CJCE, 5e ch., 6 octobre 1987, n° 118-86
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Openbaar Ministerie
Défendeur :
Nertsvoederfabriek Nederland BV
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Galmot
Avocat général :
M. Da Cruz Vilaca
Juges :
MM. Schockweiler, Bosco, Everling, Joliet
Avocat :
Me Drijber
LA COUR (cinquième chambre),
1. Par ordonnance du 27 mars 1986, parvenue à la Cour le 21 mai suivant, le Gerechtshof d'Arnhem a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation des articles 30, 34, 36 et 37 du traité CEE et des règlements n° 827-68 du Conseil, du 28 juin 1968, portant organisation commune des marchés pour certains produits énumérés à l'annexe II du traité (JO L 151, p. 16), et n° 2777-75 du Conseil, du 29 octobre 1975, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de volaille (JO L 282, p. 77).
2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'une poursuite pénale engagée contre la Nertsvoederfabriek Nederland BV, société de droit néerlandais, prévenue d'avoir, de janvier 1984 au 23 octobre 1984, à Veenendaal, maintenu en opération sans autorisation, en violation de l'article 5 de la "destructiewet" (loi néerlandaise relative à la destruction des cadavres de bétail et des déchets d'animaux), du 21 février 1957 (Staatsblad 1957-84, p. 155), une installation destinée principalement à rendre non nuisibles des déchets de provenance animale, par leur transformation en produits utiles, et d'avoir transforme dans l'installation précitée (atelier d'équarrissage) des abats de volailles en un produit fini (poudre brunâtre), apte à la transformation en aliments pour animaux par un processus d'échauffement dans un vaporisateur (installation d'asséchage).
3. Estimant que le litige soulevait une question d'interprétation de droit communautaire, le Gerechtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question suivante :
"à supposer :
- que la législation d'un Etat membre entende par équarrissage : le fait de rendre des déchets d'animaux non nuisibles par leur transformation en produits utiles dans un clos d'équarrissage; par clos d'équarrissage : une installation destinée exclusivement ou principalement à rendre non nuisibles des déchets de provenance animale par leur transformation en produits utiles; par déchets d'animaux, entre autres : des abats de gibier et de volailles qui sont manifestement impropres à la consommation humaine et qui proviennent d'installations ou l'abattage de gibier et de volaille est effectue à titre professionnel, à l'exception des abats auxquels une autre destination utile est donnée;
- que l'abattage de la volaille entraine la formation de déchets représentant environ 18 % de la volaille et dont environ un quart peut recevoir une autre destination utile;
- que la loi interdise de soustraire des déchets d'animaux à l'équarrissage;
- que la loi interdise de constituer, mettre ou maintenir en opération, étendre ou modifier un clos d'équarrissage sans autorisation et qu'une telle autorisation puisse être accordée dans l'intérêt d'une exécution efficace de l'équarrissage;
- que quatre autorisations aient été accordées dans l'Etat membre concerné;
- que le titulaire d'une autorisation soit tenu de rassembler et de (faire) équarrir gratuitement tous les déchets d'animaux sur le territoire qui lui a été attribué;
- que l'équarrissage d'abats de volailles - qui constitue une activité rentable - soit ainsi réservé aux titulaires d'une autorisation;
- que, selon le gouvernement concerné, la loi interdise l'exportation de déchets d'animaux,
Comment faut-il alors interpréter les articles 30 et/ou 34 et/ou 36 et/ou 37 du traité CEE et/ou le règlement (CEE) n° 827-68 du Conseil, du 28 juin 1968, portant organisation commune des marchés pour certains produits énumérés à l'annexe II du traité, et/ou le règlement (CEE) n° 2777-75 du Conseil, du 29 octobre 1975, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de volaille, quant au fait que l'équarrissage d'abats de volailles est réservé à un certain nombre de titulaires d'une autorisation?"
4. En ce qui concerne les faits, le déroulement de la procédure et les observations présentées en vertu de l'article 20 du protocole sur le statut de la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
5. Par sa question, le juge de renvoi voudrait, en substance, savoir si une règlementation nationale réservant aux seuls titulaires d'une autorisation administrative d'équarrissage, charges de l'élimination de tous les déchets d'animaux, le traitement d'abats de volailles et obligeant les producteurs de tels abats de les céder à ces seuls équarrisseurs agrées moyennant une rémunération consentie par ces derniers est compatible avec les dispositions du traité concernant les restrictions quantitatives à l'importation et à l'exportation ou les mesures d'effet équivalent et avec celles concernant les monopoles nationaux présentant un caractère commercial, ainsi qu'avec les dispositions des règlements portant organisation commune de marché dont relèvent ces abats.
6. Il y a lieu, en premier lieu, de déterminer celles des dispositions communautaires énumérées par le juge de renvoi qui sont susceptibles de s'appliquer à la situation décrite.
7. En ce qui concerne l'article 37 du traité, il faut constater qu'il ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce. En soumettant à une autorisation l'exploitation d'un établissement d'équarrissage et en prescrivant que l'élimination et le traitement de déchets d'animaux, parmi lesquels figurent les abats de volailles, sont réserves aux seuls détenteurs d'une telle autorisation auxquels tous les déchets d'animaux doivent obligatoirement être remis, la règlementation nationale décrite par le juge de renvoi n'institue pas un monopole national présentant un caractère commercial, seul visé par cette disposition. Il suffit de constater, en effet, qu'il n'est pas contesté que la règlementation en cause permet à tout intéressé remplissant les conditions exigées par la règlementation et se soumettant aux obligations en découlant de solliciter et d'obtenir l'autorisation prescrite.
8. En ce qui concerne les règlements portant organisation commune de marché, sans qu'il soit nécessaire de déterminer si, en l'espèce, les abats de volailles relèvent de l'organisation commune de marché régie par le règlement n° 827-68 ou de celle régie par le règlement n° 2777-75, il suffit de constater que les seules règles susceptibles d'être affectées par la règlementation en cause sont les dispositions de l'article 4 du règlement n° 827-68 et de l'article 11 du règlement n° 2777-75, qui se bornent à interdire, dans les échanges intracommunautaires, toute restriction quantitative ou mesure d'effet équivalent, sous les seules réserves prévues par ces règlements.
9. Ces dispositions reproduisant les interdictions portées par les articles 30 et 34 du traité, c'est sous l'angle de vue des seules dispositions de ces articles relatifs à la suppression des restrictions quantitatives et de toutes les mesures d'effet équivalent à l'importation et a l'exportation, considérées comme faisant partie intégrante des organisations communes de marché, qu'il y a lieu d'apprécier la règlementation décrite par le juge de renvoi.
10. En ce qui concerne l'article 30, il convient de constater que la règlementation décrite ne fait apparaitre aucune interdiction d'importer, de sorte qu'il n'y a pas lieu de s'arrêter à cette disposition. La circonstance alléguée que les établissements d'équarrissage ne consentent, pour les achats d'abats de volailles, que des prix minimes n'est pas de nature à remettre en cause cette constatation, s'agissant d'un simple comportement d'entreprise.
11. En ce qui concerne l'article 34, il trouve application dans la mesure où la règlementation nationale, par l'obligation qu'elle fait aux producteurs de céder les abats de volailles à la commune de leur lieu d'établissement, comporte implicitement une interdiction d'exportation. Il y a, des lors, lieu d'examiner si une telle restriction aux échanges est justifiée au regard de l'article 36 du traité qu'invoque le Gouvernement néerlandais en affirmant que la règlementation poursuit, ainsi qu'il ressort d'ailleurs des considérants de la loi, des objectifs d'ordre sanitaire dans le but de prévenir la propagation de maladies animales et toute pollution susceptible de compromettre la qualité de la vie.
12. En l'absence, sur le plan communautaire, de dispositions prévoyant l'harmonisation de toutes les mesures nécessaires à assurer dans le domaine des abats de volailles, et notamment des abats de volailles impropres à la consommation humaine, la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux, et aménageant des procédures communautaires de contrôle de leur observation, l'article 36 du traité est susceptible d'être invoqué par les Etats membres pour justifier certaines restrictions au commerce intracommunautaire d'abats de volailles, et notamment de ceux impropres à la consommation humaine. En effet, le seul établissement d'une organisation commune de marché n'a pas pour effet de soustraire les producteurs agricoles à toute règlementation nationale qui poursuit des objectifs autres que ceux couverts par l'organisation commune de marché, même si cette règlementation peut avoir une incidence sur le fonctionnement du marché dans le secteur concerne (voir arrêt du 1er avril 1982, Holdijk et autres, affaires jointes 141 à 143-81, Rec. p. 1299).
13. Mais une règlementation nationale ne bénéficie de la dérogation de l'article 36 que lorsque la santé et la vie des personnes et des animaux ne peuvent être protégées de manière aussi efficace par des mesures moins restrictives des échanges intracommunautaires.
14. De ce point de vue, et s'agissant en premier lieu de l'obligation de céder les abats de volailles aux seuls équarrisseurs agrées, à l'exclusion de tout autre operateur exerçant son activité sur le territoire national, le Gouvernement néerlandais a fait valoir de façon convaincante que cette obligation est indispensable pour préserver l'efficacité de l'ensemble du régime institué par la "Destructiewet", dans le but d'assurer, avec toutes les garanties requises dans l'intérêt de la santé et de la vie des personnes et des animaux, l'enlèvement et l'élimination de tous les déchets d'animaux.
15. Dans ces conditions, il importe peu que les abats de volailles puissent, après transformation, donner lieu à un produit pouvant être commercialisé par les équarrisseurs et assurer ainsi la rentabilité de leur établissement. En effet, ainsi que la cour l'a admis dans son arrêt du 10 juillet 1984 (Campus Oil Ltd/ministre pour l'Industrie et l'Energie, 72-83, Rec. p. 2727), l'application de l'article 36 n'est pas exclue, du seul fait qu'une règlementation nationale justifiée par des circonstances objectives répondant aux exigences des intérêts y vises permet d'atteindre à coté d'autres objectifs de nature économique. Il en est d'autant plus ainsi lorsque l'objectif de nature économique doit permettre la réalisation de l'objectif sanitaire.
16. S'agissant, en second lieu, de l'interdiction implicite d'exporter, il convient de relever que, pour réaliser l'objectif poursuivi par une règlementation qui entend assurer l'élimination des déchets d'animaux avec toutes les garanties sanitaires requises, il n'apparait pas nécessaire d'interdire l'exportation des abats de volailles, des lors que sont remplies les conditions sanitaires posées par cette règlementation en ce qui concerne l'enlèvement et le transport sur le territoire national.
17. En conséquence, il y a lieu de répondre à la question posée par le Gerechtshof d'Arnhem que les règlements n° 827-68 et 2777-75 ne font pas obstacle à ce qu'une règlementation nationale, édictée dans l'intérêt de la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux, réserve aux titulaires d'une autorisation administrative d'équarrissage la collecte et le traitement de tous les déchets d'animaux, et comporte, pour les producteurs d'abats de volailles, l'obligation de céder ceux-ci, à titre de déchets d'animaux, aux seuls équarrisseurs agrées. Une telle règlementation, dans la mesure ou elle affecte les échanges intracommunautaires, n'est toutefois compatible avec les articles 30, 34 et 36 du traité que pour autant qu'elle n'apporte aux importations et aux exportations en provenance ou a destination d'autres Etats membres d'autres entraves que celles justifiées au regard de l'article 36 du traité, par le souci de faire respecter, sur le territoire national, des dispositions sanitaires régissant l'enlèvement des produits considérés comme nuisibles pour la santé et leur transport.
Sur les dépens
18. Les frais exposés par le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
Statuant sur la question à elle soumise par le Gerechtshof d'Arnhem par ordonnance du 27 mars 1986, dit pour droit :
Les règlements n° 827-68 du Conseil, du 28 juin 1968, portant organisation commune des marchés pour certains produits énumérés à l'annexe II du traité, et n° 2777-75 du Conseil, du 29 octobre 1975, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de volaille, ne font pas obstacle a ce qu'une règlementation nationale, édictée dans l'intérêt de la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux, réservé aux titulaires d'une autorisation administrative d'équarrissage la collecte et le traitement de tous les déchets d'animaux, et comporte, pour les producteurs d'abats de volailles, l'obligation de céder ceux-ci, à titre de déchets d'animaux, aux seuls équarrisseurs agrées. Une telle règlementation, dans la mesure ou elle affecte les échanges intracommunautaires, n'est toutefois compatible avec les articles 30, 34 et 36 du traité que pour autant qu'elle n'apporte aux importations et aux exportations en provenance ou à destination d'autres Etats membres d'autres entraves que celles justifiées au regard de l'article 36 du traité, par le souci de faire respecter, sur le territoire national, des dispositions sanitaires régissant l'enlèvement des produits considérés comme nuisibles pour la santé et leur transport.