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Décisions

Ministre de l’Économie, 13 juin 2007, n° ECEC0759253S

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Conseils de la société Avenance

Ministre de l’Économie n° ECEC0759253S

13 juin 2007

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'EMPLOI

Maîtres,

Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 15 mai 2007, vous avez notifié le projet d'acquisition par la société Avenance SAS (ci-après " Avenance ") de la société Vivaë. Cette acquisition a été formalisée par un contrat de cession signé le 10 mai 2007.

1. LES ENTREPRISES CONCERNÉES ET L'OPÉRATION

Avenance appartient au groupe Elior, lequel est contrôlé, en dernier ressort, conjointement par une personne physique, Monsieur Zolade, ne détenant pas d'autres participations contrôlantes et par le fonds Charterhouse.

Elior est présent en Europe et en Amérique Latine et regroupe deux types d'activité : la restauration collective et la restauration de concession

Charterhouse détient des participations contrôlantes dans diverses industries ne concernant pas la restauration collective ou de concession, et dans la société Autobar, société active sur le marché de la vente automatique et sur le marché de la production de petits équipements et articles non alimentaires utilisés par les restaurateurs ou opérateurs sur les marchés de la restauration de concession ou de la restauration collective. Au cours de l'exercice clos le 30 septembre 2006, Charterhouse a réalisé un chiffre d'affaires consolidé mondial hors taxes de 9 843,9 millions d'euro, dont 3 747,3 millions d'euro en France ; Monsieur Zolade a réalisé un chiffre d'affaires consolidé mondial hors taxes de 1 500,9 millions d'euro, dont 880,6 millions d'euro en France. Vivaë est la société holding d'un groupe de restauration collective.

Au cours de l'exercice clos le 30 juin 2006, Vivaë a réalisé un chiffre d'affaires consolidé mondial hors taxes de 89,9 millions d'euro, dont 89,7 millions d'euro en France. L'opération a pour effet d'entraîner le contrôle exclusif d'Elior sur Vivaë. Elle constitue ainsi une opération de concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Au regard des chiffres d'affaires réalisés par les entreprises concernées, elle ne présente pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils prévus à l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis.

L'opération projetée entre donc dans le champ d'application des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce.

2. MARCHÉS CONCERNÉS

La pratique décisionnelle, tant communautaire (1) que nationale (2), distingue usuellement le secteur de la restauration concédée du secteur de la restauration collective.

L'activité de restauration de concession consiste à fournir un service de restauration dans des zones affectées principalement à une autre activité : le transport (aéroport, gares, etc.), les loisirs ou le sport (musées, cinémas, parcs d'attraction, stades, etc.), le commerce de détail (galeries marchandes, grands magasins, etc.) et autres lieux dits publics. Le prestataire verse une rémunération au concédant en contrepartie du droit d'exploiter pour son propre compte une partie de la zone concédée. Le prestataire n'est rémunéré qu'à partir des ventes faites au public. Selon la pratique décisionnelle, une segmentation plus fine en fonction du type de lieu concédé (gare, musée, galerie commerciale, etc.) ne semble pas pertinente dans la mesure où les conditions de concurrence s'exercent de manière similaire dans les différents endroits cités. La pratique indique en outre que la délimitation géographique de l'activité de restauration concédée est au moins nationale.

Selon la pratique décisionnelle du ministre (3), l'activité de restauration collective consiste à préparer et à servir des repas complets, ainsi que tous les services nécessaires à la distribution de ces repas, pour le compte de clients qui ont décidé d'externaliser cette activité. La clientèle se compose essentiellement d'entreprises publiques ou privées, d'établissements de santé (cliniques, hôpitaux), d'établissements scolaires ou universitaires ou encore d'établissements pénitentiaires. Les clients se distinguent des consommateurs finaux, dont la présence dans l'établissement est fréquente ou prolongée, ce qui explique le besoin de s'y restaurer, bien que la prise d'un repas ne soit pas la raison première de leur présence sur le lieu fréquenté. Le client rémunère le prestataire de service, tandis que les repas sont, la plupart du temps, vendus à un prix subventionné au consommateur final. Les autorités de concurrence ont à plusieurs reprises considéré qu'il ne semblait pas pertinent d'opérer des distinctions entre les différents domaines d'activité de la clientèle, en constatant que " les principales entreprises de restauration collective adaptent leur offre aux différents types de clients et qu'ils ne sont pas spécialisés dans la fourniture de services à l'une ou l'autre des clientèles ".

Sur le plan géographique, les autorités de concurrence ont considéré, à plusieurs reprises, que le marché de la restauration collective était de dimension nationale, compte tenu de l'existence de différences substantielles dans la législation des États relative au droit du travail et aux procédures d'appel d'offres ainsi que dans les préférences des consommateurs et dans les habitude d'externalisation de la restauration collective.

L'opération entraîne un chevauchement de l'activité des parties dans le secteur de la restauration collective en France.

La présence de la société Autobar (filiale du fonds Charterhouse qui contrôle le groupe Elior conjointement avec une personne physique) sur le marché amont de la fourniture d'équipements et ustensiles non alimentaires aux opérateurs de la restauration (collective, de concession ou autres restaurants) aurait théoriquement pu entraîner des effets verticaux ; toutefois, la part de marché d'Autobar est de moins de 5 % en France. Par conséquent, l'opération n'est pas susceptible d'affecter la concurrence sur ce marché, qui ne sera pas défini plus précisément.

En outre, Elior est actif sur le marché connexe de la distribution automatique, qui consiste à distribuer des produits, alimentaires ou non, par l'intermédiaire d'un automate capable d'accepter tout moyen de paiement immédiat tels que pièces, billets de banque, cartes de paiement, etc. L'exploitation de ces distributeurs suppose les moyens nécessaires à leur installation, leur maintenance, leur nettoyage, l'approvisionnement et le rechargement des stocks et la collecte des paiements effectués en liquide.

Si la Commission (4) comme le ministre (5) ont distingué la distribution automatique alimentaire de la restauration collective et de la restauration de concession, aussi bien du côté de l'offre (investissements, logistique et structure de coûts différents) que du côté de la demande (prix, différence entre un repas complet et un simple snack), ils ont néanmoins considéré que la vente automatique constituait un service complémentaire à celui offert dans le cadre de la restauration collective ou dans la restauration de concession. Ces différents marchés sont donc étroitement liés.

3. ANALYSE CONCURRENTIELLE

3.1. Analyse des effets non coordonnés

3.1.1. Effets horizontaux

Elior représente [20-30]% du marché français de la restauration collective (en valeur) tandis que la part de marché de Vivaë atteint [0-10]%. La nouvelle entité disposerait ainsi d'une part de marché cumulée de [20-30]%. Elle demeurerait toutefois en seconde position, derrière Sodexho ([30-40]%) et devant Compass ([10-20]%), les deux principaux opérateurs de la restauration collective au niveau mondial. A côté de ces grands concurrents, de nombreux concurrents plus petits resteront actifs sur ce marché à l'issue de l'opération.

3.1.2. Effets congloméraux

En matière de distribution automatique, la part de marché d'Elior en France s'élève selon les parties à environ [0-10]%. Dès lors, l'opération n'est pas susceptible de se traduire par des effets de gamme entre la restauration collective et la distribution automatique.

3.2. Analyse des effets coordonnés

Tout d'abord, si le marché de la restauration collective est relativement concentré, cette situation préexiste à l'opération qui ne renforce la concentration du marché que de façon marginale. Ainsi, l'opération entraine une variation de l'IHH de 87 (en présence d'une variation inférieure à 150, il est généralement considéré que l'opération n'entraîne pas de problèmes de concurrence horizontaux).

Par ailleurs, le marché français de la restauration collective ne présente pas les caractéristiques d'un marché sur lequel est susceptible d'émerger une position dominante collective.

En premier lieu, le marché de la restauration collective ne présente pas un degré de transparence suffisant pour permettre une collusion tacite entre les différents opérateurs. En effet, les contrats sont conclus dans le cadre de négociations bilatérales ou d'appels d'offres dans lesquels les prix des concurrents sont tenus confidentiels. Les tarifs pratiqués ne sont pas publics, et sont négociés au cas par cas en fonction des spécificités et des exigences particulières de chaque client. Il existe, certes, des organismes comme Néo restauration qui publient des indications de parts de marché, chiffre d'affaires et volume de vente ; ces données ne sont cependant publiées que selon un rythme annuel, pour les chiffres réalisés l'année précédente, et ne permettent donc pas de détecter rapidement les évolutions de prix pratiquées par les différents opérateurs. Par ailleurs, les prestations rendues à chaque client sont fortement différenciées, chaque opérateur adaptant son offre en fonction des exigences du client (la clientèle des opérateurs de restauration collective est extrêmement variée : grandes entreprises, PME, administrations, écoles, crèches, hôpitaux, cliniques, armées, prisons, etc.), ce qui rend hasardeuse toute comparaison tarifaire réalisée à partir de données globales telles que celles rendues publiques par ces organismes. Enfin, les observateurs externes font le constat d'une concurrence très forte sur ce marché (6).

En deuxième lieu, et compte tenu de l'absence de transparence du marché, l'exercice de représailles rapides et efficaces ne paraît pas possible.

En troisième lieu, un certain nombre de facteurs, liés aux caractéristiques de la clientèle et aux pressions concurrentielles qui s'exercent sur les opérateurs de restauration collective, impliquent que les trois principaux opérateurs n'ont pas forcément intérêt à cesser de se faire concurrence ou à réduire l'intensité concurrentielle entre eux en adoptant une ligne d'action commune sur le marché. S'agissant tout d'abord des pressions concurrentielles qui s'exercent sur les opérateurs, les parties estiment que les barrières à l'entrée du marché sont relativement faibles (l'activité de restauration collective ne nécessite pas de capacités de production particulières, la plupart des clients bénéficiant dans leurs locaux des infrastructures nécessaires à la préparation des repas sur place) et que le nombre d'opérateurs présents est élevé. Ainsi, s'il n'existe que trois opérateurs importants au niveau national, de nombreux petits opérateurs, bénéficiant parfois d'une assise importante au niveau local, se développent (7). Ces opérateurs constituent autant d'alternatives possibles vers lesquelles la demande ne manquerait pas de se retourner massivement si les trois grands opérateurs se mettaient à pratiquer des hausses de prix injustifiées ou à dégrader la qualité de leur prestation. De plus, les parties indiquent que l'élément principal de croissance du marché est l'externalisation de la restauration collective par des collectivités qui, jusque-là, avaient opté pour l'autogestion. Ce phénomène d'externalisation, motivé par le meilleur rapport qualité/prix que présente le recours à une société de restauration collective, n'est pas irréversible (8). Si les sociétés de restauration collective adoptaient des prix trop élevés ou diminuaient la qualité de leur prestation, la clientèle aurait, outre le recours aux autres opérateurs du marché, la possibilité de revenir à l'autogestion. Par ailleurs, les nombreux établissements qui demeurent en autogestion (9) constituent autant de clients potentiels que les opérateurs de restauration collective ont intérêt à attirer. Ces conditions de marché incitent les opérateurs à se faire concurrence ; ceux-ci n'auraient dès lors que peu d'intérêt à adopter une ligne d'action commune, et de fortes incitations à en dévier le cas échéant.

Il résulte de ce qui précède que l'opération n'est pas de nature à créer ou à renforcer une position dominante collective sur le marché de la restauration collective.

En conclusion, il ressort de l'instruction du dossier que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.

Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de ma considération distinguée.

NOTA : Des informations relatives au secret des affaires ont été occultées à la demande des parties notifiantes, et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale. Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article R. 430-7 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.

Notes

1 Aff. M.1972 Granada/Compass du 29 juin 2000, M.2373 Compass/Selecta du 8 mai 2001 et M.2466 Sodexho/Abella du 8 juin 2001.

2 Lettres du ministre en date du 3 septembre 2002 relative à la concentration Eliance/Yatoo Partoo et en date du 19 juillet 2004 relative à la concentration Elior/Services Holding.

3 Lettre du ministre en date du 12 août 2004 relative à la concentration Elior/LRP.

4 Aff. M.2373 Compass/Selecta du 8 mai 2001

5 Lettre du ministre en date du 3 septembre 2002 relative à la concentration Eliance/Yatoo Partoo.

6 Néo restauration fait ainsi état d'une concurrence " farouche " et d'un contexte " d'âpre concurrence et de pression des prix " dans son article d'avril 2000 " Croissance générale mais concurrence serrée ; de même, dans son dossier d'avril 2007 consacré à la restauration collective, Néo restauration note que les sociétés de restauration collective multiplient les innovations qui " cherchent toutes à atteindre les mêmes objectifs à savoir attirer, garder et " chouchouter " le convive de plus en plus exigeant et éclectique dans ses choix ".

7 Voir le dossier d'avril 2007 de Néo restauration consacré à la restauration collective, page 50, où il est noté que les petits opérateurs se développent sur le marché ; voir également ce dossier en page 51, qui présente un tableau des opérateurs du marché.

8 Voir l'étude Gira 2006 page 59, qui note que certains hôpitaux comme le CHU de Nancy sont revenus à l'autogestion.

9 Voir par exemple GNR Flash Hebdo avril 2004, page 2, qui note que la restauration dans les secteurs de la santé et de l'éducation, encore peu externalisée, représente un fort potentiel de développement pour les sociétés de restauration collective.