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Décisions

CA Caen, 3e ch. sect. 1 soc., 24 mars 2006, n° 05-02952

CAEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cugney

Défendeur :

Etap Hotel - Falaise Investissement Hôteliers, Société commerciale des hôtels économiques (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poumarède

Conseillers :

Mme Clouet, M. Collas

Avocats :

Mes Koromyslov, Goudelin, Canavese, Cloarec-Merendon

Cons. prud'h. Caen, du 7 juill. 2005

7 juillet 2005

La SCHE (Société Commerciale des Hôtels Economiques) est propriétaire à la Bouxière-aux-Dames d'un hôtel qu'elle exploitait sous l'enseigne Formule 1 à la suite d'un contrat de franchise avec la Spheresa. Par contrat de gérance-mandat prenant effet le 4 novembre 1996 la SCHE a confié la gestion de cet hôtel, sous la même enseigne, à la SARL Espérance (la SARL) dont Madame Cugney est la gérante. Il a été mis fin à ce contrat le 1er novembre 1997.

Dans les mêmes conditions la SCHE a confié à la SARL avec effet au 1er novembre 1997, la gestion d'un hôtel Formule 1 qu'elle possède à Heillecourt/Nancy Nord. Ce contrat a pris fin le 6 juillet 1998.

A compter du 15 juillet 1998 en application d'un contrat de mandat-gérance conclu avec la société Falaise Investissement Hôtelier (FIH) la SARL représentée par sa gérante s'est vu confier l'exploitation d'un hôtel situé à Hérouville Saint-Clair (Calvados) sous l'enseigne Etap Hôtel à la suite d'un contrat de franchise signé par la FIH avec la société Etap Hôtel, filiale du groupe Accor. Ce contrat a été résilié à compter du 1er mars 2004.

Soutenant qu'en réalité elle s'était trouvée, avec chacune des sociétés précitées, dans les liens d'une véritable relation salariale, que la SARL, qui avait été constituée à l'instigation de la SCHF, était fictive et n'avait pour objet que de masquer la véritable nature des relations entre elle et les sociétés propriétaires des hôtels qu'elle avait gérés, Madame Cugney a saisi la juridiction prud'homale pour voir prononcer la requalification des contrats de gérance-mandat en contrats de travail.

Par jugement du 7 juillet 2005 le Conseil de prud'hommes de Caen s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris pour statuer sur la réclamation de Madame Cugney;

Vu ledit jugement;

Vu la déclaration de contredit formée le 20 juillet 2005 par Madame Cugney;

Vu les conclusions déposées, régulièrement communiquées et oralement soutenues par Madame Cugney;

Vu les conclusions déposées, régulièrement communiquées et oralement soutenues par la SCHE ;

Vu les conclusions déposées, régulièrement communiquées et oralement soutenues par la FIH.

Motifs de la décision

En vertu de l'article 12 du nouveau Code de procédure civile il appartient au juge de restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux.

Par ailleurs le contrat de travail se caractérise par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des directives, d'en contrôler l'exécution et d'en sanctionner l'inexécution, étant souligné que seules les conditions de fait dans lesquelles s'est exercée l'activité litigieuse permettent d'établir l'existence d'un tel contrat peu important la volonté des parties ou la dénomination qu'elles ont cru pouvoir donner à leur convention.

La circonstance que les relations entre Madame Cugney et les sociétés défenderesses se soient instaurées par le truchement de la SARL ne fait donc pas nécessairement obstacle à ce qu'il soit constaté, qu'en réalité il existait un contrat de travail entre ces sociétés et Madame Cugney.

Enfin, c'est à la partie qui se prévaut de l'existence d'un contrat de travail d'en rapporter la preuve. Puisque l'exécution du travail que constitue l'exploitation des hôtels précités n'est en l'occurrence pas contestée, il incombe à Madame Cugney de prouver qu'en dépit des apparences résultant des contrats de gérance-mandat signés par la SARL L'Espérance avec la SCHE puis avec la FIH elle a exécuté ce travail sous la subordination juridique de ces sociétés.

Or elle ne rapporte pas une telle preuve.

En effet, il faut souligner que l'intéressée (qui produit devant la cour de très nombreuses pièces difficilement exploitables puisque non répertoriées, non classées, non analysées et sur lesquelles ne figure aucune mention relative à la communication qui en aurait été faite) se borne, pour l'essentiel à développer des considérations d'ordre général sur le système mis en place par le groupe Accor pour l'exploitation d'hôtels de catégorie économique par le truchement de SARL ayant conclu un contrat de gérance-mandat avec des filiales de ce groupe sous contrat de franchise pour l'utilisation des enseignes Formule 1 et Etap Hôtel et à se prévaloir de ce que certaines juridictions ayant eu à se prononcer sur les rapports entre les gérants et les filiales du groupe Accor ont retenu l'existence de contrats de travail.

- Sur le caractère prétendument fictif de la SARL L'Espérance

* Constitution de la société

S'il est certain qu'après avoir vu sa candidature acceptée par la société Formule 1 et avoir suivi pendant 44 jours une stage de formation de "gérant Formule 1 Etap Hôtel" Madame Cugney a été incitée à constituer une SARL et assistée pour les démarches à accomplir à cette fin, dès lors que rien de démontre qu'elle n'aurait pas eu l'intention de s'associer avec son conjoint conformément aux dispositions de l'article 1832 du Code civil, les circonstances précitées ne sont pas l'indice d'une société fictive.

Il est d'autre part établi que la SARL a été constituée le 26 octobre 1996 entre Madame Cugney et son conjoint, chacun d'entre eux étant titulaire de 250 parts et ayant personnellement apporté la moitié (25 000 F) du capital social ainsi qu'en justifie le certificat de dépôt délivré par le Crédit Agricole.

La régularité des apports ne saurait être affectée par le fait que la société Formule 1 a fait savoir, par lettre du 28 octobre 1996, qu'elle accepterait de prendre en charge sur présentation d'une facture de la SARL "ses frais de commercialisation, de reprise et d'installation de l'hôtel" pour un montant de 76 500 F.

* Fonctionnement de la société

Rien n'incite à considérer qu'au cours de la période litigieuse la SARL n'aurait pas fonctionné normalement : il est produit les bilans des exercices considérés lesquels démontrent que comme toute société la SARL supportait des salaires, charges sociales, primes d'assurances et impôts, que les associés se réunissaient régulièrement en assemblées générales ordinaires ; qu'en 1998, 2000 et 2001 la SARL a réalisé des bénéfices qui ont été à l'origine de distribution de dividendes aux associés sans qu'apparaisse la moindre intervention des sociétés défenderesses, l'AGO du 28 juin 2001 ayant ainsi décidé de la distribution de 120 F par part au titre de l'exercice 2000.

Aussi Madame Cugney n'est-elle pas fondée à soutenir que " l'entier bénéfice a été perçu par le groupe ".

Par ailleurs comme tout mandataire la SARL était rémunérée par le versement d'une commission calculée sur le chiffre d'affaires qu'elle réalisait, si l'article 8.4 de chacun des contrats de gérance-mandat stipulait qu'une commission complémentaire destinée à équilibrer les charges du mandat pourrait être versée par la société propriétaire de l'immeuble cela n'est que la mise en œuvre de l'obligation faite au mandant par l'article 2 000 du Code civil d'indemniser le mandataire des pertes que celui-ci a essuyées à l'occasion de sa gestion. Cela ressort du reste du libellé de l'article précité lequel précise que cette commission serait versée : "Dans l'hypothèse où les commissions ne suffiraient pas à couvrir les charges du mandat telle qu'évaluées dans le compte joint en annexe". La stipulation considérée n'est donc pas l'indice de ce que la SARL ne supportait pas le risque de l'exploitation.

- Sur le prétendu lien de subordination

* Directives des sociétés la SCHE et la FIH

Madame Cugney établit, notamment par la production d'un document portant le titre "normes et procédure de gestion des hôtels de la chaîne Etap Hotel" qu'elle était contrainte d'exploiter les hôtels de la SCHE et la FIH dans le respect de nombreuses contraintes.

Mais celles-ci n'ont toutefois pas dépassé le cadre des prescriptions résultant directement de la convention de franchise sous laquelle se trouvaient ces sociétés et qu'elles avaient donné mandat à la SARL d'appliquer; elles ne constituent pas l'expression d'un pouvoir hiérarchique des sociétés défenderesses mais s'analysent en recommandations visant à transmettre les moyens de la réussite commerciale du franchiseur et à maintenir l'image de marque du réseau d'utilisation des normes "Formule 1" ou "Etap Hôtel" et apparaissent inhérentes au contrat de franchise.

* Pouvoir de contrôle des sociétés

Il en est de même en ce qui concerne les contrôles prévus par les contrats de gérance-mandat qui prévoyaient expressément que la SARL acceptait et autorisait toutes inspections par les représentants des franchiseurs (et non pas des sociétés défenderesses).

S'agissant des contrôles qu'auraient opérés de la SCHE ou de la FIH, Madame Cugney n'en établit pas la réalité et n'allègue même pas dans quelles conditions ils auraient été mis en œuvre.

- Sur la contrepartie financière de la prestation de travail

Les bulletins de paie établissent que Madame Cugney a perçu une rémunération qui a varié (salaire et primes exceptionnelles). Ainsi le bulletin de paie d'avril 1999 mentionne un salaire de 7 000 F outre une prime de bilan de 24 640 F, celui de septembre 1999 un salaire de 15 000 F. Or l'intéressée n'établit ni même n'allègue que les sociétés mandantes seraient à l'origine de ces modifications et rien ne permet de retenir qu'elles seraient intervenues autrement qu'en versant à la SARL la commission prévu par les contrats de gérance-mandat et qui représentait un pourcentage du chiffre d'affaires.

- Sur les conditions d'exercice par Madame Cugney de sa prestation

Le travail subordonné est normalement accompli suivant l'horaire prescrit lequel constitue un indice important du rapport de subordination puisque son non-respect peut être sanctionné. Or, Madame Cugney n'établit pas qu'elle était soumise à des horaires.

Par ailleurs alors que le salarié doit effectuer lui-même le travail convenu sans pouvoir se faire substituer, si les contrats de gérance-mandat énonçaient le principe d'une "exploitation personnelle" par la personne du gérant, c'est-à-dire par Madame Cugney, il était expressément prévu qu'elle pouvait se faire remplacer "pour de courtes périodes (dont la durée n'est nullement précisée) justifiées par les congés ou la convenance personnelle".

L'intéressée ne justifie pas avoir dû solliciter de la SCHE ou de la FIH l'autorisation de s'absenter. Ainsi alors qu'il résulte des bulletins de paie qu'elle s'est trouvée en congé de maternité, il n'existe aucune trace de ce que les sociétés défenderesses seraient intervenues pour décider des modalités de son remplacement.

Les pièces versées aux débats démontrent que Madame Cugney a recruté plusieurs salariés pour, notamment, exercer les fonctions de femme de ménage ou d'agent de maintenance. Le rapport de gestion de l'exercice 1999 fait ainsi mention d'un "effectif salarié moyen" de 3 salariés et précise que la maîtrise des charges a pu être obtenue notamment par "une baisse de 13 400 F du poste personnel remplaçant" ce qui démontre encore que, dans la réalité et quelles que soient les stipulations contractuelles Madame Cugney pouvait, à sa guise, se substituer des remplaçants à ses frais et sous son entière responsabilité.

Etant souligné que la situation litigieuse est antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 2 août 2005 ayant introduit le contrat de mandat-gérance dans le Code du commerce mais doit s'analyser au regard des dispositions des article 1999 et 2000 du Code civil ; des éléments ci-dessus analysés il ressort en définitive que la gestion des hôtels appartenant à la SCHE et la FIH a été assurée par Madame Cugney en sa qualité de gérante salariée de la SARL dans des conditions qui caractérisent non seulement un fonctionnement normal de cette société mais aussi des relations entre cette dernière et les sociétés défenderesses conformes à l'exécution d'un contrat de mandat tel que défini par les articles 1993 et suivants du Code civil et avec une autonomie dont les seules limites sont inhérentes à la convention de franchise applicable à la gestion de chacun de ces établissements.

L'existence d'un rapport de subordination juridique entre Madame Cugney et les sociétés défenderesses n'étant pas établie, c'est par conséquent à juste titre que les premiers juges ont estimé que la juridiction prud'homale n'était pas compétente et qu'ils ont estimé devoir renvoyer la cause et les parties devant le tribunal de commerce.

Le contrat de gérance-mandat conclu avec la SCHE contenait une clause attribuant compétence au Tribunal de commerce de Paris, celui conclu avec la FIH au Tribunal de commerce de Caen.

Il convient par conséquent de prononcer la disjonction des demandes dirigées contre chacune de ces sociétés et de les renvoyer devant les tribunaux de commerce désignés audits contrats.

- Sur les dépens et les frais irrépétibles

Partie perdante Madame Cugney supportera les dépens et il n'est ni inéquitable ni économiquement injustifié de la condamner à payer à la SCHE et à la FIH une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Décision

LA COUR,

Déclare mal fondé le contredit formé par Madame Cugney contre le jugement précité du Conseil de prud'hommes de Caen ; Prononce la disjonction des demandes dirigées contre la SCHE de celles dirigées contre la FIH ; Vu l'article 86 du nouveau Code de procédure civile renvoie l'affaire relative aux demandes dirigées contre la SCHE au Tribunal de commerce de Paris et celle relative aux demandes dirigées contre la FIH devant le Tribunal de commerce de Caen ; Condamne Madame Cugney aux entiers dépens et à payer à la SCHE et à la FIH la somme de 2 000 euro sur le fondement de dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.