CA Paris, 1re ch. H, 2 octobre 2007, n° ECEC0813238X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Européenne de travaux ferroviaires (SA), STPV (Sté)
Défendeur :
Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi, Président du Conseil de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pezard
Conseillers :
M. Remenieras, Mme Mouillard
Avoués :
SCP Bolling Durand Lallement, Me Buret
Avocats :
Mes Kohn, Lacaze
Les travaux de voies ferrées consistent en la pose (renouvellement de voies) et l'entretien (des rails, des traverses et du ballast) des voies pour trains publics ou privés, pour tramways, pour métros.
Ils sont demandés par des propriétaires ou exploitants de voies. Bien qu'il existe des entreprises privées qui possèdent des installations de voies terminales reliées au réseau public, l'essentiel de la demande provient de la société Réseau Ferré de France (ci-après RFF) pour le réseau public de chemins de fer. RFF est en effet propriétaire depuis 1998 de la quasi-totalité du réseau public de chemins de fer français. C'est toutefois la Société nationale des chemins de fers français (ci-après la SNCF) qui, en vertu d'une convention passée avec lui, en assure l'entretien pour son compte en qualité de maître d'ouvrage délégué.
La SNCF n'est pas soumise au Code des marchés publics. Au moment des faits, la passation des marchés obéit à deux textes principaux la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, dite loi Sapin, et la directive européenne dite "Transport" du 14 juin 1993 (93/38).
L'appel d'offres se déroule en deux phases dans un premier temps, la SNCF lance un appel à candidatures, par publicité dans la presse spécialisée notamment, puis sélectionne des candidatures selon des critères objectifs de compétence, de qualification et de solidité financière, dans un second temps, elle envoie un dossier de consultation aux entreprises ainsi sélectionnées.
Si l'appel d'offres est déclaré infructueux, par exemple en raison du coût trop élevé des propositions, la SNCF s'affranchit des règles strictes de l'appel d'offres et procède à une consultation des entreprises de façon plus informelle.
La SNCF a aussi recours à un type de marché différent, le marché sur ordre (ci-après MSO). Il s'agit d'un accord-cadre, conclu en général pour une région, après mise en concurrence, et qui fixe les conditions pratiques et financières de réalisation de travaux, envisagés, selon une liste indicative, pour une période de deux ou trois ans. A l'époque des faits, l'organisation de la SNCF repose sur un découpage du territoire national en vingt-trois régions, chacune dotée d'un service régional des achats (ci-après SRA) compétent pour ces marchés, à l'exclusion des marchés de fournitures, sans limite financière particulière.
Du fait de l'importance des investissements, notamment en matériels lourds, nécessaires à la réalisation de ces marchés, le secteur des travaux de voies ferrées se caractérise par une structure capitalistique prononcée qui a suscité, depuis 1980, un important mouvement de concentration et de regroupement. De plus, à partir de 1996, la hausse sensible de la demande, tenant aux projets d'infrastructures de transports en commun des collectivités locales (métros et tramways), a provoqué une tension sur le marché, les entreprises en place peinant à augmenter leurs capacités de production tandis que de nouveaux acteurs ne pouvaient entrer sur le marché en raison des investissements à réaliser.
En 1999, cinq entreprises, d'envergure nationale, représentaient plus des deux-tiers du chiffre d'affaires global du secteur : Cogifer TF, Seco-DGC, ETF, TSO et SPIE Drouard, les autres intervenant plutôt au plan régional voire local. Le 3 janvier 2000, la société Cogifer TF a cédé à la société ETF l'intégralité de ses activités d'entretien des voies ferrées.
La SNCF ayant signalé à la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes différentes anomalies relevées de 1998 à 2000 au cours de procédures d'attribution de marchés, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence, le 2 janvier 2002, de pratiques mises en œuvre dans le cadre de marchés de travaux de voies ferrées passés par la SNCF.
Après avoir notifié différents griefs d'entente à propos de marchés passés par le SRA de Toulouse (tunnel de Saint Igest, le 27 juillet 1998), le SRA de Bordeaux (ligne Bordeaux-Gazinet en août 2000) et le SRA de Lille (trois appels d'offres lancés en 1998, 1999 et 2000), le Conseil de la concurrence a, par une décision n° 06-D-15 rendue le 14 juin 2006, mis hors de cause plusieurs entreprises (articles 1 à 3) et sanctionné les autres dans les termes suivants:
Article 4 : Il est établi que la société R. Vecchietti et la société Européenne de Travaux Ferroviaires (ETF) ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce à l'occasion de la passation du marché "Bordeaux-Gazinet" par le service régional des achats de Bordeaux en août 2000.
Article 5 : Il est établi que la société Européenne de Travaux Ferroviaires (ETF) et la société STPV, les sociétés Entreprise Lamblin SA et DG Entreprise ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce à l'occasion de la passation du marché dit "Raquette Délivrance" par le service régional des achats de Lille au début de l'année 2000.
Article 6 : Aucune sanction pécuniaire n 'est prononcée à l'encontre de la société Lamblin en liquidation dont le chiffre d'affaires est inexistant.
Article 7 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
à la société Européenne de Travaux Ferroviaires (ETF) une sanction de 1 000 000 euro;
à la société R. Vecchietti une sanction de 75 000 euro;
à la société DG Entreprise une sanction de 300 euro;
à la société STPT' une sanction de 250 000 euro.
LA COUR :
Vu les recours contre cette décision formés par la SNC STPV et la société Européenne de Travaux Ferroviaires SA (ci-après la société ETF), respectivement les 11 et 13 juillet 2006;
Vu le mémoire déposé le 8 août 2006 par la société ETF à l'appui de son recours, soutenu par son mémoire en réplique du 26 mars 2007, par lequel cette société demande à la cour de:
- à titre principal, in limine litis.
annuler la procédure en raison des nombreuses irrégularités relevées,
subsidiairement, constater que les faits sont prescrits et ne peuvent plus donner lieu à poursuites;
- subsidiairement au fond,
concernant le marché du SRA de Bordeaux "Bordeaux-Gazinet", juger qu'elle n'a pas enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce, que les agissements reprochés, à les supposer anticoncurrentiels, n'ont eu aucun objet ni effet anticoncurrentiel, en conséquence, juger qu'il n'y a pas lieu de la sanctionner et ordonner le remboursement des sommes versées par elle, avec intérêts aux taux légal à compter du prononcé;
concernant le marché du SRA de Lille "Raquette Délivrance", retenir que le comportement reproché résulte du changement opéré par le donneur d'ordre dans le mode de dévolution de ses marchés, que la pratique en cause n'a pas eu d'effet anticoncurrentiel, en conséquence, dire qu'il n'y a pas lieu de la sanctionner et ordonner le remboursement des sommes versées par elle, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé;
à titre infiniment subsidiaire, réduire substantiellement la montant de la sanction prononcée au vu des éléments nouvellement apportés et, en conséquence, ordonner le remboursement des sommes concernées avec intérêts au taux légal à compter du prononcé;
Vu le mémoire déposé le 11 août 2006 par la société STPV à l'appui de son recours, soutenu par son mémoire en réplique du 26 mars 2007, par lequel cette société demande à la cour de:
- à titre principal, dire que l'objet de la pratique n'est pas la conséquence directe du comportement des entreprises, que la pratique n'a pas eu d'effet sur le marché, en conséquence dire n'y avoir lieu à la sanctionner et ordonner le remboursement des sommes concernées, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé,
- à titre subsidiaire, dire la sanction prononcée disproportionnée par rapport aux éléments de gravité et de dommage à l'économie pouvant être retenus à son encontre, ainsi que par rapport à sa situation d'entreprise, réformer la décision en réduisant substantiellement la sanction, ordonner le remboursement des sommes concernées assorties des intérêts au taux légal, à compter du prononcé;
Vu les observations écrites du Conseil de la concurrence en date du 9 février 2007;
Vu les observations écrites du ministre chargé de l'Economie, en date du 12 février 2007, tendant au rejet des recours;
Vu les observations écrites du Ministère public, mises à la disposition des parties à l'audience;
Ouï à l'audience publique du 12 juin 2007, en leurs observations orales, les conseils des parties requérantes, qui ont été mis en mesure de répliquer et ont eu la parole en dernier, ainsi que le représentant du Conseil de la concurrence, celui du ministre de l'Economie et le Ministère public;
Sur ce:
Sur la procédure
Considérant que la société ETF fait valoir que le rapporteur du Conseil de la concurrence a méconnu les principes d'impartialité et de la contradiction en menant son instruction "en étroite collaboration avec les services de la SNCF", en communiquant à cette dernière des informations sur l'état d'avancement de la procédure alors qu'elle-même, sans nouvelles du Conseil depuis 2000, pensait qu'il n'était pas donné suite à cette affaire et n'a pas conservé les documents s'y rapportant, et en permettant à l'un des représentants de la SNCF, M. Le Hénaff, d'élaborer le texte de ses déclarations pendant quinze jours qu'elle estime que ces procédés l'ont privé d'un procès équitable et de la possibilité d'exercer utilement ses droits de la défense;
Mais considérant tout d'abord que la société ETF savait que son comportement lors de la procédure d'attribution du chantier de la ligne "Bordeaux-Gazinet" avait attiré l'attention du maître de l'ouvrage délégué, cependant qu'aucun élément ne lui permettait de considérer que l'affaire était classée ; qu'il lui appartenait en conséquence de conserver tous les documents pertinents, étant observé au demeurant qu'elle en avait déjà remis un certain nombre à la SNCF et qu'elle ne précise pas quels sont ceux qui lui font défaut à présent;
Qu'en outre, aux termes des dispositions combinées des articles L. 463-1 et L. 463-2 du Code de commerce, c'est la notification des griefs qui marque l'ouverture de la procédure contradictoire; que l'entreprise mise en cause a, dès ce moment, la faculté de consulter le dossier, de demander, en application des articles 6-3 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales et L. 463-7 du Code de commerce, l'audition de témoins à décharge au rapporteur et au Conseil, de présenter ses observations sur ces griefs puis sur le rapport établi en réponse, lequel est accompagné des documents sur lesquels se fonde le rapporteur et peut être consulté dans les quinze jours précédant la séance, ainsi que de s'exprimer oralement devant le Conseil; que la société ETF ne faisant état d'aucun fait précis établissant que les garanties fondamentales de la procédure lui ont été refusées, les atteintes alléguées ne sont pas établies et le moyen doit être écarté;
Sur la prescription
Considérant que la société ETF soutient que les faits qui lui sont reprochés, commis entre 1998 et 2000, sont prescrits dès lors que la durée de prescription applicable est celle qui était en vigueur au moment de leur commission, soit trois ans, et qu'aucun acte utile de poursuite n'est intervenu entre la saisine du ministre, enregistrée le 2 janvier 2002, et le 2 janvier 2005, date à laquelle la prescription s'est accomplie;
Mais considérant que l'article L. 462-7 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2004-1173 du 4 novembre 2004, dispose que le Conseil ne peut être saisi de faits remontant à plus de cinq ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction; que les lois relatives à la prescription sont applicables immédiatement aux pratiques commises avant leur entrée en vigueur lorsque la prescription prévue par le régime antérieur n'est pas déjà acquise;
Considérant qu'en l'espèce, les faits poursuivis n'étaient pas prescrits à la date du 6 novembre 2004, lorsque l'ordonnance du 4 novembre 2004 portant le délai de prescription à cinq ans est entrée en vigueur; qu'il suit de là que le moyen n'est pas fondé;
Sur le fond
- Sur le marché du SRA de Bordeaux " ligne Bordeaux-Gazinet "
Considérant qu'il résulte des constatations du Conseil (points 27 et suivants) que, pour cet appel d'offres, divisé en cinq lots, la SNCF a consulté neuf entreprises, dont ne faisait pas partie la société ETF, mise à l'écart en raison d'une insatisfaction à propos d'un précédent chantier, et que seules, deux propositions lui ont été soumises dans le délai, finalement fixe au 12 juillet 2000, qui formulaient des offres bien supérieures aux estimations de la SNCF, soit :
<emplacement tableau>
Que l'appel d'offres ayant été déclaré infructueux, la SNCF a, le 10 août 2000, procédé à une nouvelle consultation, incluant cette fois la société ETF; que la société Vecchietti, qui n'était plus concernée, a proposé spontanément une remise pour l'attribution des cinq lots, de sorte qu'à la date du 18 août 2000, les offres en jeu étaient globalement les suivantes:
<emplacement tableau>
Qu'invitée à s'expliquer sur la similitude de son offre avec celle initialement proposée par la société Vecchietti, la société ETF a écrit à la SNCF, le 23 août 2000, qu'en fait, elle avait soumissionné en groupement avec les entreprises Meccoli et Vecchieti, cette dernière étant leur mandataire commun, en joignant une lettre de groupement, datée du 25 août 2000, qu'elle avait " omis de joindre à [son] offre du 18/08/2000 " ; que cette lettre se référait à un groupement constitué le 16 août 2000, cependant que la convention de groupement produite était datée du 11 août 2000;
Considérant que la société ETF fait valoir que les incompatibilités de dates entres ses déclarations et les documents produits sont dues à des erreurs purement matérielles ; qu'elle explique qu'elle tenait à souscrire à cet appel, "la SNCF étant son quasi unique donneur d'ordre", mais que, ne disposant pas des moyens humains et matériels lui permettant de répondre seule à ce marché, elle s'est rapprochée des sociétés Meccoli et Vecchietti, qui avaient perdu leur partenaire Norena, invité par la SNCF à souscrire séparément ; que ces dernières ont accepté de se grouper le 16 août, et non le 11 comme indiqué par erreur sur la convention, mais qu'elle a omis - la période d'été et de congé entourant la date du 15 août expliquant que ces tâches ont été accomplies par un personnel non qualifié - de préciser que l'offre déposée le 18 août était formée en groupement; qu'au même moment, soit le 17 août, les sociétés Meccoli et Vecchietti ont proposé à la SNCF d'ultimes rabais qu'elles n'ont pas eu le temps de lui communiquer; que cette accumulation d'erreurs grossières s'explique par la période d'été et les conditions d'urgence créées par la précipitation de la SNCF, et était de toute façon sans incidence puisque, s'agissant d'un marché négocié, la date du 18 août 2000 ne constituait pas une date-butoir et que la SNCF n'avait pas encore arrêté sa décision; qu'elle souligne que la convention de groupement était justifiée par les situations respectives des entreprises concernées et les caractéristiques du marché et n'avait donc pas un objet anticoncurrentiel ; qu'elle ajoute qu'en tout état de cause, elle n'a pas eu d'effet anticoncurrentiel puisque leur offre était encore très supérieure aux estimations de la SNCF qui a retenu, pour deux lots, celles de l'entreprise Norena, elle-même supérieure à la leur;
Considérant cependant que, si c'était la société Vecchietti qui avait été désignée comme mandataire du groupement, c'était elle qui devait déposer l'offre commune et non la société ETF, ce que celle-ci rompue à ce type de procédures, ne pouvait ignorer; qu'au contraire, la société Vecchietti a déposé une offre séparée, après avoir eu un entretien, le 17 août 2000, avec des responsables de la SNCF au cours duquel elle n'a nullement mentionné le groupement invoqué ultérieurement par la société ETF ; qu'en outre, cette dernière se contredit lorsqu'elle soutient que la date du 18 août 2000 ne constituait pas la date limite du dépôt des offres, tout en prétendant que c'est le bref délai laissé par la SNCF qui a provoqué les erreurs à répétition qu'elle invoque ; que la société Vecchietti elle-même a dénoncé la brièveté du délai qui leur était imparti, qualifié d'"irréaliste"; qu'il en résulte qu'à cette date, la période de dépôt des offres était révolue et que la SNCF n'avait plus aucune raison de recevoir des informations complémentaires, à moins qu'elle ne les réclame comme elle l'a fait en l'espèce au vu de l'anomalie relevée, de sorte que, si elle n'avait pas eu la curiosité d'interroger la requérante, la SNCF avait vocation à rester dans l'ignorance du groupement prétendu;
Qu'en l'état de ces multiples incohérences, non seulement de dates, qui l'affectent, la thèse soutenue par la requérante, qui paraît avoir été inventée a posteriori pour répondre aux interrogations de la SNCF, ne peut être retenue ; que, dès lors, l'échange d'informations, intervenu avant le dépôt d'offres présentées comme distinctes, qui n'est pas contesté en soi, est anticoncurrentiel et caractérise le grief d'entente justement retenu par le Conseil de la concurrence au terme d'une motivation pertinente que la cour adopte;
- Sur le marché "Raquette Délivrance" du SRA de Lille
Considérant que ce marché était initialement inclus dans un MSO passé le 11 janvier 1999 par le SRA de Lille, ainsi que celui-ci avait coutume de le faire depuis plus de quinze ans, et que les entreprises du groupement qui avaient remporté ce marché (savoir Cogifer puis ETF 42 % - SECO 28 % - Lamblin 15 % - STPV 15 %) se réunissaient régulièrement, tous les deux mois environ, pour discuter du déroulement des travaux et de leur affectation entre chacune des entreprises en fonction de leur participation dans le groupement ; que RFF, espérant obtenir de meilleurs prix, a demandé à la SNCF de sortir ce marché, ainsi que d'autres, du MSO et de procéder à un appel d'offres ; que, pour le marché, l'appel d'offres effectué le 3 février 2000 pour le 28 février 2000 a suscité les soumissions suivantes:
- Groupement Vecchietti-Meccoli : 2 108 308 F
- STPV 2 155 178 F
- SECO : 2 077 584 F
- Lamblin : 2 179 478 F
- ETF (ex Cogifer) : 2 026 893 F
de sorte que c'est la société ETF qui a été attributaire;
Que toutefois, différents documents trouvés lors des opérations de visites et de saisies dans les locaux de l'entreprise SECO-DG ont révélé que, lorsque les entreprises se réunissaient dans le cadre du MSO, elles continuaient à se répartir les marchés qui en avaient été retirés afin de respecter les ratios qui y étaient prévus, un compte-rendu d'une réunion intervenue le 21 janvier 2000 entre la société ETF, la société STPV et la société Lamblin prévoyant en particulier l'attribution future du marché Raquette-Délivrance à la société ETF pour "2 000 000" ;
Qu'au vu de ces éléments, le Conseil a estimé que les entreprises membres du groupement initial s'étaient entendues pour que le marché en cause soit attribué à la société ETF, les trois autres n'ayant remis que des "offres de couverture";
Considérant que les sociétés ETF et STPV objectent que cette situation est imputable à la SNCF, qui a unilatéralement sorti plusieurs chantiers du MSO du 11 janvier 1999, qui devait pourtant poursuivre ses effets jusqu'en décembre 2001, les privant ainsi des prestations prévues, et font valoir que les échanges d'informations, licites, avaient déjà eu lieu antérieurement, prévoyant notamment que le chantier "Raquette Délivrance" serait effectué par la société Cogifer, à laquelle s'est substituée la société ETF ; qu'elles soulignent que, dans ces conditions, il ne pouvait y avoir de véritable concurrence pour ce marché, nonobstant la volonté de la SNCF de le soumettre à une procédure d'appel d'offres, qu'elles ne pouvaient que répondre, individuellement, à l'appel d'offres, toute abstention de leur part étant appelée à être jugée suspecte, de même qu'une soumission en groupement, et qu'elles n'ont à aucun moment trompé le donneur d'ordre quant à cette situation, dont il était seul responsable ; qu'elle soutiennent qu'il ne peut leur être reproché d'avoir majoré leurs prix, d'une part, parce que la soumission du groupement Vecchietti-Meccoli, qui n'était pas membre du groupement, était de nature à exercer une pression concurrentielle, d'autre part, parce que le changement de stratégie de la SNCF, non seulement les a obligées à modifier leurs plans de charge pour les années à venir mais encore ne leur permettait plus de répercuter sur les prix les économies d'échelle permises par le MSO;
Mais considérant que les circonstances invoquées, que ce soit le changement inopiné de stratégie du donneur d'ordres ou le fait que les entreprises eussent déjà une connaissance approfondie des caractéristiques techniques et commerciales du marché soumis à l'appel d'offres, ne sont pas de nature à justifier que ces entreprises poursuivent leurs échanges alors qu'elles savaient que le marché serait soumis à appel d'offres, pour en décider l'attribution par avance entre elles, puis recourent pour y parvenir au procédé des "offres de couverture"; qu'il leur appartenait de proposer, dans le strict respect de la procédure de mise en concurrence à laquelle elles ont accepté de se soumettre, l'offre la plus rationnelle économiquement, ce qu'elles ne prétendent pas avoir fait ou du moins ne proposent pas de démontrer concrètement alors que le prix finalement retenu était supérieur de 11,5 % à l'estimation de la SNCF et qu'aucune conclusion ne peut être tirée du fait que les sociétés Veccbietti-Meccoli aient fait une offre supérieure; que c'est donc par une juste appréciation des données de la cause, que la cour fait sienne, que le Conseil a décidé que ces agissements étaient constitutifs d'une entente anticoncurrentielle ;
Sur les sanctions
Considérant que, selon l'article L. 464-2, alinéas 3 et 4, du Code de commerce, en sa rédaction applicable en la cause, les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné, le montant maximum de la sanction étant, pour une entreprise, de 5 % du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos;
Considérant que, si c'est par une motivation pertinente que le Conseil a relevé les éléments caractérisant la gravité des pratiques, en tenant compte du contexte particulier où elles ont pris place, et le dommage à l'économie, dont il a admis le caractère limité, puis ceux relatifs à la situation individuelle des entreprises, la cour ne partage pas l'appréciation qu'il en a tirée quant au montant des sanctions prononcées, excessives au regard tant de ces éléments que de la situation actuelle de la société ETF, dont les résultats récents ont été amputés par suite de revers, et de la dimension modeste du marché considéré pour ce qui est de la société STPV; qu'il y a lieu en conséquence de fixer à 750 000 euro la sanction infligée à la société ETF et à 100 000 euro celle infligée à la société STPV ;
Et considérant que le présent arrêt constitue le titre ouvrant droit à restitution des sommes versées au titre de l'exécution de la décision, lesdites sommes assorties des intérêts au taux légal à compter de la notification de l'arrêt, valant mise en demeure; qu'il n'y a donc pas lieu de statuer sur la demande des parties requérantes tendant à cette restitution;
Par ces motifs, Réforme la décision du Conseil de la concurrence n° 06-D-15 du 14 juin 2006, en son article 7, en ce qu'il inflige des sanctions pécuniaires à la société ETF et à la société STPV, et, statuant à nouveau, dit que leur sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes : à la société Européenne de Travaux Ferroviaires, une sanction de 750 000 euro; à la société STPV une sanction de 100 000 euro. Rejette les recours pour le surplus; Condamne la société ETF et la société STPV aux dépens.