Ministre de l’Économie, 25 juin 2007, n° ECEC0765168S
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseils de la société Neuf Cegetel
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'EMPLOI
Maîtres,
Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 23 mai 2007, vous avez notifié l'acquisition de la société T-Online France par la société Neuf Cegetel. Cette acquisition a été formalisée par un contrat de cession d'actions signé le 7 mai 2007.
1. LES ENTREPRISES CONCERNEES ET L'OPERATION DE CONCENTRATION
Les entreprises concernées par la présente opération sont les suivantes :
Neuf Cegetel est une société anonyme de droit français, à la tête d'un groupe spécialisé dans les activités de télécommunications. Neuf Cegetel fournit ainsi des services de détail à une clientèle résidentielle de téléphonie fixe et mobile, d'accès à Internet bas débit et haut débit (notamment les offres " multiplay " combinant l'accès à Internet haut débit, l'abonnement téléphonique, la téléphonie sur IP, la télévision sur ADSL et d'autres services à la carte). Neuf Cegetel fournit également des services de détail de téléphonie fixe et mobile à une clientèle d'entreprises et de personnes publiques, d'accès à Internet haut débit, de réseau privé virtuel IP (Internet Protocol), de liaisons louées et de services d'hébergement. Enfin, Neuf Cegetel fournit des services de gros à des opérateurs de communications électroniques parmi lesquels des offres " data " (collecte et livraison de liens d'accès), des offres de voix commutées (services de téléphonie en présélection et numéros spéciaux en libre appel à coûts ou à revenus partagés) et des offres de vente et de location d'infrastructures de réseau et d'hébergement.
Neuf Cegetel est le fruit du rapprochement des sociétés Neuf Telecom et Cegetel, autorisé par le ministre de l'Economie le 24 juin 2005 (1), sous réserve d'un certain nombre d'engagements souscrits par les parties sur les marchés de la fourniture de bande passante, de transit de minutes commutées et d'infrastructures passives. Neuf Cegetel a également acquis le contrôle de la société AOL, autorisée par le ministre de l'Economie le 26 octobre 2006 (2).
A ces deux dates, il a établi qu'aucun actionnaire de la nouvelle entité ne disposait d'un contrôle, exclusif ou conjoint, sur cette dernière. A ce jour, Neuf Cegetel n'est pas contrôlée au sens du droit des concentrations. Les deux principaux actionnaires de Neuf Cegetel sont le groupe SFR et le groupe Louis Dreyfus, qui en détiennent respectivement 40,48 % et 29,51 % du capital.
Comme le ministre l'a mentionné dans sa décision Neuf Cegetel/AOL précitée, l'examen du pacte d'actionnaires (conclu lors de l'introduction en bourse de Neuf Cegetel) et du règlement intérieur du conseil d'administration permettent de constater qu'aucun des deux actionnaires ne contrôle, à ce jour, individuellement ou conjointement, Neuf Cegetel. En effet, le conseil d'administration est composé de dix membres nommés à la majorité simple par l'assemblée générale des actionnaires, dont quatre sont désignés par SFR, trois par le groupe Louis Dreyfus et trois sont des administrateurs indépendants. Les décisions du conseil d'administration étant adoptées à la majorité simple, ni le groupe Dreyfus, ni le groupe SFR ne sont en mesure d'imposer l'adoption d'une décision stratégique, faute de disposer d'un nombre de voix suffisant pour atteindre la majorité requise. En outre, le pacte d'actionnaires et le règlement intérieur du conseil d'administration ne prévoient pas de droit de véto au profit de SFR et du groupe Louis Dreyfus qui leur permettrait de s'opposer à l'adoption des décisions stratégiques relatives à la gestion opérationnelle de Neuf Cegetel. Enfin, l'examen des procès verbaux des dernières délibérations de l'assemblée générale et du conseil d'administration de Neuf Cegetel a permis de montrer qu'à ce jour, les groupes Louis Dreyfus et SFR ne partagent pas systématiquement des intérêts stratégiques communs concernant la gouvernance de Neuf Cegetel.
En 2006, le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes de Neuf Cegetel s'est élevé à 2,93 milliards d'euro (3), dont [>50 millions] d'euro réalisés en France.
T-Online France fournit, à travers la marque Club Internet, des services d'accès à Internet bas débit et haut débit à une clientèle résidentielle. En 2006, le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxe de T-Online France s'est élevé à [>50] millions d'euro, quasi-exclusivement réalisé en France.
L'opération consiste en l'acquisition par la société Neuf Cegetel de l'intégralité du capital et des droits de votes de T-Online France auprès de la société Deutsche Telekom. Elle a ainsi pour effet de conférer à Neuf Cegetel le contrôle exclusif de T-Online France. A ce titre, elle constitue une opération de concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Compte tenu des chiffres d'affaires des entreprises concernées, elle ne revêt pas une dimension communautaire et est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.
2. LES MARCHES CONCERNES PAR L'OPERATION
2.1 Les marchés de produits et de services
2.1.1 Les marchés en aval
Dans ses décisions Neuf Telecom/Cegetel et Neuf Cegetel/AOL précitées, le ministre de l'Economie a considéré qu'il existait un marché de la fourniture d'accès à Internet bas débit et un marché de la fourniture d'accès à Internet haut débit. Le ministre de l'Economie a fondé cette segmentation de marché sur un certain nombre d'éléments parmi lesquels figuraient plus particulièrement l'existence d'applications propres au haut débit (téléchargement de fichiers très volumineux de type jeux interactifs en réseau), les spécifications propres au haut débit (nécessité de recourir à un modem spécifique pour l'accès à Internet haut débit qui ne peut être utilisé pour l'accès à Internet bas débit) et la persistance d'écarts de prix importants entre les deux services.
Dans la mesure où l'ensemble des éléments justifiant la segmentation en deux marchés distincts des accès bas et haut débit est toujours vérifié, l'analyse portera à la fois sur le marché de la fourniture d'accès à Internet bas débit et sur le marché de la fourniture d'accès à Internet haut débit.
En ce qui concerne plus particulièrement le marché de la fourniture d'accès à Internet haut débit, le ministre a constaté, dans les décisions précédentes, qu'il comprenait non seulement les services d'accès à Internet mais également les services de voix sur IP, de télévision et de visiophonie sur IP. Dans sa décision Neuf Cegetel/AOL précitée, il a indiqué que le terme " d'accès à Internet haut débit " apparaissait aujourd'hui comme réducteur et qu'il conviendrait, à ce jour, de parler d'un accès haut débit aux offres multiservices. Cette évolution se fonde sur le développement d'offres " multiplay " assises sur un abonnement à l'accès Internet haut débit, qui combinent l'accès à Internet à des services de téléphonie et de télévision et qui rendent difficile l'identification, au sein des offres d'accès haut débit, de chacun des services. Les parties notifiantes adhèrent à une définition d'un marché de la fourniture d'accès haut débit aux offres multiservices en ajoutant que, de surcroît, si une segmentation était opérée entre les secteurs de la téléphonie fixe et de la télévision payante, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeureraient inchangées.
Enfin, la Commission européenne dans sa décision COMP/M.4417 Telecom Italia/AOL German Access Business a distingué le marché de l'accès Internet haut débit entre les offres destinées aux particuliers et les offres destinées aux professionnels. Au cas d'espèce, seul Neuf Cegetel est actif sur le marché de l'accès Internet à haut débit à destination des professionnels.
2.1.2 Les marchés en amont
A la différence de Neuf Cegetel, T-Online France n'est pas actif en tant qu'offreur sur les marchés de gros où il est, en revanche, demandeur. Dans sa décision Neuf Telecom/Cegetel précitée, le ministre a défini l'ensemble des marchés de gros sur lesquels Neuf Cegetel est présent.
Au cas d'espèce, il est relevé que T-Online France est demandeur sur les marchés de gros de la fourniture d'accès à large bande (i), la fourniture de services de transit de minutes commutées (ii) et la fourniture d'infrastructures passives (iii).
(i) La fourniture en gros d'accès à large bande
Le secteur de la fourniture en gros d'accès à large bande (accès Internet à haut débit) comprend essentiellement des services de collecte des flux de type DSL au départ de la boucle cuivre à laquelle est raccordé l'utilisateur final, livrés en un ou plusieurs points de raccordement.
Il recouvre trois marchés, principalement définis aux fins de la régulation ex ante par l'Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes (ARCEP) :
- les services de collecte DSL livrés en un point de livraison national (option 5 nationale de France Télécom) qui s'adresse à des acteurs ne disposant pas d'un réseau de télécommunications, ou d'un réseau très peu capillaire, à l'instar des fournisseurs d'accès à Internet (FAI). Ces services permettent aux FAI de proposer à l'utilisateur final un accès à des services de contenu en sous-traitant la collecte du trafic DSL à l'opérateur offreur du service de gros ;
- les services de collecte DSL livrés en un point de livraison régional (option 3 régionale ou option 5 régionale de France Télécom), qui s'adressent aux opérateurs ayant déployé un réseau régional et qui disposent de l'infrastructure nécessaire pour distribuer ce trafic vers le point de collecte national d'un FAI ou vers tout autre point de leur réseau ;
- les services de dégroupage (option 1) qui s'adressent exclusivement aux opérateurs de télécommunications. Il s'agit de l'offre techniquement la plus proche du consommateur final dans la mesure où elle consiste à déconnecter la paire de cuivre qui relie traditionnellement l'utilisateur à un équipement actif de France Télécom afin de la connecter à un équipement actif d'un autre opérateur.
(ii) La fourniture en gros de services de transit de minutes commutées
Dans sa décision Neuf/Cegetel précitée, le ministre a défini un marché de la fourniture de services de transit de minutes commutées qui consiste en l'offre d'un services d'acheminement de minutes de communication entre deux points d'interconnexion aux opérateurs de détail de téléphonie fixe, d'accès Internet à bas débit et de téléphonie mobile.
Sur ce marché, la demande est composée de l'ensemble des opérateurs désireux d'acheminer du trafic commuté entre deux abonnés mais ne disposant pas d'un réseau suffisamment capillaire pour s'interconnecter directement avec chaque opérateur.
(iii) La fourniture en gros d'infrastructures passives de desserte locale
L'infrastructure des réseaux de communications électroniques est assise sur l'architecture du réseau de France Telecom, dans la mesure où l'interconnexion et/ou le raccordement aux points de concentration de ce réseau est une contrainte technique nécessaire et préalable à la mise en œuvre d'une offre de services sur les marchés de détail des communications électroniques.
Techniquement, on distingue trois niveaux de noeuds dans ce réseau : les noeuds de commutation et/ou routage régionaux (PRO) ; les noeuds de commutation et/ou routage locaux (CAA) et les noeuds de raccordements d'abonnés (NRA).
Selon l'étendue de leur réseau, les opérateurs de fourniture au détail de services de communications électroniques sont demandeurs sur les marchés de gros à ces différents niveaux de points de raccordements. L'étendue même de leur réseau est, dans un premier temps du moins, assise sur la mise à disposition contractuelle à long terme de fibre optique par un opérateur détenant en propre un réseau plus capillaire (marchés de gros de la fourniture d'infrastructures passives).
En effet, un opérateur de fourniture au détail de services de communications électroniques désireux de déployer une infrastructure de réseau dispose de plusieurs options :
- il peut déployer son réseau en propre. Il doit, dans ce cas, supporter l'intégralité des coûts de génie civil, gérer les demandes de droits de passage sur le domaine public (routier et non routier) et de servitudes sur les propriétés privées, assumer la maintenance de ses installations sans pouvoir bénéficier des économies que permettrait une mutualisation des infrastructures et des coûts de la maintenance associée ;
- il peut également louer de la fibre optique passive, dite fibre optique noire (" FON "). Les fibres optiques sont mises à la disposition d'un opérateur de communications électroniques par un opérateur de réseau, actif ou non dans le secteur des communications électroniques au détail. La FON est mise à disposition soit dans le cadre d'un contrat de location " classique " de plus ou moins longue durée (4), soit dans le cadre d'un contrat dit IRU (5).
Dans sa décision Neuf/Cegetel précitée, le ministre a opéré une segmentation entre un marché de la mise à disposition d'infrastructures passives de longue distance, qui permettent de relier les noeuds locaux aux noeuds régionaux (1er et 2ème niveaux évoqués ci-dessus) et les marchés de la mise à disposition d'infrastructures passives de desserte locale, qui permettent de relier les noeuds de raccordement d'abonnés aux noeuds locaux (3ème niveau). Le réseau de desserte longue distance constitue la colonne vertébrale du réseau (backbone).
Sur le marché de la fourniture d'infrastructures passives de desserte locale, le ministre a souligné qu'il était légitime de " s'interroger sur la question de savoir si le raccordement à un NRA donné constitue un marché en soi. En effet, selon le NRA considéré, le nombre de raccordements en propre peut différer. Ainsi, les NRA des grandes agglomérations peuvent être raccordés par plusieurs opérateurs, et sont donc susceptibles de faire l'objet de plusieurs offres de mise à disposition d'infrastructures passives. A contrario, sur certains NRA (majoritaires), il n'existe qu'une seule offre de mise à disposition dès lors qu'un seul opérateur l'a raccordé en propre. Toutefois, il est observé que les négociations commerciales portent très essentiellement sur un portefeuille de NRA ; la demande obéit à une logique de déploiement de réseau. Ainsi, les principaux contrats IRU de desserte locale portent sur plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de NRA ". Il n'a toutefois pas tranché cette question dans la mesure où, quelle qu'ait été la délimitation de marché proposée, les conclusions de l'analyse auraient été inchangées, et a étudié pour les besoins de l'analyse un marché de la fourniture d'infrastructures passives entendu comme la somme des NRA raccordés en propre faisant l'objet d'au moins une offre de mise à disposition.
Sur ce marché, la demande provient essentiellement des fournisseurs de services d'accès à Internet. Elle est également composée de façon croissante, selon les informations communiquées par les parties, des opérateurs de téléphonie mobile désireux d'optimiser leur positionnement dans la chaîne de valeur en raccordant leurs réseaux au plus près des abonnés.
2.2 La délimitation géographique des marchés
Conformément à la pratique décisionnelle de la Commission européenne et des autorités françaises de concurrence, les marchés concernés par l'opération sont de dimension nationale.
En effet, la nature des services en cause est suffisamment homogène sur l'ensemble du territoire national. Les clients et les concurrents sont les mêmes dans toutes les régions et ne diffèrent qu'en fonction des produits ou des services offerts.
Cette définition repose principalement sur le fait que les opérateurs de télécommunications opèrent sur une base nationale, que leurs offres s'adressent à une population résidant sur un territoire national, qu'ils sont assujettis à une réglementation nationale et que leurs politiques tarifaires et de commercialisation sont fixées au niveau national.
3. ANALYSE CONCURRENTIELLE
3.1 Au plan horizontal
3.1.1 Le marché de la fourniture Internet bas débit
Les parts de marché de la nouvelle entité et de ses principaux concurrents sur le marché de la fourniture d'accès à Internet bas débit figurent dans le tableau ci-dessous :
<emplacement tableau>
A l'issue de l'opération de concentration, Neuf Cegetel restera le deuxième opérateur du marché avec [20-30] % de parts de marché en valeur, derrière France Télécom, l'opérateur historique, qui reste leader du marché avec [40-50] % du marché, et devant Free, qui dispose de [0-10] % du marché, les autres opérateurs indépendants se partageant [20-30] % du marché.
Le marché demeure donc largement dominé par France Télécom. En outre, il convient de noter la baisse du nombre d'abonnement Internet bas débit, estimée par les parties en moyenne à plus de [30-40] % ces dernières années : le nombre d'abonnements bas débit est ainsi passé de 6,4 millions en 2001 à 2,6 millions en 2006 tandis que celui des abonnements haut débit a augmenté de 602 000 à 12,7 millions durant la même période.
3.1.2 Le marché de la fourniture Internet haut débit
Il convient de noter que les chevauchements d'activité ne concernent que le marché résidentiel. Le marché de la fourniture Internet haut débit à destination des professionnels n'est pas affecté par cette opération car seul Neuf Cegetel y est actif.
Les parts de marché de la nouvelle entité et de leurs principaux concurrents sur le marché de la fourniture d'accès à Internet haut débit aux particuliers figurent dans le tableau ci-dessous :
<emplacement tableau>
i) Analyse des effets non coordonnés liés à l'opération
A l'issue de l'opération de concentration, Neuf Cegetel deviendra le deuxième opérateur du marché avec [20-30] % de parts de marché en valeur, derrière Orange (France Télécom), l'opérateur historique, qui reste leader du marché avec [30-40] % du marché, et devant Free ([20-30] % du marché), Le Câble ([0-10] %), Alice/Tiscali ([0-10] %) et Télé 2 ([0-10] %).
Il ressort des informations communiquées par les parties que le marché de la fourniture d'accès à Internet haut débit est un marché particulièrement dynamique, dans la mesure où il continue de connaître en 2006 une croissance soutenue de 34 % en termes de nombre d'abonnements et de 30 % en termes de chiffre d'affaires. Dans son rapport annuel de 2005, l'ARCEP explique cette forte croissance par l'accroissement d'offres innovantes avec la généralisation des offres " triple play " (Internet haut débit, télévision et téléphonie fixe), résultat du développement d'une concurrence pérenne. Les parties soulignent que la prochaine étape sera le développement des offres " quadruple play " qui engloberont, en plus de l'accès Internet haut débit, de la télévision et de la téléphonie fixe, la téléphonie mobile, donnant un avantage concurrentiel significatif aux opérateurs mobiles.
Les parties ajoutent que la constitution d'un cablô-opérateur unifié (" YPSO France ") et l'apparition de nouveaux opérateurs proposant une offre Internet haut débit ADSL, comme Darty depuis fin 2006 et SFR depuis début 2007, sont de nature à renforcer la pression concurrentielle existant sur le marché de l'accès haut débit aux offres multiservices.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, les risques d'atteinte à la concurrence liés aux effets non coordonnés de la concentration peuvent être écartés sur le marché français de l'accès à Internet haut débit.
Les risques d'atteinte à la concurrence peuvent également être écartés sur les segments de la téléphonie fixe et de la télévision payante au sein du marché global de l'accès à Internet haut débit :
- sur le segment de la téléphonie fixe, Neuf Cegetel détient une part de marché d'environ [0- 10] % en nombre d'abonnés de téléphonie fixe commutée et de [0-20] % si l'ensemble des abonnements permettant l'accès à la téléphonie sur IP sont pris en compte. T-Online France, pour sa part, ne fournit pas de services de téléphonie par communication de circuits mais uniquement des services de téléphonie fixe, par l'intermédiaire de ses offres d'accès haut débit " dual play " et " triple play ". Les parties notifiantes estiment sa part de marché à environ [0-5] % ;
- sur le segment de la télévision payante, Neuf Cegetel détient une part de marché inférieure à [5-15] %. T-Online France, pour sa part, n'a développé une offre de télévision payante qu'en juin 2006, avec un nombre d'abonnés inférieur à 80 000 à ce jour. En outre, le secteur de la télévision payante est dominé, à l'heure actuelle, par deux opérateurs significatifs, Canal + et Le Câble.
ii) Analyse des effets coordonnés liés à l'opération
A l'issue de l'opération de concentration, la nouvelle entité, Orange et Free détiendront [80- 90] % du marché en valeur et [80-90] % du marché en volume. Il convient donc d'analyser les risques de création ou de renforcement d'une position dominante collective.
Dans son arrêt T-342-99, Airtours contre Commission, du 6 juin 2002, le Tribunal de première instance des Communautés européennes a imposé trois conditions cumulatives pour établir qu'une concentration crée ou renforce une position dominante collective :
- la connaissance par chaque membre de l'oligopole du comportement des autres membres par un degré de transparence suffisant du marché ;
- une incitation à ne pas s'écarter de la ligne de conduite commune ; l'incapacité des concurrents actuels et potentiels et par les consommateurs à remettre en cause de manière efficace la coordination.
Une situation de position dominante oligopolistique peut ainsi être définie comme une situation où certains acteurs d'un marché sont en mesure d'adopter une ligne d'action commune restrictive de concurrence indépendamment du comportement des consommateurs et des concurrents actuels et/ou potentiels, et s'exposent à des représailles en cas de déviation par rapport à cette ligne commune.
Les parties estiment que l'acquisition de T-Online par Neuf Cegetel n'est pas de nature à entraîner la création d'une position dominante collective sur le marché de l'accès haut débit aux offres multiservices. Selon les parties, les trois critères de l'arrêt Airtours ne sont pas remplis en raison de l'absence de transparence du marché, du fait de l'hétérogénéité des produits et des infrastructures, du pouvoir de contestation des concurrents et des clients et de l'impossibilité pour les acteurs de mettre en place une ligne d'action commune dans la durée.
Les parties estiment que le caractère hétérogène des offres disponibles sur le marché est confirmé par des différences en terme de contenu (durée d'engagements, facturation de la location des équipements adéquats, facturation du service de " hot line " et facturation du coût de résiliation), de tarification de la téléphonie DSL (appels locaux et nationaux, appels internationaux et appels vers les mobiles), de tarification des bouquets télévisuels, de débits ainsi que de services complémentaires à l'accès Internet. Néanmoins, l'ensemble de ces informations est généralement disponible sur les sites Internet des opérateurs de telle sorte que ce marché ne semble pas être caractérisé par une absence totale de transparence.
Les parties estiment que les clients et les concurrents ont un pouvoir de contestation. Les parties estiment que la clientèle est volatile. Les taux de désabonnement d'Orange et Free sont de [10-20] %, celui de Neuf Cegetel de [10-20] %, de [10-25] % pour Noos et Numericable et [20-30] % pour Alice. Les parties estiment que leurs concurrents n'auraient pas intérêt à suivre une éventuelle hausse des prix de la part de la nouvelle entité, les prix ayant par ailleurs tendance à baisser ces dernières années.
Ces réponses possibles des consommateurs à une hausse des prix de la nouvelle entité laissent penser qu'il existe un pouvoir de contestation de la part des clients et des concurrents.
Enfin, les parties estiment que plusieurs éléments rendraient difficile la mise en place d'une ligne d'action commune : le contexte actuel de croissance du marché, l'instabilité des parts de marché des opérateurs constatée ces dernières années, l'entrée de nouveaux opérateurs (Darty et SFR) ou la constitution d'un câblo-opérateur unifié (" YPSO " France. Ces éléments ne sont pas de nature à assurer la stabilité d'une éventuelle collusion tacite, dans la mesure où la plupart des opérateurs ont pour l'heure d'importants coûts fixes à amortir, et donc des objectifs de croissance importants en termes d'acquisition de nouveaux clients.
Si l'analyse n'exclut pas une certaine transparence du marché de l'accès Internet à haut débit (premier critère de l'arrêt Airtours), les deux autres critères ne peuvent être quant à eux vérifiés (incitation à la collusion tacite, et non remise en cause par les tiers). Le risque de création d'une position dominante collective peut donc être écarté au cas d'espèce.
3.2 Au plan vertical
3.2.1 La fourniture en gros d'accès à large bande
Parmi les trois marchés de gros définis par l'ARCEP au titre de la régulation ex ante des marchés des communications électroniques, Neuf Cegetel dispose d'une position plus significative pour les seules offres de gros d'accès à large bande en un point national (environ [60-70] % de part de marché). S'agissant des deux autres marchés, France Télécom est le seul opérateur actif au niveau des services de dégroupage et est en situation de position dominante en ce qui concerne les offres en gros d'accès à large bande en un point régional.
T-Online France dispose d'une infrastructure d'accès à large bande pour ses besoins propres, constituée sur la base de contrats IRU de 15 ans, et lui permettant de bénéficier, à ce jour, d'un accès dégroupé à [500-1000] répartiteurs, qui desservent directement [50-60] % de ses abonnés. Pour compléter sa couverture, T-Online France achète de la capacité de large bande sur les marchés en gros auprès de France Télécom ([30-40] % des abonnés) et de Neuf Cegetel ([0-10] % des abonnés).
L'opération pourrait aboutir à ce que, au terme des contrats qui le lient actuellement à France Télécom pour la couverture de ses besoins, T-Online ne se fournisse plus qu'auprès de Neuf Cegetel. Cependant, une telle hypothèse n'aurait pas d'impact concurrentiel sur les marchés de la fourniture en gros d'accès à large bande pour les raisons suivantes :
- c'est à l'initiative du régulateur sectoriel qu'ont été créés les marchés de gros, et mise en œuvre leur régulation asymétrique afin d'obliger l'opérateur historique, France Télécom, à ouvrir son infrastructure aux opérateurs alternatifs, de manière à ouvrir à la concurrence les marchés de détail. Sur chacun des marchés de gros, l'ARCEP avait initialement établi que France Télécom était un opérateur puissant, et l'avait contraint à se soumettre à une série d'obligations : définition d'un catalogue d'offres de services aux opérateurs de détail et contrôle de ses tarifs. Il convient toutefois de souligner que depuis sa décision 2007-0089 du 30 janvier 2007, l'ARCEP a levé les obligations de France Télécom sur le marché de la fourniture en gros d'accès large bande livrées au niveau national, l'opérateur historique a ainsi retrouvé sa liberté d'action commerciale sur ce marché ;
- d'après les données communiquées par les parties, le déploiement et la densification des infrastructures en amont mis en œuvre par un certain nombre d'opérateurs actifs sur le marché de détail augmentent la part d'autoconsommation et réduisent d'autant la demande sur le marché des services de collecte DSL en point de livraison (tant national que régional). Cette tendance à l'intégration des infrastructures diminue sensiblement la dépendance de ces opérateurs à l'égard des fournisseurs de gros ;
- depuis le début de l'année 2006, un nouvel entrant s'est positionné sur le marché, Completel, qui disposerait, selon les données des parties, de 4 000 bâtiments reliés en fibre optique, raccordant près de 600 NRA et reliant 110 villes. Cet opérateur alternatif a, par ailleurs, conclu un partenariat avec le groupe Darty pour le lancement d'offres multiservices commercialisées par ce dernier ;
- Neuf Cegetel, pour compléter sa couverture, achète, de la même façon que T-Online France, de la capacité de large bande auprès de France Télécom, qui desservait 35 % de ses abonnés à la fin de l'année 2006 (6). Ainsi, à l'issue de l'opération de concentration, il reste largement probable que la nouvelle entité demeure obligée d'acheter à France Télécom des services en gros d'accès à large bande pour atteindre ses abonnés situés dans des zones géographiques non dégroupées. Les parties notifiantes estiment que la nouvelle entité devrait conserver la même proportion d'accès confiés à France Télécom. Elles soulignent toutefois que cette proportion devrait à terme se réduire, Neuf Cegetel continuant à dégrouper des NRA (7), de la même façon qu'un certain nombre d'opérateurs actifs sur les marchés de détail ;
- dans le cadre de l'opération Neuf/Cegetel, les parties se sont engagées, pour une période de trois ans, à continuer à offrir des services sur le marché de gros de l'offre de services de collecte DSL livrée en un point de livraison national dans des conditions comparables à celles de Neuf Télécom et de Cegetel avant l'opération ;
- l'instruction du dossier a permis de montrer que les enjeux concurrentiels ont très sensiblement diminué sur les marchés de la fourniture en gros de bande passante depuis 2002, la majorité des opérateurs ayant, à ce jour, dégroupé un grand nombre de NRA.
3.2.2 La fourniture en gros de services de transit de minutes commutées
Les parties estiment que le marché des services de transit de minutes commutées a représenté, en France, en 2006, un volume d'environ 98,5 milliards de minutes (8). Neuf Cegetel représente environ [30-40] % de ce total. Les autres acteurs présents sur ce marché sont France Télécom et Completel.
En 2006, T-Online France a généré un volume de [500-1000] millions de minutes, dont [0-500] ont transité sur le réseau de Neuf Cegetel et [0-500] sur le réseau de Completel.
L'opération pourrait aboutir à ce que, au terme des contrats qui le lient actuellement à Completel pour ses besoins en transit de minutes commutées, T-Online ne se fournisse plus qu'auprès de Neuf Cegetel. Une telle hypothèse n'aurait toutefois pas d'impact concurrentiel sur ce marché pour les raisons suivantes :
- le trafic de T-Online France ne représente que [0-10] % du volume total de minutes acheminées en transit par France Télécom ;
- le volume de minutes acheminées par Completel pour le compte de T-Online France ne représente que [0-5] % du marché total de la fourniture en gros de services de transit de minutes commutées ;
- dans le cadre de l'opération Neuf/Cegetel, les parties se sont engagées, pour une période de trois ans, à continuer à offrir des services sur le marché de la fourniture en gros de services de transit de minutes commutées dans des conditions comparables à celles de Neuf Télécom et de Cegetel avant l'opération.
3.2.3 La fourniture en gros d'infrastructures passives de desserte locale
Selon les données communiquées par les parties, le marché de la fourniture en gros d'infrastructures passives est constitué des services de raccordements passifs (offres de fourreaux ou de fibres) et de services de raccordements actifs (offres de bande passante livrée sous une certaine interface technique) permettant le raccordement de répartiteurs d'abonnés.
Les fournisseurs d'offres de raccordement passives sont Neuf Télécom, sous forme de contrats d'IRU ou de location, France Télécom, au travers de son offre régulée LFO (9) (location de fibre noire), et de nombreux réseaux d'initiatives publiques et délégations de service public (Axione, LDCollectivité). Les fournisseurs d'offres de raccordement actives sont France Télécom, au travers de plusieurs offres régulées (offre POP-NRA, offre Multi-NRA), Completel et Axione.
Sur ce marché, Neuf Cegetel est à la fois fournisseur et acheteur. Il dispose en effet de [500- 1000] NRA en propre et de [0-500] NRA supplémentaires dans le cadre de délégations de service public. Il a, en outre, lancé, à cette date, plus de [0-500] commandes de liens LFO auprès de France Télécom afin d'augmenter sa couverture en dégroupage et achète également auprès de l'opérateur historique des services de raccordement actifs.
Pour sa part, T-Online France est seulement acheteur sur ce marché. Il a ainsi fait l'acquisition de services de raccordements passifs auprès de Neuf Cegetel ([...] NRA dans le cadre de contrats IRU FON d'une durée de 15 ans) et de services de raccordements actifs auprès de Completel ([...] NRA dans le cadre de contrats IRU, conclus en 2006, pour une durée de 15 ans) et Axione ([...] NRA dans le cadre de contrats IRU, conclus en 2006, pour une durée de 15 ans). Avec [500-1000] NRA, TOnline France dispose d'une couverture de 40 % de la population française.
Les risques de forclusion au détriment des demandeurs actuels ou d'éviction des concurrents de Neuf Cegetel peuvent toutefois être écartés sur le marché de la fourniture en gros d'infrastructures passives de desserte locale pour les raisons suivantes :
- Completel semble, à ce jour, s'imposer comme un opérateur alternatif. Avec plus de [...] kilomètres de réseaux métropolitains en fibre optique, le réseau DSL de Completel couvre [...] agglomérations pour un total de [500-1000] NRA ouverts au dégroupage ;
- un certain nombre d'opérateurs, tels que Colt, Telecom Italia ou Free, disposent d'un réseau en propre et sont potentiellement fournisseurs de tels services, même s'ils n'ont pas, à ce jour, fait ce choix commercial. Ainsi, Free a, selon les données des parties, dégroupé [...] sites en 2006, portant le nombre de ses NRA ouverts au dégroupage à [500-1000] ;
- il ressort de l'instruction du dossier que le marché se caractérise par une tendance à la diminution du dégroupage. A l'heure actuelle, [...] répartiteurs ont été dégroupés en propre. Ce chiffre devrait s'élever à [...] à la fin de l'année 2008, dont [...] devraient être dégroupés par les collectivités locales, le solde par les opérateurs du marché ;
- depuis mars 2006, France Télécom est présente sur ce marché avec la commercialisation de son offre LFO, les tarifs proposés pour la location de fibre s'échelonnant, selon les données des parties, de 1,30 euro à 2,21 euro par mètre linéaire et par an, en fonction de la taille des sites, de la durée de location et du volume commandé ;
- les parties indiquent que les opérateurs peuvent accroître la capillarité de leur réseau en utilisant, dans le cadre d'accords commerciaux, les réseaux d'initiative publique déployés par les collectivités territoriales ;
- enfin, les parties soulignent qu'au regard de la couverture de T-Online France ([35-45] % de la population française), celle-ci n'avait pas d'évidence économique à poursuivre significativement ses investissements en matière de desserte locale. Elles indiquent ainsi que le plan de déploiement de T-Online France prévoyait le passage d'environ [...] NRA à [...] NRA en 2007 et une deuxième augmentation de [...] à [...] NRA en 2008, aucun investissement n'ayant été planifié pour 2009.
En conclusion, il ressort de l'instruction du dossier que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.
Je vous prie d'agréer, Maître, l'expression de ma considération distinguée.
NOTA : Des informations relatives au secret des affaires ont été occultées à la demande des parties notifiantes, et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale. Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article R. 430-7 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.
Notes
1 C2005-44, décision du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie du 24 juin 2005 relative à l'acquisition de la société Cegetel par la société Neuf Telecom.
2 C2006-108, décision du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie du 26 octobre 2006 relative à l'acquisition de la société AOL France par la société Neuf Cegetel.
3 Conformément au point 27 de la Communication de la Commission européenne relative au calcul du chiffre d'affaires, le chiffre d'affaires de Neuf Cegetel inclut celui de deux sociétés acquises récemment, Tradingcom Europe SA (société spécialisée dans l'achat et la vente en gros de minutes de communication aux opérateurs historiques et alternatifs sur le marché européen) et Ozone (opérateur de Wifi à Paris).
4 Les baux consentis sont en général de courte durée. Le coût de la location constitue une charge qui ne peut être immobilisée en comptabilité
5 Irrevocable Right of Usage. Le contrat d'IRU prévoit quant à lui les conditions de la mise à disposition de la FON et la durée du droit d'usage ainsi consenti. Il s'agit d'un contrat ferme dont le prix est fixé de manière définitive pour toute la durée du contrat et peut être payé soit en une fois à la signature du contrat d'IRU soit à échéances régulières. Il s'agit d'un contrat de longue durée (15 à 25 ans en général) qui assure à l'opérateur client le bénéfice d'une grande stabilité dans les droits qu'il détient sur la FON qui lui est concédée. L'IRU est un droit quasi réel sur la FON : le client assure l'intégralité des obligations incombant à un acheteur à la différence près qu'il n'en acquiert jamais la pleine propriété.
6 La proportion d'accès confiée à France Télécom correspond aux accès pour lesquels Neuf Cegetel n'a, à ce jour, pas de possibilité de dégroupage. Les parties notifiantes indiquent qu'il n'est pas à exclure qu'un parc limité de 15 000 à 20 000 lignes pourrait, à terme, basculer chez Neuf Cegetel en soulignant toutefois qu'il s'agit de NRA spécifiques, notamment ceux raccordés par Neuf Cegetel via l'offre multi-NRA de France Télécom et auxquels T-Online France n'avait pas accès.
7 Neuf Cegetel a annoncé 2000 NRA dégroupés pour la fin 2007.
8 Estimation basée sur des données de l'ARCEP de 2005, les parties notifiantes considérant que le marché est resté relativement stable entre 2005 et 2006.
9 Cette offre, née des décisions 05-275 et 05-277 de l'ARCEP, permet le raccordement d'un point de présence opérateur à un répartiteur et le raccordement de plusieurs répartiteurs successifs par chaînage, sur l'ensemble du territoire métropolitain et des départements d'Outre-Mer.