité de s'adresser au GIE Quotidiens Associés.

c) Sur les marchés des petites annonces

97. Sur ces marchés, la demande est composée de particuliers et de professionnels, locaux et nationaux. S'agissant des particuliers et des professionnels locaux, l'intérêt d'achats groupés ou couplés sur plusieurs titres est faible pour les mêmes raisons que pour les annonceurs publicitaires locaux. S'agissant des professionnels nationaux, ils disposent d'un pouvoir de négociation suffisant pour s'opposer à toute demande excessive.

d) Conclusion sur les effets de gamme liés à l'extension de la présence de l'Est Républicain, d'une part, et de la BFCM, d'autre part, sur plusieurs marchés géographiques voisins

98. Pour l'ensemble des raisons indiquées ci-dessus, il n'apparaît pas que l'extension de la présence de l'Est Républicain, d'une part, et de la BFCM, d'autre part, sur plusieurs marchés géographiques voisins, aurait pour effet de renforcer significativement leur pouvoir de marché et de porter atteinte à la concurrence sur les marchés concernés.

2. LES EFFETS DE GAMME LIES AU RENFORCEMENT DE LA GAMME DE PRODUITS MEDIAS DETENUS PAR L'EST REPUBLICAIN, D'UNE PART, ET PAR LE GROUPE CREDIT MUTUEL, D'AUTRE PART, SUR CERTAINS MARCHES GEOGRAPHIQUES

99. Dans la mesure où l'acquisition de Delaroche par EBRA permet à L'Est Républicain, d'une part, et au groupe Crédit Mutuel, d'autre part, de renforcer la gamme de médias dont ils disposent sur certains marchés géographiques, il convient d'examiner les risques concurrentiels liés à cette extension et qui pourraient découler de la mise en œuvre d'effets de gamme ou d'effets de levier.

a) Renforcement en Côte-d'Or (en particulier à Dijon)

100. L'opération a pour effet d'accroître la gamme de médias contrôlée par le groupe Crédit Mutuel dans les secteurs de Dijon/Beaune et Mâcon/Bourg-en-Bresse, sur lesquels sont diffusés à la fois des titres de presse quotidienne régionale du pôle BRA (Bien Public et Journal de Saône-et- Loire), un titre gratuit d'annonces immobilières du pôle BRA (Immo City), et le nouveau titre gratuit d'annonces Reflex Immo contrôlé par la SFEJIC conjointement avec le groupe Sud Ouest.

101. Toutefois, les effets de ce regroupement sont équilibrés par la présence du groupe Hersant Média, opérateur puissant et d'envergure nationale.

b) Renforcement en Rhône-Alpes (en particulier à Lyon)

102. Delaroche est présente à Lyon sur les marchés de la presse quotidienne régionale, de la presse gratuite d'information, de la télévision et de leurs régies publicitaires. En Rhône-Alpes, Delaroche est présente sur les marchés de la presse quotidienne régionale, de la presse hebdomadaire régionale et de la télévision.

103. Sur ces deux zones, la BFCM pourrait voir sa gamme de médias sensiblement renforcée, s'il était considéré que la BFCM contrôle conjointement la société Espace Group, hypothèse que le Conseil n'a pas retenue (cf. ci-dessus paragraphes 15 à 17). L'analyse concurrentielle a cependant été menée, à titre de précaution. Pour la conduite de cette analyse, il convient de prendre en compte plusieurs éléments : (i) la position de l'entreprise sur les marchés concernés, (ii) l'importance de l'étendue de la gamme détenue du point de vue des acheteurs (iii) la capacité des concurrents à proposer eux aussi une gamme de supports médias étendue.

104. En l'espèce, les titres de la société Delaroche sont en situation de monopole sur la région Rhône-Alpes en ce qui concerne les différents marchés de la presse quotidienne régionale. La société Delaroche occupe également une position forte en matière de télévision locale puisque la présence très ponctuelle des décrochages de France 3 n'est pas réellement comparable avec l'offre de programmes d'une télévision locale de plein exercice. Dans l'hypothèse où la BFCM exercerait une influence déterminante sur la société Espace Group, la BFCM ajouterait à cette gamme de supports médias un ensemble de radios locales sur les deux zones géographiques concernées, représentant [0-10] % de l'audience et [10-20] % des recettes publicitaires de l'ensemble des espaces radios locales sur ces zones.

105. Comme le Conseil l'a relevé dans l'avis SIPA/Socpresse cité ci-dessus, la presse quotidienne régionale constitue un support publicitaire incontournable pour les annonceurs locaux et un éditeur en situation de monopole sur ce marché est en mesure de faire jouer un effet de levier en couplant les ventes d'espaces publicitaires sur ses titres de presse quotidienne régionale avec la vente d'espaces sur d'autres supports médias. Par ailleurs, la détention d'une gamme constitue un argument de vente déterminant pour les annonceurs, coutumiers des campagnes multisupports et multi-titres, ou via les centrales d'achat. EBRA serait ainsi en mesure de proposer, aux annonceurs et acheteurs d'espace publicitaire, une large gamme de produits, en permettant aux annonceurs de réaliser des économies de gestion liées à la " massification " de leurs achats, comme c'est le cas lorsqu'une régie est commune à plusieurs médias. L'attractivité de l'offre pourrait encore être accrue en proposant des remises conditionnées à l'achat d'espaces sur plusieurs médias.

106. Les concurrents de la BFCM et d'EBRA disposent pour certains d'entre eux d'une position plus forte sur certains supports médias, comme la presse d'information gratuite ou la presse d'annonces gratuite. Ils ne sont toutefois pas en mesure de proposer des espaces sur des titres de presse quotidienne régionale. Le contrepouvoir des clients, sur les marchés publicitaires, sera également réduit, puisqu'il sera difficile aux annonceurs, spécialement les annonceurs locaux, de construire leur plan média sur la région sans recourir aux services d'EBRA.

107. Si le ministre considérait, contrairement à ce qu'a retenu le Conseil, que la BFCM exerce un contrôle conjoint sur la société Espace Group, l'opération pourrait donc justifier, comme dans l'avis SIPA/Socpresse déjà cité, que la BFCM et EBRA s'engagent à n'offrir aucune offre couplant les espaces publicitaires sur la zone Rhône-Alpes.

3. LES EFFETS DE GAMME LIES A LA PRESENCE DE LA NOUVELLE ENTITE SUR DES MARCHES DE PRODUITS DISTINCTS, DANS LE SECTEUR DES MEDIAS ET DE LA BANQUE

108. Compte tenu de la présence simultanée de la nouvelle entité sur les marchés de la presse quotidienne régionale et sur les marchés bancaires, il convient, comme l'y incitent les observations soulevées par le groupe Hersant Média et la lettre de saisine du ministre, de s'interroger sur les éventuels effets de gamme induits par l'opération à ce titre.

109. La question se pose tout d'abord du point de vue des couplages possibles entre ces produits. La réponse n'appelle pas de longs développements dans la mesure où les services bancaires ne constituent pas des prestations complémentaires aux services offerts par la presse quotidienne régionale et susceptibles d'être proposés, de façon récurrente, au sein d'une même offre. La détention de ces deux types d'activité ne constitue donc pas un argument de vente déterminant pour les acheteurs. En outre, l'article L. 122-1 du Code de la consommation interdit " de subordonner la vente d'un produit à l'achat d'une quantité imposée ou à l'achat concomitant d'un autre produit ou d'un autre service ainsi que de subordonner la prestation d'un service à celle d'un autre service ou à l'achat d'un produit ".

110. Il peut également être envisagé que le titre de presse puisse être tenté de traiter de façon défavorable les demandes d'insertions publicitaires émanant de concurrents du groupe bancaire. L'intérêt de cette stratégie apparaît toutefois faible, voire inexistant, compte tenu d'une part, des faibles gains qui pourraient en être attendus et, d'autre part, des sanctions prévues par le droit de la concurrence pour la mise en œuvre de pratiques discriminatoires par une entreprise en position dominante sur un marché. De plus, il convient de prendre en compte la puissance d'achat, sur les marchés de la publicité, des groupes bancaires concurrents du Crédit Mutuel.

111. Au-delà de ces pratiques commerciales, les observations du groupe Hersant Médias suggèrent que le contrôle de titres de presse quotidienne régionale par une banque de détail comme le groupe Crédit Mutuel serait de nature à favoriser son expansion dans les régions concernées. Il est ainsi soutenu que le groupe Crédit Mutuel, déjà très présent dans les régions de l'Est de la France et notamment en Alsace, pourrait, avec le rachat du pôle BRA, étendre son emprise sur les régions Bourgogne et Rhône-Alpes grâce à une place privilégiée dans la communication éditoriale ou publicitaire des titres. Le groupe Hersant Médias cite l'exemple du Crédit Agricole dont la place sur les marchés bancaires du Nord de la France serait, selon lui, soutenue par les nombreuses références dont il bénéficie dans les pages du Courrier Picard.

112. Il est en effet concevable qu'un réseau bancaire à forte implantation locale recherche, à travers l'acquisition de titres de presse quotidienne régionale, au-delà de la rentabilité de son investissement, le moyen d'étendre son pouvoir d'influence sur la vie politique et économique locale, et que, malgré les déclarations assurant le Conseil de l'indépendance des rédactions, ce groupe puisse bénéficier d'une communication favorable dans les pages du titre. Toutefois, le risque de l'accroissement d'un tel pouvoir d'influence ne peut être assimilé, à lui seul, à une atteinte à la concurrence au sens de l'article L. 430-6 du Code de commerce qui précise la finalité du contrôle des concentrations.

113. Il convient, en conséquence, d'exclure les risques d'atteinte à la concurrence liés à la présence simultanée de la nouvelle entité sur les marchés des services bancaires et de la presse quotidienne régionale.

D. LES RISQUES DE COORDINATION ENTRE LES SOCIÉTÉS MÈRES D'EBRA

114. Le Conseil d'État, par sa décision du 31 janvier 2007 a jugé que le ministre avait notamment omis d'examiner si l'opération " pouvait être à l'origine d'un risque de coordination tacite entre la SA 'Le Journal de l'Est Républicain' et la BFCM dans les départements où elles sont en concurrence ".

115. Dans sa lettre de saisine du 2 mai 2007, le ministre se demande si l'expression " coordination tacite " renvoie à la notion de coordination entre maisons-mères liée à la création d'une entreprise commune issue de la pratique décisionnelle communautaire et nationale ou si elle vise, au contraire, la notion de création ou de renforcement d'une position dominante collective entre les sociétés mères. Il précise que, jusqu'à présent, la pratique décisionnelle n'a pas examiné ce second risque sur les marchés où les sociétés mères sont en concurrence, sans que la filiale commune y soit active, puisque ces marchés ne font alors pas l'objet d'une modification structurelle du fait de l'opération.

116. Le Conseil estime que si, au regard de la pratique communautaire issue des articles 2.4 et 2.5 du règlement n° 139-2004 relatif au contrôle des concentrations, la question posée par le ministre - autour de la double signification que pourrait revêtir la notion de " coordination tacite "- est pertinente, elle ne l'est pas au regard du droit national : les articles L. 430-1 et suivants du Code de commerce englobent en effet les deux types de risques dans un même test, sans distinguer le traitement à réserver à chacun d'entre eux.

117. Les spécificités du droit national par rapport au cadre communautaire seront donc rappelées avant d'en faire application au cas d'espèce.

1. CADRE JURIDIQUE

118. Les articles 2.4 et 2.5 du règlement communautaire n° 139-2004 sur le contrôle des concentrations (le " règlement n° 139-2004 ") prévoient un test spécifique pour la création des entreprises communes :

" 4. Pour autant que la création d'une entreprise commune constituant une concentration au sens de l'article 3 ait pour objet ou pour effet la coordination du comportement concurrentiel d'entreprises qui restent indépendantes, cette coordination est appréciée selon les critères de l'article 81, paragraphes 1 et 3, du traité en vue d'établir si la concentration est compatible ou non avec le Marché commun.

5. Dans cette appréciation, la Commission tient notamment compte de :

* la présence significative et simultanée de deux entreprises fondatrices ou plus sur le même marché que celui de l'entreprise commune, sur un marché situé en amont ou en aval de ce marché ou sur un marché voisin étroitement lié à ce marché,

* la possibilité donnée aux entreprises concernées, par leur coordination résultant directement de la création de l'entreprise commune d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits et services en cause "

119. L'article 3.4 du même règlement n° 139-2004 dispose également que : " La création d'une entreprise commune accomplissant de manière durable toutes les fonctions d'une entité économique autonome constitue une concentration au sens de paragraphe 1, point b) ".

120. Cette rédaction, déjà introduite par le règlement n° 1310-97 du 30 juin 1997, entré en vigueur le 1er mars 1998 et modifiant le règlement n° 4064-89 du 21 décembre 1989 relatif au contrôle des concentrations, a une conséquence bien précise : la constatation que la création d'une entreprise commune peut avoir pour objet ou pour effet de coordonner les comportements des sociétés mères, restées indépendantes, n'a plus pour effet d'exclure du champ du contrôle des concentrations l'opération concernée. De telles opérations font toutefois l'objet d'un traitement qui reste spécifique puisqu'elles sont appréciées selon les critères de l'article 81 du traité CE qui définit le droit des ententes.

121. Il convient d'apprécier cette spécificité à la lumière de plusieurs caractéristiques du droit communautaire, présentes ou contemporaines du règlement n° 1310-97. En premier lieu, l'ancien régime communautaire des ententes prévoyait la notification préalable obligatoire des ententes en vue d'obtenir éventuellement une exemption : l'examen a priori au titre du droit des ententes était donc possible. En deuxième lieu, la Commission européenne est compétente pour appliquer tant les règles de contrôle des concentrations que les articles 81 et 82 du traité CE. Avant 1997, la constatation que la création d'une entreprise commune par deux sociétés avait un objet ou un effet de coordination entraînait la requalification de la première en entreprise commune coopérative, et l'excluait du champ du contrôle des concentrations, pour une appréciation exclusive au regard de l'article 81 du traité CE. L'intégration, après 1997, de l'examen dans le contrôle des concentrations n'a rien changé à la compétence de la Commission européenne. Enfin, et en troisième lieu, il faut rappeler qu'avant l'entrée en vigueur du règlement communautaire n° 139-2004 sur le contrôle des concentrations, le test de concentration communautaire avait un caractère relativement limitatif puisqu'il ne visait qu'à prévenir la création ou le renforcement d'une position dominante.

122. Ces spécificités sont absentes du cadre juridique national qui se distingue à trois points de vue de celui précédemment exposé au plan communautaire. En premier lieu, le droit national n'a jamais connu, depuis 1986, de notification préalable des ententes : leur compatibilité avec l'article L. 420-1 du Code de commerce n'est examinée que dans des contentieux ex post, à la faveur d'un régime d'exception légal. En deuxième lieu, les autorités compétentes pour statuer sur le droit des ententes d'une part, le contrôle des concentrations d'autre part, sont distinctes : le Conseil de la concurrence dans le premier cas, le ministre de l'Economie après avis, le cas échéant, du Conseil dans le second cas. Enfin, et en troisième lieu, le test national appliqué pour le contrôle des concentrations a été traditionnellement plus large que celui résultant, avant la refonte opérée par le règlement, des textes communautaires : il vise à prévenir toute restriction significative de la concurrence, dont la création ou le renforcement d'une position dominante n'est qu'une illustration.

123. Plus précisément, le II de l'article L. 430-1 du Code de commerce dispose que " la création d'une entreprise commune accomplissant de manière durable toutes les fonctions d'une entreprise économique autonome constitue une concentration au sens du présent article ". Mais il n'existe aucun test spécifique à l'analyse des effets sur la concurrence d'une opération de concentration résultant de la création d'une entreprise commune par deux maisons-mères qui restent indépendantes. Le test applicable est donc celui de l'article L. 430-6 du Code de commerce, visant à identifier les opérations " de nature à porter atteinte à la concurrence notamment par création ou renforcement d'une position dominante ou par création ou renforcement d'une puissance d'achat qui place les fournisseurs en situation de dépendance économique " et qui n'apportent pas " au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence ".

124. Dans ces conditions, la distinction opérée au paragraphe 391 des lignes directrices relatives au contrôle des concentrations publiées par la DGCCRF entre une analyse qui relèverait directement du test concentration, menée conformément aux articles L. 430.5 et L. 430-6 du Code de commerce, et une analyse conduite en recourant aux trois critères repris de la pratique communautaire (critères du lien de causalité, de la vraisemblance et de l'effet sensible), amendement sur lequel le Conseil de la concurrence n'a pas été consulté, n'est pas éclairante dans la mesure où, même dans ce deuxième cas, l'analyse relève directement du test concentration et doit être menée conformément au droit commun issu des articles L. 430-5 et L. 430-6 du Code de commerce.

125. De ce point de vue, la situation dans laquelle la création d'une entreprise commune inciterait les sociétés mères à coordonner leurs comportements sur les marchés où elles sont toutes deux actives pourrait conduire à constater que l'atteinte à la concurrence en résultant serait incompatible avec les dispositions de l'article L. 430-6, quelle que soit la forme de cette coordination : expresse, au sens qui lui est donné dans le droit des ententes, ou tacite, dans l'acception retenue par la pratique décisionnelle relative à la position dominante collective. En effet, il ne peut être exclu a priori que la création d'une entreprise commune renforce les liens structurels entre les maisons-mères qui seraient unies par une relation d'interdépendance leur permettant d'anticiper leurs comportements, d'aligner leurs stratégies et de faire converger leurs objectifs, sans pour autant qu'elles adoptent des comportements prohibés par le droit des ententes. Les caractéristiques structurelles des marchés qui sont de nature à favoriser une entente expresse recouvrent d'ailleurs en partie les critères permettant d'apprécier la vraisemblance de la création ou du renforcement d'une position dominante collective. L'analyse de ce dernier risque implique toutefois que soient prises en compte la réaction des autres concurrents actifs sur les marchés concernés et leur capacité à contester la ligne d'action des maisons-mères.

126. Une telle atteinte peut être envisagée de façon plus évidente si les maisons-mères et la filiale commune sont présentes sur les mêmes marchés. Elle ne peut être exclue a priori lorsque les maisons-mères sont présentes sur un marché distinct de celui de leur filiale commune, le contact multi-marché entre des entreprises étant également susceptible de faciliter la coordination de leurs comportements.

127. Les décisions récentes du Conseil d'État confirment ce raisonnement, en appliquant la même grille d'analyse tant aux risques d'entente expresse que de position dominante collective, les deux hypothèses y étant mentionnées de façon indifférenciée. Ainsi, la décision du 27 juin 2007, rendue sur la requête de la société M6 qui soutenait que la création d'une entreprise commune par les sociétés TF1 et AB portait atteinte à la concurrence, assimile le risque de coordination à celui de création ou renforcement d'une position dominante collective :

" Sur les risques de coordination entre les sociétés TF1 et AB Considérant que s'il appartenait au ministre d'examiner, dans le cadre de la procédure prévue par les articles L. 430-1 et suivants du Code de commerce, si l'opération conjointe de rachat de la société TMC qui lui était soumise était de nature à faire naître un risque de coordination des comportements des sociétés mères sur les marchés concernés, il ressort des pièces du dossier qu'à la date à laquelle le ministre a pris la décision attaquée et compte tenu, d'une part de la concurrence très vive existant sur les marchés de l'exploitation et de la commercialisation des chaînes thématiques et de l'achat des droits de diffusion, d'autre part des engagements pris par les sociétés TF1 et AB en ce qui concerne la publicité télévisée, l'opération considérée n'était pas par elle-même de nature à créer ou renforcer une position dominante collective de ces sociétés ; que, si le comportement des deux sociétés fait ultérieurement apparaître de tels risques, il appartiendra aux autorités de concurrence de mettre en œuvre, le cas échéant, les procédures adéquates " (soulignements ajoutés).

128. De même, M. Glaser, commissaire du gouvernement dans l'affaire qui a donné lieu à la décision du Conseil d'État du 31 janvier 2007, relevait dans ses conclusions que " le ministre aurait également dû examiner les effets coordonnés de l'opération, c'est-à-dire le risque d'oligopole collusif ou de position dominante collective ".

129. Dans ces conditions et en réponse à la question soulevée par le ministre dans sa saisine, le Conseil de la concurrence considère que le Conseil d'État n'a fait, par sa décision précitée du 31 janvier 2007, que renvoyer au droit commun du contrôle des concentrations prévu par le Code de commerce, dans le cadre duquel la recherche des effets coordonnés de l'opération s'inscrit naturellement.

2. APPRECIATION DES RISQUES DE COORDINATION AU CAS D'ESPECE

130. En dépit des divergences notées plus haut, il convient de remarquer que les critères de causalité, de vraisemblance et d'effet sensible visés à l'article 2.5 du règlement n° 139-2004 et dont il a déjà été question, manifestent une approche qui peut être tout à fait compatible avec celle que doit adopter l'autorité nationale pour apprécier les atteintes à la concurrence dans le cadre du contrôle des concentrations. Par exemple, les décisions envisagées au III de l'article L. 430-7 du Code de commerce ne peuvent être mises en œuvre que si les atteintes à la concurrence identifiées sont directement liées à l'opération examinée, si elles ont un caractère de vraisemblance suffisant et si elles ont des conséquences sensibles. Il est donc possible de s'inspirer, comme le suggère la DGCCRF dans ses lignes directrices, de l'analyse faite par les autorités communautaires à propos des effets de la création d'une entreprise commune sur les incitations des maisons-mères à coordonner leurs comportements. Le standard de preuve en découlant est relativement exigeant dans la mesure où il impose à l'autorité un double pari, qui consiste à mettre en évidence, d'une part, les chances d'une coordination vraisemblable du fait de l'opération, d'autre part, la conviction que la ligne d'action résultant de cette coordination portera une atteinte à la concurrence. Il faut noter à ce propos que parmi les nombreuses décisions que la Commission européenne a été amenée à prendre depuis 1997 en application des articles 2.4 et 2.5 du règlement n°1310-97, elle n'a considéré qu'il existait un risque de coordination que dans quelques cas (4 affaires sur environ une cinquantaine avaient donné lieu à des engagements de la part des entreprises à la fin de l'année 2004).

a) En ce qui concerne le lien de causalité

131. Il convient, en premier lieu, d'examiner de quelle façon la création de l'entreprise commune peut influencer le comportement concurrentiel des maisons-mères sur les marchés où elles sont en concurrence, la simple création par deux entreprises indépendantes d'une filiale commune ne suffisant pas, en elle-même, à modifier les incitations de ces deux sociétés à coordonner leurs comportements concurrentiels. Ce lien causal peut être plus facilement établi si l'activité de l'entreprise commune revêt une importance essentielle sur le marché sur lequel les maisons-mères sont actives. Mais il ne peut être exclu que d'autres facteurs, tels que les liens financiers tissés dans le cadre de la création de la filiale, soit à l'origine d'une interdépendance accrue entre les maisons-mères.

132. A cet égard, on peut relever que l'article 2.5 du règlement n° 139-2004 dispose que dans cette appréciation, " la Commission tient notamment compte de la présence significative et simultanée de deux entreprises fondatrices ou plus sur le même marché que celui de l'entreprise commune, sur un marché situé en amont ou en aval de ce marché ou sur un marché voisin étroitement lié " (soulignement ajouté). Contrairement à ce que soutiennent les parties notifiantes, la proximité des marchés sur lesquels opèrent les mères et leur entreprise commune ne constitue donc qu'un élément d'appréciation et il n'en résulte aucunement qu'en dehors d'une telle relation de proximité entre marchés, tout risque de coordination doive être exclu.

133. En revanche, cette exigence d'un lien de causalité entre l'incitation à coordonner leurs comportements et la création d'une filiale commune ne saurait aller, comme le soutient le commissaire du Gouvernement dans ses observations, jusqu'à exiger que l'opération permette aux parties d'observer un plan établi en commun et à l'avance, dans un but déterminé. Une telle approche limiterait le contrôle aux entreprises communes dont l'objet est la coordination des comportements des maisons-mères en excluant celles qui pourraient avoir cet effet.

Les liens entre les activités des maisons-mères et celles de la filiale

134. La société EBRA a été créée par L'Est Républicain et la BFCM pour l'acquisition et la gestion des médias détenus par la société Delaroche en Bourgogne et Rhône-Alpes. Ces marchés ne sont pas sans liens avec les marchés des médias en Alsace et Lorraine sur lesquels les deux actionnaires sont en concurrence puisqu'il s'agit des mêmes marchés de produits. Toutefois, comme cela a été vu ci-dessus s'agissant des effets de gamme, les interactions concurrentielles entre ces marchés géographiques différents sont faibles. Elles ne sont perceptibles que sur les marchés de la publicité régionale ou nationale pour lesquels le GIE Quotidiens et Associés fournit déjà un moyen de coordination des comportements concurrentiels des deux maisons-mères.

135. Selon le dossier de notification et les observations des parties, certaines synergies sont attendues de la gestion coordonnée des titres de presse quotidienne régionale de L'Est Républicain et de ceux du pôle BRA. Leur périmètre ne ressort toutefois pas clairement des informations apportées par les parties notifiantes qui ont déclaré successivement que des achats en commun de papier et d'encre pourraient être effectués, puis que les gains d'efficacité seraient essentiellement internes au pôle BRA. D'autres répondants ont évoqué une mutualisation plus poussée de certains contenus rédactionnels tels que les services, voire l'information générale. En tout état de cause, de tels projets ne sont envisagés qu'en ce qui concerne les titres de L'Est Républicain et non ceux de la BFCM. Ils ne pourraient donc accroître l'incitation des deux actionnaires à coordonner leurs comportements concurrentiels sur les marchés de la presse quotidienne régionale en Alsace et en Lorraine.

136. Cette faible interaction entre les marchés sur lesquels EBRA sera active et ceux sur lesquels les deux maisons-mères sont en concurrence limite également la probabilité qu'EBRA soit le vecteur d'échanges d'informations entre les deux actionnaires sur leurs activités respectives. La gestion conjointe d'EBRA par la BFCM ne nécessite pas que les activités médias de la BFCM soient évoquées au sein d'EBRA. La nomination aux postes d'administrateurs d'EBRA de représentants de la BFCM sans liens avec les activités médias puisque appartenant à l'activité bancaire du groupe est d'ailleurs de nature à assurer un certain cloisonnement entre EBRA et les activités médias de la BFCM. Dans ces conditions, les échanges au sein d'EBRA d'informations relatives à la gestion des titres de L'Est Républicain, s'ils peuvent être favorisés au titre des synergies recherchées entre les titres de la maison-mère et ceux de la filiale, ne feront pas l'objet d'une remontée évidente vers les activités médias de la BFCM, qui pourrait favoriser une coordination des comportements concurrentiels des deux actionnaires.

Les relations financières entre les deux actionnaires liées à la création d'EBRA et à l'acquisition du pôle BRA

137. Le Conseil d'État, dans sa décision du 31 janvier 2007 relative à la présente opération, a relevé l'importance du rôle joué par la BFCM dans le financement du rachat des titres de Delaroche : " la BFCM a financé, seule pour un montant total de 189 millions d'euro, la reprise de la SA Delaroche par la société EBRA, dont le capital ne dépasse pas 38 000 euro (...) la circonstance que, par une convention de compte courant en date du 22 mai 2006, la BFCM s'est engagée à ne pas exiger de remboursement de son prêt avant l'expiration d'une période de trois ans n'est pas de nature à réduire ce pouvoir compte tenu, notamment, de l'ampleur des difficultés financières rencontrées par la SA Delaroche et de l'importance du prêt par rapport au chiffre d'affaires de cette dernière ". Il peut également être relevé, comme exposé ci-dessus au paragraphe 29, qu'il n'a pas été établi d'échéancier des remboursements pour l'avance en compte courant de 189 millions d'euro, ces derniers devant être effectués en fonction de la trésorerie disponible de la société EBRA.

138. Il a été soutenu par l'un des concurrents interrogé dans le cadre du test de marché que le caractère risqué et déséquilibré de l'opération pour la BFCM ne trouvait une rationalité économique que dans l'hypothèse où la BFCM entendrait, au moyen de l'opération, s'assurer le contrôle de L'Est Républicain et que cet élément devait être pris en compte dans l'analyse des risques de coordination que ferait naître l'opération.

139. Les parties notifiantes défendent quant à elles la rationalité de l'investissement pour la BFCM, expliquant que le redressement attendu du pôle BRA devrait permettre à l'opération d'atteindre une rentabilité intéressante et que ce redressement ne serait pas possible sans le savoir-faire industriel de L'Est Républicain. Elles ont également relativisé les difficultés financières de L'Est Républicain et souligné leur caractère ponctuel.

140. Comme cela a déjà été relevé ci-dessus au paragraphe 34, le dossier de notification transmis par les parties notifiantes au ministre et les renseignements complémentaires qu'elles ont fournis, permettent d'établir la prise de contrôle conjointe par L'Est Républicain et la BFCM de l'entreprise EBRA. Aucun élément ne fait apparaître un contrôle exclusif de la BFCM sur cette société. De même, il n'existe aucun élément établissant qu'il existerait entre le groupe Crédit Mutuel et L'Est Républicain d'autres liens que ceux constitués par les prêts consentis par ce groupe bancaire au groupe de presse, qui ne représentent qu'une part modeste de l'endettement total de L'Est Républicain. En particulier, le remboursement de l'avance en compte courant de la BFCM n'est pas garanti par L'Est Républicain mais est censé être assuré par EBRA. Par ailleurs, la réalisation des synergies attendues pour L'Est Républicain du rapprochement avec le pôle BRA, d'une part, présente comme on l'a vu un caractère incertain et, d'autre part, ne porte pas sur des montants tels que le groupe de presse serait mis en péril si elles n'étaient pas réalisées. En l'état du dossier, il n'est donc pas possible d'affirmer que L'Est Républicain est financièrement dépendant de la BFCM.

Conclusion sur le lien de causalité

141. Le rôle que pourrait jouer la création d'EBRA dans un accroissement des incitations de L'Est Républicain et de la BFCM à coordonner leurs comportements concurrentiels n'a pu être mis en évidence. Néanmoins, le Conseil examinera au surplus le caractère vraisemblable d'une telle coordination.

b) En ce qui concerne la vraisemblance du risque de coordination et son effet sensible

142. L'examen de ces deux critères -qui se rejoignent largement- implique d'analyser le fonctionnement concurrentiel des marchés sur lesquels les maisons-mères sont en compétition et sur lesquels elles pourraient coordonner leurs comportements.

Sur les marchés de la presse quotidienne régionale

143. L'Est Républicain et la BFCM détiennent ensemble la totalité des titres de presse quotidienne régionale diffusés sur l'ensemble des régions Alsace et Lorraine.

144. Cependant, les zones de diffusion sur lesquelles les titres des deux actionnaires d'EBRA se chevauchent effectivement sont plus limitées. Il s'agit du département du Haut-Rhin et des arrondissements de Sélestat et de Strasbourg, zones de diffusion des DNA et de l'Alsace-Le Pays, d'une part, et du territoire de Belfort, des arrondissements de Montbéliard et de Lure, sur lesquels sont diffusés L'Est Républicain et l'Alsace-Le Pays, d'autre part.

145. Dans certains arrondissements du Sud de la Meurthe-et-Moselle, dans l'arrondissement de Spincourt dans la Meuse, de la Sarre-Union dans le Bas-Rhin, et dans certains arrondissements du Bas-Rhin à l'exclusion de Strasbourg Ville et de Sélestat, le Républicain Lorrain et l'Alsace. Le Pays ne vendent pas d'édition locale mais diffusent les éditions des départements voisins, ce qui limite l'intensité de la concurrence avec L'Est Républicain qui, pour sa part, diffuse sur ces zones des éditions locales et fournit donc une information locale aux lecteurs.

146. De plus, s'agissant des zones sur lesquelles des deux titres sont en concurrence, le Conseil avait considéré dans l'avis SIPA/Socpresse précité que le caractère déclinant du média de la presse quotidienne régionale l'empêchait d'exploiter toutes les possibilités habituellement attachées à un monopole : " En conclusion, sur les marchés (lectorat, publicité et petites annonces) de la presse quotidienne régionale, le renforcement du pouvoir de marché résultant de l'opération paraît suffisamment contraint par la structure des marchés et l'existence de médias alternatifs pour éviter l'exploitation d'une rente de monopole par majoration des prix ". Cette constatation peut être étendue aux possibilités généralement attachées à la coordination des comportements concurrentiels entre deux entreprises indépendantes détenant ensemble la totalité d'un marché.

147. Par ailleurs, les parties notifiantes mettent en avant la situation largement déséquilibrée en faveur de l'un ou l'autre groupe sur chaque zone où les sociétés mères sont en concurrence. Selon les parties notifiantes, cette dissymétrie rendrait l'adoption d'une ligne d'action commune improbable. Un titre, largement dominant sur sa zone de diffusion, n'aura pas d'incitation à adopter la même ligne d'action (par exemple la même politique de prix) que le titre voisin, qui lui fait concurrence uniquement sur quelques cantons.

148. La coordination des comportements concurrentiels pourrait toutefois prendre la forme du maintien d'un statu quo s'agissant des différentes zones de diffusion des titres, L'Est Républicain et la BFCM s'interdisant de chercher à étendre leurs zones de diffusion.

149. Toutefois, il convient de constater, comme cela a été fait ci-dessus lorsqu'a été examiné si le rachat du pôle BRA ne faisait pas disparaître un concurrent potentiel des titres de L'Est Républicain et de la BFCM diffusés en Lorraine et en Alsace, le faible dynamisme concurrentiel observé sur les marchés de la presse quotidienne régionale au cours d'un passé récent. Comme il a été indiqué au paragraphe 80, les éditeurs cherchent avant tout, à endiguer la chute de leur lectorat sur les marchés géographiques sur lesquels ils sont implantés et non à conquérir de nouveaux territoires. Par ailleurs, même si certaines barrières à l'entrée constatées sur les marchés de la presse quotidienne régionale peuvent être relativisées s'agissant d'un titre déjà présent sur un marché géographique voisin, le Conseil a relevé dans l'avis SIPA/Socpresse déjà cité l'attachement des lecteurs à un titre de presse quotidienne régionale. De fait, aucun élément du test de marché ne suggère que les deux sociétés mères aient cherché, avant l'opération, à étendre les zones géographiques de diffusion de leurs titres. Par exemple, ni le Républicain Lorrain, ni l'Alsace-Le Pays n'ont mis en place des éditions locales sur les arrondissements listés au paragraphe 145 ci-dessus.

150. Le Conseil considère enfin qu'une ligne d'action commune organisant une mutualisation des rédactions peut être exclue dès lors que les parties notifiantes ont indiqué elles-mêmes -point qui doit être noté- que l'autonomie des rédactions de chacun des titres sera maintenue.

Sur les autres marchés

151. Sur les marchés de la presse hebdomadaire régionale, de la presse spécialisée, de la réalisation d'un journal d'information locale, de la régie publicitaire de télévision ou de chaînes de télévision locales, la vraisemblance d'une ligne d'action coordonnée apparaît d'autant moins établie que les deux sociétés mères n'ont aucun chevauchement d'activité sur ces marchés.

152. S'agissant des marchés de la publicité locale, de la correspondance locale de journaux télévisés de chaînes nationales, de la régie de presse pour les tiers, de l'éditique et de l'exploitation de sites Internet, de l'impression de titres de presse de tiers, de l'édition du livre, de la distribution de prospectus, et de la régie de radios, les faibles parts de marché des maisons-mères et l'existence de concurrents puissants permettent également d'écarter le risque de coordination.

153. Sur les marchés de la presse gratuite d'annonces (générales et spécialisées), les activités des sociétés mères se chevauchent uniquement dans le département des Vosges (L'Est Républicain, avec Top 88, gratuit d'annonces généralistes, et BFCM avec l'Offre immobilière 88, gratuit d'annonces immobilières), où elles sont concurrencées par des acteurs nationaux puissants (groupe Hersant Média et Spir) dont les parts de marché sont supérieures dans chacun de leur bassin de diffusion, de sorte qu'une coordination des sociétés mères n'apparaît pas crédible.

154. Par ailleurs, le Conseil a souligné dans son avis n° 03-A-03 à propos de la concentration France Antilles/Comareg, que le marché des gratuits ne semble pas se prêter à la création d'un équilibre collusif, compte tenu de l'absence de transparence du marché, résultant notamment de la disparité entre les tarifs proposés et les prix finalement pratiqués, négociés au cas par cas. Enfin, même s'ils relèvent d'un marché distinct, les sites Internet d'annonces immobilières exercent de fortes contraintes sur ce marché spécifique de la presse quotidienne. Or, les sites Internet d'annonces sont nombreux, relèvent d'un média dynamique et disposent d'atouts essentiels par rapport aux parutions gratuites d'annonces : possibilité d'une sélection extrêmement ciblée par l'intermédiaire de critères de recherche variés (secteur géographique, type de logement, etc.), possibilité de visualiser une photo ou une vidéo du bien proposé, renouvellement immédiat des annonces, etc...

Sur l'ensemble des marchés

155. Les deux actionnaires d'EBRA regroupant la totalité des titres de presse quotidienne régionale en Alsace-Lorraine et étant présents sur une large gamme d'autres supports publicitaires (presse hebdomadaire régionale, gratuits d'annonces, télévision locale et radios locales), il pourrait être envisagé que la coordination de leurs comportements concurrentiels porte sur le groupage ou le couplage de l'offre d'espaces faite aux annonceurs sur plusieurs médias diffusés sur une même zone, que ces médias appartiennent au groupe L'Est Républicain ou au groupe Crédit Mutuel. L'effet de levier permis par la position détenue sur la presse quotidienne régionale serait de nature à rendre de telles offres particulièrement attractives pour les annonceurs.

156. Cependant, les deux groupes ne disposent pour le moment d'aucune structure à même de faire de telles offres. Aucun élément n'indique par ailleurs que des accords en ce sens auraient par le passé été conclus entre les deux groupes. Or, ce type de coordination devrait nécessairement passer par la mise en place d'une telle structure ou par la conclusion d'accords de commercialisation entre les différents supports et n'aurait qu'un lien indirect avec l'opération examinée. Il ne ressort d'ailleurs pas du dossier que L'Est Républicain ou la BFCM ait proposé aux annonceurs locaux avant l'opération des offres groupant ou couplant plusieurs types de supports médias alors qu'ils disposent déjà, chacun pris séparément, d'une gamme étendue de supports et d'une forte position sur les marchés de la presse quotidienne régionale sur leurs zones de diffusion respectives.

c) Conclusion sur le risque de coordination ou de création ou renforcement d'une position dominante collective

157. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le risque de coordination entre les deux actionnaires d'EBRA peut être écarté dans le cadre de l'examen des effets de l'opération. En effet, la création d'EBRA ne modifie pas, de manière directe et vraisemblable, les incitations des deux groupes concernés à coordonner leurs comportements, notamment en raison des faibles interactions concurrentielles entre les marchés sur lesquelles les maisons-mères sont présentes et ceux sur lesquels sera active l'entreprise commune. De plus, à supposer qu'un tel lien de causalité ait existé, il ressort de l'analyse de la structure et du fonctionnement concurrentiels de l'ensemble des marchés concernés qu'une coordination de leurs comportements n'aurait a priori, pour les deux maisons-mères, qu'un intérêt trop limité pour la rendre vraisemblable.

158. Cette conclusion peut être faite tant pour une coordination qui prendrait la forme d'accords collusifs, susceptibles d'être prohibés par les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du Code de commerce, que pour la création ou le renforcement d'une situation de position dominante collective, dans laquelle l'anticipation par les entreprises du comportement de leurs concurrents les pousserait à ajuster leur propre stratégie dans le sens d'un équilibre moins concurrentiel. Il en est ainsi en particulier de la constatation que l'opération n'est pas de nature à modifier les incitations des entreprises à se faire concurrence. De même, il ressort de l'analyse menée ci-dessus qu'une ligne d'action commune visant à aligner leurs comportements aurait un intérêt limité. Enfin, l'opacité des marchés de la publicité et des petites annonces, constatée par le Conseil dans l'avis n° 03-A-03 du 20 mars 2003, est de nature à rendre difficile l'observation réciproque par les entreprises de leur comportement concurrentiel.

VI. Le bilan économique et social

159. En matière de gains d'efficacité et de bilan économique et social, la pratique décisionnelle a permis de dégager les critères suivants (40) :

* les éléments de gains d'efficacité ou de progrès économique et social doivent être quantifiables et vérifiables ;

* ces éléments doivent être spécifiques à la concentration. En d'autres termes, il ne doit exister, pour les obtenir, d'autres moyens moins dommageables pour la concurrence que la concentration envisagée ;

* une part des gains doit être transférée à la collectivité dans son ensemble, et notamment aux consommateurs, ce qui exclut les avantages qui ne bénéficieront qu'aux seules entreprises parties à la fusion.

160. Par ailleurs, il convient de rappeler que la charge de la preuve incombe aux parties notifiantes.

A. LES GAINS D'EFFICACITÉ ET LE PROGRÈS ÉCONOMIQUE

161. L'exercice 2006 s'est traduit pour l'ensemble des titres du pôle BRA par un chiffre d'affaires de [...] millions d'euro et une perte de [...] millions d'euro. Selon les parties notifiantes, l'amélioration de cette situation, par le biais de gains d'efficacité, est l'un des objectifs majeurs poursuivis dans le cadre de l'opération. Elles font notamment valoir que le potentiel de gains liés à ce redressement est d'autant plus important que la situation de la société Delaroche est en large partie due à l'ajournement par le groupe Dassault des investissements nécessaires à la rationalisation de la gestion du pôle BRA.

162. L'Est Républicain procède actuellement à une réorganisation interne du pôle BRA, dont elle attend d'importantes réductions de coûts. Il s'agit, par exemple, de la fermeture d'une unité d'impression devenue obsolète et inutile compte tenu de l'existence d'une autre unité distante de quelques kilomètres. L'Est Républicain souhaite également revoir et assurer la modernisation des contenus des titres édités par ce groupe, afin de les redynamiser et d'attirer ainsi de nouveaux lecteurs et annonceurs. L'impact de ces restructurations sur les perspectives de résultat a été chiffré et détaillé par les parties notifiantes dans le cadre de leurs observations devant le Conseil.

163. Par ailleurs, l'opération pourrait permettre de réduire non seulement les coûts de gestion du pôle BRA mais également ceux de L'Est Républicain, grâce à la mise en commun de leurs achats de papier et d'encre et à la mutualisation de certaines de leurs dépenses. Les économies attendues sont chiffrées à [...] millions d'euro sur les trois prochaines années.

164. En particulier, L'Est Républicain prévoit :

* la création d'un service d'abonnement unique : il est envisagé à terme de créer un service administratif commun aux titres du groupe l'Est Républicain et d'EBRA, chargé d'enregistrer les demandes d'abonnement ou de réabonnement des lecteurs ;

* un certain degré de mutualisation des contenus non spécifiques, chacun des titres rachetés devant toutefois conserver son autonomie éditoriale ; en revanche, les prestations d'information fournies par des tiers (météo, courses hippiques, horoscopes, programmes de télévision, etc.) pourraient être achetées en commun ; de plus, il est envisagé à moyen terme de créer une agence permettant à l'Est Républicain et à EBRA de faire l'acquisition en commun d'informations nationales ou internationales (auprès notamment d'agences de presse telles que l'AFP) ;

* la mise en commun des moyens informatiques du pôle BRA (logiciels de comptabilité, progiciels de mise en page des titres par exemple) ;

* la création d'une plate-forme technique commune aux sites éditoriaux sur Internet permettant à chaque titre de développer, de manière autonome, ses activités éditoriales et commerciales sous sa propre marque. Il est par ailleurs prévu de dupliquer les annonces emploi des deux groupes sur le site Internet d'un prestataire spécialisé dans la diffusion d'annonces emploi (du type cadreemploi.fr ou regionsjob.com qui regroupent les annonces emploi de plusieurs titres de presse).

165. Par ailleurs, cette opération comporte, selon les parties notifiantes, des gains d'efficience importants pour les lecteurs, les annonceurs et le bien-être social, au travers du maintien d'une information locale de qualité, d'un support publicitaire local efficace et d'une presse locale dynamique susceptible de contribuer au soutien du commerce local de proximité.

166. Selon les parties notifiantes, la BFCM n'attendrait de l'opération, à ce stade, aucune synergie avec ses propres activités dans le secteur de la presse ou de la banque.

B. LE BILAN SOCIAL DE L'OPÉRATION

167. L'article L. 430-6 du Code de commerce tel que modifié par l'article 50 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005, dispose que le bilan du progrès économique apporté par une opération de concentration doit prendre en compte la création ou le maintien de l'emploi.

168. En l'espèce, un plan de modernisation sociale, prévoyant le départ en préretraite d'un certain nombre de salariés du groupe BRA est prévu dans le cadre de la réorganisation évoquée. Ce plan ne concerne que des départs volontaires en préretraite. Ils pourront concerner jusqu'à [...] personnes dans les trois prochaines années, si toutes les personnes en mesure d'en profiter choisissent de le faire. Les conditions de préretraite assurant 80 % du salaire sont particulièrement favorables aux partants.

169. Les comités d'entreprises des titres de BRA avaient d'ailleurs préconisé le choix d'une reprise par L'Est Républicain, de préférence aux autres projets soumis à la Socpresse (VOCENTO, fonds d'investissement britannique Mecom, fonds de pension britannique Candover, notamment). La préservation de l'emploi a été un élément important dans le choix de la Socpresse.

170. Le coût du plan de modernisation sociale, prévoyant des départs volontaires en préretraite, est pris en charge par l'État à hauteur d'environ 60 %, le solde étant supporté par l'employeur. Il s'agit d'un dispositif spécifique au secteur de la presse, prévu par le décret n° 2006-657 du 2 juin 2006. Sont concernés par ce dispositif les ouvriers de plus de 55 ans choisissant un départ volontaire avant fin 2008 (EBRA a obtenu une dérogation permettant d'étendre ce plan aux ouvriers de 50 ans et plus) et les cadres choisissant un tel départ avant fin 2011. Ce dispositif s'applique uniquement aux départs non remplacés.

171. Il convient néanmoins de relever que le comité central d'entreprise du groupe Progrès, le comité d'entreprise du Rhône Offset Presse, ainsi que le comité d'entreprise du Journal de Saône-et- Loire, ont émis un avis défavorable à l'opération " car seules des perspectives de réduction d'emploi ont été envisagées en dehors de toute perspective stratégique de développement " (41).

172. Les parties notifiantes observent que ces avis n'étaient liés qu'à l'insuffisance des informations délivrées alors et soutiennent que le plan de départ en préretraite et l'ensemble des mesures de restructuration susceptibles de toucher l'emploi, ont été négociées avec les organisations syndicales et qu'il ne serait procédé à aucun licenciement sec. Sur la base des constatations qui précèdent, le Conseil de la concurrence est d'avis :

* que l'opération nécessite un double examen :

- celui des effets horizontaux, verticaux et congloméraux de l'opération d'une part entre Delaroche et L'Est Républicain, et d'autre part, entre Delaroche et la BFCM ;

- celui de la création ou du renforcement d'un risque de coordination entre L'Est Républicain et la BFCM, au travers de leur entreprise commune EBRA ;

* que les effets de l'opération doivent être analysés, d'une part, sur les marchés pertinents (lectorat, publicité, petites annonces) de la presse quotidienne régionale et, d'autre part, sur les marchés connexes des médias et de la publicité, sur lesquels la nouvelle entité exercera une activité ;

* qu'ainsi analysée, l'opération, telle qu'elle a été notifiée, ne porte pas atteinte à la concurrence ; que si le ministre considérait, contrairement à l'avis du Conseil, que la BFCM exerce un contrôle conjoint sur la société Espace Group, l'atteinte à la concurrence résultant, dans la région Rhône-Alpes, de la détention par la BFCM et EBRA d'une gamme importante de supports médias pour la publicité locale pourrait être résolue par un engagement des deux sociétés de ne pas proposer d'offres couplant les espaces publicitaires de plusieurs supports médias dans la région Rhône-Alpes ;

Notes

1 La société Alsatic est détenue conjointement avec L'Est Républicain, malgré l'ouverture du capital à d'autres actionnaires depuis la première notification.

2 Les titres Paru Vendu Mulhouse et Paris Vendu Colmar sont exploités au travers de la société SAPPG, détenue conjointement par SFEJIC et par la société Comareg, filiale du Groupe Hersant.

3 Nouvelle dénomination du titre de presse 57 Annonce depuis janvier 2007.

4 Le titre Reflex Immobilier est exploité au travers de la société CIREF détenue conjointement par SFEJIC et le groupe Sud-Ouest.

5 Cette société est détenue conjointement avec le groupe Lagardère.

6 La société Alsatic est détenue conjointement avec L'Est Républicain, malgré l'ouverture du capital à d'autres actionnaires depuis la première notification.

7 Les parties ont indiqué au ministre que l'activité de cette société sera mise en sommeil en 2007.

8 Delaroche a également signé un contrat de location gérance avec la société SEPRAJ qui exploite les titres de PHR : La Gazette du Morvan, L'indépendant du Louhannais et du Jura, Le Courrier de Saint- Claude, L'indépendant du Haut Jura et La Maurienne (Jura et Saône-et-Loire).

9 Notamment lettres du ministre du 11 avril 2007, BFCM Républicain Lorrain, et du 28 octobre 2005, SIPA/Pôle Ouest de la Socpresse et SEMIF.

10 Notamment lettres du ministre du 11 avril 2007, BFCM Républicain Lorrain, et du 28 octobre 2005, SIPA/Pôle Ouest de la Socpresse et SEMIF.

11 Notamment lettres du ministre du 11 avril 2007, BFCM Républicain Lorrain, et du 28 octobre 2005, SIPA/Pôle Ouest de la Socpresse et SEMIF.

12 Avis du Conseil de la concurrence n° 03-A-03 du 20 mars 2003, France Antilles COMAREG ; décision du Conseil de la concurrence n° 89-D-05 du 24 janvier 1989 ; lettre du ministre du 31 décembre 2002, Socpresse/Expansion.

13 Notamment lettres du ministre du 11 avril 2007, BFCM Républicain Lorrain, et du 28 octobre 2005, SIPA/Pôle Ouest de la Socpresse et SEMIF.

14 Notamment lettres du ministre du 11 avril 2007, BFCM Républicain Lorrain, et du 28 octobre 2005, SIPA/Pôle Ouest de la Socpresse et SEMIF.

15 Dans un avis n° 02-A-01 du 15 février 2002, le Conseil de la concurrence a distingué le marché de l'impression de catalogues et prospectus à grand tirage, le marché de l'impression de magazines et le marché de l'impression de catalogues et prospectus de moyens ou faibles tirages. Par ailleurs, dans la décision L'Est Républicain/Delaroche du 17 mai 2006 précitée, le ministre a retenu un marché de l'impression de titres de presse.

16 Notamment lettres du ministre du 11 avril 2007, BFCM Républicain Lorrain ; avis du Conseil de la concurrence n° 05-A-18 du 11 octobre 2005 et lettre du ministre de l'Economie du 28 octobre 2005, SIPA/Pôle Ouest de la Socpresse et SEMIF.

17 Notamment avis du Conseil de la concurrence n° 06-A-13 du 13 juillet 2006 et lettre du ministre du 30 août 2006, VU, CanalSatellite, TPS.

18 Décisions de la Commission du 3 mars 1999 et du 30 avril 2002, TPS.

19 Décision du Conseil de la concurrence n° 00-D-67 du 13 février 2001 ; Décision de la Commission RTL/Veronica/Endemol du 20 septembre 1995, soulignant que le marché de la publicité télévisée constitue un marché distinct de ceux de la publicité ayant pour support d'autres médias.

20 Décision du Conseil de la concurrence n° 03-D-59 du 9 décembre 2003.

21 Avis du Conseil de la concurrence n° 98-A-14 du 31 août 1998, Havas.

22 Avis du Conseil de la concurrence n° 06-A-13 du 13 juillet 2006, Vivendi/TPS.

23 Avis du Conseil de la concurrence n° 98-A-14 du 31 août 1998.

24 Avis du Conseil de la concurrence n° 94-A-26 du 15 novembre 1994.

25 Notamment lettre du ministre du 11 avril 2007, BFCM Républicain Lorrain, et décision de la Commission du 7 janvier 2004, Lagardère/Natexis/VUP.

26 Livres de littérature générale, livres pour la jeunesse, bandes dessinées, ouvrages universitaires et professionnels.

27 Notamment lettre du ministre du 11 avril 2007, BFCM Républicain Lorrain.

28 Notamment lettre du ministre du 11 avril 2007, BFCM Républicain Lorrain.

29 Avis de la Commission de la concurrence du 28 octobre 1982, du 14 décembre 1984.

30 Notamment, arrêt de la Cour d'appel du 24 septembre 2002, s'agissant du cinéma, avis de la Commission de la concurrence du 28 octobre 1982, s'agissant de la radio.

31 Notamment lettre du ministre du 11 avril 2007, BFCM Républicain Lorrain.

32 Notamment lettres du ministre du 14 octobre 2002, Le Monde/La Vie Catholique et du 31 décembre 2002, Socpresse/Groupe Express-Expansion ; avis du Conseil de la concurrence n° 96-A-13 du 6 juillet 1993.

33 Décisions de la Commission du 13 octobre 1999, Telia/Telenor, et du 20 juillet 2000, Vodafone/Vivendi/Canal+.

34 Avis du Conseil de la concurrence n° 98-A-14 du 31 août 1998, Havas ; avis du Conseil de la concurrence n° 06-A-13 du 13 juillet 2006, Vivendi/TPS.

35 Décision de la Commission du 3 mars 1999, TPS.

36 Notamment lettre du ministre du 11 avril 2007, BFCM Républicain Lorrain.

37 Notamment lettre du ministre du 11 avril 2007, BFCM Républicain Lorrain.

38 L'Est Républicain représente deux membres mais s'est vu attribuer trois postes d'administrateurs.

39 A titre d'exemple, les parties ont indiqué que la régie publicitaire de L'Est Républicain a réalisé moins de [0-5] % de son chiffre d'affaires total pour des insertions publicitaires parues dans Les Dernières Nouvelles d'Alsace (soit également moins de [0-5] % du chiffre d'affaires total réalisé par Les Dernières Nouvelles d'Alsace en matière de publicité locale). Pour sa part, la régie publicitaire du Journal de Saôneet- Loire a réalisé moins de [0-5] % de son chiffre d'affaires total pour des insertions publicitaires de Le Bien Public (soit également [0-5] % du chiffre d'affaires total réalisé par Le Bien Public en matière de publicité locale).

40 Décisions du Conseil d'État du 9 avril 1999 et du 6 octobre 2000.

41 Procès-verbaux des 5 et 3 avril 2006.