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Décisions

CJCE, 16 décembre 1992, n° C-169/91

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Council of the City of Stoke-on-Trent, Norwich City Council

Défendeur :

B & Q plc.

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Kakouris, Rodríguez Iglesias, Murray

Avocat général :

M. Van Gerven

Juges :

MM. Mancini, Joliet, Díez de Velasco, Kapteyn, Edward

Avocats :

Mes Calver, Barnecutt, Anderson, Davidson, Askham, Paines

CJCE n° C-169/91

16 décembre 1992

LA COUR,

1 Par ordonnance du 20 mai 1991, parvenue à la Cour le 1er juillet suivant, la House of Lords a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, plusieurs questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 30 du traité.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de deux litiges qui opposent le Council of the City of Stoke-on-Trent ainsi que le Norwich City Council à l'entreprise B & Q.

3 Les deux parties demanderesses au principal font grief à cette entreprise d'avoir contrevenu aux articles 47 et 59 du Shops Act en ouvrant le dimanche ses magasins de vente au détail, afin de réaliser des opérations commerciales autres que celles qui sont autorisées par l'annexe V de cette loi.

4 L'annexe V du Shops Act énumère les articles qui, par dérogation, peuvent être vendus en magasin le dimanche. Il s'agit, notamment, de boissons alcoolisées, de certaines denrées alimentaires, de tabac, de journaux et d'autres produits de consommation courante.

5 Devant la House of Lords, qui a été saisie en dernière instance de ce litige, il est apparu que les parties au principal s'opposaient sur l'interprétation à donner à l'arrêt du 23 novembre 1989, B & Q (C-145-88, Rec. p. 3851), d'une part, ainsi qu'aux arrêts du 28 février 1991, Conforama (C-312-89, Rec. p. I-997) et Marchandise (C-332-89, Rec. p. I-1027), d'autre part.

6 Face à ce débat sur l'interprétation des arrêts susmentionnés, la House of Lords a décidé de surseoir à statuer et de demander à la Cour de se prononcer à titre préjudiciel sur les questions suivantes:

"1) Résulte-t-il des décisions de la Cour de justice Conforama (C-312-89) et Marchandise (C-322-89) que l'interdiction figurant à l'article 30 du traité ne s'applique pas à une réglementation nationale telle que celle qui était en cause dans l'affaire C-145-88, B & Q, qui interdit aux commerces de détail d'ouvrir le dimanche pour vendre certains produits à la clientèle?

2) En cas de réponse négative à la question précédente, est-il néanmoins tout à fait évident, que des éléments de preuve soient fournis ou non, que les effets restrictifs sur les échanges intracommunautaires qui peuvent éventuellement résulter d'une réglementation nationale telle que celle qui est visée par la question 1 ci-dessus ne dépassent pas 'le cadre des effets propres à une réglementation de ce genre', au sens donné à ces termes dans la décision rendue par la Cour de justice dans l'affaire C-145-88?

3) En cas de réponse négative à la question précédente, sur le fondement de quels critères et de quels éventuels éléments de preuve, factuels ou autres, la juridiction nationale doit-elle résoudre la question de savoir si les effets restrictifs sur les échanges intracommunautaires qui peuvent éventuellement résulter d'une réglementation nationale telle que celle qui est visée à la question 1 ci-dessus dépassent 'le cadre des effets propres à une réglementation de ce genre', au sens où cette expression est utilisée dans la décision rendue par la Cour de justice dans l'affaire C-145-88?"

7 Pour un plus ample exposé des faits et du cadre réglementaire des litiges au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur la première question

8 Par sa première question, la juridiction nationale vise à savoir s'il résulte des arrêts Conforama et Marchandise, précités, que l'interdiction figurant à l'article 30 du traité ne s'applique pas à une législation nationale telle que celle en cause. Cette dernière a également été à l'origine de l'arrêt B & Q, précité.

9 Il y a lieu de rappeler que la Cour, dans les trois arrêts susmentionnés, a relevé que les différentes législations nationales concernant la fermeture dominicale de magasins n'avaient pas pour objet de régir les échanges.

10 Il ressort également de ces arrêts qu'une telle réglementation peut, certes, avoir des conséquences négatives sur le volume des ventes de certains magasins, mais qu'elle affecte aussi bien la vente des produits nationaux que celle des produits importés. La commercialisation des produits en provenance d'autres États membres n'est donc pas rendue plus difficile que celle des produits nationaux.

11 En outre, dans les arrêts susmentionnés, la Cour a reconnu que les législations en cause poursuivaient un but justifié au regard du droit communautaire. En effet, les réglementations nationales qui restreignent l'ouverture des magasins le dimanche constituent l'expression de certains choix, tenant aux particularités socioculturelles nationales ou régionales. Il appartient aux États membres d'effectuer ces choix dans le respect des exigences découlant du droit communautaire, et notamment du principe de proportionnalité.

12 S'agissant de ce principe, la Cour a souligné, dans l'arrêt B & Q, précité, qu'une telle réglementation n'était pas interdite par l'article 30 du traité lorsque les effets restrictifs sur les échanges communautaires qui peuvent éventuellement en résulter ne dépassent pas le cadre des effets propres à une telle réglementation et que la question de savoir si les effets de cette réglementation restent effectivement dans ce cadre relevait de l'appréciation des faits qui appartient à la juridiction nationale.

13 Dans les arrêts Conforama et Marchandise, précités, la Cour a toutefois été amenée à préciser, à propos de réglementations analogues, que les effets restrictifs sur les échanges qui peuvent éventuellement en découler n'apparaissaient pas comme excessifs au regard du but poursuivi.

14 La Cour a, en effet, estimé qu'elle disposait de tous les éléments nécessaires pour se prononcer sur la proportionnalité d'une telle réglementation et qu'elle devait le faire afin de permettre aux différentes juridictions nationales d'en apprécier la compatibilité avec le droit communautaire de façon uniforme, une telle appréciation ne pouvant pas varier en fonction des constatations de fait formulées par chaque juridiction dans le cadre d'un litige déterminé.

15 Le contrôle de la proportionnalité d'une réglementation nationale qui poursuit un but légitime au regard du droit communautaire met en balance l'intérêt national à la réalisation de ce but avec l'intérêt communautaire à la libre circulation des marchandises. A cet égard, pour vérifier que les effets restrictifs de la réglementation en cause sur les échanges intracommunautaires ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif visé, il importe d'examiner si ces effets sont directs, indirects ou simplement hypothétiques et s'ils ne gênent pas la commercialisation des produits importés plus que celle des produits nationaux.

16 C'est en tenant compte de ces considérations que, dans les arrêts Conforama et Marchandise, précités, la Cour a constaté que les effets restrictifs sur les échanges d'une réglementation nationale interdisant l'occupation de travailleurs salariés le dimanche, dans certaines branches d'activités ayant pour objet la vente au public, n'apparaissaient pas comme excessifs au regard du but poursuivi. La même constatation s'impose, pour les mêmes raisons, en ce qui concerne une réglementation nationale qui interdit aux commerces de détail d'ouvrir le dimanche.

17 Il y a donc lieu de répondre à la première question préjudicielle que l'article 30 du traité doit être interprété en ce sens que l'interdiction qu'il prévoit ne s'applique pas à une réglementation nationale interdisant aux commerces de détail d'ouvrir le dimanche.

Sur les deuxième et troisième questions

18 Étant donné la réponse apportée à la première question, il n'y a pas lieu de statuer sur les deuxième et troisième questions.

Sur les dépens

19 Les frais exposés par le Gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par la House of Lords, par ordonnance du 20 mai 1991, dit pour droit:

L'article 30 du traité doit être interprété en ce sens que l'interdiction qu'il prévoit ne s'applique pas à une réglementation nationale interdisant aux commerces de détail d'ouvrir le dimanche.