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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 15 mars 2007, n° 05-04854

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Monoprix (SA)

Défendeur :

Etablissements Chouard (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Laporte

Conseillers :

MM. Fedou, Coupin

Avoués :

SCP Lissarrague Dupuis Boccon Gibod, SCP Bommart Minault

Avocats :

Mes Lubet, Bourayne

T. com. Nanterre, 7e ch., du 22 mars 200…

22 mars 2005

Faits et procédure:

La société Monoprix, qui commercialise dans ses magasins du petit matériel d'outillage, a entretenu depuis 1947 des relations commerciales avec la société Les Etablissements Chouard qui l'approvisionnait parmi d'autres fournisseurs.

Ces relations commerciales ont été formalisées pour la première fois aux termes d'un contrat écrit du 1er février 2000, faisant bénéficier la société Chouard d'une exclusivité d'approvisionnement portant sur les familles de produits MDD (à savoir, la quincaillerie et les colles) ; ce premier contrat était conclu pour une durée déterminée de vingt-quatre mois et pouvait être résilié à son échéance avec un préavis de six mois pour la première échéance et avec un préavis de trois mois pour les échéances suivantes.

Le 26 août 2002, les parties ont régularisé un nouveau contrat de gestion directe du rayon bricolage des magasins Monoprix; en vertu de ce contrat, la société Monoprix s'est engagée à s'approvisionner exclusivement auprès de la société Chouard pour toutes les familles de produits concernés par ladite convention, laquelle était conclue pour une nouvelle durée déterminée de vingt-quatre mois et pouvait être résiliée à son échéance moyennant le respect d'un délai de préavis de six mois.

Aux termes d'un nouveau contrat en date du 22 juillet 2003, les parties sont convenues de revoir leurs conditions de collaboration, ce avant une série d'appels d'offres organisés par le distributeur pour la période postérieure au mois d'août 2004.

Par courrier du 19 février 2004, la société Monoprix a rappelé à la société Chouard que le contrat de gestion directe prendrait fin le 24 août 2004, tout en lui proposant de poursuivre l'approvisionnement des gammes MDD une année au-delà de la fin de contrat gestion directe, soit jusqu'en août 2005, et aux mêmes charges et conditions.

Aux termes d'un nouveau courrier du 30 juin 2004, la société Monoprix a informé la société Chouard qu'elle avait pris la décision de ne pas retenir sa proposition à la suite de l'appel d'offres lancé, et de faire appel à un autre fournisseur ; elle lui a également précisé qu'elle lui proposait de prolonger les stipulations du contrat jusqu'au 31 décembre 2004, aux mêmes charges et conditions que précédemment, pour les produits hors MDD.

Consécutivement à un échange de correspondances entre les parties, et après échec des négociations amiables entre elles, la société Monoprix a, par écrit en date du 22 novembre 2004, confirmé au conseil de la société Chouard qu'elle maintenait la fin des relations contractuelles au 31 décembre 2004 pour les produits non MDD, et qu'elle attendait d'être fixée sur la position de sa partenaire quant à une poursuite des relations contractuelles pour les gammes de produits MDD jusqu'à la fin de l'année 2005.

C'est dans ces circonstances que, faisant grief à la société Monoprix d'avoir brutalement rompu, par lettre du 30 juin 2004, les relations commerciales en fixant un préavis expirant le 31 décembre 2004, la société Chouard l'a, par acte du 6 décembre 2004, assignée aux fins, à titre principal, de voir ordonner la prorogation des relations contractuelles entre les sociétés Chouard et Monoprix jusqu'au 31 décembre 2009, intégrant un préavis d'une durée supplémentaire de cinq années, et, à titre subsidiaire, de voir condamner la défenderesse au paiement de la somme de 6 982 648 euro à titre de dommages-intérêts.

Par jugement du 22 mars 2005, le Tribunal de commerce de Nanterre a:

- dit que les relations commerciales nouées depuis 1947 entre la société Monoprix et la société Chouard sont des relations commerciales établies, et que doivent s'appliquer, en cas de rupture brutale, les dispositions de l'article L. 622-6 du Code de commerce (sic);

- dit que la société Monoprix a respecté un préavis allant du 22 juillet 2003 au 31 décembre 2005, soit 29 mois et 8 jours, pour les produits MDD, et un préavis allant du 22 juillet 2003 au 31 décembre 2004, soit 23 mois et 8 jours (sic), pour les produits hors MDD

- dit que, compte tenu des circonstances de l'espèce, la société Monoprix aurait dû respecter, pour les produits MDD et hors MDD, sans qu'il soit tenu compte des éléments d'éventuelle augmentation du préavis, un préavis minimum de 24 mois ;

- fixé à 28 mois, après prise en compte des éléments d'augmentation de la durée du préavis, la durée totale de préavis qu'aurait dû respecter la société Monoprix;

- condamné la société Monoprix à payer à la société Chouard la somme de 359 964,70 euro, montant du préjudice subi par cette dernière du fait de l'insuffisance de 4 mois et 22 jours de préavis accordé ;

- condamné la société Monoprix au paiement de 25 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et débouté la société Chouard de ses plus amples demandes.

La société Monoprix a interjeté appel de cette décision.

Elle fait valoir que la société Chouard a engagé la présente procédure à son encontre sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce, lequel est inapplicable aux relations contractuelles existantes, dès lors que les parties n'étaient pas engagées dans une relation commerciale à durée indéterminée et que l'un des contractants n'a donc pas choisi de la rompre unilatéralement.

Elle expose qu'il est habituellement admis que la durée maximum de préavis ne doit pas dépasser douze à dix-huit mois, et qu'une durée plus longue serait attentatoire à la liberté de rupture à tout moment.

Elle indique avoir, par lettre du 7 juillet 2000, attiré l'attention de la société Chouard sur la nécessité de développer d'autres clientèles, et elle invoque l'évolution des relations contractuelles intervenue à compter de l'année 2000, époque à partir de laquelle les parties se sont engagées dans le cadre des contrats successifs à durée déterminée.

Elle précise qu'en vertu du dernier contrat signé par les parties le 22 juillet 2003, ces dernières ont déterminé les conditions de leur collaboration dans le cadre d'un contrat à durée déterminée d'une durée d'un an devant s'achever au mois d'août 2004, ce contrat n'envisageant aucun renouvellement que ce soit par tacite reconduction ou au travers d'une nouvelle convention.

Elle fait valoir que le préavis, qui ne saurait avoir pour point de départ la réception de la lettre adressée le 30 juin 2004 à la partie adverse, a remonté à tout le moins au 22 juillet 2003, date du dernier contrat ayant clairement notifié à cette dernière qu'il serait mis fin à leurs relations contractuelles au mois d'août 2004.

Elle soutient que les différents contrats conclus à partir de 2000 ont eu pour objectif d'annoncer à la société intimée l'intention de Monoprix de mettre un terme, à une échéance déterminée, aux relations commerciales, sans que cette dernière puisse valablement lui opposer un quelconque comportement brutal.

Elle estime qu'en accordant à la société Chouard un préavis de vingt-neuf mois et huit jours pour les produits MDD (soit du 22 juillet 2003 au 31 décembre 2005) et un préavis de vingt-trois mois et huit jours pour les produits hors MDD (soit du 22 juillet 2003 au 30 juin 2005), elle est allée au-delà de ses obligations légales.

Elle considère qu'il n'existe aucune circonstance de nature à justifier l'augmentation d'un préavis raisonnable, et, à cet égard, elle reproche à la partie adverse, qui savait depuis début 2000 que ses relations commerciales avec Monoprix seraient désormais à durée déterminée, d'avoir attendu l'année 2003 pour prendre des mesures effectives en vue de diversifier son réseau de clientèle.

Elle allègue que, pour proposer un préavis exagérément long de cinq années, Monsieur Poissonnier, expert commis à la requête de la société Chouard, est à tort parti du postulat de base que les relations commerciales existeraient depuis 1947, qu'elles se seraient fortement développées entre 1997 et 2001 et que c'est seulement le 30 juin 2004 que la société appelante aurait fait part de sa décision de cesser ses approvisionnements au 31 décembre 2004.

Elle souligne que la société intimée, qui ne publie pas ses comptes, est mal fondée à solliciter la réparation d'un préjudice chiffré sur la base d'un taux de marge de 100 % lequel, totalement anormal dans la profession, suffit à démontrer qu'elle n'avait nulle envie de rechercher d'autres clients qui n'auraient sans doute pas accepté les prix pratiqués.

Par voie de conséquence, elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, à titre principal, de dire que les dispositions de l'article L. 442-6 1 du Code de commerce ne s'appliquent pas à des relations contractuelles conclues pour une durée déterminée, et, à titre subsidiaire, de juger qu'elle n'a pas rompu brutalement les relations commerciales établies avec la société Chouard et qu'elle n'a commis aucune faute, de constater que les préavis accordés et mis en œuvre par la société Monoprix ont été largement suffisants, et, à titre infiniment subsidiaire, de constater que la partie adverse ne justifie d'aucun préjudice dont la société appelante serait à l'origine.

Elle conclut en outre au débouté de la société Chouard de toutes ses prétentions, et à la condamnation de cette dernière au versement de la somme de 50 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Les Etablissements Chouard réplique qu'eu égard à la durée des relations commerciales en cause dans le présent litige (57 ans), celles-ci doivent être considérées comme établies, peu important que ces relations n'aient été formalisées par écrit qu'à partir de 2000.

Elle fait valoir que les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce sont applicables au présent litige, puisque la signature d'un contrat à durée déterminée ne saurait remettre en cause l'ancienneté de la relation antérieure, existant entre les parties depuis 1947.

Elle soutient que le contrat de gestion directe de rayon à durée déterminée régularisé le 22 juillet 2003 ne peut en aucun cas être qualifié de préavis de rupture d'une relation commerciale établie.

Elle allègue que le point de départ du préavis auquel elle doit pouvoir prétendre est constitué par la notification de son déférencement des produits MDD selon courrier en date du 19 février 2004, et par la notification de son déférencement des produits hors MDD par écrit du 30 juin 2004.

Elle expose que la durée du préavis ne dépend pas seulement de l'ancienneté des relations, et elle relève qu'en l'occurrence, elle doit se voir rallongée au regard des autres critères que constituent le temps nécessaire pour remédier à la désorganisation qui a résulté de la rupture, le caractère technique des produits, l'importance des investissements réalisés, l'importance du chiffre d'affaires, la progression du chiffre d'affaires, et l'existence d'un état de dépendance économique.

Elle considère qu'en fonction de la durée des relations commerciales établies entre les parties, et compte tenu des facteurs d'allongement du délai de préavis réunis en l'espèce, elle aurait dû bénéficier, pour espérer réussir sa reconversion économique d'un préavis de cinq années en tablant sur un taux de progression annuel moyen du chiffre d'affaires hors Monoprix de 24,5 %.

Elle estime qu'eu égard à l'ancienneté de leurs relations commerciales et à sa situation de dépendance économique, le préavis offert par la société appelante, d'une durée de quatre mois jusqu'au 31 décembre 2004 pour les produits hors MDD, et d'une durée de vingt-deux mois jusqu'à fin 2005 pour les produits MDD, a revêtu un caractère dérisoire.

Elle conclut qu'en rompant brutalement la relation commerciale établie, sans tenir compte de son ancienneté et des usages, la partie adverse a engagé sa responsabilité et est tenue, conformément aux dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, de réparer le préjudice qui lui a été causé.

Elle relève que, par suite de la cession de son fonds de commerce intervenue en février 2006 pour la valeur résiduelle de 342 500 euro, Monsieur Poissonnier, expert requis à sa demande, a évalué son préjudice consécutif à la rupture brutale des relations commerciales à la somme de 5 258 000 euro, correspondant à la différence de valorisation qui a résulté de son déférencement brutal.

Elle ajoute qu'il doit être également tenu compte du coût des licenciements économiques auxquels elle a dû procéder, de la prise en charge des loyers afférents à la location de nouveaux locaux, et de l'atteinte à son image de marque, lesquels justifient une indemnisation complémentaire à hauteur d'un montant global de 137 270 euro.

Se portant incidemment appelante du jugement déféré, elle demande à la cour, statuant à nouveau, de condamner la société Monoprix à lui payer la somme de 5 395 270 euro à titre de dommages-intérêts.

Elle réclame en outre une indemnité de 150 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 12 octobre 2006.

Motifs de la décision:

Sur l'existence d'une relation commerciale établie:

Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6 I du Code de commerce, "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

5°) De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels...";

Considérant qu'en l'occurrence, il s'infère des éléments de la cause que la société Chouard a, depuis 1947, poursuivi de manière habituelle des relations d'affaires avec la société Monoprix, laquelle est progressivement devenue son principal distributeur;

Considérant qu'il est démontré que le chiffre d'affaires réalisé par la société intimée avec la société Monoprix atteignait déjà en 1959 l'équivalent de 77 % de son chiffre d'affaires global, et que cette proportion a été régulièrement supérieure à 50 % au cours des années suivantes, pour atteindre en 1998 un pourcentage de 96 %;

Considérant que la preuve est ainsi suffisamment rapportée de la durée particulièrement longue et de la constance des relations commerciales ayant existé durant plusieurs décennies entre les parties, et ayant porté sur un volume d'affaires encore plus important à partir de l'année 1998 ;

Considérant que la circonstance que les parties se soient, à partir de l'année 2000, engagées dans le cadre de contrats successivement conclus à durée déterminée, dont le dernier ne prévoyait aucun renouvellement possible, ne saurait faire obstacle à l'application des dispositions légales susvisées revendiquées par la société Chouard ;

Considérant qu'en effet, leur décision de poursuivre dorénavant leur partenariat sous une forme juridique nouvelle afin de l'adapter à des contingences économiques spécifiques n'a pas emporté novation de leur collaboration commerciale, telle qu'elle s'était jusqu'alors exercée dans le cadre d'une relation verbale à durée indéterminée, dont l'ancienneté était déjà à cette époque supérieure à cinquante années ;

Considérant que, dans la mesure où se trouve mise en évidence l'existence entre les parties d'une relation commerciale établie ayant atteint la durée exceptionnelle de cinquante-sept ans à l'expiration du dernier contrat à durée déterminée souscrit par elles le 22 juillet 2003, c'est à bon droit que les premiers juges ont énoncé qu'il ne pouvait y être mis fin qu'à la condition pour l'auteur de la rupture de respecter un préavis conforme aux exigences d'ordre public de l'article L. 442-6 I du Code de commerce.

Sur la détermination du point de départ du préavis:

Considérant qu'il est acquis aux débats que la société Monoprix a, le 22 juillet 2003, régularisé avec la société Chouard un nouveau contrat à durée déterminée pour une durée allant jusqu'au 23 août 2004 inclus, et ne comportant, à la différence des précédents contrats signés les 1er février 2000 et 26 août 2002, aucune faculté de reconduction tacite à son échéance ;

Considérant qu'aux termes du préambule et de l'article 12 de la convention signée le 22 juillet 2003, les parties ont clairement exprimé qu'à l'échéance de cette convention, soit le 23 août 2004, leurs relations commerciales seront adaptées à l'évolution de la politique commerciale du distributeur dans la perspective de nouvelles négociations et/ou d'appels d'offre ;

Considérant qu'au demeurant, la société Chouard, qui, par courrier en date du 2 octobre 2003, avait fait part de son souhait de "continuer après 2004 à travailler dans nos intérêts respectifs comme nous l'avons toujours fait", était alors parfaitement consciente que son partenariat avec la société Monoprix était susceptible de venir à échéance à la date du 23 août 2004, en particulier dans l'hypothèse où sa proposition formulée dans le cadre de l'appel d'offres ne serait pas retenue;

Considérant qu'au regard de ce qui précède, ne saurait constituer le point de départ du préavis la lettre recommandée du 19 février 2004 par laquelle la société Monoprix, tout en indiquant à son fournisseur avoir décidé de lancer un appel d'offres portant sur la gamme de produits hors MDD, s'est contentée de rappeler à ce dernier que le contrat de gestion directe de rayon signé le 22 juillet 2003 prendrait fin le 24 août 2004;

Considérant que ne saurait non plus être retenu comme point de départ du préavis le courrier recommandé du 30 juin 2004, en vertu duquel la société Monoprix a informé sa partenaire qu'elle avait pris la décision de ne pas retenir sa proposition et de faire appel à un autre fournisseur, tout en lui offrant de prolonger le contrat jusqu'au 31 décembre 2004 pour la distribution de la gamme de produits hors MDD ;

Considérant que, dès lors, ainsi que le tribunal l'a à bon droit retenu, le préavis a commencé à courir à partir du 22 juillet 2003, date de régularisation du dernier contrat à durée déterminée aux termes duquel la société Monoprix a, de manière non équivoque, manifesté son intention de ne pas poursuivre au-delà du 23 août 2004 les relations contractuelles suivant les conditions qui étaient jusqu'alors en vigueur.

Sur la détermination du délai de préavis:

Considérant que les critères à prendre en compte pour l'appréciation du délai de préavis sont limitativement prévus par l'article L. 442-6 I 5°) du Code de commerce, lequel dispose que le juge doit tenir compte de la durée de la relation commerciale et de la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ou par des arrêtés du ministre chargé de l'Economie ;

Considérant qu'à titre préalable, les règles issues du "Code de bonne conduite des pratiques commerciales entre professionnels du bricolage" conclues entre la FMB (Fédération des Magasins de Bricolage) et l'UNIBAL (Union Nationale des Industries du Bricolage, du Jardinage et des Activités Manuelles de Loisir), et prévoyant des délais minima de préavis à respecter, ne peuvent être utilement invoquées dans le cadre du présent litige ;

Considérant qu'en effet, la société Chouard relève, sans être contredite sur ce point, qu'elle n'est pas adhérente de l'UNIBAL, et que la société Monoprix est adhérente, non de la FMB, mais de la FCD (Fédération des entreprises du Commerce et de la Distribution) qui n'est pas signataire d'accords professionnels en matière de déréférencement ;

Considérant qu'en toute hypothèse, ce code de bonne conduite, qui se contente de "préconniser" des délais minimum de préavis pour des relations commerciales respectivement de mois de deux ans, de deux à cinq ans et de plus de cinq ans, ne peut servir de référence pertinente pour l'appréciation d'un préavis afférent à une relation commerciale ayant, comme c'est le cas en l'espèce, atteint la durée exceptionnelle de cinquante-sept années;

Considérant qu'en l'absence d'usages professionnels susceptibles de recevoir application, le caractère raisonnable du préavis doit s'apprécier en fonction de la durée des relations commerciales, en l'occurrence particulièrement longue, ainsi qu'il s'infère des précédents développements;

Considérant qu'au surplus, il est admis que le délai de préavis peut être allongé en fonction du temps nécessaire au cocontractant pour remédier à la désorganisation qui a résulté de la cessation du partenariat, de la réalisation par lui d'investissements importants à la demande de l'auteur de la rupture, et de son état de dépendance économique vis-à-vis de ce dernier;

Considérant qu'à cet égard, la société Chouard relève que, pour s'adapter aux exigences commerciales nouvelles de la société Monoprix, elle a procédé à l'embauche de cinq nouveaux commerciaux, et elle justifie qu'afin d'assurer un déploiement progressif de sa force de vente, elle s'est dotée à partir de 2003 d'un outil logistique complémentaire par le biais de la location de nouveaux entrepôts à Gennevilliers ;

Considérant que la société Monoprix objecte qu'elle ne saurait être tenue de répondre des conséquences de l'inertie de sa cocontractante, laquelle, bien que mise en garde dès le mois de juillet 2000 sur la nécessité pour elle, compte tenu des évolutions économiques prévisibles, de rechercher des solutions commerciales alternatives de nature à générer une limitation de leur partenariat en deçà de seuils admissibles de 20 à 30 %, a attendu l'année 2003 pour prendre des mesures effectives allant dans le sens d'une diversification de ses activités ;

Mais considérant que la société intimée explique, sans être sérieusement contredite sur ce point, que la possibilité pour elle d'obtenir de nouveaux débouchés commerciaux s'est trouvée limitée par sa spécialité professionnelle réduite au marché de l'approvisionnement des grandes surfaces en produits dits de "bricolage", ainsi que par la position quasi-monopolistique des sociétés Trefil Action et Dophin et par le regroupement des centrales d'achat ;

Considérant que, de surcroît, elle démontre que son chiffre d'affaires réalisé avec la société Monoprix a représenté entre 1998 et 2002 un pourcentage compris entre 86 et 96 % de son chiffre d'affaires global, avant de redescendre à partir de 2003 à 76 % puis à 66,8 % en 2004, la proportion des produits MDD (sous marque distributeur) représentant l'équivalent 30 % du total des produits vendus ;

Considérant qu'il n'est également pas contesté que la place de la société Monoprix dans la commercialisation des produits concernés est minime, puisqu'elle se situe à environ 0,5 % de ce marché, ce qui rend compte de son importance en tant que distributeur des produits de la société Chouard et illustre la quasi-impossibilité pour cette dernière d'obtenir des solutions alternatives ;

Considérant qu'il apparaît en outre que, si les contrats à durée déterminée conclus à partir de l'année 2000 ne mettaient à la charge de la société intimée aucune obligation d'exclusivité au bénéfice de la société Monoprix, du moins les impératifs du marché et la gestion directe du rayon "Bricolage" qui lui avait été confiée par cette dernière impliquaient-ils une concentration des ventes auprès du distributeur avec lequel elle travaillait, depuis plusieurs décennies, dans le cadre d'échanges commerciaux qui se sont encore renforcés à partir de 1998 ;

Considérant que, dès lors, la preuve est rapportée de la situation de dépendance économique dans laquelle s'est trouvée la société Chouard, et qui doit être prise en compte comme facteur d'allongement du délai de préavis auquel celle-ci pouvait raisonnablement prétendre au regard de la durée particulièrement importante de son partenariat avec son distributeur;

Considérant que, dans la mesure où la durée de vingt-huit mois retenue par le tribunal ne répare qu'insuffisamment les conséquences dommageables de la cessation de relations commerciales exceptionnellement longues et intenses entre les parties, il convient, en infirmant de ce chef le jugement entrepris, de dire que, pour permettre à son fournisseur d'assurer sa reconversion économique dans des conditions les moins préjudiciables pour lui, la société Monoprix aurait dû respecter un préavis d'une durée égale à trente-six mois.

Sur la réparation du préjudice:

Considérant qu'il s'infère des correspondances échangées entre les parties, et en particulier de la lettre recommandée adressée le 11 octobre 2004 à sa cocontractante, que la société Monoprix avait accepté de reporter le délai de préavis jusqu'au 30 juin 2005 en ce qui concerne les produits hors MDD, et jusqu'à la fin de l'année 2005 pour les produits MDD ;

Considérant qu'en application des dispositions de l'article L. 442-6 I du Code de commerce, la société Monoprix, qui aurait dû observer un délai de prévenance de trente-six mois, soit à compter du 22 juillet 2003 jusqu'au 21 juillet 2006, est tenue de réparer le préjudice qui a résulté pour la société Chouard de la rupture prématurée des relations commerciales ;

Considérant que, devant la cour, la société Chouard, qui justifie avoir vendu en février 2006 son fonds de commerce pour la somme résiduelle de 342 500 euro, sollicite une indemnisation à hauteur de 5 258 000 euro, correspondant à la différence de valorisation liée à son déférencement brutal, à laquelle elle ajoute un montant global de 137 270 euro en réparation de préjudices annexes (coût de licenciements économiques, coût locatif généré par la mise à disposition de nouveaux locaux, atteinte à son image de marque) ;

Mais considérant que la décision prise par la société Monoprix de rompre les relations commerciales avec son fournisseur, laquelle est conforme à la liberté contractuelle, n'a revêtu un caractère fautif que parce qu'elle n'a pas été précédée d'un délai de prévenance suffisant;

Considérant que la société intimée ne serait fondée à invoquer l'existence d'un préjudice lié à la dévalorisation de son fonds de commerce qu'à la condition de démontrer que cette dévalorisation a trouvé son origine dans les circonstances brutales dans lesquelles le déférencement lui a été notifié ;

Or considérant que rien n'autorise à conclure que, si la société Monoprix avait observé un préavis jusqu'au 21 juillet 2006 (et non jusqu'aux échéances respectives du 30 juin et du 31 décembre 2005), sa cocontractante aurait été en mesure, dans ce court intervalle de quelques mois, d'obtenir de nouveaux marchés et de nouveaux partenaires commerciaux de nature à lui permettre de réorganiser ses activités et de pallier en temps utile les conséquences économiques de son déférencement;

Considérant qu'il s'ensuit que, ainsi que l'a à bon droit jugé le tribunal, la société Chouard peut uniquement prétendre, en réparation de son préjudice, à l'indemnisation liée à la perte de marge commerciale subie par elle durant la période correspondant au préavis non exécuté;

Considérant que, dès lors, ayant respecté un préavis de vingt-trois mois et huit jours s'agissant des produits hors MDD, la société appelante doit indemniser les conséquences dommageables de l'inobservation du préavis pour la période restante, soit à compter du 1er juillet 2005 jusqu'au 21 juillet 2006, à concurrence de douze mois et 21 jours;

Considérant qu'ayant observé un délai de prévenance de vingt-neuf mois et huit jours en ce qui concerne les produits MDD, elle est redevable d'une indemnité devant couvrir le reliquat de préavis dû pour la période restante, soit à compter du 1er janvier 2006 jusqu'au 21 juillet 2006, à hauteur de six mois et 21 jours;

Considérant qu'aux termes du rapport d'expertise produit aux débats par la société Chouard, Monsieur Poissonnier a retenu que la commercialisation des produits MDD représentait l'équivalent de 30 % du chiffre d'affaires réalisé par la société intimée avec la société Monoprix ;

Considérant que, par ailleurs, il a estimé à 40 % pour les produits MDD et à 43,9 % pour les produits hors MDD la marge commerciale brute respectivement dégagée par la vente de ces produits;

Considérant que, dans la mesure où cette appréciation procède d'un examen approfondi des documents commerciaux et comptables communiqués par la société intimée, il convient de chiffrer le préjudice subi par cette dernière de la manière suivante:

- produits MDD : 3 261 000 euro (moyenne annuelle des trois derniers exercices) x 30 % = 978 300 euro

marge commerciale : 40 % = 391 320 euro

marge commerciale mensuelle = 32 610 euro

Total : 32 610 euro x 6 mois + 21/30 (195 660 euro + 22 827 euro) = 218 487 euro;

- produits hors MDD : 3 261 000 euro (moyenne annuelle des trois derniers exercices) x 70 % = 2 282 700 euro

marge commerciale : 43,9% = 1 002 105 euro

marge commerciale mensuelle : 83 508,75 euro, arrondi à = 83 509 euro

Total : 83 509 euro x 12 mois + 21/30 (1 002 108 euro + 58 456 euro) = 1 060 564 euro;

Considérant que, par voie de conséquence, il convient, en infirmant sur le quantum le jugement déféré, de condamner la société Monoprix à payer à la société Chouard la somme globale de : 1 279 051 euro, en réparation du préjudice subi par elle consécutivement à la rupture des relations commerciales assortie d'un délai de préavis insuffisant, et de débouter la société intimée du surplus de son appel incident.

Sur les demandes annexes:

Considérant qu'il convient de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a fixé à 25 000 euro l'indemnité octroyée à la société Chouard en remboursement des frais non compris dans les dépens exposés par elle en première instance;

Considérant que l'équité commande d'allouer à la société intimée, en cause d'appel, la somme complémentaire de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Considérant qu'il n'est cependant pas inéquitable que la société appelante conserve la charge des frais non compris dans les dépens qu'elle a engagés dans le cadre de la présente instance ;

Considérant que le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a condamné la société Monoprix aux dépens de première instance;

Considérant que cette dernière, qui succombe en son recours, doit être condamnée aux dépens d'appel.

Par ces motifs, Statuant en audience publique, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Déclare recevable l'appel interjeté par la société Monoprix, le dit mal fondé ; Déclare partiellement fondé l'appel incident de la société Les Etablissements Chouard; Confirme le jugement déféré, sauf à porter à trente-six mois la durée totale de préavis que la société Monoprix aurait dû observer, et sauf à condamner cette dernière à payer à la société Les Etablissements Chouard la somme globale de 1 279 051 euro en réparation du préjudice qui a résulté pour cette dernière de la rupture des relations commerciales assortie d'un préavis insuffisant ; Y ajoutant : Condamne la société Monoprix à payer à la société Les Etablissements Chouard la somme complémentaire de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société Monoprix aux dépens d'appel, et Autorise la SCP Bommart-Minault société d'avoués, à recouvrer directement la part la concernant, conformément à ce qui est prescrit par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.