Conseil Conc., 26 septembre 2007, n° 07-D-29
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre de marchés publics d'installation électrique lancés par l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport de Mme Mauléon-Wells, le rapport oral de Mme Théry-Schultz, par Mme Aubert, vice-présidente, présidant la séance, Mmes Behar-Touchais, Mader-Saussaye, ainsi que MM. Flichy, Piot, Ripotot, membres.
Le Conseil de la concurrence (section IV),
Vu la lettre enregistrée le 26 novembre 2004, sous le numéro 04/0092 F, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre lors de la passation de marchés de travaux publics d'installation électrique par l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu les observations présentées par les sociétés SNEF et SN STEIF, et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés SNEF et STEIF entendus lors de la séance du 10 juillet 2007, le représentant de la société SVEE assistant à la séance ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LE SECTEUR CONCERNE
1. Les pratiques dénoncées sont liées aux travaux d'installation et de maintenance du réseau électrique du château de Versailles, de ses dépendances et du domaine environnant. Ce type de travaux intervient dans le cadre de la réhabilitation de logements et la restauration de monuments ou de locaux de prestige. Ils ont pour particularité d'imposer d'importantes contraintes techniques tels les délais réduits d'exécution des travaux, la limitation d'accès au site, la présence du public sur celui-ci et la vétusté des installations. La connaissance des lieux par les équipes de travail est un avantage. Au domaine national de Versailles, des travaux de cet ordre font l'objet de marchés publics passés par l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles (ci-après : " EPV "), chargé depuis 1995 de la gestion du domaine.
2. L'offre de travaux d'installation électrique en Île-de-France est caractérisée par la coexistence de petites entreprises et de filiales appartenant à des groupes tels INEO ou SNEF (société nouvelle électric flux). Ces dernières réalisent les chiffres d'affaires du secteur les plus importants. Au nombre des petites entreprises, on compte la Société versaillaise d'entreprises électriques (SVEE) qui soumissionne régulièrement aux différents marchés de l'EPV.
3. Trois marchés de travaux de l'EPV ont été examinés dans le cadre de l'enquête administrative ayant motivé la saisine du Conseil : le marché d'installation électrique de l'académie du spectacle équestre de la grande écurie du château de Versailles (dit " Bartabas "), un marché de maintenance, qui concerne les interventions préventives et de vérification des installations électriques, et un marché des mises en sécurité ponctuelles sur les réseaux courants forts (électromécanique, régulation thermique, construction électrique, câblage...) et courants faibles (organisation et pilotage d'une installation électrique).
B. LES ENTREPRISES CONCERNEES
1. LE GROUPE SOCIETE NOUVELLE ELECTRIC FLUX (SNEF)
4. La SNEF est une société anonyme immatriculée au RCS de Marseille en 1956. Il s'agit d'une entreprise spécialisée dans les travaux d'électricité courants forts et faibles, employant 3 600 personnes environ. La société couvre par des agences l'ensemble du territoire national et possède plus de quarante filiales en France et à l'étranger. Elle a réalisé un chiffre d'affaires consolidé mondial de 441 millions d'euro en 2001, 449 millions en 2002, et 501 millions en 2003. M. X... était alors responsable de la société sur le site de Versailles et M. Y... directeur de l'agence de Saint-Denis dont il dépendait. Société mère du groupe, la SNEF a acquis au début de l'année 2002 les actifs de la société STEIF soumise à une procédure de redressement judiciaire.
2. LA SOCIETE DE TRAVAUX ELECTRIQUES INDUSTRIELLE FRANÇAISE (STEIF SA)
5. La STEIF est une société anonyme immatriculée au RCS de Nanterre en 1982 bien connue de l'EPV avec lequel elle avait passé un contrat d'entretien et de maintenance électrique. Par jugement du 17 janvier 2002, la cession totale de ses actifs a été ordonnée au bénéfice de la SNEF.
3. LA SOCIETE NOUVELLE DE TRAVAUX ELECTRIQUES INDUSTRIELLE FRANÇAISE (SN STEIF)
6. Les actifs de la STEIF repris par la SNEF en exécution du plan de cession mentionné ci-dessus ont été inclus dans une filiale créée à cet effet, la SN STEIF, immatriculée au RCS de Nanterre en mars 2002. M. Jacky Z..., ancien président de la STEIF, a présidé la SN STEIF jusqu'en 2004, année au cours de laquelle il a été remplacé par M. A.... L'activité de cette filiale est supervisée par M. Y....
4. LA SOCIETE VERSAILLAISE D'ENTREPRISES ELECTRIQUES (SVEE)
7. La SVEE est une société anonyme immatriculée au RCS de Versailles en 1968. Son effectif est de l'ordre d'une quinzaine de personnes. Son chiffre d'affaires est de 1 million d'euro en 2001, 1,2 million en 2002, et 1,1 million en 2003. M. B... est président du conseil d'administration et directeur général.
C. LES PRATIQUES RELEVEES
1. LES PRATIQUES RELEVEES A L'OCCASION DU MARCHE D'AMENAGEMENT DE L'ACADEMIE DU SPECTACLE EQUESTRE DE LA GRANDE ECURIE DU CHATEAU DE VERSAILLES, DIT " BARTABAS "
8. Un appel d'offres a été lancé le 21 février 2002 visant la création, dans la Grande écurie du château de Versailles, d'une académie du spectacle équestre. Les travaux à réaliser comprenaient notamment la remise en état des locaux ainsi que leur transformation pour les spectacles équestres. Les travaux d'aménagement ont été divisés en huit lots. Seul le lot n° 7, intitulé "électricité courants forts et faibles" et considéré au même titre que les sept autres lots comme un marché indépendant, a fait l'objet de l'enquête et de la saisine. Les travaux de l'ensemble des lots, toutes tranches confondues, devaient être réalisés au plus tard le 15 décembre 2002.
9. Le lot n° 7 comprenait l'ensemble des installations électriques. Ce lot prévoyait une tranche ferme, deux tranches conditionnelles et certaines prestations que l'EPV pouvait choisir d'exécuter ou non en fonction du résultat de l'appel d'offres. Ces dernières prestations avaient été divisées en douze options qui devaient être chiffrées par les soumissionnaires. Le montant global du marché a été estimé par la société Alternet, maître d'œuvre, à 228 670 euro HT.
10. Le marché Bartabas a suivi la procédure d'appel d'offres restreint. Neuf entreprises sur les vingt-quatre sélectionnées ont remis une offre à la date limite de dépôt le 29 mai 2002, dont la SVEE et la SNEF. La commission d'ouverture des plis s'est réunie le 30 mai 2002. Le marché a été attribué à la société Verger Delporte Île-de-France Ouest (VD IDFO), moins-disante avec une offre d'un montant de 334 352 euro HT. Les offres des sociétés SVEE et SNEF étaient identiques et ont, en conséquence, été rejetées.
a) L'identité des offres de la SNEF et de la SVEE
11. Durant l'enquête administrative, ni la SNEF, ni la SVEE n'ont été en mesure de répondre à la demande des agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation, et de la répression des fraudes (ci-après : la " DGCCRF ") de leur fournir leur dossier concernant le marché " Bartabas ". Les deux entreprises ont affirmé qu'elles ne conservaient pas les dossiers des marchés pour lesquels leur offre a été rejetée. Les enquêteurs ont toutefois obtenu les actes d'engagement et la décomposition du prix global forfaitaire (DPGF) auprès du maître d'ouvrage.
12. L'examen de ces documents (daté du 28 mai pour la SNEF et du 29 mai pour la SVEE) permet d'observer que les montants indiqués, et notamment ceux inscrits dans les vingt-huit postes du récapitulatif des DPGF, sont effectivement identiques.
13. Interrogé sur l'identité des offres, le dirigeant de la SVEE, M. B..., a reconnu le 24 mai 2004 : " j'ai pu embarquer par inadvertance la DPGF établie par la société SNEF à l'occasion de l'une de [ses] visites sur leur site au château de Versailles. La prise de ce document a pu se produire à un moment quelconque dans les locaux de la SNEF sur le site du château de Versailles. On se sert de leurs locaux pour des rendez-vous de chantiers, par exemple. (...) Compte tenu de ce que la SNEF a remis l'ensemble des documents de prix (le récapitulatif et le détail de la DPGF), le récapitulatif remis ne peut avoir été établi que sur la base de leurs documents. "
14. Au cours d'une audition plus récente du 9 février 2006, deux représentants de la SNEF, informés des conclusions du rapport administratif d'enquête concernant la similitude des offres et invités à formuler tout commentaire complémentaire, ont déclaré : " Nos offres avant d'être remises transitent par notre bureau par fax, par mail et ce bureau de chantier est ouvert à tout vent. Il y a effectivement eu copie. Je n'ai pas d'autre explication concernant la communication de l'information relative à ce marché. " Cette copie serait due à " une erreur commise par [le] personnel, qui ne correspondrait pas à des malversations. Une erreur qui ne serait pas commise dans le but d'enfreindre les règles du Code des marchés public. Nous avons soumis une offre pour gagner l'appel d'offre. Nous aurions interdit ce genre de pratiques."
b) Les occasions d'échange d'informations
15. Le rapport d'enquête met en évidence l'existence de contacts étroits entre les sociétés intéressées aux marchés de l'EPV, ce qui permet de conclure à l'existence de multiples occasions pour ces entreprises d'échanger des informations sur leur activité. Il est ainsi relevé que l'EPV n'ayant pas attribué de local à la SVEE dans le cadre de l'exécution d'un contrat de travaux conclu en 1999, cette société a effectivement utilisé les locaux alloués en 2001 à la SNEF pour des réunions de chantier communes, ou pour régler certains problèmes techniques liés à l'exécution des marchés respectifs des sociétés.
2. LES PRATIQUES RELEVEES A L'OCCASION DES MARCHES DE MAINTENANCE ET DE MISE EN SECURITE DES INSTALLATIONS ELECTRIQUES DES BATIMENTS DE L'EPV
a) Le marché de maintenance des installations électriques
16. Un appel d'offres restreint a été lancé le 18 février 2002 afin de remédier provisoirement aux problèmes liés à la vétusté des installations électriques des bâtiments gérés par l'EPV. Ce marché, d'une durée maximale de trois ans, avait pour but de maintenir en état les dispositifs existants afin d'éviter tout risque de sinistre. L'estimation de son montant se situait entre 285 943 euro HT et 428 914 euro HT.
17. Vingt-deux entreprises ont remis une candidature avant la date limite, fixée le 2 avril 2002, parmi lesquelles la SN STEIF, en groupement avec la SECMA, et la SNEF. L'analyse des candidatures pour cet appel d'offres s'articule en deux temps, le premier permettant d'évaluer la situation économique et financière de chaque candidat et le second leurs capacités techniques. La candidature du groupement STEIF-SECMA a été écartée pour défaut de production d'une pièce administrative.
18. Quatre entreprises sur les huit sélectionnées ont présenté des offres dans les délais (avant le 19 juin 2002). Le marché a été attribué à la SNEF, dont l'offre, la plus avantageuse économiquement, correspondait au montant minimal estimé (285 943 euro HT).
b) Le marché des mises en sécurité ponctuelles des réseaux électriques
19. Le marché des mises en sécurité ponctuelles des réseaux a été lancé le 20 décembre 2002, également selon la procédure des appels d'offres restreints. Il était destiné à assurer la mise en sécurité des installations électriques basse tension (éclairage des salons et des grands appartements des bâtiments), ainsi que de la détection d'incendies et la mise en place de systèmes d'alarme. Le montant de ce marché d'une durée prévisionnelle de 10 mois était estimé à 361 000 euro HT.
20. Dix des seize entreprises qui ont déposé leur candidature avant la date limite, le 21 janvier 2003, ont été admises à concourir, parmi lesquelles les sociétés SNEF et SN STEIF. Les critères de sélection des candidats étaient les mêmes que ceux suivis pour le marché de maintenance des installations.
21. La SN STEIF n'a finalement pas remis d'offre, et cinq entreprises en ont présenté une avant la date limite de réception, fixée au 26 août 2003. La SNEF a été attributaire du marché, son offre étant la moins-disante, avec un montant inférieur à l'estimation du maître d'ouvrage (343 917 euro HT).
c) Les candidatures de la SNEF et de la SN STEIF concernant ces deux marchés
22. Dans un procès-verbal dressé le 19 mars 2004 par les enquêteurs de la DGCCRF, le directeur de l'agence SNEF de Saint-Denis, M. Y..., a déclaré : " Lors du renouvellement du contrat d'entretien, les deux sociétés SNEF et STEIF SN ont présenté une candidature. Devant le risque de voir la candidature de la société STEIF SN écartée, la société SNEF s'est également présentée. La candidature de la société STEIF a effectivement été rejetée. C'est notre société qui a obtenu le marché d'entretien du Château (...). Ce n'est que depuis le rachat de STEIF que nous nous intéressons aux appels d'offres lancés par l'établissement public du château de Versailles. Comme pour le marché d'entretien, nous avons déposé deux candidatures pour celui de la mise en sécurité ponctuelle sur les réseaux courants faibles et forts, courant 2003 (risque d'élimination de la candidature de STEIF). C'est la société STEIF SN qui a élaboré la proposition financière pour ce marché. Si STEIF SN avait été retenue après les candidatures, SNEF n'aurait pas fait d'offre. Finalement, c'est ma société qui a été attributaire du marché avec la proposition calculée par STEIF. " Il résulte de cette déclaration que la société mère SNEF et sa filiale SN STEIF ont déposé chacune une candidature alors qu'il était prévu qu'une seule offre serait remise.
23. M. Y... s'en est expliqué en mettant en avant les incertitudes relatives à la situation de la SN STEIF : " Comme STEIF SN était en constitution, elle ne possédait pas tous les documents requis. Nous avons déposé notre candidature au cas où STEIF serait éliminée." (audition du 9 février 2006).
3. LES PRATIQUES ANTERIEUREMENT COMMISES PAR LA SNEF
24. La SNEF a déjà été sanctionnée par le Conseil de la concurrence pour entente anticoncurrentielle dans le cadre d'un marché public (décision n° 03-D-10 du 20 février 2003). Dans cette affaire, trois entreprises candidates à l'exécution du marché, les entreprises Guigues, SNEF et Cochery Bourdin Chausse, ont échangé des informations sur le montant de leurs offres préalablement à leur transmission au port autonome de Marseille. Cette concertation a été reconnue par les sociétés SNEF et Guigues.
25. Ces sociétés ont invoqué le bénéfice des dispositions figurant actuellement au III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, en renonçant à contester les griefs qui leur avaient été notifiés. Il s'agissait de la première application par le Conseil de la procédure, dite de " transaction ". Elles ont souscrit les engagements suivants par deux procès-verbaux signés le 27 juin 2002 :
" 1. ne procéder à aucune concertation anticoncurrentielle avec [leurs] concurrents dans le cadre d'appel d'offres publics ou privés ;
2. rappel[er] systématiquement les termes et l'importance de cet engagement à tous les responsables et à tous [les] salariés qui seraient susceptibles de se trouver en contact avec [leurs] concurrents, cette information pouvant être faite notamment par note écrite à l'ensemble du personnel, par des séances de formation et par le rappel que la participation à une pratique anticoncurrentielle constitue une faute grave susceptible d'entraîner le licenciement de son auteur ;
3. lorsqu'elle[s] répond[ent] à un appel à la concurrence à fournir, avec [leur] offre, systématiquement, la liste des entreprises avec lesquelles [elles ont] pu être en contact, notamment dans le cadre d'un projet de groupement ou dans le cadre d'un projet de sous-traitance allant au-delà d'un premier contact sur la possibilité d'un tel projet. "
26. Dans un courrier du 14 janvier 2003 adressé à la présidente du Conseil, la SNEF a précisé la mise en œuvre des engagements auprès des salariés : au-delà des instructions, les délégations de pouvoir, envoyées aux cadres et devant être signées par eux, rappelaient les termes des engagements souscrits.
27. Le Conseil de la concurrence a alors décidé de réduire le montant de la sanction imposée à la SNEF de 50 %, le faisant passer de 2 123 000 euro à 1 061 500 euro.
D. LES GRIEFS NOTIFIES
28. Sur la base des constatations exposées ci-dessus, les griefs suivants ont été notifiés :
1. " Il est fait grief aux sociétés SNEF et SVEE d'avoir, lors de l'appel d'offres ouvert le 21 février 2002 par l'EPV, concernant le marché "d'installation électrique de l'académie du spectacle équestre de la Grande écurie de Versailles" (Bartabas), échangé des informations sur le contenu et les prix de leurs offres préalablement au dépôt des offres. Cette entente avait pour objet de fausser le jeu de la concurrence entre les soumissionnaires et tendait à tromper le maître d'ouvrage sur la réalité de la concurrence. Ces pratiques sont prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce. "
2. " Il est fait grief aux sociétés SNEF et SN STEIF d'avoir, lors de l'appel d'offres ouvert par l'EPV le 18 février 2002, concernant le marché de "maintenance des installations électriques" et lors de l'appel d'offres ouvert par l'EPV le 20 décembre 2002, concernant le marché de "mises en sécurité ponctuelles sur les réseaux courants forts et courants faibles", mis en œuvre une stratégie destinée à tromper le maître d'ouvrage sur la réalité de la concurrence consistant en une concertation anticoncurrentielle préalable au dépôt des offres. Cette entente avait pour objet et a pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence entre les soumissionnaires et tendait à tromper le maître d'ouvrage sur la réalité de la concurrence au stade de la sélection préalable des candidats à l'appel d'offres et de permettre l'attribution de ces marchés au profit de SNEF. Ces pratiques sont prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce. De plus, s'agissant des faits relatifs au marché de "mises en sécurité ponctuelles sur les réseaux courants forts et courants faibles", elles constituent une réitération telle que visée à l'article L. 464-2, I, troisième alinéa du Code de commerce. "
II. Discussion
A. SUR LE CARACTERE INCOMPLET DU DOSSIER
1. LES PIECES RELATIVES A L'ORIGINE DE L'ENQUETE
a) Les pièces ne figurant pas au dossier
29. Les sociétés SNEF et SN STEIF font valoir qu'un certain nombre de pièces à l'origine de l'enquête ne figurent pas au dossier :
- le courrier de M. C..., directeur des parcs et bâtiments de l'EPV, appelant l'attention de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes des Yvelines (ci-après : la " DDCCRF ") sur le comportement des sociétés SVEE et SNEF à l'occasion de la procédure d'appel d'offres pour le marché " Bartabas " (courrier du 16 octobre 2002) ;
- la demande de la DDCCRF à l'EPV de lui adresser certains documents relatifs à l'appel d'offres, à laquelle il a répondu par courrier du 31 décembre 2002 ;
- la note de l'administration centrale de la DGCCRF prescrivant à la direction départementale la réalisation d'une enquête (note du 7 janvier 2004).
30. Il est notamment allégué que l'absence de ces documents prive le Conseil des moyens nécessaires à la vérification de la régularité de l'enquête. Cette vérification apparaît, selon la SNEF et la SN STEIF, d'autant plus nécessaire que des investigations ont eu lieu antérieurement à la note de l'administration centrale prescrivant la réalisation de l'enquête, ce qui rendrait incertain le " cadre légal " dans lequel les documents ont été recueillis. En outre, le courrier du directeur des parcs et bâtiments de l'EPV serait assimilable à une " plainte ", et l'impossibilité d'en connaître le contenu serait contraire au respect des droits de la défense.
31. Toutefois, la compétence des agents de la DGCCRF pour procéder à des investigations en matière de recherche des pratiques anticoncurrentielles n'est pas soumise à une autorisation spéciale de l'administration centrale. Un arrêté du 22 janvier 1993, publié au Journal officiel n° 23 du 28 janvier 1993, relatif à l'habilitation des fonctionnaires pouvant procéder aux enquêtes nécessaires à l'application du livre IV du Code de commerce, habilite en effet de manière générale les fonctionnaires de catégories A et B, placés sous l'autorité du directeur général de la concurrence, de la consommation, et de la répression des fraudes, à procéder aux enquêtes dans les conditions prévues au titre V dudit livre.
32. L'administration dispose par ailleurs du pouvoir discrétionnaire d'engager une procédure d'enquête et n'a nulle obligation de produire des notes internes justifiant sa décision. Comme l'a déjà relevé le Conseil : " aucune disposition législative ou réglementaire n'impose à l'administration compétente de justifier les raisons pour lesquelles elle a, de sa propre initiative, décidé de procéder à une enquête (...) en produisant des notes internes éventuellement échangées entre ses services extérieurs et sa direction générale préalablement au déclenchement de cette enquête " (décision n° 94-D-19 du 15 mars 1994, confirmée par un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 16 décembre 1994, le pourvoi contre cet arrêt ayant été rejeté par arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 4 février 1997, pourvoi n° 95-10486).
33. Le courrier du directeur des parcs et bâtiments de l'EPV ne constitue pas une saisine du Conseil sur laquelle il serait amené à statuer et qui devrait figurer au dossier. Le saisissant en l'occurrence est le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie. L'EPV n'est pas partie à la procédure, il n'a fait que signaler à l'administration des comportements qui paraissaient anticoncurrentiels, avant d'apporter des informations dans le cadre de l'enquête menée par la DDCCRF. Parmi les éléments apportés par l'EPV dans le cadre de cette affaire, ceux sur lesquels s'est fondée la rapporteure pour établir des griefs ont pu être consultés par les parties en cause. Aucune atteinte au principe du contradictoire n'est donc établie.
b) Les pièces dépourvues d'un courrier de communication ou d'un procès-verbal
34. La SNEF et la SN STEIF soutiennent par ailleurs que certaines pièces relatives aux marchés passés par l'EPV, annexées au dossier, mais dépourvues d'un courrier de communication ou d'un procès-verbal, doivent être écartées. Les sociétés invoquent à cet égard l'appréciation faite par le Conseil dans sa décision n° 05-D-32 du 22 juin 2005, Royal Canin, selon laquelle il résulte " des dispositions combinées des articles L. 450-2 et L. 450-3 du Code du commerce que toutes les opérations effectuées par les enquêteurs en application de l'article L. 450-3 doivent être constatées par procès-verbal (...) afin de permettre de contrôler que les enquêteurs n'ont pas excédé les limites de l'article L. 450-3 susvisé ". Dans cette affaire, le Conseil a considéré qu'il y avait lieu d'écarter du dossier l'état de stock d'une société qui n'était pas accompagné d'un procès-verbal de communication et dont l'origine et la communication régulière aux enquêteurs n'étaient, en conséquence, pas établies.
35. En l'espèce, la provenance des pièces en cause est connue. Ces pièces se rapportent toutes aux trois marchés concernés par le présent dossier et proviennent de l'établissement public de Versailles, les entreprises concernées n'ayant pas été en mesure d'en fournir aux enquêteurs. Par ailleurs, la nature même des documents produits permet d'en connaître l'origine et la portée. Les pièces ont, de plus, été fournies par la personne ayant subi les pratiques anticoncurrentielles dénoncées de sorte que l'allégation selon laquelle les enquêteurs pourraient avoir excédé les pouvoirs qu'ils détiennent en vertu de l'article L. 450-3 du Code de commerce en matière de communication des renseignements par les entreprises mises en cause dans l'enquête est dépourvue de pertinence.
36. En tout état de cause, les pièces ont été obtenues en vertu de l'article L. 450-7 du Code de commerce, selon lequel " les enquêteurs peuvent, sans se voir opposer le secret professionnel, accéder à tout document ou élément d'information détenu par les services et établissements de l'État et des autres collectivités publiques. " Il n'est pas prévu par le texte que cet accès doive répondre à une forme particulière, ainsi que l'a constaté la Cour de cassation : " l'article 51 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, aux termes duquel les enquêteurs peuvent, sans se voir opposer le secret professionnel, accéder à tout document ou élément d'information détenu par les services et établissements de l'État et des autres collectivités publiques, ne subordonne pas l'exercice de ce droit par les enquêteurs à une forme particulière, pas plus qu'il n'interdit aux services concernés de leur communiquer spontanément tous documents susceptibles d'intéresser leur mission " (arrêt de la chambre commerciale du 26 janvier 1999, pourvoi n° 97-30113). Le Conseil a indiqué dans le même sens que des documents administratifs peuvent être considérés comme figurant de façon licite dans un dossier d'enquête sans que leur réception fasse l'objet d'un procès-verbal, lorsqu'ils sont fournis par les services et établissements de l'État et des autres collectivités publiques (décision n° 00-D-59 du 6 décembre 2000 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des pompes funèbres dans le département de la Seine-Maritime). La communication des pièces par l'EPV a donc été faite régulièrement au cours de l'enquête.
2. LES PIECES RELATIVES AU DEROULEMENT DE CERTAINS MARCHES CONCERNES
37. En ce qui concerne les marchés de maintenance et des mises en sécurité des installations électriques, la SNEF et la SN STEIF relèvent que manquent au dossier :
- le dossier de consultation du marché ;
- les candidatures reçues ;
- les offres déposées, parmi lesquelles celle de la SNEF ;
- le procès-verbal de réunion de la commission d'ouverture des offres ;
- la décision d'attribution du marché.
38. Les sociétés reconnaissent cependant que figurent au dossier l'analyse des candidatures et le rapport de présentation du projet de marché. Ce dernier document, établi en application de l'article 75 du Code des marchés publics, comprend une description détaillée du déroulement des différentes étapes du marché. Ainsi, toutes les pièces qui établissent les pratiques litigieuses et sur lesquelles s'est fondée la rapporteure ont pu être consultées par les parties intéressées et celles-ci ont disposé d'un délai raisonnable pour exercer leur défense.
B. SUR LES GRIEFS NOTIFIES
1. LES PRATIQUES OBSERVEES A L'OCCASION DU MARCHE " BARTABAS "
39. S'agissant de l'identité des offres déposées par la SNEF et la SVEE en réponse à l'appel d'offres " Bartabas ", les sociétés ne contestent pas l'existence d'un échange d'informations ayant présidé à la présentation de ces offres. Les représentants des deux sociétés ont en effet reconnu que cette identité des prix ne pouvait s'expliquer que par la copie de l'offre d'une des deux sociétés par l'autre pour faire sa propre proposition.
40. La SNEF insiste sur le fait que la pratique a eu pour origine l'action isolée de l'un de ses salariés, ancien dirigeant de la STEIF, qui ayant intégré l'entreprise depuis quelques mois, n'était pas encore familiarisé avec la politique de respect des règles de concurrence du groupe et avait tendance à agir en dehors des directives de sa hiérarchie. Cependant, la pratique ne s'en trouve pas justifiée pour autant, comme l'admet la société elle-même. Ainsi que l'a rappelé le Conseil de la concurrence, " le fait que l'échange d'informations et la coordination des offres aient procédé d'initiatives individuelles de salariés, agissant dans le cadre de leurs fonctions, est sans influence sur la qualification de la pratique " (décision n° 02-D-37 du 14 juin 2002 relative à la situation de la concurrence dans le secteur des tuyauteries de gaz). En l'espèce, à supposer que le salarié en ait pris l'initiative, l'échange d'informations sur les prix avec la SNEF auquel il a procédé a été accompli dans l'exercice de ses fonctions au sein de la SNEF.
41. Les sociétés soulignent par ailleurs le caractère ponctuel de la pratique. Son " absurdité " même en serait la meilleure preuve : le fait de déposer deux offres strictement identiques ne pourrait en effet qu'aboutir à leur rejet. Il n'est cependant pas nécessaire d'établir l'existence d'un système d'entente organisé rationnellement pour caractériser une infraction aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce. En l'occurrence, il est surtout manifeste que l'échange d'informations a été mal " exploité ". Mettre en avant l'absurdité de la pratique revient seulement à soutenir qu'elle n'a pas eu d'effets, ce qui est indifférent à sa qualification juridique.
42. A cet égard, pour être prohibé au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce, il suffit qu'un échange d'informations préalable au dépôt de soumission à un appel d'offres ait " pour objet ou pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ". Il est de jurisprudence constante que l'absence d'effet ne retire pas aux pratiques leur caractère anticoncurrentiel (Cour d'appel de Paris, 13 mars 1991, sociétés Demouy et Guerra Tarcy ; cour d'appel du 12 décembre 2000, SNC société SOGEA Sud-Est). Pour le marché " Bartabas ", les offres de la SVEE et de la SNEF n'ont pas été analysées car elles étaient en tout point identiques et, sur les sept autres offres déposées, quatre étaient d'un montant inférieur à celui des offres des sociétés SNEF et SVEE, notamment celle de la société Verger Delporte Ile-de-France Ouest (VD IDFO), déclarée attributaire du marché. Ces circonstances ne sont pas cependant de nature à retirer à la pratique son objet anticoncurrentiel, car si l'identité des deux offres litigieuses est vraisemblablement le résultat d'une maladresse, elle révèle avec certitude l'échange d'informations.
43. L'existence ou non d'un préjudice subi par le maître d'ouvrage est de la même façon sans incidence sur l'affectation de l'ordre public économique (CA Paris, 15 juin 1999, SA Société languedocienne de travaux publics et de génie civil (Solatrag)). Bien que le ministre chargé de l'économie ait lui-même estimé dans sa lettre de saisine que le maître d'ouvrage n'avait pas subi de préjudice, cette circonstance est sans influence sur la qualification de la pratique.
44. Il résulte de ce qui précède que, dans le cadre de l'appel d'offres lancé par l'EPV le 21 février 2002, les entreprises SNEF et SVEE ont échangé des informations sur le montant de leurs offres préalablement au dépôt de celles-ci, alors que cette pratique est prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
2. LES PRATIQUES OBSERVEES A L'OCCASION DES MARCHES DE MAINTENANCE DES INSTALLATIONS ELECTRIQUES ET DE MISES EN SECURITE DES RESEAUX
45. Il résulte des constatations développées aux points 16 à 23 de la présente décision que la SNEF et sa filiale, la SN STEIF, ont déposé chacune une candidature pour répondre aux appels d'offres restreints lancés pour les marchés de maintenance et de mises en sécurité. Une seule offre a ensuite été déposée par la société mère du groupe.
46. Les interactions entre la procédure collective de la société STEIF et les appels d'offres font douter de l'existence d'un accord destiné à restreindre la concurrence. Ainsi que les dirigeants de la SNEF l'ont exposé, la SN STEIF, qui succédait à la STEIF, avait une bonne expérience des marchés de travaux sur le site du château de Versailles, mais elle risquait de voir sa candidature écartée pour des raisons administratives compte tenu de sa constitution récente. Dès lors, il peut être admis que par mesure de précaution, et dans le cadre d'une politique de groupe visant à répondre à un appel d'offres dans des conditions techniques et financières intéressantes pour le maître d'ouvrage, deux candidatures ont été présentées par la société mère et sa filiale pour n'aboutir qu'à une seule offre.
47. L'objet anticoncurrentiel du comportement de la SNEF et de la SN STEIF n'étant pas établi, il doit également être relevé qu'il n'a pas eu, compte tenu des circonstances, d'effet anticoncurrentiel. La SNEF a finalement déposé les meilleures offres en terme de prix, la première au niveau du montant minimal estimé pour le maître d'ouvrage, la seconde y étant même inférieure. Il est dans ces conditions peu probable qu'une entreprise écartée lors de l'examen des candidatures aurait présenté une offre plus intéressante.
48. Il résulte de ce qui précède que les pratiques d'entente notifiées aux sociétés SNEF et SN STEIF sur les marchés de maintenance et des mises en sécurité des réseaux électriques lancés par l'EPV les 18 février et 20 décembre 2002 ne sont pas établies.
C. SUR LES SANCTIONS
49. Aux termes de l'article L. 464-2 du Code de commerce, " les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction.
..... Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante ".
1. SUR LA GRAVITE DE LA PRATIQUE
50. Les pratiques commises, consistant en des actions concertées entre soumissionnaires concurrents à des marchés publics, sont considérées de façon constante par les autorités de concurrence comme des pratiques graves par nature, puisque seul le respect des règles de concurrence dans ce domaine garantit à l'acheteur public la sincérité de l'appel d'offres et la bonne utilisation de l'argent public. En particulier, le fondement même des appels à la concurrence réside dans le secret dont s'entourent les entreprises intéressées pour élaborer leurs offres, chacune d'entre elles devant se trouver dans l'ignorance de la qualité de ses compétiteurs, de leurs capacités financières à proposer la meilleure prestation ou fourniture possible au prix le plus bas. Au contraire, les échanges d'informations entre entreprises, lorsqu'ils sont antérieurs à la remise des plis, libèrent les compétiteurs de l'incertitude de la compétition et leur permettent d'élaborer des offres ne prenant plus en compte seulement leurs données économiques propres, mais celles, normalement confidentielles, de leurs concurrents.
51. Si la SNEF minimise son rôle en soutenant que celui-ci n'a pas eu d'effet sur la concurrence, dans la mesure où le marché de travaux concerné serait d'envergure très limitée et où ses agissements n'auraient pas empêché la poursuite de la procédure, ces arguments ne peuvent prospérer. Même en l'absence d'effet sensible sur le marché, une entente peut être condamnée, aux termes de l'article L. 420-1 du Code de commerce, si elle a un objet anticoncurrentiel, ce qui est le cas pour les échanges d'informations mis en œuvre dans une procédure de marché public avant le dépôt des offres. En l'occurrence, en l'absence de la maladresse qui a conduit à remettre deux offres strictement identiques, le maître d'ouvrage aurait bien été trompé sur la réalité de la concurrence, ce qui était bien l'objectif de l'utilisation en commun de données qui doivent rester confidentielles.
52. S'agissant de la SNEF, la gravité de con comportement est d'autant plus marquée qu'elle est la société mère d'un groupe d'envergure internationale, et dispose à ce titre dans le secteur de l'installation électrique d'une influence significative à l'égard des autres entreprises de taille moyenne ou petite, comme la SVEE. Ainsi, la pratique commise par cette société est non seulement grave en elle-même, mais également par le fait qu'elle a eu un effet d'entraînement résultant de la taille de l'entreprise qui l'a commise (dans le même sens, voir l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 25 septembre 1998, entreprise Léon Grosse ; et la décision du Conseil n° 01-D-67 du 19 octobre 2001). De plus, il s'agit d'une entreprise habituée à répondre à de nombreux appels d'offres publics, qui, de ce fait, ne pouvait ignorer le caractère prohibé des échanges d'informations entre soumissionnaires se présentant comme concurrents à un appel d'offres, rappelé par de très nombreuses décisions des autorités de concurrence et une jurisprudence constante. L'article L. 420-1 du Code de commerce vise d'ailleurs lui-même expressément les ententes qui tendent à " faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leurs baisse ". Or, la connaissance par l'entreprise du caractère illicite des pratiques qu'elle a commises constitue également un facteur aggravant reconnu par la jurisprudence (voir les arrêts de la Cour d'appel de Paris du 10 novembre 1998, ordre des avocats du barreau de Marseille et du 30 mars 2004, SAS Novartis Pharma).
2. SUR LE DOMMAGE A L'ECONOMIE
53. Dans ses observations, la SNEF rappelle que dans sa lettre de saisine, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie reconnaît que les faits reprochés n'ont pas entraîné de préjudice pour le maître d'ouvrage. Elle souligne par ailleurs qu'il ne pourrait être fait état d'une tromperie sur la réalité de la concurrence, la pratique ayant consisté à déposer deux offres identiques en terme de prix.
54. Ces éléments ne peuvent remettre en cause l'existence d'un dommage à l'économie. De façon générale, la présomption d'un tel dommage est admise lorsque l'entente est établie : " le dommage causé à l'économie est présumé par la loi dès lors que l'existence d'une entente est établie " (voir les arrêts de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 10 janvier 1995, pourvoi n° 92-22.113 ; et de la Cour d'appel de Paris du 19 septembre 1990, sociétés Herlicq et autres). Dans le cas particulier d'une entente sur les prix passée dans le cadre d'un marché public, le dommage causé à l'économie est même considéré comme constitué dès lors que les pratiques anticoncurrentielles sont établies : le " dommage est causé à l'économie dès lors qu'une entente fausse la concurrence voulue par le recours à des appels d'offres dont les maîtres d'ouvrage sont en droit d'attendre qu'ils donnent lieu à une compétition réelle " (Cour d'appel de Paris, 17 septembre 1992, GIE Géosavoie). Ces pratiques affectent en effet le principe même de l'appel d'offres, qui repose sur la loyauté des participants. En l'espèce, les sociétés ne contestent pas l'établissement d'une entente sur les prix, l'identité des prix des offres présentées rendant même cette entente flagrante.
55. La réalité du dommage est par ailleurs indépendante des effets éventuels des pratiques (Cour d'appel de Paris, 13 mars 1991, sociétés Dempuy et Gerra Tarcy, précité ; 17 septembre 1992, précité). Ce dommage, " sanctionnable par son seul objet " (Cour d'appel de Paris, 19 septembre 1990, précité), est ainsi distinct de celui éventuellement subi par le maître d'ouvrage (Cour d'appel de Paris, 13 janvier 1998, Fougerolle Ballot). L'argument selon lequel la présentation d'offres identiques était dépourvue d'effet dans la procédure ne peut donc être accueilli. Le dommage est constitué, même si en définitive les sociétés mises en cause n'ont pas été adjudicataires (décision du Conseil n° 05-D-19 du 12 mai 2005).
3. LA REITERATION
56. Elle ne peut être retenue comme facteur aggravant en l'espèce car les seules pratiques anticoncurrentielles établies par la présente décision sont en toute hypothèse antérieures à la décision n° 03-D-10 du 20 février 2003 ayant condamné la société SNEF pour entente entre soumissionnaires à un appel d'offres.
4. SUR LE MONTANT DES SANCTIONS
57. La SVEE a participé à une entente anticoncurrentielle avec la SNEF dans le cadre du marché public lancé par l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles le 21 février 2002 pour l'aménagement de la Grande écurie du château de Versailles, lot n° 7. Le chiffre d'affaires de la SVEE a varié au cours des années 2001 à 2006 entre 1 243 000 et 664 000 euro (arrondis). Compte tenu des éléments généraux et individuels exposés, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire d'un montant de 3 300 euro.
58. La SNEF a participé à une entente anticoncurrentielle avec la SVEE dans le cadre du marché public lancé par l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles le 21 février 2002 pour l'aménagement de la Grande écurie du château de Versailles, lot n° 7. Le chiffre d'affaires consolidé mondial de la SNEF a varié au cours des années 2001 à 2006 entre 411 161 000 et 703 801 000 euro (arrondis). Son chiffre d'affaires consolidé en France a varié au cours des mêmes années entre 267 375 000 et 483 195 000 euro (arrondis). Compte tenu des éléments généraux et individuels exposés, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire d'un montant de 1 700 000 euro.
Décision
Article 1er : Il n'est pas établi que les sociétés SNEF et SN STEIF ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce dans le cadre des marchés publics lancés par l'EPV les 18 février et 20 décembre 2002, pour la maintenance et les mises en sécurité des réseaux électriques du domaine national de Versailles.
Article 2 : Il est établi que les sociétés SNEF et SVEE ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce dans le cadre du marché public lancé par l'EPV le 21 février 2002 pour l'aménagement électrique de la Grande écurie du château de Versailles.
Article 3 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
à la société SVEE une sanction de 3 300 euro ;
à la société SNEF une sanction de 1 700 000 euro.