CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 25 septembre 2007, n° 04-08072
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Garage H. Froment (SAS)
Défendeur :
Daimler Chrysler France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mandel
Conseillers :
M. Chapelle, Mme Valantin
Avoués :
SCP Jullien, Lecharny, Rol, Fertie, SCP Debray-Chemin
Avocats :
Mes Bourgeon, Selas Vogel & Vogel
La société Garage H. Froment (ci-après Froment) était concessionnaire exclusif, pour différents cantons de Nîmes, pour la vente de véhicules industriels et utilitaires légers neufs de la marque Mercedes Benz et les pièces de rechange neuves y afférentes, depuis 1973 et dans le dernier état en vertu d'un contrat en date du 3 octobre 1996.
Début 2001, Daimler Chrysler a informé Froment de son intention d'adopter de nouvelles options d'organisation de la distribution régionale et dans cette optique de sa volonté de voir Froment céder ses panneaux au groupe Graille, déjà concessionnaire de la marque, notamment à Nîmes pour les véhicules particuliers et à Montpellier pour les véhicules particuliers et industriels.
Des négociations ont été engagées avec le groupe Graille mais aucun accord n'a pu être trouvé.
Par lettre en date du 16 septembre 2002, Daimler Chrysler a notifié à Froment la résiliation du contrat de concession avec effet au 30 septembre 2003 en invoquant la nécessité de réorganiser le réseau, conformément à l'article 15 point 5 du contrat et à l'article 5 paragraphe 3 du règlement de la Commission européenne n° 1475-95. Par la même lettre, Daimler Chrysler proposait à Froment un nouveau contrat pour la fourniture du service après-vente Mercedes Benz à effet du 1er octobre 2003.
Froment a protesté par courrier du 27 septembre 2002 en soulignant qu'elle était toujours prête à céder son affaire au groupe Graille, acheteur agréé par Daimler Chrysler et ce sur la base de l'estimation réalisée par le cabinet Price Waterhouse Coopers. Dans le même temps Froment confirmait au groupe Graille son accord pour vendre les titres de la société au prix de 1 193 000 euro (hors élément immatériel).
Cependant aucun accord n'a pu être trouvé et c'est dans ces circonstances que par exploit en date du 3 juillet 2003, Froment a assigné Daimler Chrysler devant le Tribunal de commerce de Versailles pour rupture abusive et illicite des contrats de concession exclusive et pour avoir refusé de façon illicite de l'agréer pour la distribution des véhicules industriels et véhicules utilitaires légers de marque Mercedes à compter du 1er octobre 2003. En conséquence, elle sollicitait la condamnation de Daimler Chrysler à lui payer à titre de dommages et intérêts la somme de 1 500 000 euro, en compensation de la marge semi-brute qu'elle aurait du retirer de la poursuite de ses activités de vente pendant une année supplémentaire, la somme de 405 000 euro en contrepartie de la valeur d'incorporels de son fonds de commerce, la somme de 103 228 euro en contrepartie de la valeur nette des investissements engagés pour la poursuite d'une activité de vente de véhicules industriels et utilitaires de la marque Mercedes non amortis au 30 septembre 2003. Elle réclamait en outre le versement d'une somme de 8 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC.
Ultérieurement, Froment a modifié ses demandes. Elle a renoncé à invoquer le moyen tiré du caractère illicite du refus d'agrément. En ce qui concerne les dommages et intérêts pour rupture abusive des contrats, elle a limité sa demande au paiement des sommes de 1 313 000 euro en compensation de la perte d'une année de marge semi-brute et de 405 000 euro au titre de l'anéantissement de la valeur d'incorporels du fonds de commerce.
Daimler Chrysler a tout d'abord soutenu qu'en vertu de l'article 122 du NCPC, Froment n'avait ni intérêt, ni qualité à agir au titre de l'échec de la cession des actions, lesquelles appartiennent aux actionnaires. Sur le fond, faisant valoir qu'elle n'avait commis aucune faute dans les négociations de cession ainsi que dans le cadre de la résiliation du contrat de concession avec un préavis d'un an et que subsidiairement Froment ne justifiait d'aucun préjudice, elle a conclu au rejet des demandes et sollicitait le paiement d'une somme de 7 500 euro au titre de l'article 700 du NCPC.
Par jugement en date du 15 octobre 2004 auquel il convient de se reporter pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, le tribunal après avoir donné acte à Froment de ce qu'elle renonçait à certaines demandes, a condamné Daimler Chrysler à lui payer la somme de 300 000 euro à titre de dommages et intérêts et celle de 3 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC.
Le tribunal a tout d'abord retenu que Froment était recevable en son action dès lors que les intérêts de la SA et ceux des actionnaires étaient confondus, les actions de la SA étant détenues par une holding dont le groupe familial Froment est l'actionnaire.
Sur le fond, le tribunal a estimé que si le règlement CE n° 1400-2002 avait modifié sensiblement le cadre général de la distribution et de la réparation automobile, il n'avait pas imposé au concédant de modifier l'équilibre de son réseau ; que l'article 5 § 2 point b) du dit règlement n'étant applicable qu'à partir du 1er octobre 2005, Daimler Chrysler France ne pouvait valablement soutenir qu'elle avait l'obligation juridique de dénoncer, en septembre 2002, les contrats conclus avec Froment pour se conformer aux nouvelles dispositions communautaires, qu'elle avait procédé à une réorganisation technique, ne relevant pas d'une obligation et qu'en conséquence elle ne pouvait pas justifier de l'application d'un préavis limité à un an. En revanche, le tribunal a considéré que Froment ne pouvait pas reprocher à Daimler Chrysler de ne pas s'être suffisamment impliquée dans les négociations avec le groupe Graille. Sur le préjudice, il a limité l'indemnisation du préjudice subi par Froment à la somme de 300 000 euro en retenant notamment que le fonds de commerce n'avait pas disparu et que Froment avait conservé le statut de "réparateur agréé".
Les deux parties ont interjeté appel de cette décision et les deux procédures ont été jointes par ordonnance en date du 25 janvier 2005.
Par arrêt en date du 18 mai 2006, la présente cour a confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait dit Froment recevable à agir et pour le surplus a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice des Communautés européennes se soit prononcée sur les deux questions préjudicielles introduites par l'Ostre Landsret (affaire C-125-05) et par la Cour fédérale de justice allemande (affaires C-376-05 et C-377-05).
Dans l'affaire C-125-05, la CJCE par arrêt en date du 7 septembre 2006 a dit pour droit que :
"L'article 5, paragraphe 3, premier alinéa, premier tiret, du règlement (CE) n° 1475-95 de la Commission, du 28 juin 1995, concernant l'application de l'article [81] paragraphe 3 du traité à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles, doit être interprété en ce sens que:
- l'existence de la "nécessité de réorganiser l'ensemble ou une partie substantielle du réseau" présuppose une modification significative, tant sur le plan matériel que géographique, des structures de distribution du fournisseur concerné, qui doit être justifiée d'une manière plausible par des motifs d'efficacité économique fondés sur des circonstances objectives internes ou externes à l'entreprise du fournisseur, lesquelles, compte tenu de l'environnement concurrentiel dans lequel opère ce fournisseur, seraient susceptibles, à défaut d'une réorganisation rapide du réseau de distribution de ce dernier, de porter atteinte à l'efficacité des structures existantes de ce réseau. Les éventuelles conséquences économiques défavorables que serait susceptible de subir un fournisseur dans l'hypothèse où il procéderait à la résiliation de l'accord de distribution avec un préavis de deux ans sont à cet égard pertinentes. Il appartient aux juridictions nationales et aux instances arbitrales d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments concrets du litige dont elles sont saisies, si ces conditions sont remplies.
- il incombe au fournisseur, lorsque la légalité d'une résiliation avec préavis d'un an est contestée par un distributeur devant les juridictions nationales ou les instances arbitrales, de prouver que les conditions prévues par cette disposition pour la mise en œuvre du droit de résiliation avec un préavis d'un an sont remplies. Les modalités selon lesquelles une telle preuve doit être apportée relèvent du droit national.
- il n'impose pas au fournisseur qui résilie un accord de distribution en application de cette disposition de motiver formellement la décision de résiliation ni d'établir, préalablement à celle-ci, un plan de réorganisation.
- l'entrée en vigueur du règlement (CE) n° 1400-2002 de la Commission, du 31 juillet 2002, concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile, ne rendait pas, par elle-même, nécessaire la réorganisation du réseau de distribution d'un fournisseur au sens de l'article 5, paragraphe 3, premier alinéa, premier tiret, du règlement n° 1475-95. Toutefois, cette entrée en vigueur a pu, en fonction de l'organisation spécifique du réseau de distribution de chaque fournisseur, rendre nécessaire des changements d'une importance telle qu'ils constituent une véritable réorganisation du dit réseau au sens de cette disposition. Il appartient aux juridictions nationales et aux instances arbitrales d'apprécier si tel est le cas en fonction de l'ensemble des éléments concrets du litige dont elles sont saisies".
Que dans les affaires C-376-05 et C-377-05 la CJCE, par un arrêt en date du 30 novembre 2006, a répondu de manière identique en ce qui concerne les conséquences de l'entrée en vigueur du règlement n° 1400-2002 et s'agissant de la question relative à l'interprétation de l'article 4 du règlement n° 1400-2002, la CJCE a dit pour droit que :
"L'article 4 du règlement n° 1400-2002 doit être interprété en ce sens que, après l'expiration de la période transitoire prévue à l'article 10 de ce règlement, l'exemption par catégorie prévue par celui-ci était inapplicable aux contrats remplissant les conditions de l'exemption par catégorie prévue par le règlement n° 1475-95 qui avaient pour objet au moins l'une des restrictions caractérisées énoncées audit article 4, de sorte que l'ensemble des clauses contractuelles restrictives de concurrence contenues dans de tels contrats étaient susceptibles d'être interdites par l'article 81, paragraphe 1, CE, si les conditions d'une exemption au titre de l'article 81, paragraphe 3, CE, n'étaient pas remplies".
Après que ces deux arrêts ont été rendus, Froment reprend dans le dernier état de ses écritures (conclusions du 25 mai 2007) sa demande en paiement de la somme de 1 313 500 euro en compensation de la perte d'une année de la marge semi-brute qu'elle retirait de son activité de vente de véhicules industriels et utilitaires légers. Elle réclame par ailleurs le versement d'une somme de 679 971 euro au titre de l'impact de la perte de l'activité de vente de véhicules Mercedes sur l'activité après-vente durant l'année du préavis "ordinaire" de résiliation de deux ans du contrat. Enfin elle sollicite le paiement d'une somme de 8 000 euro sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Elle fait grief à Daimler d'avoir manqué de loyauté en ne s'impliquant pas véritablement dans les négociations qu'elle avait suscitées entre Garage Froment et le groupe Graille, en prenant pendant le cours des négociations des décisions qui ont affaibli la position de garage Froment, en dénonçant soudainement en septembre 2002, les contrats de concession qui la liaient au garage Froment avec préavis "extraordinaire" de 12 mois alors que les négociations n'étaient pas terminées. Elle soutient par ailleurs que les décisions de résiliation assorties d'un préavis réduit à un an présentent un caractère illicite dès lors que Daimler Chrysler n'a pas procédé entre septembre 2002 et septembre 2003 à une réorganisation substantielle et nécessaire de son réseau au sens de l'article 5.3 du règlement et de l'article 15.5 des contrats de concession mais s'est bornée à procéder à une résiliation "technique" de l'ensemble des contrats de concession dans le but d'une part, de se dispenser de négocier l'adaptation des contrats en cours, avec les entreprises membres des réseaux déjà restructurées en septembre 2002 et qui ont été reconduits quasiment à l'identique au-delà du 1er octobre 2003 sur la base des contrats de distribution sélective, quantitatifs pour la vente et qualitatifs pour l'après-vente, d'autre part "d'éliminer des opérateurs" tels que Garage Froment pour le réseau véhicules industriels (véhicules utilitaires légers) en utilisant le prétexte de la mise en conformité des contrats. Enfin elle développe son argumentation en ce qui concerne son préjudice.
Daimler Chrysler, dans le dernier état de ses écritures (conclusions du 22 mai 2007) demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à Froment la somme de 300 000 euro à titre de dommages et intérêts et celle de 3 000 euro en vertu de l'article 700 du NCPC. Elle conclut au rejet des demandes formées par Froment et subsidiairement demande qu'il soit jugé que les dommages et intérêts alloués par le Tribunal de commerce de Versailles sont disproportionnés. Au titre de l'article 700 du NCPC, elle réclame le versement d'une somme de 10 000 euro.
Se prévalant tant des deux arrêts susvisés de la CJCE que d'un troisième arrêt du 26 janvier 2007 ainsi que de deux arrêts de la Cour de cassation du 6 mars 2007, elle fait valoir qu'en mettant en place un réseau de distributeurs sélectifs en lieu et place d'un réseau de concessionnaires exclusifs, elle a procédé à une réorganisation au sens de l'article 5 paragraphe 3 du règlement n° 1475-95, réorganisation rendue nécessaire en raison du risque pour le réseau de ne pas bénéficier de l'exemption accordée par le règlement n° 1400-2002 et qu'elle était donc en droit de faire usage du préavis d'une année.
Sur les griefs formulés par Garage Froment en ce qui concerne les négociations avec le groupe Graille, Daimler Chrysler fait valoir qu'elle n'a commis aucune faute dès lors que la réorganisation du réseau n'implique nullement la cession de la société du concessionnaire, qui doit à terme sortir du réseau, à celui qui est pressenti pour constituer une plaque, que son rôle se limitait à rapprocher les parties concernées, qu'elle n'avait pas à porter un jugement sur l'évaluation d'une concession par un cabinet d'audit (en l'espèce PriceWaterhouse). Elle conteste avoir rendu les négociations plus difficiles.
SUR CE, LA COUR
I. Sur la décision de résiliation
Considérant que Daimler Chrysler a résilié le contrat de concession exclusive par lettre recommandée avec avis de réception en date du 16 septembre 2002 avec effet au 30 septembre 2003 ; que pour ce faire, elle s'est prévalue des dispositions de l'article 15 point 5 du contrat qui accorde au concédant la possibilité de résilier un contrat moyennant un préavis d'un an, à l'échéance de la fin d'un trimestre, en cas de nécessité de réorganiser l'ensemble ou une partie substantielle de son réseau.
Considérant qu'ainsi que l'a dit pour droit la CJCE dans ses arrêts du 7 septembre et du 23 novembre 2006, si l'entrée en vigueur du règlement n° 1400-2002 de la Commission du 31 juillet 2002, concernant l'application de l'article 81 paragraphe 3 du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile, ne rendait pas, par elle-même, nécessaire la réorganisation du réseau de distribution d'un fournisseur au sens de l'article 5, paragraphe 3, premier alinéa, premier tiret, du règlement n° 1475-95, cette entrée en vigueur a pu, en fonction de l'organisation spécifique du réseau de distribution de chaque fournisseur, rendre nécessaire des changements d'une importance telle qu'ils constituent une véritable réorganisation du dit réseau au sens de cette disposition.
Considérant que le règlement n° 1400-2002 du 31 juillet 2002 entrant en vigueur le 1er octobre 2003 donne aux constructeurs la possibilité d'opter entre exclusivité et sélectivité mais interdisait de combiner la concession exclusive et la distribution sélective ; que le fournisseur qui choisit la distribution exclusive sur un territoire réservé, pour bénéficier de l'exemption, n'est plus en droit d'interdire à son concessionnaire de revendre des véhicules neufs à des revendeurs non agréés et que de plus sa part de marché ne doit pas dépasser 30 % du marché en cause (article 3 du règlement) ; que s'agissant de la distribution sélective, elle peut être purement qualitative ou à la fois qualitative et quantitative ; que ce mode de sélection ne bénéfice de l'exemption que si la part de marché du fournisseur ne dépasse pas 40 % ; que par ailleurs, le nouveau règlement rompt le lien entre la vente et le service après-vente et prévoit un contrat pour chaque type d'activités ; qu'en conséquence, un distributeur peut n'être que revendeur et renvoyer les problèmes de réparation ou d'entretien à un réparateur agréé et vice versa ou il peut être les deux à la fois.
Que la CJCE a dit pour droit dans un arrêt du 26 janvier 2007 que la mise en place par un fournisseur, après l'entrée en vigueur du règlement n° 1400-2002 d'un système de distribution sélective dans le cadre duquel, d'une part, les distributeurs ne font plus l'objet d'une restriction du territoire sur lequel ils peuvent vendre les produits contractuels et, d'autre part, les réparateurs agréés peuvent limiter leurs activités à la seule fourniture de services de réparation et d'entretien est susceptible de constituer une réorganisation du réseau de distribution au sens de l'article 5, paragraphe 3, premier alinéa, premier tiret du règlement n° 1475-95 ; qu'elle ajoute qu'il appartient aux juridictions nationales et aux instances arbitrales d'apprécier si tel est le cas en fonction de l'ensemble des éléments concrets du litige dont elles sont saisies et, en particulier, des preuves apportées à cette fin par le fournisseur.
Considérant que Daimler Chrysler distribuait ses produits par l'intermédiaire d'un réseau de concessionnaires exclusifs qui exerçaient leurs activités sur un territoire déterminé de manière contractuelle et qui s'engageaient à ne pas vendre à des revendeurs ne faisant pas partie du réseau commercial (article 2-3) ; que les concessionnaires s'engageaient également à assurer dans leur territoire un service après-vente (articles 7 et 9).
Considérant que l'entrée en vigueur du nouveau règlement rendait nécessaire une modification du système de distribution de Daimler Chrysler si celle-ci souhaitait continuer à bénéficier d'une exemption ; qu'afin d'éviter le risque de ventes de véhicules neufs hors réseau, elle a opté comme la plupart des constructeurs pour un système de distribution sélective, quantitative en ce qui concerne la vente des véhicules neufs Mercedes Benz et qualitative en ce qui concerne les réparateurs agréés.
Considérant que si la mise en place d'un tel système est susceptible, ainsi que l'a dit la CJCE, de constituer une réorganisation de l'ensemble du réseau au sens de l'article 5 paragraphe 3 du règlement n° 1475-95, encore faut-il que Daimler Chrysler rapporte la preuve par des éléments concrets qu'elle a effectivement mis en œuvre cette réorganisation entre septembre 2002 et septembre 2003 afin de rendre son réseau conforme au nouveau règlement à la date du 30 septembre 2003.
Or, considérant que la société Daimler Chrysler se contente de produire des extraits de presse de 2001 et 2002 faisant état de ce que depuis 2000 elle avait lancé un projet de plaques territoriales et restructuré sa force commerciale pour accroître les ventes de Mercedes ; que son président, Reinhard Lyhs a dans une interview publiée le 17 octobre 2002, déclaré : "qu'en janvier 2000 (mis en gras par la cour) nous avons lancé le projet plaques territoriales et pendant deux ans, nous avons procédé à une grande restructuration. Nous voulions diminuer nombre d'opérateurs afin d'augmenter la taille critique des affaires. Pour un certain nombre de concessionnaires (environ 10 % du réseau) les discussions avec le leader de plaque ne sont pas encore terminées aujourd'hui. C'est pourquoi nous ne leur avons pas proposé les nouveaux contrats. Mais pour eux ce ne fut pas une surprise", qu'il déclare plus avant : "chez Mercedes, nous en sommes à la fin de la restructuration qui a débuté en 2000, il nous faut terminer le travail, mais il est clair que le nouveau règlement n'est pas un prétexte pour restructurer le réseau".
Que Daimler Chrysler reconnaît par ailleurs que dès le début de l'année 2001, elle avait informé certains distributeurs, dont Froment, du fait qu'ils ne seraient pas retenus dans le cadre de la nouvelle distribution des véhicules neufs.
Considérant que Daimler Chrysler à qui incombe la charge de la preuve, ne produit aucune pièce qui permettrait de comparer son réseau d'implantation entre 2000 et 2003, de déterminer l'évolution du nombre de concessions de distribution et leur implantation géographique ainsi que le nombre de contrats restant à négocier et permettant en conséquence d'établir de manière objective qu'à la date où elle a résilié le contrat de Froment, son processus de réorganisation n'était pas achevé.
Que dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu qu'à la date du 16 septembre 2002, Daimler Chrysler ne pouvait procéder à la résiliation du contrat de Froment avec un délai de préavis réduit à une année, en invoquant les dispositions des articles 15-5 du contrat et 5-3 1er alinéa 1er tiret du règlement CE n° 1475-95.
II. Sur la responsabilité de Daimler Chrysler dans le cadre des négociations avec le groupe Graille
Considérant que Froment fait grief à Daimler Chrysler d'avoir manqué de loyauté en ne s'impliquant pas véritablement dans les négociations qu'elle avait suscitées entre Froment et le groupe Graille, en prenant pendant le cours des négociations des décisions qui ont affaibli la position de Froment et en dénonçant soudainement le contrat de concession qui la liait à Froment avec préavis "extraordinaire" de 12 mois seulement en septembre 2002, alors que les négociations n'étaient pas terminées.
Considérant que Daimler Chrysler lui oppose que la réorganisation du réseau n'implique nullement la cession de la société du concessionnaire qui doit à terme sortir du réseau à celui qui est pressenti pour constituer une plaque ; qu'elle n'était pas tenue à une obligation d'assistance du concessionnaire et que si elle a incité Froment à se rapprocher de Graille, elle n'était tenue par aucune obligation de résultat ; qu'elle ajoute qu'elle n'a pas ménagé ses efforts pour amener Froment et Graille à trouver un accord, mais que c'est Froment qui s'est privée d'une chance de voir aboutir la cession en refusant l'intervention d'un cabinet spécialisé dans l'immobilier pour apprécier la valeur locative des locaux ; que Daimler Chrysler expose également qu'elle n'a pas à porter un jugement sur l'évaluation de la concession proposée par le cabinet PriceWaterhouse et ne pouvait imposer au groupe Graille d'acquérir au prix du cédant les actions de Froment.
Considérant que Daimler Chrysler conteste par ailleurs avoir rendu les négociations de cession plus difficiles et soutient qu'elle n'avait pas d'autre choix que de résilier le contrat le 16 septembre 2002 à effet du 30 septembre 2003 compte tenu de l'intervention du règlement et n'avait pas davantage à attendre que son concessionnaire se soit mis d'accord avec un repreneur potentiel.
Considérant ceci exposé, qu'il résulte des différents courriers mis aux débats que dès le premier semestre 2001, Froment avait été informée du souhait émis par Daimler Chrysler que la nouvelle plaque sur les départements du Gard et de l'Hérault soit confiée au groupe Graille ; que dès mars 2001, Froment et Graille par l'intermédiaire de SODIRA (société membre du groupe Graille) ont échangé des informations ; que si fin décembre 2001, Daimler Chrysler a insisté auprès de Froment pour que les négociations aboutissent d'ici mars 2002 et a proposé de missionner le cabinet PriceWaterhouse pour faire évaluer l'entreprise Froment, l'échec des négociations ne peut être imputé au comportement de Daimler Chrysler.
Considérant que si au vu du rapport du cabinet PriceWaterhouse, établi en mai 2002, puis modifié en août 2002 au vu des observations de Froment et Graille, celles-ci étaient en désaccord sur les évaluations de la concession Froment proposées par PriceWaterhouse (valeur patrimoniale variant de 729 K à 717 K, valeur de rentabilité variant de 1 193 K à 839 K, et valeur du fonds de commerce variant de 405 K à 257 K d'après la pièce 28 de Froment), il n'appartenait pas à Daimler Chrysler, tiers au contrat de cession, d'intervenir pour que les parties conviennent d'un prix de cession, le groupe Graille ayant fait une offre à 800 000 euro tandis que Froment demandait dans le dernier état 1 290 000 euro voire 1 350 000 euro ; que les conclusions définitives du cabinet PriceWaterhouse n'ayant été établies que fin août 2002 après des observations du groupe Graille, il ne peut être fait grief à Daimler Chrysler de ne pas être intervenue dès le début de l'année 2002 auprès de son candidat repreneur pour qu'il formule une proposition.
Considérant que Daimler Chrysler a démontré sa volonté de faire aboutir la cession en proposant une évaluation par le cabinet PriceWaterhouse, en intervenant au cours de l'été 2002, après le dépôt du rapport de ce cabinet, auprès du groupe Graille pour qu'il fasse une proposition concrète à Froment et en suggérant in fine d'avoir recours à un expert immobilier pour apprécier la valeur locative des locaux.
Considérant que Froment ne rapporte pas davantage la preuve que Daimler Chrysler aurait pris des décisions ayant eu pour effet de rendre plus difficiles l'évolution des négociations.
Que l'octroi de la carte Mitsubishi Canter au seul groupe Graille fin 2001 s'inscrit dans la politique commerciale adoptée par Daimler Chrysler qui, dès le début de l'année 2001, avait pressenti le groupe Graille pour constituer sa nouvelle "plaque" sur les départements du Gard et de l'Hérault ; que le concédant a droit de traiter avec le cocontractant de son choix et que Daimler Chrysler fait à juste titre observer que Froment n'aurait pas manqué de lui reprocher l'attribution de cette carte au moment de la rupture.
Considérant sur les incursions commerciales du groupe Graille auprès de la clientèle dans le secteur de Nîmes avant la résiliation du contrat, que Froment ne verse aux débats aucun document objectif accréditant ses accusations ; que si plusieurs vendeurs de la société Froment ont démissionné entre 2001 et 2003, il résulte du propre tableau établi par Froment, que seules trois démissions sont intervenues au cours des négociations (2 en décembre 2001 et 1 en juillet 2002) ; que par ailleurs la preuve n'est pas rapportée que Daimler Chrysler soit intervenue à un titre ou à un autre pour inciter des salariés de Froment à rejoindre pour deux d'entre eux le groupe Graille.
Considérant que si Froment a fait constater l'existence de bâtiments neufs, sur une zone industrielle de Nîmes, destinés à être utilisés par des sociétés du groupe Graille et si la construction de ces bâtiments était déjà entreprise en janvier 2002, aucun élément ne prouve que Daimler Chrysler en avait été informée à l'ouverture des négociations début 2001 et avait agréé ce projet ; que de plus, le constat d'huissier ne révélant la présence d'aucun panneau ou signe Mercedes sur ces bâtiments et aucune voiture ou camion n'y étant exposé, rien n'établit que le groupe Graille entendait les exploiter pour commercialiser des véhicules neufs Mercedes.
Considérant en dernier lieu qu'il ne saurait être fait grief à Daimler Chrysler d'avoir adressé sa lettre de résiliation le 16 septembre 2002, à une date où les négociations n'étaient pas rompues ; qu'en effet le règlement n° 1400-2002 entrant en vigueur le 1er octobre 2003 pour les contrats en cours au 30 septembre 2002, Daimler Chrysler se devait dès lors qu'elle se prévalait de l'article 5 paragraphe 3 du règlement CE n° 1475-95 (préavis d'un an pour réorganisation du réseau) et entendait mettre en œuvre un contrat conforme au nouveau règlement lui permettant de bénéficier de l'exemption, de résilier le contrat de Froment au plus tard le 30 septembre 2002.
Considérant que Froment ne peut valablement soutenir que Daimler Chrysler devait œuvrer pour la poursuite des négociations jusqu'à leur terme dès lors que la procédure de règlement amiable de cession mise en œuvre dès le début de l'année 2001 ne prévoyait nullement que Daimler Chrysler s'engage à respecter un certain délai avant de tirer les conséquences d'un échec ; que la seule obligation mise à la charge de Daimler Chrysler était de respecter le préavis prévu au contrat de concession et non d'attendre que Froment trouve un acquéreur, sous peine de rendre impossible toute résiliation du contrat.
Considérant dans ces conditions que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a écarté toute responsabilité de Daimler Chrysler dans la conduite des négociations et leur échec.
III. Sur le préjudice
Considérant que Froment fait valoir que la résiliation à effet du 30 septembre 2003 l'a privée, à tout le moins, du gain qu'elle pouvait escompter retirer de la deuxième année du préavis "ordinaire" et s'appuyant sur une attestation du cabinet Villard, expert comptable, elle sollicite le paiement d'une somme de 1 313 500 euro en compensation de la perte d'une année de marge semi-brute outre une somme de 679 971 euro au titre de l'impact de la perte de l'activité de vente de véhicules Mercedes sur l'activité après-vente durant l'année du préavis "ordinaire" de résiliation de 2 ans.
Considérant que Daimler Chrysler soutient que la somme de 300 000 euro allouée par les premiers juges est disproportionnée eu égard à la marge semi-brute réalisée en moyenne par Froment (144 639 euro), au fait que depuis le 1er octobre 2003, elle est réparateur agréé Mercedes Benz et que par ailleurs elle peut continuer à vendre des véhicules d'occasion ; que Daimler Chrysler relève, qu'au vu des comptes annuels de Froment, celle-ci n'a subi en 2004 aucun préjudice et qu'elle a dégagé un résultat très supérieur à ceux dégagés en moyenne au cours des années 2000 à 2002.
Considérant ceci exposé, que seul doit donner lieu à indemnisation le préjudice subi par Froment du fait de la résiliation de son contrat avec un préavis d'un an au lieu d'un délai de deux ans auquel elle pouvait prétendre.
Considérant que selon l'attestation du cabinet Villard, expert comptable, produite par Froment, sa moyenne de marge semi-brute réalisée entre 1999 et 2002 avec la vente de véhicules neufs a été de 1 130 K ; que toutefois, il apparaît que Froment n'a pas inclus dans ce calcul des frais variables, les salaires liés à l'activité de véhicules neufs, alors même qu'elle produit un tableau qui démontre qu'au mois trois de ses salariés affectés à la vente de véhicules neufs ont démissionné en 2002 et 2003 ; que le coût moyen de ce personnel, soit 100 000 euro par an en moyenne doit donc être déduit, ce qui ramène la moyenne de la marge semi-brute à la somme de 1 000 K.
Considérant que Froment ayant conservé ses activités de service après-vente et l'exercice clos le 31 décembre 2004 ne faisant ressortir qu'une baisse de chiffre d'affaires de 46 480 euro au titre de la production de services par rapport à l'exercice 2003 et révélant une hausse de 20 345 euro par rapport à 2001, il n'y a pas lieu d'inclure dans l'indemnité, la marge semi-brute dégagée sur l'activité après-vente.
Considérant en revanche que Daimler Chrysler ne saurait se prévaloir des résultats de l'exercice 2004 pour prétendre que Froment n'a subi aucun préjudice dès lors que le résultat d'exploitation 259 K enregistre un recul par rapport au résultat moyen de référence 274 K sur les années 2000/2003 ; que le chiffre d'affaires en 2004 est en forte baisse par rapport aux années antérieures, notamment en ce qui concerne la vente de marchandises, pour laquelle on relève une chute de plus de 50 % par rapport à 2002 et de près de 50 % par rapport à 2003, ce qui accrédite la thèse de Froment selon laquelle la perte de l'activité de vente de véhicules industriels neufs (utilitaires légers et camions) entraîne une perte de vente de véhicules d'occasion, cette activité étant liée à l'activité de vente de véhicules neufs.
Considérant enfin que si Daimler Chrysler a produit des états financiers de Froment pour les années 1999 à 2001 et pour les trois premiers trimestres de 2002 qui font ressortir une marge semi-brute moyenne qui serait d'environ 200 000 euro (et non 144 639 euro), elle ne communique aucune analyse comptable tendant à démontrer que le calcul opéré par le cabinet Villard serait inexact, excepté le problème des coûts salariaux.
Que compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le préjudice subi par Froment doit être réparé par le versement d'une somme de 1 000 000 euro.
IV. Sur l'article 700 du NCPC
Considérant que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du NCPC à Daimler Chrysler.
Qu'en revanche, il convient d'allouer à Froment une indemnité complémentaire de 3 000 euro.
Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, - Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la société Daimler Chrysler France au paiement de la somme de 300 000 euro (trois cent mille euro) à titre de dommages et intérêts. Le réformant de ce chef, statuant à nouveau et y ajoutant ; - Dit que la société Daimler Chrysler France a engagé sa responsabilité en résiliant le contrat de concession en accordant un préavis d'une année. - La condamne à payer à la société Garage H. Froment la somme de 1 000 000 euro (un million d'euro) à titre de dommages et intérêts. - Déboute les parties du surplus de leurs demandes. - Condamne la société Daimler Chrysler France à payer à la société Garage H. Froment une somme complémentaire de 3 000 euro (trois mille euro) au titre de l'article 700 du NCPC. - Condamne la même aux dépens d'appel. - Admet la SCP Jullien Lecharny Rol Fertier au bénéfice de l'article 699 du NCPC.