CA Colmar, 1re ch. civ. A, 11 septembre 2007, n° 05-01681
COLMAR
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Café Le Victor Hugo (SARL)
Défendeur :
Brasseries Kronenbourg (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Hoffbeck
Conseillers :
MM. Cuenot, Allard
Avocats :
SCP Cahn-Bergmann, Mes Kudelko, Levy, Huffschmitt
Selon une convention de fourniture de bière du 30 juillet 1998, la SARL Café Le Victor Hugo s'est engagée auprès la SA Brasseries Kronenbourg (ci-après dénommée la Brasserie Kronenbourg) à s'approvisionner exclusivement en bières commercialisées par cette dernière, pour une durée de sept ans et pour une quantité de 1400 hl, avec effet au 1er juillet 1998.
Cet approvisionnement devait s'effectuer par l'intermédiaire de la société Delta Boissons à Valence.
En contrepartie, la Brasserie Kronenbourg lui a consenti un investissement de 76 224,51 euro.
Selon un avenant du 9 avril 1999, la Brasserie Kronenbourg a permis à la SARL Café Le Victor Hugo d'obtenir un prêt de la SOFID d'un montant de 7 622,45 euro, pour lequel elle s'est portée caution.
Selon un avenant du 21 juillet 2000, les parties cocontractantes ont limité le champ d'exclusivité aux bières en fûts. La Brasserie a consenti en outre à la SARL Café Le Victor Hugo un investissement complémentaire de 1 259,53 euro pour la modification d'un tirage pression.
Par lettre recommandée du 16 juillet 2003, la Brasserie Kronenbourg a fait grief à la SARL Café Le Victor Hugo de ne plus s'approvisionner exclusivement en bières de ses marques auprès de l'établissement désigné.
Selon un acte d'huissier du 22 octobre 2003, elle a fait assigner la SARL Café Le Victor Hugo en résiliation de la convention de fourniture de bière aux torts exclusifs de la défenderesse, ainsi qu'en paiement d'une somme de 84 486,48 euro correspondant au remboursement de l'investissement, et d'une somme de 44 475,19 euro correspondant à l'application de la clause pénale.
En défense, visant les articles 81.1 et 81.2 du traité de Rome, ainsi que les Règlements CE 1984-83 du 22 juin 1983 et 2790-99 du 22 décembre 1999, la SARL Café Le Victor Hugo a sollicité reconventionnellement l'annulation du contrat d'approvisionnement exclusif et de ses avenants.
Par un jugement du 3 février 2005, la Chambre commerciale près le Tribunal de grande instance de Strasbourg a débouté la SARL Café Le Victor Hugo de sa demande reconventionnelle et, accueillant partiellement la demande principale, a prononcé la résiliation de la convention de fourniture de bière aux torts exclusifs de la SARL Café Le Victor Hugo, a condamné la défenderesse à payer à la Brasserie Kronenbourg la somme de 55 567,12 euro au titre du remboursement des avantages consentis et la somme de 44 475,19 euro au titre des dommages-intérêts contractuels, ces montants étant augmentés des intérêts au taux légal à compter du 16 juillet 2003, avec capitalisation des intérêts dus pour une année entière. Elle a également mis à la charge de la SARL Café Le Victor Hugo le paiement des dépens et d'une somme de 850 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Pour rejeter la demande reconventionnelle fondée sur le droit communautaire, les premiers juges ont précisément retenu:
- que l'accord conclu entre les parties, d'une durée de sept ans, portant uniquement sur certaines bières, bénéficiait du règlement d'exemption CE n° 1984-83 du 22 juin 1983; qu'il était indépendant du contrat d'achat exclusif de boissons conclu par ailleurs entre le débitant de boissons et l'entrepositaire Delta Boissons;
- que l'obligation d'achat exclusif contenue dans la convention de fourniture de bière, constituant une obligation de non-concurrence au sens du règlement CE n° 2790-1999 du 22 décembre 1999, était également concernée par l'application de ce règlement;
- que l'exemption prévue par ce dernier texte s'appliquait à condition que la part du marché détenue par le fournisseur ne dépassait pas 30 % du marché pertinent sur lequel il vendait les biens ou services contractuels
- que le marché de produits en cause comprenait tous les produits ou services que le consommateur considérait comme substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l'usage auxquels ils étaient destinés ; qu'il s'agissait en l'occurrence du marché de la bière;
- que le marché géographique en cause comprenait le territoire sur lequel les entreprises concernées étaient engagées dans l'offre et la demande des biens et des services en cause ; qu'il s'agissait en l'occurrence du marché national;
- qu'au regard des documents produits aux débats, la SARL Café Le Victor Hugo, à laquelle incombait la charge de la preuve, ne démontrait pas que la Brasserie Kronenbourg détenait une part de marché de plus de 30 %;
- que si l'on prenait en considération une part de marché permettant de faire bénéficier la convention de fourniture de bière de l'exemption, la clause prévoyant la durée de l'accord bénéficiait elle-même de l'exemption dès lors que la convention avait continué à bénéficier du règlement 1984-83 jusqu'au 31 décembre 2001, et qu'au 1er janvier 2002 la durée de la convention restant à courir ne dépassait pas cinq ans;
- que la convention ne pouvait dans cette hypothèque être annulée en raison d'une durée excessive de la clause d'exclusivité;
- que si l'on se situait hors de l'application du règlement d'exemption, la convention de fourniture de bière n'était pas pour autant d'emblée illégale, notamment du fait de la durée de l'accord;
- qu'il appartenait en effet à la défenderesse de faire la démonstration que l'accord était susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres et avait pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun;
- que si la part de marché ne dépassait pas 30 % du marché pertinent, la convention de fourniture de bière bénéficiait de l'exemption, même si les volumes de bière étaient considérés excessifs, le règlement limitant les cas dans lesquels l'exemption n'était pas applicable, en l'absence de décision retirant le bénéfice de l'exemption; que si la part de marché détenue par la Brasserie Kronenbourg ne lui permettait pas de bénéficier de l'exemption automatique, il appartenait à la SARL Café Le Victor Hugo de démontrer que l'accord était illégal dans la mesure où il était susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres et avait pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun;
- que la SARL Café Le Victor Hugo, qui décrivait une situation qui, selon elle, porterait atteinte à la concurrence, n'expliquait pas en quoi la durée de la convention et les volumes de bière à débiter étaient de nature à affecter le commerce entre Etats membres, et avaient pour objet ou pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun;
- qu'à défaut de démontrer que l'accord de fourniture de bière était illégal au regard de l'article 81.1 du traité, il convenait de débouter la SARL Café Le Victor Hugo de sa demande en annulation de l'accord.
Selon une déclaration enregistrée au greffe le 29 mars 2005, la SARL Café Le Victor Hugo a interjeté appel de ce jugement.
Par ses dernières conclusions déposées le 17 novembre 2006, la SARL Café Le Victor Hugo reprend à titre principal ses prétentions initiales tendant à l'annulation de la convention d'approvisionnement exclusif et de ses avenants en application du droit communautaire, et subsidiairement conclut au rejet de l'appel incident. Elle réclame en outre le paiement d'une somme de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Au soutien de son appel, elle fait valoir:
- qu'elle était également liée à la société Delta Boissons par un contrat d'achat exclusif de boissons pour une durée de 5 ans ; que cette société est une société grossiste en boissons, filiale à 46 % de Kronenbourg, qui détient un poste d'administrateur sur trois de la société Delta Boissons ; que la part du marché national du Groupe Kronenbourg en France est de 37 % ; que la part de marché local de la société Delta Boissons en 2002 était de l'ordre de 40 %;
- que les réclamations adverses sont contestées en raison de l'exclusivité totale qui y est attachée pour une durée qui n'est pas conforme aux dispositions du règlement CE du 22 décembre 1999 et de la surestimation des volumes;
- que la Brasserie Kronenbourg n'a pas mis ses contrats en conformité avec la réglementation européenne;
- que l'article 81 du traité est applicable en l'espèce ; que la SA Brasseries Kronenbourg ne peut toutefois prétendre relever d'un régime d'exemption, dans la mesure où ne bénéficient de l'exemption prévue par le règlement 1999 que les fournisseurs dont la part de marché ne dépasse pas 30 %;
- que les contrats litigieux ont été conclus sous le régime du règlement de 1984 et se poursuivent après l'expiration de la durée de validité de ce texte ; que ces contrats sont donc soumis aux dispositions transitoires du règlement de 1999 énoncées à l'article 12.2;
- que ces contrats ne sont plus exemptés par le règlement 1984 depuis le 1er janvier 2002 et ne sont pas susceptibles d'exemption au titre du règlement 1999, car portant sur 100 % des besoins du cafetier;
- que les conventions invoquées sont nulles comme constituant une entente prohibée au sens de l'article 81.1 du traité;
- qu'en l'occurrence, c'est l'organisation même du marché de la distribution française de la bière qui affecte le commerce entre Etats membres, et ce en raison de l'importance des contrats de distribution exclusive qui cloisonnent le marché;
- que la théorie de l'effet cumulatif permet d'apprécier aussi bien la condition de restriction de concurrence que celle d'affectation du commerce entre Etats membres;
- que le Conseil de la concurrence a eu l'occasion de souligner les difficultés rencontrées par les opérateurs étrangers pour pénétrer le marché de la bière français;
- que le caractère illégal des contrats en cause est parfaitement démontré;
- que la partie adverse ne peut revendiquer une exemption collective; que les contrats ayant été conclus avant l'entrée en vigueur du règlement 2790-1999, et leur exécution s'étant poursuivie postérieurement, sont applicables les dispositions transitoires de l'article 12 qui prévoient que l'exemption des contrats antérieurs des fournisseurs, dont la part de marché dépasse 30 %, prenait fin au 31 décembre 2001 ; qu'en l'occurrence, la part de marché de Kronenbourg étant de 37 %, les contrats conclus antérieurement au nouveau règlement ne bénéficient plus de l'exemption collective par catégorie depuis le 1er janvier 2002;
- qu'au surplus, la concluante était également liée par un contrat similaire à la société Delta Boissons pour l'approvisionnement en boissons hors bières; que le cumul des deux contrats aboutissant à couvrir la totalité des besoins en bières et autres boissons pour une durée excédant la durée maximale de cinq ans, la question de la compatibilité du double dispositif contractuel au regard du règlement 84-83 lui-même, lequel exigeait des fournisseurs de choisir entre le régime des contrats de bière uniquement et des contrats toutes boissons d'autre part [sic]; qu'en cumulant les deux sortes de contrats, les fournisseurs ont partie liée entre eux, de sorte que ne sont pas respectées les exigences du règlement 84-83;
- qu'enfin, la Brasserie Kronenbourg ne peut revendiquer le bénéfice d'une exemption individuelle en application de l'article 81.3 du traité.
Par ses dernières conclusions déposées le 26 janvier 2007, la SA Brasseries Kronenbourg demande à la cour de rejeter l'appel principal et, dans le cadre d'un appel incident, d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas intégralement fait droit à la demande relative au remboursement des avantages consentis, de condamner en conséquence la SARL Café Le Victor Hugo au paiement d'une somme de 84 486,48 euro à ce titre, et de confirmer le jugement entrepris pour le surplus. Elle réclame en outre le paiement d'une somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR,
Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits et moyens;
1) Sur l'application du droit communautaire:
Attendu que l'appelante invoque les dispositions du paragraphe 1 du traité instituant la Communauté européenne pour réclamer, en application du paragraphe 2, l'annulation de la convention d'approvisionnement exclusif de bière du 30 juillet 1998, ayant pris effet le 1er juillet 1998 ;
Attendu qu'aux termes de l'article 81.1 du traité, sont incompatibles avec le Marché commun et interdits tous accords qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun;
Attendu que se trouve en litige une convention de fourniture, par laquelle le débitant de boissons s'est engagé à s'approvisionner exclusivement, par l'intermédiaire d'un entrepositaire désigné, en bière en fût (après rectification apportée par avenant du 21 juillet 2000) parmi les marques désignées au contrat et commercialisées par la brasserie, pour un volume de 1400 hl, en contrepartie de quoi la Brasserie Kronenbourg lui a consenti un avantage financier initial de 76 224,51 euro, puis lui a accordé ultérieurement sa caution pour l'obtention d'un prêt, enfin lui a consenti un avantage financier complémentaire de 1 259,53 euro pour la modification d'un tirage pression;
Attendu que, comme la Cour de justice des Communautés européennes l'a relevé dans l'arrêt Delimitis du 28 février 1991, l'appréciation des effets d'un tel accord implique la nécessité de prendre en considération le contexte économique et juridique au sein duquel celui-ci se situe et où il peut concourir, avec d'autres, à un effet cumulatif sur le jeu de la concurrence ; qu'il convient d'analyser les effets que produit un contrat de fourniture de bière, en combinaison avec d'autres contrats de même type, sur les possibilités, pour les concurrents nationaux ou originaires d'autres Etats Membres, de s'implanter sur le marché de la consommation de la bière ou d'y agrandir leur part de marché et, partant sur la gamme de produits offerts aux consommateurs;
Attendu que cela suppose que soit préalablement délimité le marché en cause;
Attendu en l'occurrence que l'activité économique concernée est la vente de bière dans les débits de boissons, soit les CHR (cafés, hôtels, restaurants) ;
Attendu que, sur le plan géographique, ces "contrats de bière" sont en général conclus au niveau national;
Attendu qu'il y a donc lieu de prendre en considération, pour l'application des règles communautaires, le marché national de la distribution de la bière dans des débits de boissons (CHR);
Attendu que, par un avis n° 96-A-09, le Conseil de la concurrence relève que : "il existe sur la marché de la bière destinée aux cafés-hôtels-restaurants de fortes barrières à l'entrée; qu'à celles communes à l'ensemble du secteur de la bière, telles que celles qui découlent du caractère fortement capitalistique du processus de production ou du caractère mâture de ce marché, il convient d'ajouter les barrières spécifiques constituées par les réseaux intégrés d'entrepositaires-grossistes, l'existence de contrats d'approvisionnement exclusifs passés avec les débitants de boissons par les trois brasseurs, qui détiennent ensemble 90 % de ce marché (dont Kronenbourg), la forte concentration de l'offre qui ne permet que difficilement l'acquisition d'une brasserie déjà implantée sur le marché pour le pénétrer, et la forte fidélité aux marques qui caractérise ce marché; que cette situation rend difficile l'accès de nouveaux concurrents sur ce marché ainsi que le développement de ceux qui y sont déjà présents";
Attendu que cette position se trouve confortée dans un autre avis du 18 mai 2004 (relatif à plusieurs acquisitions d'entrepôts réalisées par le Groupe Scottich & Newcastle/Kronenbourg dans le secteur de la distribution de bières dans le circuit CHR), libellé en ces termes : "il existe un risque de verrouillage de l'accès à la distribution des brasseurs non intégrés sur les marchés locaux sur lesquels la majeure partie de la distribution de la bière est contrôlée par un ou plusieurs brasseurs ; l'intégration verticale des deux premiers brasseurs, qui détiennent près de 60-70 % du marché de la distribution de bières au niveau national, dont 20-30 % pour le réseau de Kronenbourg, produit des effets cumulatifs ; les barrières à l'entrée sur les marchés de la distribution de la bière, l'absence d'alternative à la distribution par des entrepositaires-grossistes et l'incapacité des CHR à faire contrepoids, permettent aux brasseurs intégrés de verrouiller l'accès à la distribution dès lors que les distributeurs indépendants n'offrent plus un débouché suffisant ";
Attendu qu'un tel verrouillage emporte inévitablement, en raison à la fois du nombre de CHR liés par des contrats de bière (70 à 80 % selon l'avis susvisé du 18 mai 2004) et du volume total de bière en fût vendu sous exclusivité (50 à 60 % selon le même avis), des difficultés notables d'accès au marché de vente de bières non seulement pour les concurrents nationaux, mais également étrangers, en particulier ceux implantés dans les Etats membres;
Attendu qu'il est pour le moins établi que des accords du même type sont susceptibles d'affecter de façon sensible le commerce entre Etats membres et qu'ils ont pour effet de restreindre le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun;
Attendu ainsi que la SARL Café Le Victor Hugo est fondée à opposer à la Brasserie Kronenbourg les dispositions de l'article 81.1 du traité instituant la Communauté européenne;
Attendu cependant que, le droit communautaire étant applicable, la Brasserie Kronenbourg est recevable à invoquer l'exemption par catégorie prévue par le règlement CE n° 2790-1999;
Attendu en effet que, comme cela est rappelé à l'article 2 dudit règlement, cette exemption s'applique dans la mesure où les accords contiennent des restrictions de concurrence tombant sous le coup de l'article 81.1 du traité;
Attendu qu'aux termes de l'article 3 du règlement, l'exemption s'applique à condition que la part du marché détenue par le fournisseur ne dépasse pas 30 % du marché pertinent sur lequel il vend les biens ou services contractuels;
Attendu effectivement que, lorsque la part que le fournisseur détient sur le marché pertinent ne dépasse pas 30 %, l'on peut présumer que les accords verticaux du type de celui en litige dans la présente affaire, et qui ne contiennent pas des restrictions dirimantes à la concurrence, ont généralement pour effet d'améliorer la production ou la distribution et de réserver aux consommateurs une partie équitable du profit qui en résulte;
Attendu que, comme relevé par le tribunal, rien ne permet en l'occurrence de retenir que la Brasserie Kronenbourg posséderait plus de 30 % du marché de la bière vendue en CHR;
Attendu en effet que le pourcentage de 37 % cité par la SARL Café Le Victor Hugo ne concerne pas la part de marché CHR, mais celle du marché " hors domicile ", beaucoup plus vaste et incluant non seulement les cafés/hôtels/restaurants, mais également la restauration en collectivité, en restauration rapide, en cantine et les ventes ambulantes (ainsi que cela résulte d'une décision n° 05-D-50 du Conseil de la Concurrence du 21 septembre 2005);
Attendu de même que la pièce annexe n° 1 (Etude XERFI) produite par la société appelante fait uniquement ressortir les parts de marché des groupes brassicoles en GMS (Grande et Moyenne surface) et en RHF (Restauration Hors Foyer ou " hors domicile ");
Attendu que, contrairement à ce que soutient la SARL Café Le Victor Hugo, rien ne permet de retenir que l'obligation d'approvisionnement exclusif qui était à sa charge portait sur " 100 % des besoins en bières du cafetier ", alors que par un avenant du 21 juillet 2000 la Brasserie Kronenbourg s'était mise en conformité avec le règlement 2790-1999 en limitant l'exclusivité d'approvisionnement à la bière en fût, faisant ainsi sortir du champ d'application de la convention les bières en bouteilles ; qu'en tout état de cause, l'appelante n'est pas fondée à vouloir lier le contrat d'approvisionnement en bières qu'elle avait signé avec la Brasserie Kronenbourg au contrat d'approvisionnement concernant les autres boissons qu'elle avait signé avec la société Delta Boissons, alors qu'elle admet elle-même que Kronenbourg ne disposait pas d'une participation majoritaire dans cette filiale;
Attendu que, pour s'opposer au jeu de l'exemption légale par catégorie, la SARL Café Le Victor Hugo fait encore valoir que la convention de fourniture avait été conclue avant l'entrée en vigueur du règlement 2790-1999 pour une durée de sept ans, durée qui n'est plus admise par le nouveau règlement, et que s'étant poursuivie postérieurement à la date d'entrée en vigueur, les contrats litigieux sont soumis aux dispositions transitoires de l'article 12 du règlement, précisant que l'exemption des contrats antérieurs des fournisseurs, dont la part de marché dépasse 30 %, avait pris fin le 31 décembre 2001 ;
Attendu cependant qu'en application de l'article 12 du règlement, tel qu'interprété par la Commission dans les Lignes Directrices sur les Restrictions Verticales n° 2000-C 291-01 en son paragraphe n° 70, ces accords pouvaient continuer à bénéficier des dispositions du règlement précédent jusqu'au 31 décembre 2001 ; que les accords conclus par des fournisseurs dont la part du marché ne dépasse pas 30 % et qui ont signé avec leurs acheteurs des accords de non-concurrence pour une durée de supérieure à cinq ans, sont couverts par le règlement d'exemption par catégorie si, au 1er janvier 2002, la durée de ces accords de non-concurrence qui reste à courir ne dépasse pas cinq ans;
Attendu en l'occurrence que, à la date du 1er janvier 2002, la durée de la convention de fourniture de bière restant à courir était inférieure à cinq ans;
Attendu en conséquence que la SA Brasseries Kronenbourg est fondée à se prévaloir de l'exemption par catégorie prévue par le règlement CE 2790-1999;
Attendu que, substituant partiellement ces motifs à ceux des premiers juges, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SARL Café Le Victor Hugo de sa demande d'annulation de la convention de fourniture de bière par application de l'article 81.1 du traité;
2) Sur les montants:
Attendu que le montant alloué au titre des dommages-intérêts contractuels n'est pas remis en cause;
Attendu qu'au soutien de son appel principal, la SARL Café Le Victor Hugo fait subsidiairement valoir que, si c'est à bon droit que les premiers juges ont fait application de l'article 1231 du Code civil pour réduire la clause de remboursement de l'investissement, ils auraient dû prendre en considération, le fait qu'il y avait eu surestimation de la quantité de bière pouvant être débitée et prendre pour base un nombre d'hectolitres de bières de 80 hl par an;
Attendu qu'au soutien de son appel incident, la Brasserie Kronenbourg fait au contraire valoir que l'engagement du débitant de boissons à restituer les fonds mis à disposition en contrepartie de l'exclusivité ne saurait s'analyser en une clause pénale susceptible d'être réduite;
Attendu cependant que cette clause présente effectivement un aspect pénal dans la mesure où elle tend non seulement à régler les conséquences de la résiliation du contrat, mais également, par l'aspect hautement dissuasif des effets d'une résiliation, à assurer l'exécution dudit contrat ; que tel est bien le cas en l'occurrence, les parties ayant prévu le remboursement entier de l'avantage financier concédé au départ, sans qu'il ne soit aucunement tenu compte de l'exécution partielle du contrat et par conséquent de l'amortissement de l'investissement de la Brasserie pendant cette période;
Attendu ainsi que, s'agissant d'une peine, c'est à bon droit et opportunément au regard des circonstances de l'espèce, que le tribunal a fait application de l'article 1231 du Code Civil, aux termes duquel " lorsque l'engagement a été exécuté en partie, la peine convenue peut, même d'office, être diminuée par le juge à proportion de l'intérêt que l'exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l'application de l'article 1152 ";
Attendu que, de son côté, la SARL Café Le Victor Hugo ne démontre en rien qu'il y aurait en surestimation manifeste des volumes à débiter, en particulier par référence à la période antérieure à la signature de la convention d'approvisionnement exclusif;
Attendu en conséquence qu'il convient de rejeter tant l'appel principal que l'appel incident, et de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions;
Attendu enfin qu'il serait inéquitable de laisser à la Brasserie Kronenbourg la charge de ses frais d'appel relevant de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à hauteur de la somme de 2 000 euro;
Par ces motifs, LA COUR, Constate que ni la régularité formelle ni la recevabilité de l'appel ne sont contestées; Au fond : Rejette tant l'appel principal que l'appel incident; Confirme en conséquence le jugement entrepris en toutes ses dispositions; Condamne la SARL Café Le Victor Hugo à payer à la SA Brasseries Kronenbourg une somme de 2 000 euro (deux mille euro) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; La condamne aux dépens d'appel.