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Décisions

Ministre de l’Économie, 2 août 2007, n° ECEC0765296S

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Conseils de la société Orlait

Ministre de l’Économie n° ECEC0765296S

2 août 2007

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'EMPLOI

Maîtres,

Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 26 juin 2007, vous avez notifié l'acquisition par la société Orlait du contrôle exclusif de la société Comalait (1). Cette opération a été formalisée par un protocole d'accord pour l'achat d'actions signé le 14 mai 2007.

1. LES ENTREPRISES CONCERNEES ET L'OPERATION DE CONCENTRATION

1.1. Les entreprises concernées

Les entreprises concernées par la présente opération sont, d'une part, Orlait, l'acquéreur, et, d'autre part, Comalait, la société cible.

Orlait est une société anonyme, active dans le secteur du négoce et de la commercialisation de lait de consommation longue conservation (ci-après " lait UHT "). Elle est présente, de manière plus marginale, dans le secteur des crèmes UHT, vendues principalement à la grande distribution sous marque de distributeur. Orlait est contrôlée, via la société Candia, par le groupe coopératif laitier Sodiaal (2).

Sodiaal transforme et commercialise des produits issus du lait dans quatre branches d'activité : le lait de consommation (Candia), les produits frais (Yoplait), les fromages (Fromageries Riches Monts), ainsi que la poudre de lait (Sodiaal Industrie) et la matière grasse (Beuralia).

En 2006, le chiffre d'affaires total mondial hors taxes de Sodiaal a été estimé à 2 129 millions d'euro environ, dont [>50] millions d'euro environ ont été réalisés en France.

Comalait est une société anonyme de droit français qui détient la totalité du capital de plusieurs sociétés : Comalait Industries SA, Royalat Srl, Laiterie de Montagne SNC, International Méditerranée Foods et Comalait Polska SA. Comalait détient également une participation minoritaire (24%) dans le capital de la société Les Montagnes d'Auzances SAS.

Comalait est active dans le secteur de la collecte de lait de vache. Elle est également présente dans le secteur de la transformation et de la commercialisation de lait UHT auprès de la grande distribution et du hard discount (ci-après dénommés collectivement " GMS "). Comalait exerce également des activités marginales de vente de crème, de lait frais, d'eau minérale et d'articles destinés aux agriculteurs (alimentation animale, produits d'entretien, engrais, etc.).

En 2006, le chiffre d'affaires total mondial hors taxes de Comalait a été estimé à 77 millions d'euro environ, dont 64 millions d'euro environ ont été réalisés en France.

1.2. L'opération de concentration L'opération notifiée consiste en l'acquisition de 98,86% du capital et des droits de vote de Comalait par Orlait qui en possède à ce jour 0,17%. A l'issue de l'opération, Orlait détiendra donc 99,03% du capital et des droits de vote de Comalait, ce qui lui confèrera le contrôle exclusif de cette société. Il convient de relever que plusieurs cessions préalables réduiront le périmètre d'acquisition (3), de sorte que le contrôle d'Orlait s'exercera sur les sociétés suivantes : Comalait Industrie SA, Laiterie de Montagne d'Auzances SNC, Royalat Srl. Orlait détiendra également une participation minoritaire (24%) dans le capital de la société Les Montagnes d'Auzances SAS.

En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de Comalait par Orlait, la présente opération constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Compte tenu des chiffres d'affaires des entreprises concernées, elle ne revêt pas une dimension communautaire et est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.

2. LES MARCHES CONCERNES

Les parties sont principalement et simultanément actives dans les secteurs de la collecte et de la commercialisation de lait. En effet, les autres activités exercées marginalement par chacune des parties ne se chevauchent pas.

D'une part, la crème et le lait frais produits par Comalait correspondent à des excédents de production vendus à l'industrie agroalimentaire sous forme de citernes. Or Sodiaal/Orlait commercialise ces produits exclusivement à destination de la grande distribution, sous forme de briques ou de bouteilles.

D'autre part, Sodiaal/Orlait ne produit ni d'eau minérale, ni d'articles destinés aux producteurs (alimentation animale, produits d'entretien, engrais, etc.).

En conséquence, la présente opération sera analysée en amont, sur le secteur de la collecte de lait, et, en aval, sur le secteur de la commercialisation de lait.

2.1. Les marchés de produits

2.1.1. Le marché amont de la collecte de lait

Il ressort de la pratique décisionnelle du ministre chargé de l'économie (ci-après " le ministre ") que les marchés de la collecte de lait doivent être distingués selon le type de lait concerné (lait de vache, lait de brebis, etc.) (4). Au cas d'espèce, seul le marché de la collecte de lait de vache est concerné par l'opération dans la mesure où Comalait ne collecte pas d'autres types de lait.

D'autres segmentations plus fines ont été traditionnellement envisagées (lait de vache issu de l'agriculture biologique (5) ou lait de vache destiné à la fabrication de produits sous AOC (6)), mais il n'est pas nécessaire de s'interroger sur leur pertinence au cas d'espèce dans la mesure où Comalait ne collecte ni de lait de vache biologique, ni de lait de vache destiné à la fabrication de produits sous AOC.

2.2. Le marché aval de l'approvisionnement en lait UHT

a. Une segmentation par type de produits

Il est de pratique décisionnelle constante que l'approvisionnement en lait de consommation longue conservation (lait UHT) constitue un marché de produits distinct de celui de la fourniture de lait de consommation frais (7). Au cas d'espèce, seul le marché de la fourniture de lait UHT est concerné par l'opération, dans la mesure où Comalait ne commercialise pas de lait frais.

D'autres segmentations plus fines ont été traditionnellement envisagées (lait de consommation aromatisé, lait biologique, lait de croissance, lait vitaminé, ces différents types de lait pouvant être regroupés sous l'appellation " laits spéciaux "). Il apparaît en effet que les laits spéciaux " ne sont pas produits de manière indifférenciée par les différents opérateurs, que la position des opérateurs dans chacun de ces segments est hétérogène, et qu'en outre, ils ne répondent pas systématiquement à la satisfaction d'un même besoin pour le consommateur [...] et qu'il existe une différence de prix entre les laits spéciaux et le lait conventionnel, et entre chacun de ces laits spéciaux " (8). Au cas d'espèce, il n'est toutefois pas nécessaire de s'interroger sur la pertinence d'une segmentation par type de lait dans la mesure où Comalait ne commercialise pas de laits spéciaux.

b. Une segmentation par réseau de distribution

En matière de produits alimentaires, trois réseaux de distribution sont traditionnellement distingués par les autorités de concurrence : la grande distribution et les commerces à dominante alimentaire (GMS, hard discount compris), la restauration hors foyer (RHF) et l'industrie agroalimentaire (IAA).

Au cas d'espèce, Comalait approvisionne exclusivement les GMS en lait UHT. En conséquence, seul ce réseau de distribution, qui assure par ailleurs l'essentiel de la distribution de lait UHT en France, est concerné par l'opération.

c. Une segmentation par positionnement commercial

Au sein du réseau de distribution des GMS, une segmentation supplémentaire peut être opérée selon le positionnement commercial du produit concerné, selon s'il s'agit d'une marque de fabricant (MDF), d'une marque de distributeur (MDD), d'une marque premier prix (MPP) ou d'une marque de hard discount (MHD).

D'une manière générale, les marchés de produits MDF ne font pas l'objet d'appels d'offres et ne sont pas conditionnés au respect de cahiers des charges prédéfinis. En outre, ils donnent lieu à une rémunération du distributeur dans le cadre de contrats de coopération commerciale. Enfin, les GMS doivent souvent disposer dans leurs assortiments de produits MDF. Cette analyse peut s'appliquer à un produit tel que le lait UHT (9). Il convient dès lors, pour les besoins de l'analyse concurrentielle, d'envisager l'existence d'un marché de l'approvisionnement des GMS en lait UHT MDF.

Concernant les laits destinés à être revendus sous MDD, MPP et MHD, les parties considèrent que ces différents produits se situent sur un même marché d'approvisionnement des GMS.

En premier lieu, du côté de l'offre, ce sont les mêmes entreprises qui sont actives sur ces différents segments. Ensuite, les laits MDD/MPP/MHD sont achetés quasi-systématiquement après lancement d'appels d'offres. En outre, au sein de chaque centrale d'achat, les acheteurs sont souvent les mêmes pour ces différents types de produits. Les GMS peuvent également décider, au dernier moment, de changer le positionnement commercial du produit (MDD/MPP) suite à un appel d'offres.

Il existerait donc, tant du côté de l'offre que de la demande, une substituabilité suffisante tendant à caractériser un marché unique de l'approvisionnement du lait MDD/MPP/MHD (10).

Toutefois, une segmentation apparaît justifiée au regard des éléments suivants.

D'une part, il apparaît que les sites de production de lait UHT MDD font l'objet d'audits ou de certification par les GMS, ce qui n'est pas le cas pour les sites de production de lait UHT MPP ou MHD. D'autre part, le lait UHT MDD fait l'objet d'un cahier des charges, qui n'existe pas pour le lait UHT MPP.

Au cas d'espèce, il n'est pas nécessaire de se prononcer sur l'existence de marchés distincts suivant le positionnement commercial du lait UHT (MDF/MDD/MPP/MHD) dans la mesure où les conclusions de l'analyse concurrentielle ne s'en trouveraient pas modifiées.

2.3. Les marchés géographiques

2.3.1. Le marché amont de la collecte de lait

Dans sa pratique décisionnelle, le ministre retient traditionnellement des marchés de la collecte de lait de dimension locale. A cet égard, les parties ont indiqué que la région administrative pouvait constituer une délimitation pertinente. Le test de marché effectué pour les besoins de la présente analyse a d'ailleurs confirmé cette vision du marché. Les réponses reçues ont indiqué que les collectes de lait auprès des producteurs dans les régions concernées par l'opération pouvaient s'effectuer sur une distance de 200 kilomètres environ autour de chaque laiterie.

Toutefois, en fonction de la topographie des lieux et des infrastructures routières, l'hypothèse de zones de collecte plus restreintes ne doit pas être écartée. A l'occasion de précédentes opérations, le ministre chargé de l'économie a ainsi analysé des marchés de la collecte de lait de taille départementale (11), voire infradépartementale. Dans une décision précédente, le ministre a indiqué qu' " une analyse des tournées de collecte de lait révèle que celles-ci ne peuvent s'effectuer que dans un rayon de 50 kilomètres en moyenne autour de chaque laiterie, ce qui tend à réduire davantage la dimension géographique pertinente du marché de la collecte " (12).

Au cas d'espèce, il n'est toutefois pas nécessaire de définir précisément la dimension géographique du marché amont de la collecte de lait dans la mesure où les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurent inchangées, quelles que soient les délimitations retenues.

2.3.2. Le marché aval de l'approvisionnement en lait UHT

D'une manière générale, les marchés de l'approvisionnement des GMS en produits alimentaires sont de dimension nationale, et ce, quelle que soient les segmentations retenues. En effet, " ces marchés sont encore essentiellement de dimension nationale, en raison notamment des préférences, des goûts et des habitudes alimentaires des consommateurs, des différences de prix, des variations des parts de marché détenues par les principaux opérateurs selon les Etats membres et de la présence de marques de fabricants ou de distributeurs commercialisées uniquement au plan national " (13). Cette dimension nationale peut s'appliquer au marché de l'approvisionnement des GMS en lait UHT (14).

Au cas d'espèce, il n'est pas nécessaire d'approfondir ou de remettre en cause cette pratique décisionnelle constante, l'instruction ayant confirmé cette délimitation nationale pour le marché de l'approvisionnement des GMS en lait UHT.

3. L'ANALYSE CONCURRENTIELLE

3.1. Les marchés amont de la collecte de lait de vache

3.1.1. Analyse des effets non coordonnés

a. Les positions des acteurs

- au niveau régional

Concernant les marchés de la collecte de lait de vache, l'opération entraîne un chevauchement d'activités entre les parties dans deux régions administratives. En effet, Comalait exploite deux zones de collecte, situées respectivement à Saint-Yorre, en Auvergne, et à Auzances, dans le Limousin. Or Sodiaal/Orlait exerce également des activités de collecte de lait de vache dans ces deux régions.

Les positions des parties, avant et à l'issue de l'opération, ainsi que celles de leurs principaux concurrents, sont présentées au niveau régional dans les deux tableaux ci-dessous.

<emplacement tableau>

- au niveau départemental

Seuls deux départements sont concernés par des chevauchements entre les zones de collecte de lait de vache des parties : l'Allier et la Creuse.

Les positions des parties, avant et à l'issue de l'opération, ainsi que celles de leurs principaux concurrents, sont présentées au niveau départemental dans les deux tableaux ci-dessous.

<emplacement tableau>

- au niveau infradépartemental

Il ressort de l'instruction du dossier que les zones de collecte respectives des parties ne se chevauchent pas sur le segment géographique le plus étroit, correspondant à une aire de 50 kilomètres environ de rayon autour de leurs laiteries. En effet, Sodiaal/Orlait n'exploite pas de sites de collecte de lait de vache à proximité immédiate des laiteries de Comalait implantés à Saint-Yorre et à Auzances.

b. Analyse des risques de création ou de renforcement d'une position dominante

- Analyse au niveau régional

En Auvergne, il convient d'abord de relever que la concentration se traduit par une addition limitée de parts de marché ([0-10] points). A l'issue de l'opération, la nouvelle entité collectera environ [20-30]% (Sodiaal/Orlait [20-30]%, Comalait [0-10]%) du lait de vache produit dans cette région. Elle restera concurrencée par des acteurs importants, tels que l'URCVL, le GLAC/ex- Toury (15), Lactalis et 3A qui possèdent des parts de marché comprises entre [10-20]% et [20-30]%.

Compte tenu de la position limitée de la nouvelle entité et de cette concurrence actuelle, l'opération n'est pas susceptible de créer ou de renforcer un risque de position dominante de Sodiaal sur un marché de la collecte de lait de vache circonscrit à l'Auvergne.

Dans le Limousin, à l'issue de l'opération, la nouvelle entité collectera environ [20-30]% (Sodiaal/Orlait [10-20]%, Comalait [10-20]%) du lait de vache produit dans cette région.

Elle sera principalement concurrencée par le GLAC/ex-Toury ([10-20]%). Il existe également dans le Limousin un nombre important de collecteurs qui détiennent de faibles parts de marché (<5%), mais qui sont des sociétés importantes, telles que 3A et Lactalis. Ces deux concurrents sont en effet respectivement le cinquième et le premier collecteur de lait de vache au niveau national.

Compte tenu de la position limitée de la nouvelle entité et de cette concurrence actuelle, l'opération n'est pas susceptible de créer ou de renforcer un risque de position dominante de Sodiaal sur un marché de la collecte de lait de vache circonscrit au Limousin.

- Analyse au niveau départemental

Dans l'Allier, il convient d'abord de noter que l'opération engendre une addition très limitée de parts de marché ([0-10] point). Dans ce département, la part de marché cumulée des parties est estimée à [30-40]% (Sodiaal/Orlait [0-10]%, Comalait [30-40]%). La nouvelle entité restera notamment concurrencée par l'URCVL qui détient une part de marchée estimée à [0-10]%. En outre, il existe un grand nombre de petits collecteurs qui représentent environ [50-60]% de la collecte de lait de vache dans le département de l'Allier.

Dans la Creuse, la part de marché cumulée des parties est estimée à [60-70]% (Sodiaal/Orlait [10-20]%, Comalait [50-60]%). La nouvelle entité sera notamment concurrencée par le GLAC/ex- Toury ([10-20]%). Les autres concurrents représentent quant à eux environ [20-30]% de la collecte de lait de vache dans le département de la Creuse.

Il convient toutefois de relativiser l'importance des parts de marché attribuées à la nouvelle entité dans ces deux départements à l'issue de l'opération.

Le ministre a déjà eu l'occasion de relever que les coopératives ne maîtrisent pas totalement leurs approvisionnements dans la mesure où leur statut implique une clause d'exclusivité pour la collecte du lait de leurs adhérents (16). De plus, le statut légal des coopératives détermine la zone géographique où celles-ci peuvent exercer leur activité et n'ont donc pas la liberté de choisir l'implantation de leurs ressources laitières, notamment en fonction de coûts de collecte plus faibles. Enfin, les adhérents d'une coopérative, dont les conditions d'exclusion sont limitées (17), ont un droit au renouvellement de leur adhésion (18), ce qui restreint la possibilité d'étendre ou de réduire le(s) zone(s) de collecte.

Il en résulte, pour les coopératives, et notamment Sodiaal, un pouvoir de marché limité au regard des quantités totales de lait qu'elles collectent.

Au cas présent, plus de [70-80]% du lait de vache collecté par Sodiaal l'est auprès de ses adhérents.

Appliquée à l'Allier, cette proportion a pour conséquence de réduire un chevauchement déjà très limité ([0-10] point). Dès lors, l'opération n'est pas susceptible d'avoir un impact significatif sur la collecte de lait de vache dans ce département.

Dans la Creuse, la part de marché de [60-70]% attribuée à la nouvelle entité à l'issue de l'opération doit également être relativisée compte tenu des collectes effectuées par Sodiaal/Orlait auprès de ses adhérents. Or la part de marché attribuée à Sodiaal/Orlait représentait, avant l'opération, environ [10-20]% du lait de vache produit dans la Creuse. La puissance de marché de la nouvelle entité serait donc amoindrie au regard du statut coopératif de Sodiaal.

La concurrence actuelle du GLAC/ex-Toury, qui collecte environ [10-20]% du lait produit au niveau du département, est également de nature à contrebalancer un éventuel pouvoir de marché de Sodiaal/Orlait.

Enfin, le pouvoir de marché de la nouvelle entité sera également limité si l'on tient compte d'une concurrence potentielle dans ce département. En effet, la société Lactalis, qui n'a pas un statut de coopérative, est implantée dans ce département mais aussi dans des départements limitrophes. Ce concurrent est donc susceptible d'étendre sa couverture géographique dans la Creuse. Lactalis possède en effet des zones de collecte dans ce département, mais aussi en Corrèze, dans le Puy-de-Dôme et en Haute-Vienne (19). Le test de marché a en effet révélé qu'en Auvergne et dans le Limousin, la collecte de lait de vache était économiquement envisageable jusqu'à une distance de 200 kilomètres (20).

En outre, il convient de remarquer la localisation excentrée de la laiterie de Comalait, dans le sud est du département de l'Allier. Dès lors, des concurrents, y compris des coopératives, implantés dans les départements du Puy-de-Dôme, de la Loire et de la Saône-et-Loire sont susceptibles d'exercer une pression concurrentielle sur la nouvelle entité.

En conséquence, dans la Creuse, l'opération n'est pas susceptible d'avoir un impact significatif sur la collecte de lait de vache dans ce département.

- Analyse au niveau infradépartemental

Dans la mesure où les activités des parties ne se chevauchent pas sur des zones de cinquante kilomètres de rayon autour de leurs laiteries, l'opération n'est pas susceptible de créer ou de renforcer un risque de position dominante de Sodiaal au plan local.

En conséquence, l'opération n'est pas de nature à créer ou à renforcer une position dominante de la nouvelle entité sur les marchés amont de la collecte de lait de vache, quel que soit le niveau d'analyse.

c. Analyse des risques de création ou de renforcement d'une puissance d'achat qui placerait les fournisseurs en situation de dépendance économique

Au vu des positions des parties et de leurs concurrents, tant au niveau régional qu'au niveau départemental, il apparaît que les producteurs conserveront des débouchés alternatifs à la nouvelle entité.

En préalable à l'analyse, il peut être rappelé que le marché de la collecte de lait est caractérisé par une structure particulière, où des coopératives et des sociétés privées sont fréquemment actives dans les mêmes zones. Les producteurs de lait ont donc le choix, pour vendre leur production, entre l'adhésion à une coopérative, qui leur garantit la collecte pour une durée minimum de cinq ans, et la conclusion d'un contrat de vente avec une société privée, d'une durée variable.

- au niveau régional

Au niveau régional, l'existence de ces deux types d'acteurs offrent cette alternative aux producteurs de lait. En effet, tant dans le Limousin qu'en Auvergne, des sociétés privées, telles que Lactalis, et des coopératives, telles que 3A et Centre Lait, détiennent des sites industriels susceptibles de constituer une demande suffisante pour les producteurs de lait de ces deux régions.

- au niveau départemental

Au niveau départemental, l'alternative apparaît toutefois plus réduite, compte tenu de l'importance des coopératives dans l'Allier et dans la Creuse. Toutefois, dans la mesure où les sociétés privées peuvent librement arbitrer et déterminer la localisation et les volumes de leurs ressources laitières, en fonction de leurs besoins économiques géographiques, elles peuvent être considérées comme une concurrence potentielle sur ces deux départements. En effet, des sociétés privées implantées dans les départements limitrophes pourraient élargir leurs zones de collecte en cas d'opportunité créée par une diminution du prix du lait collecté auprès de producteurs non adhérents. Dès lors, comme cela a été montré précédemment, une société telle que Lactalis, active en Auvergne et dans le Limousin, peut être considérée comme une demande alternative potentielle pour les départements de l'Allier et de la Creuse. Cette concurrence potentielle apparaît suffisamment dissuasive pour empêcher la création ou le renforcement d'une puissance d'achat sur le marché de la collecte de lait de vache délimité au niveau départemental.

En outre, il existe des alternatives concurrentes de proximité à la demande de la nouvelle entité dans ces deux départements. En effet, les parties ont mentionné la présence de concurrents à moins de cinquante kilomètres des deux sites de collecte de Comalait repris par Orlait sans que cette dernière, ou Sodiaal, ne dispose de laiteries dans ces zones.

Concernant le site de collecte de Comalait implanté dans l'Allier, deux laiteries concurrentes sont situées dans une zone de cinquante kilomètres autour de Saint-Yorre : la laiterie Moussier (Creuzier le Vieux) et la laiterie Garmy (Pont Astier). Elles constituent donc les deux alternatives immédiates pour les producteurs de lait présents dans cette zone de collecte. Concernant le site de collecte de Comalait implanté dans la Creuse, une laiterie concurrente est située dans une zone de cinquante kilomètres autour d'Auzances : la laiterie de l'ancien groupe Toury à Mérinchal. Cette laiterie constitue donc l'alternative immédiate pour les producteurs de lait présents dans cette zone de collecte.

- au niveau infradépartemental

Comme cela a été précédemment montré, Sodiaal/Orlait ne détient pas de laiterie située dans un rayon de 50 kilomètres autour des sites industriels de Comalait. Dès lors, la structure du marché, analysée à ce niveau, est supposée inchangée à l'issue de la concentration.

En conséquence, quel que soit le niveau d'analyse (régional, départemental ou infradépartemental), l'opération n'est pas susceptible d'engendrer un risque de création ou de renforcement de la puissance d'achat de la nouvelle entité, qui placerait les producteurs de lait en situation de dépendance économique.

3.2. Analyse des effets coordonnés

Concernant le risque de création ou de renforcement d'une position dominante collective sur chacun des marchés amont de la collecte de lait de vache, il convient de circonscrire l'analyse aux marchés sur lesquels la structure de la demande se prête à l'émergence d'un tel risque.

Au cas d'espèce, seul le marché de la collecte de lait de vache en Auvergne apparaît concerné, dans la mesure où cinq entreprises collecteront ensemble près de [80-90]% du lait. Sur les autres marchés, il existe soit de trop nombreux concurrents (au niveau du département de l'Allier ou de la région du Limousin), soit une trop forte asymétrie dans les parts de marché des acteurs de l'oligopole étudié (au niveau du département de la Creuse).

Il convient de remarquer qu'une telle coordination du côté de la demande se ferait sur le prix d'achat collecté le plus bas possible. Comme l'a souligné la Commission européenne dans sa décision Arla Foods/Express Dairies du 10 juin 2003, une position dominante collective du côté de la demande constituerait une situation inhabituelle (21).

Il ressort des arrêts Airtours (22) et Gencor (23) du Tribunal de Première Instance des Communautés européennes que trois conditions cumulatives sont nécessaires pour caractériser une situation de position dominante collective :

• la connaissance par chaque membre de l'oligopole du comportement des autres membres par un degré de transparence du marché suffisant ;

• une pérennisation de la coordination par une incitation à ne pas s'écarter de la ligne de conduite commune ;

• une absence de remise en cause efficace de la coordination par des concurrents actuels et potentiels et par les consommateurs.

Au cas présent, le risque de création d'une position dominante collective peut être écarté sur le marché de la collecte de lait de vache en Auvergne, au moins deux des conditions rappelées ci-dessus n'étant pas satisfaites.

Concernant le premier critère, à savoir celui de la transparence du marché, le prix payé par le collecteur à l'agriculteur repose sur de nombreux critères de rémunération24, dont les montants sont connus des seuls cocontractants. Dès lors, le prix ne peut pas être considéré comme une information aisément accessible pour des tiers. En outre, la publication par l'Office de l'élevage d'un prix d'achat moyen du lait n'est pas non plus susceptible de rendre ce marché transparent dans la mesure où cette information publique ne correspond qu'à une moyenne agrégée réalisée par sondage. Le marché de la collecte de lait apparaît par conséquent peu transparent. Dès lors, la déviation d'un éventuel accord collusif ne pourrait pas être détectée rapidement par les membres de l'oligopole.

Concernant le troisième critère, à savoir celui de l'absence de remise en cause efficace de la coordination, il implique tout d'abord une certaine similitude entre les membres de l'oligopole. Or parmi les collecteurs présents en Auvergne, des coopératives, telles que URCVL, 3A et le GLAC/ex- Toury et une société privée (Lactalis) sont en concurrence. Or, comme cela a déjà été indiqué, les sociétés privées n'entretiennent pas les mêmes liens contractuels avec les producteurs de lait que les coopératives, qui ne maîtrisent pas totalement leur approvisionnement. Dès lors, " cette hétérogénéité des acheteurs et de leurs intérêts respectifs conduit à penser qu'un oligopole collusoire maintenu par un mécanisme de rétorsion efficace ne pourrait [pas] être créé sur le marché en cause " (25). En outre, il existe en Auvergne une frange concurrentielle susceptible de remettre en cause de manière efficace une éventuelle coordination des cinq principaux collecteurs de lait. Ainsi, Centre Lait, avec [0-10]% de part de marché estimée, ainsi que Bongrain ([0-10]%) sont des acteurs importants. Bongrain est d'ailleurs, sur le plan national, le quatrième collecteur de lait de vache, avec [2-3] milliards de litres de lait collectés en 2006.

En conséquence, dans la mesure où les conditions cumulatives caractérisant une position dominante collective ne sont pas remplies, l'opération n'est pas susceptible d'engendrer des effets coordonnés sur les marchés concernés en amont.

3.3. Les marchés aval de l'approvisionnement des GMS en lait UHT

3.3.1. Analyse des effets non coordonnés

a. Les positions des acteurs

A titre liminaire, il convient d'étudier la répartition des ventes de lait UHT en 2006 par les GMS selon le positionnement commercial (MDF/MDD/MPP/MHD) de ce produit.

<emplacement tableau>

A la lecture de ce tableau, il peut être relevé qu'il existe une répartition relativement équilibrée du lait UHT selon son positionnement commercial.

- au niveau du lait UHT MDF

Sur ce segment, seul Sodiaal fournit du lait MDF aux GMS, sous la marque Candia, Comalait ne détenant pas de marque propre. Sodiaal représente environ [50-60]% du lait UHT MDF acheté par les GMS. Son seul concurrent, Lactalis avec sa marque Lactel, représente quant à lui [40-50]% de ces approvisionnements.

L'opération n'engendrant aucun chevauchement d'activités entre les parties, elle n'est pas susceptible d'engendrer des effets non coordonnés sur le marché de l'approvisionnement des GMS en lait UHT MDF.

- au niveau du lait UHT MDD/MPP/MHD

Le tableau ci-après présente les parts de marché en volume des parties et de leurs concurrents en 2006 sur le marché de l'approvisionnement des GMS en lait UHT MDD/MPP/MHD.

<emplacement tableau>

Si l'on devait segmenter plus finement encore ce marché, selon le positionnement commercial du lait UHT, les positions cumulées de la nouvelle entité seraient les suivantes : [50-60]% pour le lait UHT MDD, [50-60]% pour le lait UHT MPP et [60-70]% pour le lait UHT MHD, soit des positions très homogènes. Il peut être précisé que Comalait, qui n'est pas présent sur le segment du lait UHT MPP, a une position estimée à [0-10]% pour le lait UHT MDD et à [10-20]% pour le lait UHT MHD.

Les positions des principaux concurrents de la nouvelle entité sur chacun de ces segments sont similaires à celles exposées sur le marché global MDD/MPP/MHD dans le tableau ci-avant. Lactalis est, sur chaque segment, le principal concurrent de la nouvelle entité, avec une position estimée entre [20-30]% (MPP et MHD) et [20-30]% (MDD). Le GLAC/Toury est le troisième acteur sur chaque segment, avec une position estimée entre [10-20]% (MHD) et [10-20]% (MDD et MPP).

Compte tenu de ces éléments, l'analyse concurrentielle menée sur chacun des segments identifiés sera identique à celle menée sur le marché global MDD/MPP/MHD. Dès lors, il sera retenu un marché global MDD/MPP/MHD pour les besoins de l'analyse concurrentielle, en tenant toutefois compte de la spécificité de certains segments chaque fois que cela s'avèrera nécessaire.

b. Analyse des contraintes concurrentielles actuelles

- Les autres acteurs présents sur le marché

Sur le marché de l'approvisionnement des GMS en lait UHT MDD/MPP/MHD, les deux principaux concurrents de la nouvelle entité sont Lactalis et le GLAC/ex-Toury. Il peut être souligné, à ce stade de l'analyse, que les concurrents actifs sur ce marché sont quasiment tous intégrés verticalement. En effet, ils sont également actifs sur les marchés amont de la collecte de lait de vache.

• Lactalis

Lactalis est une société anonyme, essentiellement active dans le secteur des produits laitiers, à savoir la production de lait de consommation, de beurre, de fromages, de produits frais (yaourts, crèmes, desserts lactés) et de produits industriels d'origine laitière (lactosérum, poudre de lait). Lactalis détient par ailleurs un portefeuille de marques, parmi lesquelles Président, Lactel, Société Bridel, Bridelice, BA, Lanquetot, Lepetit, Rondelé, Primevère et Santa Lucia. Avec la marque Lactel, Lactalis, qui est également un offreur sur le marché de l'approvisionnement des GMS en lait UHT MDD/MPP/MHD détient une gamme complète de laits UHT, à l'instar de la nouvelle entité26.

Lactalis est le premier collecteur de lait de vache au niveau national, avec [4-5] milliards de litres collectés en 2006, soit [20-30]% de la collecte totale en France. Selon les parties, Lactalis a fourni en 2006 environ [500-1000] millions de litres de lait UHT aux GMS, dont [0-500] millions de litres sous MDD/MPP/MHD.

Les parties ont estimé que la capacité de production de lait UHT de Lactalis à environ [500- 1000] millions de litres, soit environ [20-30]% des capacités de production totale du marché.

• GLAC/ex-Toury

Le GLAC (groupement des laiteries coopératives Charentes-Poitou) est une union de coopératives agricoles qui intervient principalement dans les activités de collecte de lait de vache, de fabrication de fromages, de beurre, et de crème. Le GLAC a récemment repris les actifs du groupe Toury concernant les activités de production et de vente de lait, de boissons lactées, de crèmes, de jus de fruits et de boissons à base de thé.

Le GLAC est un important collecteur de lait de vache au niveau national, avec [500-1000] millions de litres collectés en 2006 : il fait partie des dix premiers collecteurs de lait en France. Avec le rachat des actifs de Toury concernant notamment la production de lait, le GLAC s'est implanté en Auvergne et a renforcé sa position dans le Limousin (27).

Selon une information parue dans la presse (28), le GLAC a produit en 2006 environ 200 millions de litres UHT, soit environ 6% du lait UHT produit en France.

Les parties n'ont pas pu estimer les capacités de production de lait UHT du GLAC/ex-Toury.

• La concurrence résiduelle

Parmi les autres opérateurs présents sur le marché, les parties ont cité la société Alsace Lait et des entreprises étrangères.

Alsace Lait est une importante coopérative qui regroupe près de 400 producteurs de lait situés en Alsace. Elle est active sur tous les stades de la filière laitière : l'élevage, la collecte, la transformation et la commercialisation. Elle produit principalement du lait frais, du lait UHT, des crèmes et des fromages blancs (29).

Selon une estimation des parties, Alsace Lait a fourni en 2006 environ [0-50] millions de litres de lait aux GMS, exclusivement sous MPP, ce qui représente [0-10]% de leurs approvisionnements sous ce positionnement commercial (MPP).

Les entreprises étrangères ont fourni en 2006 environ [0-100] millions de litres de lait aux GMS, exclusivement MHD, ce qui représente près de [10-20]% de leurs approvisionnements sous ce positionnement commercial. La concurrence exercée par ces entreprises porte donc uniquement sur le lait UHT commercialisé par le hard discount.

Les parties ont indiqué que la faiblesse des coûts de transport autorisait l'importation de lait provenant de pays limitrophes, tels que la Belgique et l'Allemagne. Les briques ou les bouteilles de lait sont des emballages palettisables, qui ne nécessitent pas de camions frigorifiques pour leur transport. Selon les estimations des parties, le coût de transport du lait UHT sur une distance de 200 kilomètres, représenterait [<3]% de son prix moyen de vente dans le cas d'une bouteille de lait destiné à être vendu sous MDD. Les parties ont cité les sociétés allemandes Hochwald et Milch Union Hochheifel, et la société belge Inza, comme exemples de fournisseurs de lait UHT MHD actuellement actifs en France.

Enfin, de manière générale, il existerait, selon les parties, des surcapacités de production sur le marché au niveau de la fabrication de lait UHT (30). Elles ont été estimées pour 2006 à [0-500] millions de litres de lait pour les concurrents de la nouvelle entité qui détient elle-même des capacités de production non exploitées d'environ [500-1000] millions de litres de lait.

- Le contrepouvoir de la demande

Comme l'a déjà analysé le ministre dans une décision précédente, " les surcapacités de production [...] rendent très improbable une hypothétique remise en cause de la puissance d'achat compensatrice de la grande distribution " (31).

D'une manière générale, concernant le marché de l'approvisionnement des GMS en produits MDD/MPP/MHD, il est admis que les GMS détiennent un important contre-pouvoir. Celui-ci résulte d'un système d'appels d'offres qu'elles maîtrisent, leur permettant d'exercer une puissance de négociation sur le prix d'achat de ces produits.

Il convient toutefois de nuancer cette appréciation du contrepouvoir de la demande constituée par les GMS au regard du nombre et de la qualité des fournisseurs susceptibles de répondre à leurs appels d'offres. En effet, en l'absence d'offres concurrentes crédibles, les GMS ne seraient pas en mesure d'exercer un contre-pouvoir efficace. Les appels d'offres doivent être fructueux, c'est-à-dire qu'ils doivent recevoir un nombre suffisant de réponses, conformes au cahier des charges des GMS pour le produit en cause.

Au cas d'espèce, les opérateurs présents sur le marché de l'approvisionnement des GMS en lait UHT MDD/MPP/MHD apparaissent suffisamment nombreux et sont susceptibles de répondre aux appels d'offres, à l'instar de Lactalis et du GLAC/ex-Toury. Concernant plus précisément l'approvisionnement des GMS en lait UHT MPP, la société Alsace Lait peut être citée comme une offre alternative. Quant à l'approvisionnement en lait UHT MHD, le hard discount a la possibilité de faire appel à des fournisseurs étrangers qui possèdent actuellement près de [10-20]% de parts de marché sur ce segment spécifique.

Enfin, le contrepouvoir des GMS se traduit également par la concurrence qu'elles exercent, en aval, sur le marché de la revente au consommateur final, par le biais de leurs propres marques (MDD), des marques premiers prix (MPP), et, pour le hard discount, de leurs propres produits (MHD). Ainsi, le ministre a déjà eu l'occasion d'indiquer que " les distributeurs en GMS disposent d'un pouvoir de marché significatif qui s'exprime en termes de puissance d'achat (conditions d'achat et de référencement, coopération commerciale) mais s'exerce également dans la stimulation de la concurrence entre produits de marque et produits sous MDD " (32).

Les produits MDD/MPP/MHD permettent aux GMS de se différencier en offrant des marques propres. Ces produits évitent également un phénomène de double marginalisation puisque seul le distributeur s'octroie une marge lors de la revente au consommateur final. Les GMS maîtrisent donc leur prix de vente final, contrairement aux produits MDF dont le prix de base reste fixé par le fournisseur. C'est par cette concurrence à l'aval que les GMS peuvent exercer un contrepouvoir, à la fois sur le marché de leurs approvisionnements en produits MDD/MPP/MHD et en produits MDF.

Or, au cas d'espèce, compte tenu de la répartition équilibrée des ventes de lait UHT selon leur positionnement commercial (cf tableau page 15), ce mécanisme peut trouver à s'appliquer.

Sur un marché global, comprenant le lait UHT tous positionnements commerciaux confondus (MDF, MDD, MPP, MHD), une analyse identique à celle que le ministre a effectuée lors de la décision C2006-51 Sodiaal/Orlait peut alors être menée. En effet, le lait UHT est un produit banalisé, pour lequel les gammes MDF et MDD apparaissent proches. Il en va de même pour les gammes MPP et MHD. Le ministre a ainsi indiqué que " les distributeurs ont donc aujourd'hui construit une gamme entière de produits de différentes qualités. Les MPP, dont les prix sont fortement disciplinés par ceux des MHD, sont des produits d'entrée de gamme, et les MDD, que le consommateur identifie comme des produits sûrs et de qualité, sont des substituts proches des marques de fabricant (MDF). Cette segmentation des produits au sein d'une même gamme a pour effet d'introduire une pression forte sur les fournisseurs " (33).

En conséquence, l'analyse menée peut s'appuyer sur les mêmes conclusions que celles déjà tirées dans la décision Sodiaal/Orlait précitée, à savoir qu' " il peut donc être admis que la grande distribution bénéficie, avant la concentration, d'un très fort pouvoir de négociation " (34).

c. Analyse des contraintes concurrentielles potentielles

- Examen des barrières à l'entrée

Les parties considèrent que le marché de l'approvisionnement des GMS en lait UHT est caractérisé par de faibles barrières à l'entrée. Toutefois, l'instruction du dossier a montré qu'il fallait tenir compte du caractère vraisemblable de l'entrée sur ce marché, notamment au regard de ses caractéristiques et du produit en cause.

• Les barrières légales

Comme le précisent les lignes directrices de la DGCCRF, certaines réglementations ont pour effet de limiter l'entrée de nouveaux opérateurs sur un marché en les soumettant notamment à des conditions administratives spécifiques. Ce n'est pas le cas du marché de l'approvisionnement des GMS en lait UHT, sur lequel de telles barrières sont faibles.

Selon les parties, la seule démarche administrative contraignante serait l'obtention d'un agrément des services vétérinaires. Le bâtiment qui abrite les lignes de conditionnement de Tetra Pak ne doit obéir à aucune contrainte particulière, seul le sol devant être carrelé. En effet, une fois stérilisé, le lait n'est plus en contact avec l'air libre, ce qui réduit l'environnement de fabrication par rapport à d'autres produits dérivés du lait.

Les barrières technologiques

L'entrée sur le marché s'effectue essentiellement par le conditionnement du lait sous forme de briques. Or il existe un système d'installation clef en main, proposé par le principal fournisseur d'emballages sous forme de briques, Tetra Pak, qui permet à tout nouvel opérateur de contourner ces barrières technologiques.

• Les barrières temporelles

Les parties ont indiqué que l'installation et la mise en route d'une unité de production nécessite un délai d'une durée de six à huit mois au total. Comme le précisent les lignes directrices de la Commission européenne sur les concentrations horizontales, " le moment précis auquel cette entrée doit intervenir dépend des caractéristiques et de la dynamique du marché, ainsi que des capacités spécifiques des entrants potentiels. Cependant, l'entrée sur le marché n'est normalement considérée comme intervenant en temps utile que si elle s'effectue dans un délai de deux ans ".

En l'occurrence, le délai de huit mois pour créer et développer une activité d'approvisionnement des GMS en lait UHT MDD/MPP/MHD démontre qu'il est possible de pénétrer rapidement le marché.

• Les barrières financières

Il apparaît que l'entrée sur ce marché, qui ne nécessite pas de capitaux importants, se fait sans engagement, compte tenu de la rapidité avec laquelle un opérateur peut être actif et de coûts irrécupérables limités, voire inexistants pour certains d'entre eux (publicité, licences, recherche et développement, etc.).

Concernant les coûts fixes nécessaires au développement d'une activité sur ce marché, les parties ont estimé que pour disposer d'un potentiel de production annuelle de 65 millions de litres de lait (35), les investissements requis sont faibles.

Elles ont chiffré le coût de ces investissements à 3 millions d'euro environ, qui se répartissent de la manière suivante : 600 000 euro pour un stérilisateur ; 160 000 euro pour la location de deux conditionneuses pour une durée de trois ans, auprès de Tetra Pak ; 350 000 euro pour l'installation et la mise en route des conditionneuses par Tetra Pak ; 1 500 000 euro pour les outils de suremballage, la palettisation et le convoyage, et 500 000 euro de frais divers.

En outre, les parties ont estimé que le besoin en masse salariale est d'environ 15 personnes, principalement des techniciens de maintenance dont la formation spécifique est assurée par Tetra Pak.

Il apparaît ainsi, au vu de ces estimations, que les coûts fixes d'entrée sont relativement Faibles (36). Dès lors, le risque d'entrée sur le marché apparaît limité au vu des seuls montants de l'investissement initial pour exercer une activité de fourniture de lait UHT MDD/MPP/MHD aux GMS.

En conclusion, il apparaît, au vu des informations fournies, que le marché de l'approvisionnement des GMS en lait UHT MDD/MPP/MHD se caractérise par de faibles barrières objectives à l'entrée. Toutefois, comme le précise la Commission, " pour que l'entrée de nouveaux concurrents puisse être considérée comme une contrainte concurrentielle suffisante sur les parties à la concentration, il faut [notamment] démontrer que cette entrée est probable [...] " (37).

- Analyse des possibilités d'entrée sur le marché

• pour des acteurs présents sur un marché connexe

Des opérateurs déjà actifs sur un marché connexe, comme celui de la production de jus de fruits, par exemple, les barrières à l'entrée sur le marché de l'approvisionnement des GMS en lait UHT seraient plus faibles. En effet, l'activité de production de jus de fruits est une activité proche de celle consistant à fabriquer des briques ou des bouteilles de lait UHT.

Ainsi, ces acteurs possèdent déjà les outils et le personnel nécessaires au conditionnement du lait UHT. Le seul investissement requis, estimé à 600 000 euro, est l'achat d'un stérilisateur. Une simple information préalable des services vétérinaires est également requise.

Ainsi, selon les parties, des opérateurs tels que Leche Pascual, qui a racheté l'activité de jus de fruit de Toury, ou la société industrielle laitière du Léon (SILL), pourraient développer à très faibles coûts une activité de lait UHT.

• pour de nouveaux opérateurs

Les parties ont cité Orlait comme exemple d'entrée récente et réussie sur le marché. La société, créée au début de l'année 1993, a pénétré le marché comme négociant de lait UHT déjà conditionné pour le revendre aux GMS. Au milieu des années 1990, elle a développé son activité sur le marché de l'approvisionnement des GMS en lait UHT MDD/MPP/MHD aux GMS : sa part de marché sur les six dernières années a ainsi [...] passant de [10-20]% environ en 2001 à [20-30]% environ en 2005. Ainsi, selon les parties, il est envisageable qu'un nouvel opérateur s'implante sur ce marché en développant, par exemple, une stratégie similaire à celle d'Orlait.

Toutefois, concernant le caractère de nouvel entrant d'Orlait, il peut être objecté qu'il ne s'agit pas à proprement d'un nouvel acteur sur le marché. En effet, si Orlait est bien une société qui a été créée en janvier 1993, son activité résulte en fait de la mise en commun d'activités de trois sociétés : UNILEP, VPM-SFPL Abbeville et Eurodesserts Beringen. Or UNILEP et VPM-SFPL Abbeville étaient déjà des acteurs présents sur le marché de la fabrication de lait UHT. Dès lors, la création d'Orlait ne peut pas être considérée comme un exemple de nouvel entrant. Par contre, son fort développement peut servir d'illustration à l'absence de barrières à l'expansion au sein de ce marché.

• Des entrées toutefois peu vraisemblables

Il convient de relativiser l'argumentation des parties exposée ci-avant compte tenu (i) d'un effet de réseau sur le marché amont, (ii) des caractéristiques du marché aval de l'approvisionnement des GMS en lait UHT et (iii) du produit concerné, le lait UHT.

(i) En premier lieu, les résultats du test de marché ont indiqué qu'un opérateur actif sur le marché de l'approvisionnement des GMS en lait UHT devait disposer d'un réseau de collecte de lait de vache (38). Un grand nombre de tiers interrogés au cours du test de marché ont mis en avant la difficulté, pour un nouvel entrant sur le marché aval de l'approvisionnement des GMS en lait UHT, à être actif, en amont, sur les marchés de la collecte de lait de vache où les acteurs du marché sont déjà présents. Il peut d'ailleurs être rappelé que les entreprises qui fournissent du lait UHT aux GMS sont toutes intégrées verticalement. Toutefois, il apparaît qu'en période de collecte de lait abondante de nouveaux acteurs pourraient pénétrer le marché en achetant du lait sur le marché spot (phénomène du " lait flottant "), sans avoir besoin de contractualiser avec les agriculteurs et, donc, de disposer d'un réseau de collecte. Dans un scénario où ce phénomène de " lait flottant " disparaît, comme cela est actuellement le cas en France depuis le début de l'année 2007, la constitution d'un réseau de collecte de lait en amont peut être considérée, au cas d'espèce, comme une barrière importante à l'entrée sur le marché dans la mesure où il paraît nécessaire de disposer et de maîtriser des approvisionnements réguliers en lait.

(ii) En second lieu, il apparaît que les caractéristiques du marché de l'approvisionnement des GMS en lait UHT rendent peu probable l'entrée de nouveaux opérateurs. En effet, le secteur laitier est un marché agricole, soumis à de forts cycles, imprévisibles, qui ne garantit donc pas à un nouvel entrant la pérennité de son activité, en dépit de coûts irrécupérables très réduits. Or, comme l'a indiqué le Conseil de la concurrence, dans son Rapport d'activité 2006, " un autre facteur de l'environnement conditionne l'appréciation de la hauteur des barrières : le degré d'incertitude qui entoure la réussite d'une entrée. Les concurrents potentiels mesurent en effet les risques associés à l'entrée, leur degré d'aversion vis-à-vis de ce risque dépendant notamment de leur assise financière. Les montants absolus (de coûts fixes, d'investissements, etc.) ne sont donc pas significatifs en eux-mêmes " (39). Au cas présent, la forte incertitude qui caractérise le marché de l'approvisionnement des GMS en lait UHT réduit la probabilité d'entrée sur ce marché.

(iii) En dernier lieu, la vraisemblance de l'entrée sur ce marché doit être relativisée au vu des caractéristiques du produit en cause. Toutes choses égales par ailleurs, le lait UHT est un produit qui ne créerait pas suffisamment de valeur pour qu'un opérateur soit incité à prendre le risque d'entrer sur ce marché, en dépit de coûts irrécupérables très réduits. La quantité de lait produite par les agriculteurs doit être écoulée selon différents débouchés (produits ultra-frais, fromages, produits industriels (40), lait de consommation), aux valorisations très variables d'un produit à l'autre. Or, le lait UHT est un produit de grande consommation généralement moins valorisé que les fromages et les produits ultra-frais.

Compte tenu de ces éléments, l'instruction confirme l'avis de plusieurs tiers qui ont ainsi indiqué qu' " il serait très difficile qu'un nouvel entrant puisse réussir dans le secteur du lait ".

Les parties ont toutefois indiqué que des entrées sur ce marché de l'approvisionnement des GMS en lait UHT MDD/MPP/MHD pourraient être favorisées par les GMS elles-mêmes. En effet, elles ont indiqué que les GMS auraient intérêt à faciliter l'entrée de nouveaux entrants en leur assurant des commandes, de manière à stimuler la concurrence entre leurs fournisseurs. Il convient toutefois de relativiser fortement cet argument dans la mesure où un opérateur répondant à l'incitation des GMS à entrer sur ce marché se placerait d'emblée dans une éventuelle situation de dépendance économique. A cet égard, comme il a été précédemment montré, le contre-pouvoir des GMS est important sur le marché de l'approvisionnement de lait UHT MDD/MPP/MHD, ce qui réduit davantage les opportunités de développer une activité profitable.

En conséquence, même si les barrières objectives sur ce marché sont relativement faibles, il peut être considéré qu'il existe tout de même de fortes barrières compte tenu du caractère peu vraisemblable d'une entrée sur ce marché.

- Examen des barrières à l'expansion

S'agissant des barrières à l'expansion, il convient d'examiner si un acteur déjà actif sur le marché peut développer rapidement et à moindre coût son activité de production de lait UHT MDD/MPP/MHD.

Les investissements nécessaires à la production de 65 millions de litres de lait supplémentaires ont été précédemment chiffrés et apparaissent relativement faibles. Pour un acteur déjà présent sur le marché, il convient toutefois d'affiner cette estimation, chiffrée par les parties à environ 3 millions d'euro.

Une production de 65 millions de litres correspond à la production générée par une unité de production fonctionnant 5 jours sur 7. S'il décide d'acheter une unité de production supplémentaire, un opérateur déjà installé n'aura donc pas à investir dans les outils permettant le suremballage des palettes, dans la mesure où ceux-ci peuvent absorber la cadence de deux unités de production supplémentaires. En conséquence, le coût sera réduit d'environ 300 000 euro.

En tout état de cause, pour un opérateur qui n'utilise pas au maximum ses capacités de production existantes, ce coût sera très limité, voire quasi-nul. Comme cela a déjà été indiqué, Lactalis disposerait actuellement, selon les parties, d'un excédent de capacité de production d'environ [0-100] millions de litres de lait UHT (41). Pour un opérateur qui utilise au maximum ses capacités de production existantes, il devra alors installer une unité de production supplémentaire, ce qui représenterait un investissement d'environ 2,7 millions d'euro.

A titre d'illustration, Orlait peut être considérée comme un cas réussi d'expansion récente sur ce marché. Cette société, active sur le marché depuis le milieu des années 1990, a vu s'accroître rapidement et considérablement son résultat d'exploitation depuis lors. Celui-ci a été multiplié par [...] en dix ans. Son chiffre d'affaires est ainsi passé de 42 millions d'euro environ en 1994 à près de 194 millions en 2004, pour atteindre 226 millions d'euro en 2006. Une telle croissance, sur une durée relativement courte, semble confirmer, toutes choses égales par ailleurs, l'absence de barrières à l'expansion sur ce marché.

d. Analyse des risques d'effets unilatéraux et de création ou de renforcement d'une position dominante

Les effets unilatéraux englobent l'ensemble des pertes de bien-être résultant des mouvements de prix et de quantités effectués par les entreprises agissant de manière indépendante après la concentration (42). En l'absence de position dominante, il est possible que la réaction des autres acteurs actifs sur le marché, sans qu'elle soit coordonnée avec celle de la nouvelle entité, conduise à augmenter le prix d'équilibre.

- L'analyse des effets de l'opération selon les cycles du secteur laitier

Les parties ont indiqué que, compte tenu des caractéristiques du secteur laitier, deux hypothèses de situation de marché devaient être distinguées. En amont, le lait produit par les agriculteurs doit être écoulé sur le marché, quel que soit le débouché car il s'agit d'un produit périssable. L'allocation du lait collecté pour chaque type de produits (fromages, beurre, produits ultra-frais, crème, lait UHT, etc.) est effectuée par ordre décroissant de valorisation. Généralement, et plus particulièrement au cours des dernières années, les produits les moins valorisés sont le lait de consommation et les produits industriels issus du lait, tels que les poudres de lait. Ainsi, en cas de réduction de la quantité de lait de vache produit et/ou d'une meilleure valorisation des produits industriels issus du lait par rapport au lait UHT, le lait de consommation sera le produit le plus affecté.

A l'inverse, en période de surproduction à l'amont et/ou d'une plus faible valorisation des produits industriels issus du lait par rapport au lait de consommation, il existe un phénomène de " lait flottant ". Il s'agit de lait restant disponible après exécution des contrats de livraison régulière aux laiteries et commercialisé sur un marché " spot ". C'est dans le contexte d'une collecte de lait abondante que des acteurs qualifiés " d'opportunistes ", tels que Orlait et Comalait, se sont développés. Les parties ont indiqué que la stratégie de ces acteurs consistait à acheter ce lait flottant " au meilleur prix " et à le vendre aux GMS sous forme de briques de lait.

En période de pénurie, ce qui est le cas en France depuis le début de l'année 2007, et dans un contexte de profitabilité accrue des produits industriels issus du lait, il s'en suit une augmentation du prix du lait payé aux producteurs. Le lait flottant s'est raréfié, ce qui s'est traduit par une augmentation des prix d'achat du lait pour les transformateurs s'approvisionnant dans le cadre de contrats spots. Ainsi, la pérennité des acteurs opportunistes, qui ont basé leur stratégie principalement sur les achats du lait flottant, est menacée.

Deux scénarii alternatifs doivent donc être distingués pour analyser les effets concurrentiels de l'opération :

(i) Une raréfaction du lait flottant

La diminution de la quantité du lait à écouler réduit la puissance des acteurs dont l'activité principale consiste à écouler ces excédents. Or Comalait a fondé sa stratégie de développement sur le marché du lait UHT grâce au phénomène du lait flottant. En effet, sur les [100-200] millions de litres de lait commercialisés en France en 2006 par Comalait, seuls [0-100] millions de litres proviennent de sa collecte propre. Avant l'opération, sa part de marché est estimée à [0-10]% sur le marché de l'approvisionnement des GMS en lait UHT MDD/MPP/MHD. Compte tenu du contexte actuel de la diminution du lait flottant et du renchérissement de son prix, la part de marché de Comalait chutera fortement. Dès lors, la société cible ne sera plus en mesure d'être un animateur de la concurrence sur ce marché. Selon les parties, " Comalait ne sera plus à même de proposer du lait de consommation à des prix compétitifs, voire ne sera plus à même d'en commercialiser autant qu'aujourd'hui ".

De plus, les parties rappellent que les GMS disposent d'un contre-pouvoir suffisamment important pour contrebalancer d'éventuelles hausses de prix de la nouvelle entité sur ce marché.

En conséquence, dans ce scénario, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte de manière significative à la concurrence.

(ii) Une abondance de lait flottant

Selon les parties, dans un contexte de surproduction, les opportunités d'entrée sur ce marché sont importantes. En effet, la disponibilité de lait flottant, pouvant être acheté à un prix inférieur à celui payé par les collecteurs aux agriculteurs avec qui la collecte a été contractualisée, semble être une incitation pour pénétrer le marché. Les parties ont également indiqué que des négociants, comme Orlait au début de son développement, pouvaient pénétrer le marché, en achetant du lait déjà conditionné pour le revendre aux GMS.

Toutefois, il a été montré que ces entrées sur le marché, qui doivent conduire à l'exercice d'une concurrence pérenne, ne seraient pas vraisemblables. Il paraît plus probable que la concurrence actuelle, dès lors qu'elle serait à même d'étendre ses capacités de production et d'augmenter sa production de lait UHT MDD/MPP/MHD, pourrait répondre à un éventuel accroissement de la demande des GMS. C'est cette hypothèse qui sera étudiée dans l'analyse retenue par l'instruction exposée ci-dessous.

En tout état de cause, dans ce scénario, il apparaît que le déséquilibre causé par le lait flottant constitue une forte contrainte à la baisse du prix du lait UHT. Dès lors, l'opération ne serait pas susceptible de porter atteinte de manière significative à la concurrence.

Il résulte de cette analyse qu'en présence de concurrents actuels susceptibles de contrebalancer le pouvoir de marché de la nouvelle entité, la présente opération ne serait pas de nature à porter atteinte à la concurrence. Il convient donc de vérifier cette hypothèse dans le cadre d'un marché caractérisé par de fortes barrières à l'entrée.

- L'analyse des capacités de production des concurrents actuels

L'analyse concurrentielle menée tient compte de la faiblesse des barrières à l'expansion sur un marché qui apparaît difficilement contestable. Comme le précisent les Lignes directrices de la DGCCRF, " l'analyse des effets unilatéraux doit donc passer par une étude de la capacité de production disponible des concurrents à la nouvelle entité. Si ceux-ci disposent de très faibles excédents de capacité ou si ces excédents sont relativement coûteux à exploiter, leur réaction sera limitée, et, compte tenu du pouvoir de marché de la nouvelle entité, les effets unilatéraux de l'opération en seront d'autant plus fort " (43).

Au cas d'espèce, le marché est caractérisé par la forte position de la nouvelle entité (environ [50-60]% de part de marché) qui sera principalement concurrencée par Lactalis ([20-30]%) et par le GLAC/ex-Toury ([10-20]%). Compte tenu de l'absence de barrières à l'expansion sur ce marché, il convient donc d'étudier si des opérateurs existants sont capables d'accroître rapidement et à coûts limités leur production de lait UHT MDD/MPP/MHD pour compenser d'éventuels effets unilatéraux engendrés par l'opération.

Sur la base d'un modèle de simulation " à la Cournot ", la DGCCRF a estimé que la présente concentration engendrerait des effets unilatéraux en prix compris entre 3% et 4%, soit une baisse de plus de 4% en quantité. Au cas d'espèce, cette baisse en quantité correspondrait à environ 300/350 millions de litres de lait UHT. Cette baisse en quantité serait significativement limitée par la mise sur le marché, par un concurrent, d'une quantité estimée à plus de 150 millions de litres de lait UHT.

Selon les estimations des parties, il ne serait pas coûteux de produire 150 millions de litres de lait UHT supplémentaires. Ce coût peut être estimé de façon différente selon deux hypothèses : (i) soit cet opérateur utilise des capacités de production déjà installées au maximum de leurs possibilités, (ii) soit il ne les utilise pas au maximum. Cette seconde hypothèse semble la plus vraisemblable au vu des données présentées dans le dossier. Pour les besoins de l'analyse, l'estimation de ces coûts pourrait donc être limitée à la première hypothèse qui constitue un majorant de ces investissements.

Ainsi, pour produire 150 millions de litres de lait UHT supplémentaires, un opérateur devrait installer deux unités de production supplémentaires, une unité de production correspondant à l'utilisation de deux conditionneuses Tetra Pak. En effet, le potentiel de fabrication est estimé à 65 millions de litres de lait pour une seule unité de production fonctionnant 5 jours sur 7. Utilisée 6 jours sur 7, une telle unité permettrait de produire 13 millions de litres de lait supplémentaires, soit 78 millions de litres au total. Ainsi, en installant deux unités de production supplémentaires, un opérateur pourrait produire jusqu'à 156 millions de litres de lait. Dans la mesure où les outils permettant le suremballage des palettes pour une unité de production peuvent absorber la cadence de deux unités de production supplémentaires, le coût total pour cet investissement est estimé à 5,7 millions d'euro environ.

Rapporté aux chiffres d'affaires des concurrents actuels de la nouvelle entité, cet investissement semble très limité : Lactalis a un chiffre d'affaires estimé à environ 7,5 milliards d'euro en 2006. Celui du GLAC/ex-Toury est de plusieurs centaines de millions d'euro. Enfin, Alsace Lait réalise un chiffre d'affaires d'environ 80 millions d'euro.

En outre, il peut être rappelé ici que les concurrents de la nouvelle entité possèderaient des surcapacités de production sur le marché de l'approvisionnement de lait UHT aux GMS, qui ont été estimées par les parties à environ [0-500] millions de litres en 2006, tous positionnements commerciaux confondus (MDF/MDD/MPP/MHD). Les seules capacités de production disponibles de Lactalis en lait UHT ont ainsi été estimées à environ [0-500] millions de litres.

En conséquence, il ressort de l'instruction qu'au moins deux concurrents sont en mesure de répondre à un accroissement de la demande des GMS qui ferait suite à une éventuelle augmentation des prix de la nouvelle entité à l'issue de l'opération. En effet, le marché de l'approvisionnement des GMS en lait UHT est caractérisé par des surcapacités de production. Or, quelle que soit leur taille, des acteurs tels que Lactalis, le GLAC/ex-Toury, mais aussi Alsace Lait, pourraient donc installer de nouvelles lignes de production rapidement et à coûts limités (44).

Dès lors, les GMS ont la possibilité de reporter leurs achats vers les concurrents de la nouvelle entité qui ont la possibilité de répondre à cet accroissement ponctuel de la demande.

En conclusion, la concurrence actuelle sur le marché est susceptible d'exercer sur la nouvelle entité une pression concurrentielle suffisante pour écarter tout risque d'effets non coordonnés sur le marché de l'approvisionnement des GMS en lait UHT MDD/MPP/MHD.

3.3.2. Analyse des effets coordonnés

Lors de l'examen de la prise de contrôle exclusif d'Orlait par Sodiaal, l'analyse menée en 2006 par le ministre a écarté le risque de création et de renforcement d'une position dominante collective sur les marchés de la fourniture de laits de consommation aux GMS45. Aucune des trois conditions nécessaires pour qu'une situation de position dominante collective puisse exister n'était en l'occurrence réunie.

Au cas d'espèce, la structure asymétrique renforcée par l'opération sera beaucoup moins propice à un éventuel accord collusif. En effet, la nouvelle entité détiendra une part de marché d'environ [50- 60]%, et fera principalement face à Lactalis ([20-30]%) et le GLAC/ex-Toury ([10-20]%).

Par ailleurs, il apparaît que les critères de la transparence du marché et de l'absence de remise en cause efficace de la coordination ne sont pas remplis, l'analyse effectuée en 2006 par le ministre demeurant valable.

En effet, le marché amont de l'approvisionnement en lait UHT MDD/MPP/MHD se caractérise par un degré de transparence insuffisant pour permettre à chaque membre de l'oligopole d'avoir connaissance du comportement des autres opérateurs. Le fonctionnement d'un marché d'appels d'offres, en présence d'offreurs suffisants, ne permet pas cette transparence, dans la mesure où chaque acteur du marché ignore l'offre proposée par ses concurrents.

En outre la condition de l'absence de remise en cause efficace de la coordination par des concurrents ou par les clients ou les consommateurs, n'est également pas remplie. Or, ainsi que développé précédemment, des surcapacités de production existent sur ce marché. L'existence de ces surcapacités permet aux GMS de faire jouer à leur bénéfice la concurrence entre leurs fournisseurs de lait UHT MDD/MPP/MHD.

Dès lors, il n'est pas nécessaire d'examiner de manière plus détaillée les trois critères posés par l'arrêt Airtours précité (46).

En conséquence, le risque de création et a fortiori de renforcement d'une position dominante collective sur les marchés de l'approvisionnement des GMS en lait UHT peut être écarté.

En conclusion, il ressort de l'instruction du dossier que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.

Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de ma considération distinguée.

NOTA : Des informations relatives au secret des affaires ont été occultées à la demande des parties notifiantes, et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale. Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article R. 430-7 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.

notes

1 Le 8 juin 2005, Orlait avait déjà notifié la prise de contrôle exclusif de Comalait, opération qui avait été autorisée par le ministre chargé de l'Economie (C2005-47/Lettre du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie en date du 8 juillet 2005, au conseil de la société Orlait, relative à une concentration dans le secteur du lait, publiée au BOCCRF n°2 du 2 mars 2006). Cette opération n'a toutefois pas été réalisée. Elle donne donc lieu à une nouvelle notification compte tenu des changements intervenus sur les marchés concernés, notamment dans la structure de l'une des parties, Orlait, dont l'acquisition du contrôle exclusif par Candia (Sodiaal) a été autorisée par le ministre chargé de l'Economie le 24 août 2006 (Décision C2006-51 citée ci-après).

2 C2006-51/Lettre du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie en date du 24 août 2006, aux conseils de la société Sodiaal, relative à une concentration dans le secteur du lait, publiée au BOCCRF n°8 bis du 26 octobre 2006.

3 Ces cessions concernent les sociétés International Méditerranée Foods et Comalait Polska SA.

4 C2002-103/Lettre du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie en date du 12 novembre 2002, au conseil de la Société Fromageries Bel SA, relative à une concentration dans le secteur des produits laitiers, publiée au BOCCRF n°2003-09.

5 Cf. Décision 2006-51 précitée.

6 Cf. Décision C2002-103 précitée.

7 Cf. Décision C2006-51 précitée.

8 Cf. Décision C2006-51 précitée.

9 Cf. C2006-102/Lettre du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie du 11 décembre 2006, aux conseils du groupe Lactalis, relatives à une concentration dans le secteur des produits laitiers, publiée au BOCCRF n°2 bis du 23 février 2007 et C2005-78/Lettre du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie du 28 octobre 2005, aux conseils des sociétés Finance et Management, Entremont et Unicopa, relative à une concentration dans le secteur des fromages, publiée au BOCCRF n°5 du 29 avril 2006.

10 Cf. Décision C2006-51 précitée.

11 Cf. C2006-102/Lettre du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie du 11 décembre 2006, aux conseils du groupe Lactalis, relative à une concentration dans le secteur des produits laitiers, publiée au BOCCRF n°2 bis du 23 février 2007 et décision C2005-78 précitée.

12 Cf. Décision C2005-78 précitée.

13 C2002-14/Lettre du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie en date du 17 mai 2002, aux conseils de la société Panzani, relative à une concentration dans les secteurs de la semoulerie, des pâtes alimentaires sèches et fraîches, du couscous et des sauces ambiantes, publiée au BOCCRF n°2003-05.

14 Cf. Décisions C2006-51 précitée et C2005-01/Lettre du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie du 2 février 2005 au conseil de la société Cedilac relative à une concentration dans le secteur de la transformation et de la commercialisation des produits issus du lait, publiée au BOCCRF n°1 du 27 février 2006.

15 Le groupe Toury a été placé en redressement judiciaire au début du mois d'avril 2007. A l'issue d'une offre de reprise par un groupe de quatre entreprises, retenue par le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand, le GLAC reprendra la collecte de lait de Toury et son activité de lait de consommation. Le GLAC a d'ailleurs notifié la prise de contrôle de ces actifs au ministre chargé de l'Economie qui a autorisé l'opération le 28 juin 2007 (décision C2007-61 précitée).

16 Cf. Décision C2006-51 précitée.

17 Selon l'article R. 522-8 du Code rural, " l'exclusion d'un associé coopérateur peut être prononcée par le conseil d'administration pour des raisons graves, notamment si l'associé coopérateur a été condamné à une peine criminelle, s'il a nui sérieusement ou tenté de nuire à la société par des actes injustifiés ou s'il a falsifié les produits qu'il a apportés à la coopérative ".

18 Selon l'article R. 522-4 du Code rural, " si l'associé coopérateur n'a pas manifesté sa décision de se retirer au terme normal de sa période d'engagement, cet engagement est renouvelé par tacite reconduction pour une période de même durée, selon les dispositions des statuts et du règlement intérieur en vigueur à la date du renouvellement ".

19 Site Internet de Lactalis : http://www.lactalis.fr.

20 Un tiers a ainsi déclaré " concernant la collecte de lait de vache, c'est la dimension régionale qui est la plus pertinente, en effet il est économiquement raisonnable qu'un camion citerne parcourt 200 kilomètres pour livrer un site industriel ".

21 Cf. Décision C2005-78 précitée.

22 TPICE, 6 juin 2002, aff. T-342-99 Airtours c/ Commission, Rec. 2002 p.II-2585.

23 TPICE 25 mars 1999, aff. T-102-96 Gencor c/ Commission, Rec. 1999 p.II-753.

24 Le prix du lait collecté se fixe à partir d'un prix de base propre à chaque laiterie, qui est modulé selon la qualité microbiologique, bactériologique, les taux de matière protéique et de matière grasse, ainsi que des primes et/ou des retenues à divers titres.

25 Cf. Décision C2005-78 précitée.

26 Dans la mesure où ce concurrent est en mesure de proposer une gamme aussi complète de produits que la nouvelle entité et où il apparaît que la détention d'une gamme de laits UHT MDF, MDD, MPP et MHD n'est pas un argument de vente déterminant pour les clients, la détention d'une gamme de produits ne constitue pas, au cas d'espèce, un avantage décisif. (point 368 des Lignes directrices de la DGCCRF relatives au contrôle des concentrations).

27 Cf. Décision C2007-61 GLAC/Toury en date du 28 juin 2007, en cours de publication au BOCCRF.

28 Cf. La Revue Laitière Française n°672 juin 2007, p.5.

29 Ces informations proviennent du site Internet http://www.alsace-lait.com.

30 Le ministre avait déjà relevé, dans la décision C2006-51 précitée, que " le secteur du lait longue consommation se trouve aujourd'hui en surcapacité du fait des investissements réalisés ces dernières années ".

31 Cf. Décision C2006-51 précitée.

32 Cf. Décision C2002-14 précitée.

33 Cf. Décision C2006-51 précitée.

34 Cf. Décision C2006-51 précitée.

35 Cette production annuelle correspond à une utilisation standard pour une unité composée de deux lignes de production utilisée 5 jours sur 7.

36 L'utilisation de contrats de location à moyen terme (3 ans) permet également de limiter les pertes liées à l'investissement de départ en cas d'échec sur le marché.

37 Lignes directrices sur l'appréciation des concentrations horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, 2004-C 31-03, JOCE du 5 février 2004.

38 Les parties ont toutefois évoqué la possibilité, pour un négociant, de fournir aux GMS du lait UHT déjà conditionné.

39 Rapport d'activité du Conseil de la concurrence 2006, Conclusion de l'étude thématique sur les barrières à l'entrée, p.160.

40 Les " produits industriels " du lait constitués des poudres de lait, des poudres de lactosérum, des caséines et des caséinates, et du beurre.

41 La production de lait UHT de Lactalis est estimée à [500-1000] millions de litres pour une capacité de production de [500-1000] millions de litres. Cf. page 15 de la présente décision.

42 Cf. points 321 et suivants des Lignes directrices de la DGCCRF relatives au contrôle des concentrations.

43 Point 335 des Lignes directrices de la DGCCRF relatives au contrôle des concentrations, citant l'analyse mise en œuvre dans la décision C2006-47 Pan Fish/Marine Harvest en date du 1er décembre 2006, publiée au BOCCRF du 25 janvier 2007.

44 Il convient de noter que le lait UHT est un produit qui peut être stocké. Dès lors, cette caractéristique renforce la possibilité de répondre à la demande en présence de capacités de stockage.

45 Cf. Décision C2006-51 précitée.

46 L'analyse détaillée a été effectuée dans la décision C2006-51 précitée, pp17-18 auquel il convient de se reporter.