CA Versailles, 3e ch., 9 mars 2007, n° 06-02128
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Terrat
Défendeur :
Avero Blegium Insurance (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bourquard
Conseillers :
M. Regimbeau, Mme Calot
Avoués :
SCP Boiteau Pedroletti, SCP Bommart Minault
Avocats :
Mes Germain, Larrieu
Rappel des faits et de la procédure
Madame Eliane Terrat est propriétaire d'une maison située 33 rue de Chandelette à Chandelles (28210). Courant décembre 2002, elle faisait l'acquisition d'un poêle à pétrole de marque Corona distribué en France par la société Ligne plus. Le 16 décembre 2003 le domicile de Mme Eliane Terrat subissait un incendie.
Par ordonnance de référé en date du 19 mars 2004, Mme le président du Tribunal de grande instance de Chartres désignait M. Bernard Faucher, ès qualités d'expert judiciaire près la Cour d'appel de Versailles. Ce dernier avait pour mission de rechercher les causes de l'incendie survenu le 16 décembre, d'examiner le poêle de marque Corona, de déterminer et chiffrer les travaux de nature à permettre la réfection du pavillon de Mme Eliane Terrat et de fournir tous les éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction saisie de déterminer les responsabilités encourues et d'évaluer les préjudices subis. Le rapport d'expertise était déposé le 27 septembre 2004. L'expert judiciaire conclut sont rapport dans les termes suivants:
"Le poêle est avec une quasi certitude à l'origine de l'incendie par suite vraisemblablement d'une mauvaise combustion dont l'origine et les causes restent indéterminées mais qui pourrait être la conséquence de l'emploi d'un combustible inadapté. L'erreur de conception ou la défectuosité accidentelle d'un organe de sécurité semble pouvoir être écartée, Il ne me paraît donc pas possible, sur ces bases, de rendre la société Ligne plus directement responsable du sinistre. I/faut enfin rappeler le fait que Mme Terrat n'était plus assurée contre l'incendie ce qui peut être de nature à l'inciter à trouver une responsabilité extérieure. En ce qui concerne les dommages, ils ont été estimés pour Me Bai représentant Mme Terrat à un total de 250 960,76 euro TTC et pour Me Devin représentant Ligne plus à un total de 187 989,51 euro TTC, sachant qu'à mon avis, les abattements pratiqués me semblent justifiés".
Le 21 décembre 2004, Mme Eliane Terrat assignait la société Ligne plus devant le Tribunal de grande instance de Chartres. Le 18 mai 2005 la société Ligne plus assignait en intervention forcée et en garantie devant le tribunal de grande instance de Chartres la compagnie Avero Belgium, assureur de la société Essege, importateur européen du produit.
Le 30 juin 2005 ces deux affaires étaient jointes.
Le 21 mars 2006, la SA Ligne plus a relevé appel du jugement rendu le 8 mars 2006 par le Tribunal de grande instance de Chartres qui, statuant sur les demandes de Mme Eliane Terrat tendant à voir reconnaître la responsabilité de la SA Ligne plus sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil, a :
- vu le rapport d'expertise déposé le 27 septembre 2004
- dit que Mme Terrat est recevable et bien-fondé à agir contre la SA Ligne plus sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil tels que modifiés par la loi du 9 décembre 2004
- condamné la société Ligne plus à verser à Mme Eliane Terrat la somme de 228 393,69 euro en réparation de son préjudice matériel, celle de 1 500 euro en réparation de son préjudice moral, assorties des intérêts au taux légal à compter du 9 mars 2006 et celle de 900 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
- débouté la SA Ligne plus de sa demande tendant à se voir relever et garantir de toute condamnation par la société Avero Belgium
- condamné la SA Ligne plus à payer à la société Avero Belgium la somme de 600 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
- ordonné l'exécution provisoire du jugement
- condamné la SA Ligne plus aux entiers dépens.
Par ordonnance en date du 28 avril 2006, le Premier Président de la Cour d'appel de Versailles a dit que l'exécution provisoire ordonnée par le jugement doit être maintenue jusqu'à concurrence de la somme de 130 807,69 euro seulement, ladite somme représentant l'indemnisation du seul préjudice immobilier subi par Mme Terrat.
Appelante de cette décision, la SA Ligne plus demande dans ses conclusions signifiées le 16 janvier 2007 par réformation du jugement entrepris de:
A titre principal
constater qu'elle n'a que la qualité de distributeur en France du poêle, et conformément aux dispositions de l'article 1386-1 du Code civil
dire et juger que Mme Terrat ne peut agir qu'à l'encontre du producteur du poêle litigieux, soit en l'espèce, la société Essege et son assureur de responsabilité civile, la compagnie Avero Belgium
en conséquence, déclarer Mme Terrat irrecevable en ses demandes à son encontre et la débouter.
A titre subsidiaire
constater qu'il résulte des opérations d'expertise judiciaire que le poêle ne comportait aucun défaut et que l'incendie résulte d'un défaut de combustion provoqué par l'utilisation d'un carburant inadapté au fonctionnement de l'appareil
en conséquence, dire et juger que la preuve d'un défaut de sécurité du poêle litigieux n'a pas été rapportée
dire et juger que [a preuve du lien de causalité entre. le défaut de sécurité et les dommages, qui ne peut être présumé, n'a pas non plus été établie
à titre encore plus subsidiaire, dire et juger qu'il résulte des conclusions de l'expertise judiciaire que l'incendie a été provoqué par l'utilisation d'un combustible non adapté au poêle, et qu'elle est en conséquence fondée à s'exonérer de toute responsabilité en invoquant la faute de la victime sans laquelle le sinistre ne se serait plus produit
en conséquence
débouter Mme Terrat de l'ensemble de ses demandes dirigées à son encontre
A titre infiniment subsidiaire, sur le préjudice
dire et juger que le préjudice ne peut excéder la somme de 187 989,51 euro TTC, outre 1 500 euro au titre du préjudice moral
En toute hypothèse
condamner la société Avero Belgium - Royal & Sun Alliance Insurance, assureur de la société Essege à relever et garantir la société Ligne plus de toutes condamnations éventuellement prononcées à son encontre
condamner la partie succombante au paiement de la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
aux motifs que:
- le tribunal a à juste titre jugé que la loi du 9 décembre 2004 était applicable en l'espèce
- Mme Terrat était en mesure de faire valoir ses droits directement à l'encontre de la compagnie Avero Belgium prise en sa qualité d'assureur de responsabilité civile de la société Essege, importateur européen du produit litigieux, la clause de renonciation à recours stipulée entre la société Ligne plus et la société Essege, étant inopposable au consommateur
- la société Essege a la qualité de producteur au sens de l'article 1386-6 du Code civil et le tribunal ne pouvait considérer que l'identité du producteur n'était pas connue de Mme Terrat et déclarer recevable son action à l'encontre de la société appelante
- de surcroît, l'assureur de responsabilité civile de la société Essege se trouve dans la cause et ne conteste pas devoir sa garantie
- la société Ligne plus n'a que la qualité de distributeur en France du poêle (importateur français)
- on ne peut déduire qu'un produit est défectueux du seul fait qu'il a causé un dommage
- le seul fait du produit ne peut suffire à engager la responsabilité du producteur, la victime doit prouver le défaut de sécurité de produit à laquelle on pouvait légitimement s'attendre
- Mme Terrat n'était pas assurée contre le risque incendie et a saisi de façon unilatérale le laboratoire Lavoue qui a établi le 9 décembre 2004 un rapport mettant en évidence que l'incendie de l'appareil provient d'un défaut de conception de ce dernier et que l'hypothèse d'une surchauffe du réservoir mobile apparaît comme la plus probable
- les opérations d'expertise judiciaire de M. Fauchier ont mis en évidence le fait que le poêle ne comportait aucune défectuosité et ont permis de mettre à néant les conclusions du laboratoire Lavoue
- les conclusions du LNE, dans le cadre d'une contre expertise en date du 3 septembre 2004, sont essentielles, dans la mesure où elles démontrent que le poêle ne comportait aucun défaut, que selon le laboratoire, le noircissement du bouchon est caractéristique de la présence d'un mauvais combustible pour ce type d'appareil et à son avis, il n'y a ni erreur de conception ni très vraisemblablement dysfonctionnement accidentel
- l'expert judiciaire et le LNE ont exclu de manière formelle le fait que l'incendie ait pu provenir d'un défaut de fonctionnement intrinsèque au poêle
- le défaut de combustion retenu comme étant la cause certaine du sinistre a en effet très clairement pour l'expert judiciaire, deux origines possibles: la mauvaise qualité du combustible vendu, une erreur de Mme Terrat qui aurait utilisé un combustible inapproprié, alors que la notice d'utilisation du poêle attire l'attention de l'utilisateur sur la nécessité absolue d'utiliser un type de combustible bien précis à l'exclusion de tous les autres
- le sinistre a bien été provoqué par un élément extérieur au poêle lui-même
- le défaut de sécurité du produit au sens des articles 1386-1 et suivants du Code civil ne peut résulter de la seule implication de la chose dans la réalisation du dommage
- le lien de causalité entre le défaut prétendu et le dommage n'est pas rapporté par Mme Terrat et a été expressément écarté par l'expert judiciaire, puisque le défaut de combustion est la conséquence de la survenance d'un événement extérieur au poêle lui-même et non d'un défaut de sécurité de l'appareil
- l'examen de la notice d'utilisation permet de constater que Mme Terrat n'avait pas respecté les consignes de prudence et de sécurité prescrites par le fabricant
- Mme Terrat a été incapable de présenter à l'expert le bidon de combustible qu'elle a prétendu avoir utilisé, alors que d'après ses dires, ce bidon était plein au 3/4 et ne justifie donc pas avoir utilisé le combustible prescrit par le constructeur du poêle, ni avoir respecté les consignes de sécurité
- l'expert conclut de façon formelle que l'incendie a bien été provoqué par l'utilisation d'un combustible incompatible avec le fonctionnement du poêle dans les conditions de sécurité attendue
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la faute de Mme Terrat dans l'utilisation d'un carburant inadéquat ainsi que le non-respect des autres consignes de sécurité (ventilation, dimension de la pièce et placement du poêle) est établi
- les procédures dans lesquelles la société Ligne plus a été attraite n'ont mis en évidence aucun défaut de conception du poêle et bien au contraire un défaut d'usage comme l'utilisation d'un combustible inapproprié
- les conditions de sécurité requises pour ce type d'appareils sont précisées par la norme NF D 35200
- le système de sécurité dont le poêle litigieux était équipé, est conforme à la norme applicable,
- il faut que le défaut de sécurité du produit soit caractérisé comme révélant une dangerosité anormale du produit pour que la responsabilité du producteur puisse être engagée.
Mme Eliane Terrat, intimée, demande dans ses conclusions signifiées le 11 janvier 2007 de:
dire et juger la société Ligne plus mal fondée en son appel principal
l'en débouter
A titre principal
dire la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 inapplicable au cas d'espèce
l'a dire recevable et bien fondée en ses demandes
confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a acquis le principe de la condamnation de la société Ligne plus
l'a recevoir en son appel incident
y faire droit
en conséquence
condamner la société Ligne plus à lui payer la somme globale de 292 044,53 euro au titre du préjudice matériel avec intérêts de droit avec capitalisation, à compter de l'assignation en référé du 4 mars 2004, conformément à l'article 1154 du Code civil ;
condamner la société Ligne plus à lui payer la somme de 20 000 euro au titre du préjudice moral subi par cette dernière avec intérêts de droit avec capitalisation, à compter de l'assignation en référé du 4 mars 2004, conformément à l'article 1154 du Code civil ;
condamner la société Ligne plus à lui payer la somme de 15 000 euro HT au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
à titre subsidiaire
condamner solidairement la société Avero Belgium et la société Ligne plus et ce, en sa qualité d'assureur de la société Essege
en conséquence
condamner solidairement la société Avero Belgium et la société Ligne plus à lui payer la somme globale de 292 044,53 euro au titre du préjudice matériel avec intérêts de droit avec capitalisation, à compter de l'assignation en référé du 4 mars 2004, conformément à l'article 1154 du Code civil ;
condamner solidairement la société Avero Belgium et la société Ligne plus à lui payer la somme de 20.000 euro au titre du préjudice moral subi par cette dernière avec intérêts de droit avec capitalisation, à compter de l'assignation en référé du 04 mars 2004, conformément à l'article 1154 du Code civil ;
condamner solidairement la société Avero Belgium et la société Ligne plus à lui payer la somme de 15 000 euro HT au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
aux motifs que:
- le rapport du laboratoire Lavoue en date du 9 février 2004 retient que l'incendie de l'appareil provient d'un défaut de conception de ce dernier
- la loi du 9 décembre 2004 n'avait pas vocation à s'appliquer, dans la mesure où le dommage subi est antérieur à l'entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 2004
- c'est la loi en vigueur au jour du fait générateur et non l'actuel texte qui doit être appliquée: loi du 19 mai1998 codifiée dans l'article 1386-1 et suivants du Code civil
- Mme Terrat ne connaît pas l'identité du producteur du poêle litigieux
- la société Ligne plus est bien le distributeur des produits défectueux et donc assimilé au producteur
- elle ne pouvait identifier le producteur japonais Corona ni celle de distributeur européen de la marque, la société de droit beige Essege, alors que la seule identité portée sur le guide d'utilisation est celle du distributeur français la société Ligne plus
- A titre subsidiaire, les conditions d'application de la responsabilité des produits défectueux sont pleinement remplies
- le poêle est avec certitude le siège du départ du feu ayant embrasé la maison et n'a pas offert la sécurité à laquelle on pouvait légitiment s'attendre au sens de l'article 1386-4 du Code civil (rapport Lavoue et rapport du LNE)
- en constituant le point de départ du feu, le poêle n'a pas offert la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre
- le rapport Lavoue met en évidence le défaut de conception du poêle et retient l'hypothèse d'une surchauffe du réservoir mobile, défaut également incriminé dans une revue spécialisée américaine
- on peut douter de l'objectivité des conclusions rendues par le LNE, qui est chargé de certifier avant la mise sur le marché des poêles Corona sa conformité aux normes NF, GSE et CE
- le défaut de fonctionnement du poêle résulte de l'absence de coupe-circuit, en dépit du dispositif de sécurité "airsensor"
- le droit à réparation de la victime est seulement subordonné à la réunion de deux conditions: un fait générateur et un dommage réparable
- la victime n'est pas tenue de prouver l'origine de l'absence de sécurité du produit, le dommage dont la cause est inconnue, reste à la charge du producteur
- le fait que Mme Terrat ait stocké dans son garage des jerricans d'essence pour tondeuse ne suffit pas à démontrer que cette dernière s'est trompée de carburant
- il n'y a pas lieu de retenir l'existence d'une faute de la part de Mme Terrat.
La société Avero Belgium Insurance, intimée, dans ses conclusions signifiées le 29 août 2006 demande de:
confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande en garantie de la société Ligne plus
condamner la société Ligne plus au paiement de la somme de 2.000 euro au titre des frais irrépétibles aux motifs que:
- elle a la qualité d'assureur de la société Essege, importateur en Europe de poêles de marque Corona
- le défaut et le lien de causalité entre le défaut et les dommages ne sont pas établis, comme le soutient la société Ligne plus
- le rapport d'expertise judiciaire n'a pas été établi de façon contradictoire à son égard
- le rapport d'expertise judiciaire écartant la responsabilité de la société Ligne plus, la sienne ne peut être retenue.
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 18 janvier 2007.
Motifs de la décision
- Sur la recevabilité de la demande de Mme Terrat contre le distributeur français du produit
* sur l'application de la loi du 9 décembre 2004
Considérant que c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges, rappelant que cette loi s'applique aux produits dont la mise en circulation est postérieure à la date d'entrée en vigueur de la loi modificative du 19 mai 1998 transposant la directive du Conseil des Communautés européennes du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, même s'ils ont fait l'objet d'un contrat antérieur, ont considéré que ce texte avait vocation à s'appliquer en l'espèce, dès lors qu'il n'est pas contesté que le poêle à pétrole de marque Corona avait été acquis par Mme Terrat en décembre 2002 dans le magasin Catena à Nogent le Roi (28);
* sur l'identité du producteur du poêle litigieux
Considérant que selon l'article 1386-7 du Code civil, "Le vendeur, le loueur, à l'exception du crédit-bailleur ou du loueur assimilable au crédit-bailleur, ou tout autre fournisseur professionnel n'est responsable du défaut de sécurité du produit dans les mêmes conditions que le producteur que si ce dernier demeure inconnu.
Le recours du fournisseur contre le producteur obéit aux mêmes règles que la demande émanant de la victime directe du défaut. Toutefois, il doit agir dans l'année suivant la date de sa citation en justice "
Considérant en l'espèce, que sur la notice d'utilisation du poêle acheté par Mme Terrat, figure le nom de la société Ligne plus, "distributeur européen de Corona", qui "répond de la bonne qualité de la fabrication et du matériel", le nom de la société Essege en Belgique étant mentionnée au titre "Europe" sans autre précision ;
Qu'à défaut par la société Ligne plus de fournir l'identité et les coordonnées complètes du producteur japonais du produit dont s'agit, l'action engagée par Mme Terrat doit être déclarée recevable, étant rappelé que le distributeur d'un produit défectueux est responsable dans tous les cas au même titre que le producteur et que les nouvelles dispositions de l'article 1386-7 du Code civil issues de la loi du 5 avril 2006 sont inapplicables en l'espèce;
Que le jugement sera confirmé de ce chef en ce qu'il a rejeté le moyen tiré de l'irrecevabilité de la demande;
- Sur la responsabilité de la société Ligne plus au titre des produits défectueux
Considérant que l'article 1386-1 du Code civil prévoit que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime" ;
Qu'il résulte de l'article 1386-9 du Code civil, que la responsabilité du producteur est soumise à la condition que le demandeur prouve, outre le dommage, le défaut du produit et le lien de causalité entre le défaut et le dommage;
* sur l'imputabilité du dommage au produit
Considérant en l'espèce, qu'il ressort des trois rapports d'expertise produits aux débats rapport du laboratoire Lavoue du 9 février 2004, rapport d'essai du Laboratoire National d'Essai (LNE) désigné sapiteur par l'expert judiciaire en date du 3 septembre 2004, rapport d'expertise judiciaire de M. Fauchier du 27 septembre 2004, que l'imputabilité du dommage doit être attribué au poêle litigieux, dès lors qu'il est certain qu'il était bien le siège du départ de feu ayant embrasé la maison de Mme Terrat, l'expert judiciaire concluant ainsi son rapport:
"le poêle est avec une quasi certitude à l'origine de l'incendie par suite vraisemblablement d'une mauvaise combustion
Que le poêle dont s'agit est un appareil mobile de chauffage d'appoint à usage domestique, dit "poêle à pétrole" dont le label "NF" a été contrôlé par le LNE
* sur le défaut de sécurité du produit
Considérant que l'article 1386-4 énonce qu"un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un autre, plus perfectionné, a été mis postérieurement en circulation";
Que le défaut du produit se définit donc comme étant l'absence de sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre dans des circonstances normalement prévisibles, compte tenu de sa présentation, de l'usage qui pouvait être raisonnablement attendu, du moment de sa mise en circulation et de la gravité des effets dangereux ou nocifs constatés
Que contrairement à ce que soutient Mme Terrat, la simple survenance d'un dommage n'établit pas la défectuosité ou la dangerosité du produit et il lui appartient de caractériser le défaut du produit, étant précisé que l'utilisation d'un combustible liquide dans un brûleur implique certains risques;
Que le défaut de combustion a été retenu par l'expert judiciaire comme étant la cause certaine du sinistre
Qu'il convient de rappeler qu'un rapport d'expertise amiable peut valoir à titre de preuve dès lors qu'il est soumis à la libre discussion des parties, tel que le rapport Lavoue;
Que le laboratoire Lavoue, spécialiste en analyses et incendies, requis par Mme Terrat conclut son rapport daté du 9 février 2004 de la façon suivante : "La recherche de carburants trop volatiles ou en tout cas plus volatiles que le pétrole préconisé est négative.
Tous ces éléments militent donc en défaveur de l'hypothèse d'une utilisation non appropriée du poêle à pétrole. Tout porte à penser que l'incendie de l'appareil provient d'un défaut de conception de ce dernier. Nous pensons en ce qui nous concerne et d'après les nombreux sinistres liés à ce genre d'appareil que nous avons eu l'occasion d'expertiser, que ces systèmes de chauffage présentent deux inconvénients majeurs qui ont des risques de provoquer un incendie.
- la combustion de combustible du carburant est incomplète lorsque l'appareil est réglé au ralenti. Ce mode de fonctionnement se traduit pas la production de gaz imbrûlés et donc de composés volatiles issus du carburant et qui ont toutes les chances de s'enflammer au contact du bloc brûleur en fonctionnement.
- le réservoir mobile a une capacité beaucoup plus importante que le réservoir fixe de sorte qu'en cas de défaut de la valve (ou d'un mauvais serrage de bouchon mais ce n'est pas le cas ici), de l'utilisation d'un carburant trop ou plus volatile que celui qui est préconisé (ce n'est pas a pilori le cas ici) ou encore de surchauffe du réservoir mobile, l'alimentation du réservoir fixe devient trop importante ce qui se traduit par un débordement du combustible au niveau du réservoir fixe qui a toutes les chances de s'enflammer et de propager rapidement un incendie alors que le poêle est allumé.
L'hypothèse d'une surchauffe du réservoir mobile apparaît comme la plus Probable"
Considérant que le LNE conclut son rapport daté du 3 septembre 2004 dans les termes suivants, après avoir procédé au démontage de l'appareil et à l'analyse chimique des prélèvements effectués (résidus se trouvant dans le réservoir mobile): "le poêle analysé au laboratoire a subi la destruction de nombreuses pièces constitutives, l'examen des pièces restantes ou partiellement endommagées témoigne que cet appareil répond aux règles de l'art dans ce domaine, ne présente pas de défaut de conception et que les organes de sécurité mécanique et thermique sont présents, la présence d'un noircissement important de la région du réservoir mobile avec le réservoir fixe atteste d'un problème de combustion qui a pu provoquer un incendie (ce noircissement est caractéristique de la présence d'un mauvais combustible pour ce type d'appareil), les analyses chimiques effectuées sur les divers prélèvements du poêle n'ont pas permis de déterminer la nature du combustible, de toutes ces observations, il résulte que le poêle est très vraisemblablement à l'origine de l'incendie par suite d'une mauvaise combustion dont l'origine n'a pu être déterminée" ;
Que l'expert judiciaire, M. Fauchier indique dans son rapport d'expertise daté du 27 septembre 2004, que le sinistre ne peut avoir que trois causes qui sont:
- le défaut de conception de l'appareil
- le dysfonctionnement brutal d'un composant
- l'utilisation d'un mauvais combustible
Que M. Fauchier souligne l'insuffisance du rapport Lavoue qui a seulement procédé à un examen visuel des éléments principaux de l'appareil, alors que le LNE a procédé au démontage de l'appareil, qu'il réfute les arguments du laboratoire Lavoue incriminant un défaut de conception de l'appareil, en précisant que le débordement du réservoir mobile sur le réservoir fixe est pratiquement impossible et même s'il se produisait, il faudrait une flamme pour déclencher un incendie et la flamme est beaucoup trop haute, rappelant que l'erreur de conception a été formellement écartée par le LNE, qu'il ne retient pas l'éventualité du dysfonctionnement accidentel d'un élément touchant aux organes de sécurité, éventualité considérée comme improbable par le LNE, que l'utilisation d'un mauvais combustible (mauvaise qualité du combustible vendu ou erreur de carburant de Mme Terrat) est écartée au regard des analyses auxquelles a procédé le LNE et qui ne lui ont pas permis de "déterminer la nature du combustible" ;
Que l'expert indique que "le sinistre avec une quasi certitude, a démarré dans le poêle à pétrole mais dont l'origine exacte reste inconnue et pour une raison qui ne peut être précisée compte tenu de l'état d'épave et du temps passé depuis l'accident. En tout état de cause, l'erreur de conception ou le dysfonctionnement accidentel ne semblent pas pouvoir être retenus. Il reste l'hypothèse la plus vraisemblable d'une mauvaise combustion d'origine indéterminée et dans ce cas, l'utilisation d'un carburant inadapté ne peut être écartée" ;
Qu'il résulte de l'ensemble des ces mesures d'instruction et d'investigation, que la thèse du débordement du réservoir fixe ne peut être retenue, dès lors que l'examen du poêle et de ses différents organes n'apporte pas la preuve de cette allégation ;
Que de même, l'hypothèse avancée de la mauvaise qualité du combustible utilisé ou l'erreur de carburant de Mme Terrat, ne peut être retenue, faute de composition anormale du combustible selon le LNE, étant ajouté que les caractéristiques du produit PPX utilisé comme combustible par l'intimée est conforme à la norme D 35 300 et à l'arrêté du 8 janvier 1998;
Que l'argument d'utilisation de l'appareil dans une pièce insuffisamment ventilée ou dans une pièce sous dimensionnée sera écarté, dans la mesure où le dispositif "Airsensor" met en sécurité l'appareil en cas de conditions anormales d'emploi (mauvaise ventilation, emploi dans une pièce trop petite, trop près d'un mur ou d'un meuble), dispositif qui ne s'est pas mis en fonctionnement en l'espèce, comme ne correspondant pas à la défectuosité incriminée ;
Considérant que du fait de l'incertitude sur les circonstances du sinistre l'origine de la mauvaise combustion qui est restée non déterminée et compte tenu de l'état d'épave et du temps passé depuis l'accident, aucune conclusion formelle ne peut être démontrée sur le défaut de conception du poêle de marque Corona et l'argument de défaut de conception du produit sera donc écarté;
* sur le défaut de sécurité réglementaire
Considérant que la sécurité réglementaire du produit à laquelle on peut légitimement s'attendre, correspond à la conformité du produit à la norme NF D 35.300, ce qui est établi en l'espèce, le LNE précisant dans son rapport que "cet appareil répond aux règles de l'art" ;
* sur le défaut de sécurité du produit au regard des informations contenues dans les notices relatives aux risques liés à son utilisation au moment de sa mise en circulation
Considérant que la notice d'instructions Corona donne à l'utilisateur des conseils d'utilisation et de sécurité en attirant son attention au paragraphe 9 du document, intitulé 'important" sur la nécessité d'utiliser un combustible liquide de première qualité conforme à la description qui en est faite dans la notice (Tosaïne ou Iosaïne plus), de ne jamais utiliser un combustible volatile, sur les conditions d'entreposage du combustible liquide (§10), sur les conditions d'utilisation de l'appareil (§11): "utilisez votre appareil dans une pièce bien et suffisamment ventilée et exempte de vapeurs inflammables, n'utilisez pas votre appareil dans une pièce sous dimensionnée, gardez une distance minimale de lm entre votre appareil et les murs, meubles, rideaux, éteignez votre appareil avant de procéder au remplissage de votre réservoir" ;
Que dans le récapitulatif des avertissements "danger", il est mentionné : "sachez que 95 % des problèmes de fonctionnement découlent de l'utilisation d'un mauvais combustible liquide pour appareil de chauffage mobile", étant rappelé que l'expert a mis en évidence dans la cause du sinistre un défaut de combustion ;
Que de même, le guide des pannes et réparations" répertorie les causes possibles des pannes en rappelant notamment, qu'un mauvais combustible provoque de la fumée ;
Qu'il en résulte qu'au titre des précautions d'emploi, la notice d'utilisation jointe à l'appareil insiste essentiellement, sur le choix du bon combustible ;
Que cependant, la notice d'information ne met pas en évidence pour l'utilisateur, l'absence de dispositif de sécurité de l'appareil contre les risques d'incendie (anti prise de feu), le dispositif "Détecteur Airsensor" de mise en sécurité de l'appareil (extinction automatique de l'appareil) ne fonctionnant qu'en cas de conditions anormales d'emploi sus rappelées, alors que selon les pièces produites de part et d'autre, le risque d'incendie de l'appareil existe et donne lieu à contentieux pour déterminer les responsabilités dans la survenue du sinistre, défaut de conception de l'appareil ou mauvaise utilisation du produit (litige notamment par suite d'une modification des caractéristiques physiques et chimiques du combustible mélange d'essence auto au pétrole recommandé comme combustible, incendie survenu en décembre 2001) ;
Que l'utilisateur, Mme Terrat, ne pouvait percevoir la nature et la gravité du risque d'incendie de l'appareil, à défaut d'être signalé dans la notice d'information et ne pouvait donc légitimement s'attendre à une prise de feu du poêle;
Que le poêle, ainsi qu'il résulte du rapport d'expertise, a joué un rôle causal dans la production du dommage au sens de l'article 1386-9 du Code civil;
* sur l'absence de cause exonératoire de la responsabilité du producteur
Considérant que selon l'article 1386-11 du Code civil, "Le producteur est responsable de plein droit à moins qu'il ne prouve:
1° Qu'il n'avait pas mis le produit en circulation;
2° Que, compte tenu des circonstances, il y a lieu d'estimer que le défaut ayant causé le dommage n 'existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement;
3° Que le produit n'a pas été destiné à la vente ou à toute autre forme de distribution,
4° Que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut,
5° Ou que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives d'ordre législatif ou réglementaire.
Le producteur de la partie composante n'est pas non plus responsable s'il établit que le défaut est imputable à la conception du produit dans lequel cette partie a été incorporée ou aux instructions données par le producteur de ce produit";
Considérant que l'article 1386-13 du Code civil énonce que "la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d'une personne dont la victime est responsable";
Qu'en l'espèce, la société Ligne plus ne rapporte la preuve d'aucune cause exonératoire au sens des dispositions précitées, étant rappelé que la cour a écarté l'allégation d'usage anormal ou erroné du produit;
Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit par des motifs pertinents que la cour adopte, que le fait que Mme Terrat ait stocké dans son garage des bidons d'essence pour tondeuse ne suffit pas à démontrer que cette dernière se soit trompée de carburant et qu'il n'y avait donc pas lieu de retenir l'existence d'une faute de la part de l'utilisateur du poêle comme le soutient la société Ligne plus ;
Qu'en conséquence, le jugement sera confirmé par substitution de motifs au titre de la défectuosité de sécurité du produit, dès lors que Mme Terrat a rapporté la preuve de la défectuosité du poêle, caractérisé par le défaut de mise en garde dans la notice d'instructions d'une part, sur les risques d'incendie de l'appareil, d'autre part, sur l'absence de dispositif de sécurité de l'appareil contre les risques d'incendie;
- Sur la réparation du préjudice subi par Mme Eliane Terrat (art. 1386-2 du Code civil)
* au titre des dommages immobiliers
Considérant qu'il convient de retenir l'évaluation de ce préjudice telle que mentionnée par l'expert judiciaire, à la somme de 106 153,512 euro, après application de réduction et de coefficient de vétusté, s'agissant d'une maison habitée par Mme Terrat depuis de nombreuses années;
* au titre des dommages mobiliers
Qu'il convient de retenir l'évaluation de l'expert arrêtée à la somme de 81.836 euro au vu des pièces produites;
* au titre du préjudice locatif et du préjudice moral
Considérant que c'est par des motifs propres et adoptés, que les premiers juges ont évalué ces préjudices à la somme de 1 500 euro, étant précisé que le relogement à Paris de Mme Terrat s'est fait au domicile de son fils Philippe Neveu;
Que la somme allouée à Mme Terrat au titre de frais irrépétibles en première instance aux sera confirmée et une indemnité complémentaire lui sera allouée en cause d'appel;
- Sur la garantie de la société Avero Belgium Insurance
Considérant que la société Avero Belgium Insurance ne contestant pas être l'assureur de responsabilité de la société Essegue, importateur européen du poêle Corona et donc producteur au sens des dispositions de la loi du 19 mai 1998, son obligation à garantie sera retenue à l'égard de la société Ligne plus, distributeur en France du poêle Corona en application des dispositions de l'article 1386-7 du Code civil et le jugement sera infirmé de ce chef;
Qu'en effet, la mise en cause de l'assureur de responsabilité n'est pas subordonnée à la mise en cause de l'assurée (société Essegue), laquelle ne peut intervenir compte tenu des clauses de renonciation à recours stipulées à son profit;
Que cette clause de renonciation à recours ne peut bénéficier à l'assureur du responsable au bénéfice de laquelle elle n'a pas été stipulée, une telle clause étant d'interprétation stricte;
Qu'en outre, le caractère inopposable du rapport d'expertise judiciaire invoquée par la société Avero Belgium Insurance par suite de son caractère non contradictoire à son égard sera écarté, dès lors que ce rapport a été régulièrement versé aux débats et qu'il a été soumis à la discussion contradictoire des parties, étant rappelé que le conseil de la société Ligne plus avait demandé en vain à l'expert judiciaire sa mise en cause au cours des opérations d'expertise;
Que la demande de la société Avero Belgium Insurance au titre de frais irrépétibles sera rejetée
Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement en ce qu'il a : - rejeté le moyen tiré de l'irrecevabilité de la demande, - dit que Mme Terrat est recevable et bien-fondé à agir contre la SA Ligne plus sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil tels que modifiés par la loi du 9 décembre 2004 - et condamné la SA Ligne plus à payer à la société Avero Belgium la somme de 600 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Confirme le jugement par substitution de motifs, en ce qu'il a dit que le poêle à pétrole de marque Corona était un produit défectueux au sens des dispositions des articles 1386-1 et suivants du Code civil, L'infirme pour le surplus, Et statuant à nouveau, Condamne la société Ligne plus à verser à Mme Eliane Terrat la somme de 106 153,512 euro en réparation de son préjudice immobilier, celle de 81 836 euro en réparation de son préjudice mobilier, celle de 1 500 euro en réparation de son préjudice moral, assorties des intérêts au taux légal à compter du 8 mars 2006, Condamne la société Ligne plus à verser à Mme Eliane Terrat la somme de 6 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Avero Belgium Insurance, assureur de la société Essege, à relever et garantir la société Ligne plus de toutes condamnations prononcées à son encontre, en principal, intérêts et frais, y compris au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et des dépens, Condamne la société Ligne plus aux dépens de première instance et d'appel, dont le recouvrement sera poursuivi par la SCP Boiteau & Pedroletti, société titulaire d'un office d'avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile. - prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.