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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 11 septembre 2006, n° 06-01166

REIMS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Armony (SARL)

Défendeur :

Prodim (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Chaubon

Conseillers :

Mme Simon Rossenthal, M. Alesandrini

Avoués :

SCP Genet-Braibant, SCP Delvincourt-Jacquemet-Caulier-Richard

Avocats :

SCP Bednarski-Charlet & Associés, Me Benoit

T. com. Reims, du 25 avr. 2006

25 avril 2006

La SAS Prodim a donné en location-gérance son fonds de commerce d'alimentation générale à la SARL Armony suivant acte sous-seing privé du 30 janvier 2003 pour une durée indéterminée à compter du 1er février 2003.

Se prévalant de son droit de résiliation dans les formes prévues au contrat, le loueur a par lettre recommandée du 20 janvier 2006, dénoncé le contrat de location-gérance tout en accordant à son cocontractant un préavis de trois mois.

Comme ce dernier ne faisant pas diligence malgré une mise en demeure, le loueur dûment autorisé, a saisi le président du Tribunal de commerce de Reims en référé.

Par ordonnance du 25 avril 2006, le juge des référés constatant la résiliation du contrat de location-gérance, a ordonné au preneur de libérer les lieux, désigne la SCP Haem, huissiers de justice pour procéder à l'état des lieux et l'inventaire, a autorisé la reprise des lieux avec le concours de la force publique et condamné le preneur aux dépens ainsi qu'au paiement de 1 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Autorisée à cette fin par ordonnance de Monsieur le Premier Président du 15 mai 2006, la SARL Armony, interjetant appel de l'ordonnance a procédé à jour fixe.

Elle conclut à l'infirmation de l'ordonnance, au débouté, subsidiairement à l'incompétence du juge des référés et au renvoi devant la juridiction arbitrale ainsi qu'à la contestation sérieuse exclusive du référé faute de dommage imminent ou de trouble manifestement illicite.

A titre reconventionnel elle sollicite pour prévenir un trouble illicite la poursuite du contrat sous astreinte de 10 000 euro jusqu'au terme du contrat de franchise soit au 1er février 2010 et la condamnation de l'intimée aux dépens avec faculté de recouvrement direct ainsi qu'à lui payer 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'appelante expose qu'elle a été constituée à la demande de la société Carrefour par Monsieur Vieillard qui en était l'exploitant direct comme salarié de la société afin de poursuivre en location-gérance et après signature notamment d'un contrat de franchise ; que Carrefour disposait de la minorité de blocage dans le capital de la société Armony, que cette dernière signait le 1er février 2003, notamment un nouveau contrat de franchise et d'approvisionnement pour une durée de sept ans et que le loueur tirant argument de l'intervention d'un consultant notifiait la rupture sans explication ni motif contractuel de rupture.

Elle ajoute qu'elle a saisi le Tribunal de commerce de Caen faute de réponse du loueur en dehors d'une assignation en référé, pour voir prononcer l'indissociabilité des contrats de franchise et de location-gérance pour la durée du contrat de franchise.

Elle observe que le loueur n'avait pas un intérêt né et actuel conformément aux dispositions de l'article 31 du nouveau Code de procédure civile au moment de la saisine du premier juge, que ce dernier n'était pas compétent eu égard à la clause compromissoire insérée au contrat de franchise ; que les deux contrats sont indissociablement liés en raison de l'identité des parties et la date des actes, de l'enseigne et de la localisation du fonds ainsi que de l'objet social de la société faisant référence à l'enseigne et partant sont liés pour une durée de sept ans, durée du contrat de franchise qui est le contrat principal et la condition essentielle et déterminante de la location-gérance.

Elle note que la résiliation entraînerait de plus la dissolution de la société Armony qui a pour seule activité l'exploitation du fonds à l'enseigne " Marché plus " ; que la résiliation présente un caractère abusif alors qu'elle intervient du jour au lendemain et alors que les parties mettaient en place un nouveau concept de magasin ; qu'il n'existe pas de trouble manifestement illicite ni de dommage imminent alors que le fonds est exploité et les loyers payés, un trouble potentiel ne pouvant motiver la mesure ordonnée qui entraîne un trouble manifestement illicite et un dommage grave et irréversible eu égard à l'interdiction de toute activité pour la société et son animateur ainsi que sa famille.

La SAS Prodim conclut pour sa part à la confirmation de l'ordonnance querellée, au débouté de l'appelante et à sa condamnation aux dépens avec faculté de recouvrement direct ainsi qu'au paiement de 7 500 euro par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle relève qu'elle n'a fait que se conformer aux clauses du contrat de location-gérance et qu'elle a usé de son droit de résiliation ; que le preneur n'a pas donné suite à deux lettres recommandées avec accusé de réception des 20 janvier et 16 mars 2006 et a fait intervenir un tiers non habilité, circonstances motivant la saisine du juge des référés.

Elle observe qu'elle a un intérêt légitime à agir dès lors qu'elle entend prévenir un dommage imminent alors que malgré deux mises en demeure elle ne peut récupérer son fonds, le dommage imminent s'étant transformé en trouble manifestement illicite que les différentes conventions ne sont nullement indivisibles d'autant qu'il s'agit du contrat de location-gérance qui ne comporte pas de clause compromissoire ni de terme et que le juge du fond a seul compétence pour statuer sur le point de savoir si les contrats sont indivisibles étant observé que l'indivisibilité ne naît pas de l'intérêt économique commun. Elle ajoute que le droit pour le locataire de disposer du fonds relève du seul contrat de location-gérance, contrat principal puisqu'il est indispensable à l'exploitation de la franchise, que la clause compromissoire est inapplicable et ne saurait faire obstacle à l'intervention du juge des référés suivant une jurisprudence constante, sachant que le tribunal arbitral n'est pas saisi.

Elle fait remarquer que le juge des référés n'a pas à se prononcer au fond, que l'exploitation dans un immeuble sans droit ni titre constitue un trouble manifestement illicite et que les éléments avancés ne sauraient constituer une réponse à la résiliation dont il n'appartient pas à la cour d'apprécier si elle est abusive, la cour ne pouvant pas plus ordonner une poursuite du contrat pour quelque motif que ce soit.

Sur ce, LA COUR,

Attendu que la convention de location-gérance liant les parties ne comporte pas de clause compromissoire ; qu'en tout état de cause le juge des référés étatique reste compétent aussi longtemps que le tribunal arbitral n'a pas été saisi;

Attendu que l'action menée par le loueur tend à la préservation d'un droit par une mesure conservatoire ou de remise en état et que les lettres et mises en demeure qu'il a adressées au preneur sont restées sans réponse, son action ne peut être qualifiée de prématurée au visa des dispositions de l'article 31 du nouveau Code de procédure civile;

Attendu qu'il est constant que le loueur fonde son action sur les dispositions de l'article 873 du nouveau Code de procédure civile qui permettent au juge des référés, même en présence d'une contestation sérieuse, de prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite;

Attendu qu'en l'espèce, le loueur dont le droit de résilier est contesté au motif d'une indivisibilité des conventions liant les parties qu'il n'appartient pas au juge des référés d'apprécier, argue d'un trouble illicite à sa propriété;

Attendu cependant que le loyer continuant à être acquitté et le fonds exploité, le trouble allégué n'apparaît pas avec évidence et que par ailleurs le juge du fond est déjà saisi de la question de l'indivisibilité des conventions et, partant, de la rupture du contrat de location-gérance;

Attendu que donner suite à sa demande comme l'ordonnait le premier juge ne constitue pas une simple mesure conservatoire ou de remise en état mais entraîne pour le preneur, de manière irréversible, des conséquences directes sur les droits qu'il entend défendre dans le cadre de la contestation pour le moins sérieuse dont le juge du fond est saisi;

Attendu qu'il échet donc en infirmant et sans qu'il y ait lieu d'examiner la demande reconventionnelle devenue sans objet, de débouter le loueur de ses prétentions;

Attendu que compte tenu de ce qui précède chaque partie supportera ses dépens de première instance et d'appel;

Attendu que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement et contradictoirement; Infirme l'ordonnance du juge des référés du Tribunal de commerce de Reims du 25 avril 2006 en toutes ses dispositions; Statuant à nouveau, Déboute la SAS Prodim de ses prétentions; Laisse à la charge de chaque partie ses dépens de première instance et d'appel; Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.