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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 15 mars 2007, n° 03-12361

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Setzer

Défendeur :

Kenzo (SA), Kenzo Homme (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

M. Remenieras, Mme Le Bail

Avoués :

Me Melun, SCP Narrat-Peytavi

Avocats :

Me Weil, Abrat, Bessis

T. com. Paris, du 10 sept. 2002

10 septembre 2002

Sur quoi,

Considérant que, par contrat du 28 juillet 1999, les sociétés Kenzo et ECCE - Kenzo Homme étant depuis venue aux droits de cette dernière - ont concédé à M. Setzer, exploitant un magasin à Berlin, d'une part, les droits exclusifs afférents à la vente au détail de la ligne de prêt-à-porter Kenzo Paris dans les limites du secteur de Berlin Ouest, d'autre part, l'exclusivité, pour 2000 et 2001, de la vente au détail du prêt-à-porter Kenzo Homme sur le Kurfürstenndamm ; que ce contrat était conclu pour une durée déterminée de cinq ans prenant effet à compter de la saison printemps/été 2000 et devant expirer avec la saison automne/hiver 2004, soit le 31 janvier 2005; que les sociétés Kenzo, invoquant l'accumulation d'impayés et l'insuccès persistant de multiples relances et mises en demeure, ont résilié le contrat aux torts de M. Setzer par lettre du 8 mars 2001 puis l'ont assigné en paiement de diverses sommes et pour lui voir interdire, sous astreinte, d'utiliser la marque Kenzo; que M. Setzer, faisant valoir que les sociétés Kenzo avaient manqué à leurs obligations contractuelles, notamment quant à l'exclusivité concédée, et que le contrat avait dès lors été rompu abusivement et brutalement, a réclamé reconventionnellement leur condamnation à lui payer des dommages-intérêts ; que le tribunal a jugé, en synthèse, que la rupture n'avait pas été brutale ; que M. Setzer avait bien reçu dans les délais prescrits l'information précontractuelle prescrite par l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989 dite loi Doubin, devenu l'article L. 330-3 du Code de commerce ; que l'accumulation des impayés était constitutive d'une faute justifiant la résiliation à ses torts ; que le jugement entrepris a ainsi fait droit, pour l'essentiel, aux prétentions des sociétés demanderesses;

Sur l'information précontractuelle :

Considérant que M. Setzer persiste à soutenir que les sociétés Kenzo n'ont pas respecté les dispositions susvisées de la loi Doubin et qu'il " n'a pu s'engager en connaissance exacte des difficultés économiques liées à la vente de produits Kenzo sur un marché très difficile" (p. 10 de ses écritures);

Considérant que le contrat comporte un exposé des motifs en trois points qui mentionne, au point 3 : "M. Ralph Setzer reconnaît avoir pris connaissance des conditions stipulées par le document précontractuel visé par l'article 1 de la loi du 31 décembre 1989 et par le décret du 4 avril 1991. Ledit document a été envoyé à M. Ralph Setzer par Kenzo plus de 20 jours avant la signature du présent contrat" ; qu'il est exclu que M. Setzer, en commerçant avisé rompu aux affaires, ait ainsi pu reconnaître avoir reçu le document visé si tel n'avait pas été le cas;

Considérant, au demeurant, que M. Setzer ne peut, sans contradiction, se plaindre de n'avoir pu s'engager avec une connaissance suffisante du marché et exposer, en même temps (p. 10 de ses écritures) " Dès avant la signature du contrat, M. Setzer attirait l'attention des sociétés Kenzo et Kenzo Homme sur les difficultés du marché berlinois, sur l'importance d'une réelle exclusivité du fait du caractère difficile du marché, sur la présence de magasins concurrents près de sa boutique et des dangers résultant de cette concurrence ", d'où il résulte qu'il prétendait avoir une connaissance du marché local meilleure que celle des sociétés concédantes, ce qui retire toute consistance à ses doléances à ce sujet ;

Considérant, en toute hypothèse, que M. Setzer ne tire pas la conséquence adéquate de son argumentation sur ce point puisqu'il ne sollicite pas l'annulation du contrat;

Sur les retards de livraison :

Considérant que M. Setzer, qui ne conteste pas ses propres retards de paiements accumulés dès février 2000, est mal venu à se plaindre de manquements des sociétés Kenzo qui ne lui auraient livré qu'avec retard certaines commandes afférentes aux collections printemps/été 2000 et automne/hiver 2000;

Considérant que le contrat de licence comportait en effet, en son article 10 " modalités de paiement ", le calendrier précis des dates limites de paiement des commandes, et que les conditions générales de vente indiquaient, à l'article 3-1 : " le fournisseur se réserve toujours le droit d'annuler une commande dans les cas suivants [...] lorsque tout ou partie des commandes précédentes ou en cours, quelle que soit la ligne de produits concernée, n'a pas été payée par le distributeur";

Considérant, en réalité, que les reproches adressés aux sociétés Kenzo par l'appelant du chef de prétendus retards de livraison ne sont pas justifiés dès lors que ces sociétés n'ont fait que tirer les conséquences de ses propres manquements appliquant les dispositions contractuelles prévues en cas de défaillance du concessionnaire;

Sur l'application des clauses d'exclusivité:

Considérant qu'il a déjà été indiqué que le contrat de licence commerciale du 28 juillet 1999 avait pour objet de concéder à M. Setzer, d'une part, les droits exclusifs afférents à la vente au détail de la ligne de prêt-à-porter Kenzo Paris dans les limites du secteur de Berlin Ouest, d'autre part, l'exclusivité, pour 2000 et 2001, de la vente au détail du prêt-à-porter Kenzo Homme sur le Kurfürstenndamn;

Considérant, que M. Setzer, qui se plaint de ce qu'une boutique à l'enseigne Absolut In Mode, située non loin de la sienne, utilisait la marque et les signes distinctifs Kenzo, ne démontre pas pour autant la violation alléguée de la clause d'exclusivité, laquelle portait, non sur la marque et les signes distinctifs, mais seulement sur des lignes de prêt-à-porter strictement définies Kenzo Paris et Kenzo Homme, les sociétés Kenzo pouvant ainsi librement distribuer par d'autres détaillants, sans violer le contrat conclu avec M. Setzer, notamment ses gammes Kenzo Jeans et Kenzo Jungle;

Considérant que la violation alléguée n'est donc pas établie;

Sur les conditions de la rupture:

Considérant que M. Setzer fait valoir que les sociétés Kenzo ont soudainement cessé toute livraison en décembre 2000, renonçant ainsi à la tolérance dont elles avaient jusque là fait preuve à son égard et mettant de ce fait brutalement fin aux relations commerciales établies depuis longtemps entre elles et lui;

Mais considérant que M. Setzer, en se référant ainsi à la tolérance dont il a profité depuis le début de l'exécution du contrat de licence commerciale, ruine lui-même sa propre argumentation sur la brutalité alléguée, étant observé qu'il ne pouvait raisonnablement espérer que la longanimité des sociétés concédantes n'aurait aucune borne;

Considérant d'ailleurs que les pièces versées au débat révèlent, ce que les premiers jugent ont exactement relevé, quel encours de M. Setzes, de plus de 150 000 DM en juillet 2000, avait atteint environ 700 000 DM en janvier 2001 et que les sociétés Kenzo lui ont adressé en quelques mois 14 relances en termes de plus en plus pressants ; que ces données, loin de caractériser la brutalité alléguée de la rupture, témoignent au contraire d'une progressivité certaine de l'impatience des sociétés concédantes;

Sur la résiliation :

Considérant que le contrat de licence commerciale du 28 juillet 1999 comportait un article 15-1 "résiliation" dont les dispositions prévoyaient, en cas de non-respect de ses obligations par l'une des parties, y compris retard ou défaut de paiement de la part du concessionnaire, la possibilité pour les deux autres de résilier le contrat huit jours après une mise en demeure infructueuse, la résiliation ayant alors un effet reporté au 31 juillet ou au 31 janvier de l'année suivante ; que ce texte précisait " la présente disposition est valide en tant que clause résolutoire " ; que le même article envisageait toutefois, en cas de faute grave, " en particulier en cas d'acte ou de comportement de la part du concessionnaire compromettant l'image du réseau et/ou de la marque Kenzo" que les deux autres parties pouvaient " résilier le contrat en envoyant un préavis de trois semaines par lettre recommandée avec accusé de réception " ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le retard ou le défaut de paiement par le concessionnaire pouvait donner lieu, soit à une résiliation avec effet différé, soit, s'il présentait le caractère de faute grave et s'il en résultait une atteinte à l'image du réseau et de la marque, une résiliation avec effet rapproché;

Considérant que l'accumulation des retards et défauts de paiements, le montant des impayés, l'opiniâtreté opposée par M. Setzer aux nombreuses relances des sociétés Kenzo confèrent le caractère de faute grave au comportement de l'appelant ; que les sociétés Kenzo ne pouvaient laisser une telle situation perdurer dès lors que, n'étant pas payées, elles ne pouvaient ni livrer à M. Setzer, ni, demeurant liées par les clauses d'exclusivité, livrer à d'autres détaillants ; qu'il en résultait inévitablement une atteinte portée à l'image du réseau et de la marque justifiant la résiliation avec effet à bref délai prévue dans un tel cas;

Considérant qu'il n'en résulte aucun abus, de la part des sociétés Kenzo, dans la mise en œuvre des dispositions de l'article 15-1 du contrat;

Sur la créance des sociétés Kenzo au titre des fournitures impayées:

Considérant que M. Setzer se reconnaît débiteur de 251 544,34 euro mais conteste devoir en outre la somme de 180 000 DM correspondant à la valeur de marchandises invendues qu'il a retournées aux sociétés Kenzo afin, précisément, de réduire le montant de son encours fournisseur;

Mais considérant que les sociétés Kenzo ont refusé qu'il soit tenu compte de cette restitution que M. Setzer tente de leur imposer; que le tribunal a constaté à juste titre que le contrat ne comportait aucune disposition qui pût obliger les sociétés Kenzo à reprendre les invendus ; que la seule circonstance qu'elles aient pu admettre antérieurement une telle pratique ne suffit pas à créer à ce titre un droit acquis au bénéfice de M. Setzer;

Considérant que les sociétés Kenzo ne critiquent pas le jugement entrepris quant au montant de leur créance au titre des marchandises impayées;

Considérant, de tout ce qui précède, que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a rejeté toutes les demandes de M. Setzer; que celui-ci sera débouté de son appel;

Sur l'appel incident des sociétés Kenzo:

Considérant que le contrat de licence commerciale du 28 juillet 1999 comportait un article 18 " éléments distinctifs Kenzo à la fin du présent contrat " mentionnant l'obligation pour le concessionnaire de cesser d'utiliser la marque et les signes distinctifs Kenzo, en cas de résiliation pour faute grave, dans les trois semaines suivant la lettre de la résiliation ; que l'article 18-2 indiquait que " l'obligation stipulée dans le paragraphe ci-dessus est stipulée sous peine d'une amende irrévocable de 20 000 FF par jour de retard ";

Considérant que compte tenu de la date de la lettre de résiliation du 8 mars 2001, M. Setzer devait cesser d'utiliser la marque et les signes distinctifs Kenzo à compter du 30 mars 2001 ; qu'il est constant qu'il a continué à les utiliser jusqu'au 16 mai 2001;

Considérant que les sociétés Kenzo réclament à ce titre 90 000 euro ; que M. Setzer ne formule aucune observation sur ce chef de demande, laquelle sera en conséquence accueillie pour le montant sollicité;

Considérant que les sociétés Kenzo ne produisent aucune explication à l'appui de leur demande de dommages-intérêts complémentaires de 76 224,59 euro se bornant à indiquer à ce sujet qu'elles ont perdu un concessionnaire sur la zone, ce qui n'est en rien démonstratif de la consistance du préjudice implicitement allégué;

Considérant que rien ne justifie la demande des sociétés Kenzo, qui n'apparaît que dans le dispositif de leurs conclusions, d'interdire sous astreinte à M. Setzer d'utiliser la marque et les signes distinctifs Kenzo, dès lors que ces sociétés indiquent elles-mêmes que M. Setzer a renoncé à leur usage le 16 mai 2001; qu'il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris, Y ajoutant, condamne M. Ralph Setzer à payer aux SA Kenzo et Kenzo Homme 90 000 euro, Déboute les SA Kenzo et Kenzo Homme de leurs autres demandes, Déboute M. Ralph Setzer de toutes ses demandes, Condamne M. Ralph Setzer aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile et à payer aux SA Kenzo et Kenzo Homme 10 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

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