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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 25 octobre 2006, n° 05-06174

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Hasbro France (SA), Hasbro (SA)

Défendeur :

Cora (SAS), D'Arpèje (SA), SA.BI.NE Trend GmbH (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Carre-Pierrat

Conseillers :

Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland

Avoués :

Me Blin, SCP Fanet-Serra-Ghidini, SCP Grappotte-Benetreau

Avocats :

Mes Muyl, Neri, Verniau

T. com. Paris, du 18 févr. 2005

18 février 2005

Vu l'appel interjeté par la société Hasbro France et la société de droit suisse Hasbro du jugement rendu le 18 février 2005 par le Tribunal de commerce de Paris qui, après avoir rejeté les exceptions d'irrecevabilité soulevées par la société Cora, la société d'Arpèje et la société SA.BI.NE, les a déboutées de la totalité de leurs demandes et les a condamnées in solidum à payer, à titre de dommages-intérêts, pour procédure abusive, la somme de 20 000 euro à chacune des sociétés d'Arpèje et SA.BI.NE, de 10 000 euro à la société Cora, outre la somme de 10 000 euro à chacune d'elles sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens;

Vu les dernières écritures signifiées le 22 mai 2006 par lesquelles les sociétés Hasbro, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il a déclaré leur action recevable, demandent à la cour de:

- dire que la commercialisation en France des toupies "Megatop" et "Rrriptop" constitue un acte de concurrence déloyale,

- interdire aux sociétés Cora, d'Arpèje et SA.BI.NE Trend la commercialisation en France des jouets précités, sous astreinte de 150 euro par nouvelle infraction constatée,

- désigner un expert afin de recueillir tous les renseignements permettant de statuer sur leur préjudice,

- condamner in solidum les sociétés Cora, d'Arpèje et SA.BI.NE Trend à leur verser une provision sur dommages-intérêts de 30 000 euro,

- ordonner la publication de la décision à intervenir dans 4 journaux de leur choix, aux frais des sociétés intimées, sans que le coût de chaque insertion ne puise excéder 1 000 euro,

- condamner les sociétés Cora, d'Arpèje et SA.BI.NE Trend au paiement à chacune d'elles de la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens;

Vu les ultimes conclusions signifiées le 1er février 2006 aux termes desquelles la société d'Arpèje et la société SA.BI.NE Trend prient la cour de déclarer irrecevable l'action des sociétés Hasbro, de confirmer le jugement déféré et, formant appel incident, de condamner solidairement les sociétés Hasbro France et Hasbro Suisse à verser à chacune d'elles:

- la somme de 100 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens;

Vu les dernières écritures signifiées le 12 juin 2006 par lesquelles la société Cora demande à la cour de:

* à titre principal

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit la société suisse Hasbro recevable à agir et en conséquence déclarer son action irrecevable,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Hasbro France de ses demandes au titre de la concurrence déloyale,

* à titre subsidiaire

- débouter les sociétés Hasbro et Hasbro France de leurs demandes d'expertise, d'indemnisation provisoire et de publication,

- dire qu'il ne saurait exister de solidarité entre les condamnations éventuelles de la société Cora et des sociétés d'Arpèje et SA.BI.NE Trend,

- condamner la société d'Arpèje à la garantir de toutes condamnations,

* à titre reconventionnel

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré abusive l'action intentée par les sociétés Hasbro,

- condamner in solidum les sociétés Hasbro à lui verser la somme de 20 000 euro à titre de dommages-intérêts,

- condamner in solidum les sociétés Hasbro à lui verser la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens;

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que la société Hasbro France commercialise sur le territoire français, depuis avril 2002, des toupies de combat dénommées "Beyblade", inspirées d'une série télévisée japonaise;

Qu'estimant que les toupies commercialisées sous les dénominations "Megatop" et "Rrriptop", importées et distribuées en France par la société de droit allemand SA.BI.NE Trend et la société d'Arpèje, les premières étant vendues dans les hypermarchés à l'enseigne Cora, reprenaient l'ensemble des éléments caractéristiques des toupies "Beyblade", la société Hasbro France et la société de droit suisse Hasbro, se prévalant de la qualité de commissionnaire à la vente, ont assigné les deux premières et la société Cora en concurrence déloyale et en paiement de dommages-intérêts;

- Sur la recevabilité de l'action en concurrence déloyale

Considérant que les sociétés d'Arpèje et SA.BI.NE Trend soulèvent l'irrecevabilité à agir des sociétés Hasbro faisant valoir que l'action en concurrence déloyale suppose nécessairement l'engagement et le succès préalable d'une action en contrefaçon des modèles de toupies et de leurs emballages qu'elles commercialisent;

Que la société Cora conteste la qualité à agir de la société de droit suisse Hasbro au motif qu'elle ne commercialise pas les toupies "Beyblade" en France;

Mais considérant que l'action en concurrence déloyale peut être intentée par celui qui ne peut se prévaloir d'un droit privatif;

Considérant que la société Hasbro France, quoique n'invoquant aucun droit privatif de propriété intellectuelle sur les toupies dénommées "Beyblade", est bien recevable à agir en concurrence déloyale, indépendamment d'une action en contrefaçon;

Considérant que pour justifier son intérêt à agir, la société de droit suisse Hasbro se prévaut d'un contrat de commissionnaire à la vente la liant à la société Hasbro France et produit une attestation du commissaire aux comptes de cette dernière qui indique que la commercialisation de contrefaçons ou de copies déloyales de produits Hasbro se traduit nécessairement par un manque à gagner pour les deux sociétés;

Mais considérant qu'alors qu'il n'est pas contesté que la société Hasbro SA (Suisse) ne commercialise pas les toupies "Beyblade" sur le territoire français, en l'absence de production aux débats du contrat de commissionnaire invoqué, cette attestation ne permet pas d'apprécier la teneur précise de la relation commerciale liant les deux sociétés et l'existence d'un lien de causalité entre les fautes reprochées aux intimées et le préjudice allégué;

Qu'il s'ensuit que l'action en concurrence déloyale engagée par la société Hasbro SA doit être déclarée irrecevable;

- Sur l'action en concurrence déloyale intentée par la société Hasbro France

Considérant que la société Hasbro France reproche aux sociétés d'Arpèje, SA.BI.NE Trend et Cora d'avoir volontairement entretenu la confusion dans la conception et la commercialisation des toupies "Megatop" et "Rrriptop" par la reprise d'un ensemble d'éléments caractéristiques des toupies "Beyblade":

- le nombre et la forme des pièces,

- le caractère interchangeable de ces pièces,

- le lanceur "De Luxe",

- la commercialisation des toupies dans une gamme de plusieurs modèles,

- l'emballage de taille et de couleurs similaires

- la représentation sur l'emballage d'un personnage de Manga, ressemblant aux héros de la série TV "Beyblade";

Considérant que le principe de la liberté du commerce et de l'industrie implique que la prestation d'autrui, qui n'est plus ou n'est pas protégé par des droits de propriété intellectuelle, peut être librement reproduite, à la condition qu'une telle reprise soit exempte de tout risque de confusion dans l'esprit du consommateur sur l'origine du produit; que le fait qu'une telle reprise procure nécessairement à celui qui la pratique des économies ne saurait être à lui seul fautif sauf à vider de sa substance ce principe;

Considérant qu'il convient de relever, à titre liminaire, que ces jeux sont destinés à un public de jeunes enfants, particulièrement sensibles à l'environnement des produits quand ils se rattachent à un dessin animé, ce qui est le cas pour les toupies "Beyblade";

Considérant, sur la forme des toupies, que la société SA.BI.NE tient ses droits sur le produit de la société Tailim, titulaire d'une licence sur un brevet déposé en Corée, le 3 novembre 1999, sous le nom de Kim Jim Soo; que la société Hasbro indique que les toupies "Beyblade" ont été conçues au Japon, où un brevet a été déposé, le 17 mars 1999 par la société Takara ;

Mais considérant que si, comme le relève justement la société Hasbro, les toupies en présence destinées à être montées par les enfants, sont composées de cinq pièces modulables, ces éléments constitutifs répondent aux caractéristiques revendiquées par les deux brevets, dont l'examen des figures montre qu'il s'agit d'objets de forme similaire ; que si le brevet japonais Takara est antérieur au brevet coréen Soo, aucune action en nullité de brevet et en contrefaçon n'a été intentée sur le fondement du premier; que les ressemblances tenant à l'assemblage des différentes pièces et au choix de l'emplacement destiné à la pose d'un autocollant ne révèlent donc pas en soi un comportement fautif, la combinaison des différents éléments résultant tant de la mise en œuvre des impératifs techniques énoncés dans les brevets que de la destination des produits ; que si les pièces des toupies "Megatop" et "Rrriptop" sont interchangeables, elles ne peuvent être combinées avec celles des toupies "Beyblade" de sorte que ce grief n'est pas fondé, étant relevé au surplus qu'il ne constitue pas en soi un acte répréhensible;

Considérant qu'il résulte de l'examen comparatif des deux lanceurs en cause, auquel la cour s'est livrée, que ceux-ci présentent un aspect distinct, dans la prise en main et la position d'utilisation du lanceur, seule leur forme allongée étant proche, de sorte que l'enfant utilisateur, qui en connaît le fonctionnement, ne saurait les confondre ; que la société Hasbro reproche en vain aux intimées, d'avoir fait usage du qualificatif "De Luxe"; que cette mention, présente sur nombre de produits pour souligner leur qualité supérieure, comme justifié par les pièces produites aux débats, ne peut induire un risque de confusion ;

Considérant que le fait que les toupies incriminées soient commercialisées dans une gamme de plusieurs modèles différant par la forme des disques, ce qui est également le cas des toupies "Beyblade", n'est pas davantage de nature à créer un risque de confusion, la société Hasbro ne démontrant, ni même n'alléguant qu'il existerait des ressemblances entre les différents modèles de la gamme;

Considérant, s'agissant des emballages, que si leur format est proche et qu'ils comportent une languette sur la partie supérieure, cette structure est très couramment utilisée sur les packagings de produits destinés à être suspendus sur des présentoirs; que par ailleurs, les deux conditionnements en cause, par le choix des couleurs dominantes, bleu pour les toupies "Beyblade", vert et rouge pour les modèles litigieux, ne suscitent pas la même impression visuelle d'ensemble, pour le public particulièrement attentif à la représentation graphique que sont les jeunes enfants ; qu'en outre, familiers du dessin animé "Beyblade", ils ne sauraient confondre le personnage reproduit sur les emballages "Megatop" ou "Rrriptop" avec le héros de ce dessin animé, présent sur le conditionnement des toupies "Beyblade", même s'ils sont tous inspirés de l'univers des mangas, comme nombre de jeux de toupies versés aux débats;

Qu'il s'ensuit que l'utilisation de ces éléments n'est pas constitutif d'un comportement déloyal de sorte que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a débouté la société Hasbro de ses demandes au titre de la concurrence déloyale;

- Sur la publicité mensongère

Considérant que la société Hasbro France fait grief aux sociétés intimées d'avoir mentionné sur le côté face des emballages qu'il s'agissait d'un produit original ; qu'elle soutient que ce terme revêt un caractère trompeur dès lors que ce produit est faussement présenté comme le produit original qu'elle fabrique;

Mais considérant que les sociétés d'Arpèje et SA.BI.NE répliquent pertinemment que les toupies incriminées sont conformes au brevet déposé en Corée par Kim Jim Soo de sorte que pouvant se prévaloir d'un produit qui répond aux caractéristiques techniques revendiquées dans ce titre, la mention "Original" ne constitue pas une publicité trompeuse, au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation, de nature à induire en erreur sur la nature, la composition, les qualités substantielles, ou l'origine du produit, au regard des autres indications portées sur l'emballage, notamment les dénominations "Megatop" et "Rrriptop";

Que le jugement doit également être confirmé en ce qu'il a rejeté ce grief;

- Sur le non-respect de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 dite loi Toubon

Considérant que la société Hasbro reproche aux intimées d'avoir commercialisé les toupies "Megatop" accompagnées d'un mode d'emploi rédigé exclusivement en allemand, en violation des dispositions de la loi du 4 août 1994;

Considérant qu'il n'est pas contesté que les produits litigieux, importés d'Allemagne, relèvent du commerce intracommunautaire;

Considérant que la mesure d'effet équivalent à des restrictions quantitatives à l'importation qui pourrait résulter de la législation française prescrivant l'emploi de la langue française dans des modes d'utilisation des produits est justifiée, conformément à l'article 36, devenu 30 du traité de Rome, par la protection des consommateurs sur le territoire national;

Considérant que les précautions d'utilisation et de sécurité relatives à vitesse des toupies et à la nécessité de supervision des adultes ont été traduites ; que si les instructions de montage sont rédigées en langue allemande, elles sont accompagnées de schémas explicites de sorte que l'impératif de protection du consommateur justifiant l'application de la loi précitée est ainsi respecté;

Que ce grief doit donc être rejeté;

Considérant qu'il s'ensuit que la société Hasbro France sera déboutée de l'ensemble de ses demandes;

- Sur les autres demandes

Considérant que les sociétés Hasbro ont pu de bonne foi se méprendre sur la portée de leurs droits de sorte que les sociétés d'Arpèje, SA.BI.NE Trend et Cora doivent être déboutées de leurs demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive;

Considérant, en revanche, que les sociétés d'Arpèje, SA.BI.NE et Cora doivent bénéficier des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la somme complémentaire de 10 000 euro devant être allouée à chacune d'elles;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a déclaré la société de droit suisse Hasbro recevable à agir en concurrence déloyale et alloué des dommages-intérêts pour procédure abusive aux sociétés d'Arpèje, SA.BI.NE Trend et Cora, Le réformant sur ce point et statuant à nouveau, Déclare la société de droit suisse Hasbro irrecevable à agir en concurrence déloyale, Déboute les sociétés d'Arpèje, SA.BI.NE Trend et Cora de leurs demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive, Y ajoutant, Condamne in solidum la société Hasbro France et la société de droit suisse Hasbro à payer aux sociétés d'Arpèje, SA.BI.NE Trend et Cora chacune la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne in solidum la société Hasbro France et la société de droit suisse Hasbro aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.