CA Paris, 3e ch. B, 5 avril 2007, n° 07-00178
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Cartier (SA), Rolex France (SAS)
Défendeur :
Chriqui (ès qual.), Arfan International (Sté), Breitling France (SARL), Selafa MJA (ès qual.), El Lozi (ès qual.), Delmas New York Inc (Sté), Rogosnitzky (ès qual.), Unique Trading International Ltd (Sté), Richman (ès qual.), Joromar (Sté), Procureur de la République près le Tribunal de commerce de Paris
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Monin-Hersant
Conseillers :
Mme Jourdier, M. Loos
Avoués :
SCP Baskal-Chalut-Natal, SCP Lagourgue-Olivier, SCP Petit-Lesenechal, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocats :
Mes Faure, Dumaine-Martin, Cahn, Levy, Karsenty
LA COUR,
Vu les appels plaidés à jour fixe, interjetés, d'une part, par la société Rolex France, d'autre part, par la société Cartier, du jugement du Tribunal de commerce de Paris (audience de vacations, n° de RG : 20060754472), rendu le 28 décembre 2006, qui a dit recevable la demande de Me Chriqui, ès qualités d'administrateur judiciaire de la société Arfan International, qui a ordonné la cession, au profit de la société Joromar, des contrats de distribution sélective des produits de marque : Rolex, Cartier, Jaeger Lecoultre, IWC, Panerai et Piaget, en application des articles L. 631-22 et 642-7 du Code de commerce, qui a maintenu Me Chriqui, administrateur, avec les pouvoirs nécessaires à la mise en œuvre du plan et la Selafa MJA en la personne de Me Leloup-Thomas, mandataire judiciaire,
Vu les dernières conclusions déposées le 22 février 2007 par la société Rolex France, appelante et intimée,
Vu l'assignation pour plaider à jour fixe délivrée par la société Cartier, appelante et intimée,
Vu les dernières conclusions déposées le 22 février 2007 par Me Henri Chriqui, ès qualités d'administrateur judiciaire de la société Arfan International, intimé,
Vu les dernières conclusions déposées le 22 février 2007 par la Selafa MJA en la personne de Me Valérie Leloup-Thomas, ès qualités de mandataire judiciaire de la société Arfan International, intimée,
Vu les dernières conclusions déposées le 21 février 2007 par la société Joromar et MM. Martin Richman et Joshua Rogosnitzky, intimés,
Vu l'assignation délivrée le 5 février 2007 à la société Breitling France, intimée ès qualités de contrôleur par la société Cartier et intimée à titre personnel par la société Rolex, l'acte ayant été remis à Mme Chantal Devos, assistante, qui a déclaré être habilitée à le recevoir,
Vu l'assignation délivrée le 8 février 2007 à Mme Aude El Lozi, intimée ès qualités de représentant des salariés de la société Arfan International par la société Cartier, la signification à personne n'ayant pas été possible,
Vu l'assignation délivrée le 13 février 2007 à la personne de Mme El Lozi intimée en son nom personnel par la société Rolex France,
Vu l'assignation délivrée le 9 février 2007 selon les modalités des articles 653 et 654 du nouveau Code de procédure civile à la société Delmas New York Inc, intimée par la société Rolex France,
Vu l'assignation délivrée le 9 février 2007 selon les formalités de l'article 9-2 du règlement n° 1348-2000 du Conseil de l'Union européenne à la société Unique Trading International Ltd, intimée par la société Rolex France, la preuve d'une remise de l'acte à personne n'étant pas rapportée,
Sur quoi,
Considérant que Mme Le Lozi, intimée ès qualités de représentant des salariés de la société Arfan International, et les sociétés intimées Delmas New York Inc et Unique Trading International Ltd n'ont pas été citées à personne; qu'il sera statué par défaut par application du 2e alinéa de l'article 474 du nouveau Code de procédure civile;
Considérant qu'il est constant qu'une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la SAS Arfan International, exerçant une activité de commerce de détail d'horlogerie et de bijouterie 35, boulevard des Capucines à Paris (2e arrondissement), par un jugement rendu le 13 mars 2006, qui a désigné Me Chriqui en qualité d'administrateur judiciaire; que le jugement rendu le 3 août 2006, arrêtant le plan de cession de la SAS en faveur de la société Joromar, a été annulé par un arrêt de cette cour en date du 3 novembre 2006 mais seulement en ce qu'il avait ordonné la cession des contrats de distribution sélective des produits de marque Rolex, Cartier, Jaeger-Lecoultre, IWC et Piaget, au motif que les sociétés Rolex et Cartier, appelantes de ce jugement, n'avaient pas été régulièrement convoquées à l'audience du tribunal quinze jours au moins avant sa date, et ce conformément aux dispositions de l'article 260 du décret du 28 décembre 2005; que la cour a estimé que l'étendue même de la saisine du tribunal s'en était trouvée affectée; que Me Chriqui a, le 9 novembre 2006, présenté une requête au tribunal afin qu'il se prononce à nouveau sur la cession des contrats de distribution sélective non encore cédés, le mandataire judiciaire de la SAS Arfan International, la Selafa MJA prise en la personne de Me Leloup Thomas, approuvant la demande; que c'est dans ces conditions qu'a été rendu le jugement déféré et qu'ont été cédés à la société Joromar, par application des articles L. 631-22 et L. 642-7 du Code de commerce, les contrats de distribution sélective précités et, en sus, celui de la marque Panerai;
Considérant que les sociétés Rolex et Cartier soutiennent que la requête de Me Chriqui du 9 novembre 2006 était irrecevable dès lors que le jugement du 3 août 2006 arrêtant le plan de cession l'avait certes maintenu dans sa fonction d'administrateur judiciaire mais seulement, par application du dernier alinéa de l'article L. 631-22 du Code de commerce, pour passer tous les actes nécessaires à la réalisation de la cession et que l'arrêt du 3 novembre 2006 avait, par l'autorité de la chose jugée qui y est attachée, exclu du plan de cession les contrats de distribution sélective litigieux;
Mais considérant que la cour, en annulant le jugement du 3 août 2006 seulement en ce qu'il avait ordonné la cession des contrats de distribution sélective des produits de marque Rolex, Cartier, Jaeger-Lecoultre, IWC et Piaget et en ne statuant pas au fond en l'absence d'effet dévolutif de l'appel puisque que le tribunal n'avait pas été régulièrement appelé à. se prononcer sur leur cession, a permis à Me Chriqui de retrouver sa fonction d'administrateur judiciaire pour la partie de l'offre devant encore être ainsi soumise à l'appréciation du tribunal; que la requête de Me Chriqui, ès qualités, était donc recevable; qu'il n'est pas prétendu, cette fois, que les sociétés Rolex et Cartier n'auraient pas été régulièrement convoquées;
Considérant que la société Cartier, seule intéressée par la cession du contrat de marque Panerai, soutient qu'en toute hypothèse le tribunal ne pouvait statuer sur le sort du contrat de cette marque; qu'elle prétend que le tribunal est sorti du périmètre de sa saisine à la suite de l'arrêt de la cour du 3 novembre 2006; qu'elle ajoute qu'en tout état de cause le tribunal avait décidé dans son jugement du 3 août 2006 que le contrat de marque Panerai ne devait pas être cédé;
Mais considérant que l'appelante reconnaît elle-même que le contrat figurait dans l'offre de reprise; que le tribunal n'a pas, dans son jugement du 3 août 2006, décidé que ce contrat ne devait pas être cédé puisque celui-ci ne figure ni dans la motivation ni dans le dispositif ; que, dans ces conditions, la cour ne pouvait, dans son arrêt du 3 novembre 2006, annuler la cession d'un contrat qui n'avait pas été cédé; qu'il y a eu, en réalité, omission de statuer de la part du tribunal; que Me Chriqui, qui aurait pu, en l'absence des premiers appels des sociétés Cartier et Rolex, présenter une requête en omission de statuer, a été ainsi en mesure de faire statuer le tribunal sur le sort du contrat de marque Panerai, dont la reprise était aussi offerte;
Considérant que la société Cartier soutient encore que certains contrats, contrats Cartier et IWC, qui n'ont pas été conclus avec la SAS Arfan International mais avec M. Arfan personnellement, ne peuvent en toute hypothèse être cédés;
Mais considérant que M. Arfan n'a pu contracter qu'ès qualités de dirigeant de sa société qui, seule, les a exécutés; que, contrairement à ce que prétend la société Cartier, le contrat Cartier figure dans le "tableau de synthèse des offres de reprises" au titre des contrats poursuivis;
Considérant que la société Rolex soutient, pour sa part, que son contrat de distribution sélective était résilié au jour où le tribunal a statué, le 28 décembre 2006; qu'elle fait valoir l'avoir résilié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception le 21 août 2006, cette résiliation ayant été par deux fois réitérée, les 15 septembre 2006 et 4 janvier 2007, sans être remise en cause par la société Joromar;
Mais considérant que l'appelante, qui a dénoncé son contrat auprès de la société Joromar du fait de sa cession à cette dernière par l'effet du jugement du 3 août 2006, ne peut être fondée à se prévaloir de la résiliation du 21 août 2006, à la supposer régulière, dès lors que, par l'effet cette fois de l'arrêt du 3 novembre 2006, le contrat litigieux doit être considéré comme n'ayant pas encore été cédé à la date du 21 août 2006; que les courriers suivants de la société Rolex ne font que se référer à la première lettre de résiliation du 21 août 2006;
Considérant que les sociétés Rolex et Cartier s'opposent toutes les deux à la cession des contrats de distribution sélective litigieux en raison de leur caractère intuitu personae; qu'elles font valoir qu'elles ont accepté de les signer avec la société Arfan International, et plus précisément avec M. Arfan parce que celui-ci appartenait à une famille d'horlogers installée depuis longtemps à Paris et que ses compétences et son savoir-faire n'étaient plus à démontrer, ce qui ne peut être le cas de la société Joromar, immatriculée au RCS seulement depuis quelques mois; que les appelantes fustigent les compétences et l'expérience de MM. Richman et Rogosnitzky qui ont créé la société cessionnaire, la société Cartier entendant préciser que le premier a travaillé dans une société britannique spécialisée dans l'exportation de vêtements et de produits alimentaires à destination de l'Afrique et que le second a eu maille à partir avec la justice américaine pour des faits de contrefaçon de marques, d'importation parallèle et de concurrence déloyale relativement à la marque Franck Muller ; que la société Cartier ajoute que la société Joromar a déjà élaboré une publicité reproduisant les marques litigieuses, publicité reproduisant aussi la marque Arfan qui est la propriété de M. Arfan, et enfin, qu'elle a déjà fait constater par huissier que la vitrine du point de vente était dans un état déplorable", incompatible avec l'exploitation de sa marque ou la vente de produits de luxe;
Mais considérant que le contrat, qu'il soit intuitu personae ou pas, peut, faute de distinction opérée par l'article L. 642-7 du Code de commerce, être continué puisque c'est l'intérêt de l'entreprise qui prévaut;
Considérant, à ce sujet, que les sociétés appelantes soutiennent que les contrats de distribution sélective litigieux ne sont pas nécessaires au maintien de l'activité; que la société Rolex fait valoir que l'offre initiale excluait la reprise de son contrat et que la société Joromar n'aura aucune difficulté pour trouver des prestataires équivalents eu égard à ses capacités financières; que la société Cartier ajoute que la société Joromar distribue déjà 8 marques d'horlogerie prestigieuses et 23 marques de montres de luxe et que M. Rogosnitzky, eu égard à ses relations, devrait trouver encore d'autres distributeurs prestigieux;
Mais considérant que la part des montres Rolex, Cartier, Jaeger-Le Coultre, Panerai, IWC et Piaget a représenté en 2005, pour la SAS Arfan International, un chiffre d'affaires de 1 911 396 euro sur un chiffre d'affaires global de 4 159 509 euro, soit 46 %; que ces seuls chiffres démontrent la nécessité de la poursuite des contrats litigieux, peu important que MM. Richman et Rogosnitzky ne les aient pas inclus dans leur offre initiale;
Par ces motifs, Statuant par défaut, Joint les procédures inscrites au répertoire général de la cour sous les numéros 07/00178 et 07/01148; Confirme le jugement déféré; Déboute les sociétés Rolex France et Cartier de leurs demandes; Les condamne à payer chacune, par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, 5 000 euro à Me Chriqui, ès qualités, et 5 000 euro à la société Joromar ; Les condamne aux dépens d'appel et admet les SCP Petit Lesenechal et Fisselier Chiloux Boulay, avoués, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.