CA Paris, 16e ch. A, 3 octobre 2007, n° 05-00891
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Avenir Automobile (SARL), Pinateau (ès qual.), Espace Automobile (SARL)
Défendeur :
Groupe Volkswagen France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gaboriau
Conseillers :
Mme Imbaud-Content, M. Zavaro
Avoués :
SCP Moreau, SCP Monin d'Auriac de Brons
Avocats :
Me Bertin, Selas Vogel & Vogel
Procédure et prétentions des parties
LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Avenir Automobile à l'encontre du jugement rendu le 7 septembre 2004 par le Tribunal de grande instance de Paris qui a :
- débouté la société Avenir Automobile et la société Espace Automobile de l'intégralité de leurs demandes,
- condamné in solidum la société Avenir Automobile et la société Espace Automobile à verser à la société Groupe Volkswagen France la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens ;
Les faits et la procédure peuvent être résumés ainsi qu'il suit :
La société Espace Automobile ayant pour gérant M. Alain Pinateau est devenue bénéficiaire, selon contrat à durée indéterminée résiliable à tout moment conclu en 1991 et consenti par la société Safidat alors importateur en France de la marque Skoda, d'un contrat de concession pour cette marque pour le département de l'Indre et était parallèlement concessionnaire de la marque Rover ;
La société Groupe Volkswagen France ayant pris le contrôle de Skoda en 1992 a donné son accord à la conclusion d'un nouveau contrat de concession à effet du 1er janvier 1993 pour la marque Skoda au profit de la société Espace Automobile ;
Conformément à l'article III des " Conditions Particulières de Vente " stipulant que les objectifs annuels de vente seraient fixés chaque année par voie d'avenant, une annexe 1995 au contrat de concession signée le 19 avril 1995 a fixé, dans son annexe annuelle B-3, les conditions de vente que le concessionnaire s'efforcerait de réaliser pour la période du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1995 ainsi que, dans son annexe annuelle B-2, les structures d'organisation et de capacité nécessaires à la réalisation de ces objectifs et, dans son annexe annuelle B-3, le plan d'action à établir par le concessionnaire à partir des insuffisances constatées pour permettre une mise en conformité de l'entreprise à son marché ;
Aux termes de cette annexe B-3 déterminant le plan d'action, la société Espace Automobile s'est notamment engagée à réaliser en 1995 (de mai à décembre 1995) la construction d'une nouvelle concession pour un coût estimé (hors terrain) à 3,3 millions de francs, construction qui a été effectivement réalisée en 1996 ;
En 1996, la société Groupe Volkswagen France invoquant un but de performance et de rentabilité des réseaux de distribution de la marque Skoda à l'horizon 2000 a établi et diffusé à ses concessionnaires un document intitulé " franchising plan " déterminant les nouveaux contrats en conformité du nouveau règlement européen du 28 juin 1995 régissant la distribution automobile pour une durée de 7 ans expirant le 30 septembre 2002, ces nouveaux contrats exigeant, dans le cas de vente par le concessionnaire, dans sa concession, de véhicules d'une autre marque que la marque Skoda, que la vente intervienne dans le cadre d'une structure juridique distincte et dans des locaux de vente séparés soumis à gestion distincte et sans provoquer de confusion ni de concurrence déloyale avec la vente des produits contractuels ;
La société Espace Automobile relevant de cette dernière catégorie de concessionnaires puisque vendant également dans sa concession des véhicules de marque Rover, a confié la branche d'activité Skoda en location-gérance à la société Avenir Automobile ayant pour gérant M. Pinateau créée à cet effet et immatriculée au registre du commerce et des sociétés en janvier 1997, celle-ci concluant, en date du 25 février 1997, avec la société Groupe Volkswagen France un contrat de concession pour la marque Skoda, ce contrat étant conclu pour une durée indéterminée " résiliable de façon ordinaire, sans qu'il soit nécessaire de justifier d'un motif par chacune des parties par lettre recommandée avec accusé de réception avec préavis de 24 mois ramené à 12 mois en cas de nécessité de réorganiser l'ensemble ou une partie substantielle du réseau " ;
Fin 1998, la société Groupe Volkswagen France a engagé une réorganisation du réseau Skoda en France en demandant à cet effet à chaque concessionnaire de lui communiquer un " business plan " détaillant les moyens humains, financiers et immobiliers que chacun comptait mettre en œuvre pour la réalisation des objectifs communs ;
Le " business plan " adressé par la société Avenir Automobile n'ayant pas été agréé par la société Groupe Volkswagen France, cette dernière a, par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 avril 1999, informé la société Avenir Automobile de sa décision, " dans le cadre d'une restructuration du réseau, de résilier le contrat " et de ce qu'elle portait unilatéralement le préavis de résiliation de un à deux ans ;
Arguant de ce que la résiliation du contrat de la société Avenir Automobile était intervenue sans respecter l'obligation de loyauté requise de l'article 1134 alinéa 3 du Code civil et de ce que la faute ainsi commise par la société Groupe Volkswagen France dans l'exercice de ses droits contractuels avait également occasionné préjudice à la société Espace Automobile, ces deux sociétés ont, en date du 19 juillet 2001, fait assigner la société Groupe Volkswagen France devant le Tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir, sur le fondement de l'article 1134 susvisé du Code civil concernant la société Avenir Automobile et sur le fondement de l'article 1382 du même Code concernant la société Espace Automobile, la défenderesse condamnée au paiement de dommages-intérêts correspondant, pour le préjudice concernant la société Espace Automobile, à la perte de la valeur du fonds de commerce Skoda, à la valeur non-amortie au 24 avril 2001 des aménagements réalisés en 1996, à la perte des redevances afférentes au contrat de location-gérance consenti à la société Avenir Automobile pour la période du 1er octobre 2002 au 31 mars 2003, à la perte de la valeur des fonds propres apportés en capital à la société Avenir Automobile et, pour le préjudice concernant la société Avenir Automobile, au montant des indemnités de licenciement devant être versées par celle-ci, à la perte sur stock, à la valeur non amortie de l'identification Skoda, à la perte d'exploitation 2001 ;
La société Groupe Volkswagen France s'est opposée à ces demandes ;
C'est dans ces conditions que le jugement déféré a été rendu qui, pour écarter l'existence d'un abus de résiliation invoquée à l'encontre de la société Groupe Volkswagen France, a notamment retenu que les standards de représentation imposés à partir de 1996 aux concessionnaires de la marque Skoda n'imposaient aucune autre modification que la création d'une entité juridique distincte et que cette dernière exigence ne résultait pas d'une décision unilatérale de la société Groupe Volkswagen France mais de l'entrée en vigueur au règlement communautaire du 28 juin 1995 et retenu, par ailleurs, que la société Groupe Volkswagen France n'avait à aucun moment entendu renoncer aux résiliations des contrats de concessions intervenues dans le cadre de la restructuration du réseau Skoda ;
Par arrêt du 8 octobre 2006, la cour a ordonné la révocation de l'ordonnance de clôture du 15 mars 2006 pour nouvelle clôture au 31 janvier 2007 ;
La société Avenir Automobile et la société Espace Automobile, appelantes, dans leurs dernières écritures, demandent à la cour :
- d'infirmer le jugement déféré,
- vu l'article 1134 du Code civil, de condamner la société Groupe Volkswagen France à payer à la société Avenir Automobile la somme de 142 776 euro à titre de dommages-intérêts correspondant à l'équivalent d'une année de marge brute sur la moyenne des marges brutes des exercices 1998, 1999 et 2000,
- vu l'article 1382 du Code civil, de condamner la société Groupe Volkswagen France à payer, à titre de dommages-intérêts, à la société Espace Automobile les sommes de 220 198 euro au titre de la valeur non amortie au 24/4/2001 des aménagements réalisés en 1996, de 9 756,75 euro au titre de la perte des redevances de location-gérance servies par la société Avenir Automobile du 1er octobre 2002 au 31 janvier 2003, de 30 490 euro au titre de la perte de la valeur des fonds propres apportés en capital à la société Avenir Automobile.
- de condamner la société Groupe Volkswagen France au paiement d'une somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La société Groupe Volkswagen France, intimée, demande à la cour :
- de confirmer le jugement déféré,
- subsidiairement, de dire que les appelantes ne rapportent pas la preuve du préjudice qu'elles allèguent et du lien de causalité entre ce préjudice et la faute reprochée,
- de condamner solidairement la société Avenir Automobile et la société Espace Automobile au paiement d'une somme de 6 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
Motifs de la décision
Considérant que la société Avenir Automobile et la société Espace Automobile estiment, au soutien de leur appel, que la résiliation ordinaire du contrat même si elle n'avait pas, conformément aux stipulations contractuelles, à être motivée, n'en a pas moins revêtu un caractère abusif compte tenu des circonstances antérieures et postérieures à sa notification manifestant un manquement à l'obligation de bonne foi vis-à-vis de la société Avenir Automobile et engageant la responsabilité de la société Groupe Volkswagen France envers la société Espace Automobile sur le fondement de l'article 1382 du Code civil comme tiers victime de l'inexécution du contrat et par manquement à l'obligation générale de prudence et de diligence ;
Qu'elles font ainsi valoir :
- que la résiliation du contrat est intervenue dans un délai incompatible avec l'amortissement des investissements que la société Groupe Volkswagen France avait récemment exigés, à savoir création en 1996 d'une nouvelle concession selon les standards par elle édictés et alors que la concernée, par l'exigence de création d'une entité distincte pour la distribution de la marque Skoda, (cette exigence, selon elles, non imposée par l'entrée en vigueur du règlement communautaire de juin 1995) et par l'exigence de conclusion d'un nouveau contrat de concession pour cette marque en 1997, avait donné à son cocontractant l'espérance de relations contractuelles pérennes ;
- que la société Groupe Volkswagen France en remettant en question de septembre 1999 à juillet 2000 le plan de réorganisation de la marque Skoda, qui avait été à l'origine de la résiliation du contrat de la société Avenir Automobile avait, dans ce contexte d'incertitude, privé celle-ci du délai utile à sa reconversion ; que la société Groupe Volkswagen avait, enfin, manqué à la promesse par elle faite lors d'une réunion de Bureau National extraordinaire du 24 février 1999 d'octroyer des aides financières pour la reconversion des concessionnaires ressortant de " cas douloureux ";
- que les investissements réclamés à la société Espace Automobile créaient une obligation de prudence et de diligence à l'égard de celle-ci, nonobstant la conclusion d'un nouveau contrat avec la société Avenir Automobile, sa filiale, constituée dans le seul but de satisfaire à l'exigence de contracter avec une entité juridique distincte pour la marque Skoda ;
Considérant sur ces points, qu'aux termes de l'avenant de 1995 au contrat de concession conclu au profit de la société Espace Automobile, il appartenait à celle-ci de proposer un plan d'action aux fins de mise en conformité de la concession avec les standards édictés par la société Groupe Volkswagen France ;
Considérant que la mise en conformité, au vu des standards mentionnés à l'annexe B2 de l'avenant susvisé, n'impliquait pas, nécessairement, une nouvelle construction qui cependant fut proposée par la société Espace Automobile dans son plan d'action et ne justifiait pas, partant, l'importance de l'investissement par elle réalisé en 1995-1996 ; que de la sorte il ne peut être considéré que la société Groupe Volkswagen France ait, comme il l'est prétendu par les appelantes, imposé les investissements effectivement réalisés qui n'ont d'ailleurs pas été affectés à la seule marque Skoda ; en effet, la nouvelle construction a aussi servi à la société Espace Automobile pour la marque Rover ainsi qu'il ressort d'un courrier de la société Avenir Automobile du 22 juillet 1998 où celle-ci, au nom des deux sociétés Avenir Automobile et Espace Automobile, fait état d'investissements en considération des deux marques et de ce que le projet n'aurait pu être réalisé pour une seule ;
Considérant que le contrat de concession signé en 1997 au profit de la société Avenir Automobile, alors que les investissements étaient déjà réalisés, ne comporte aucune mention de durée incompressible du contrat en relation avec ces investissements auxquels il ne fait même pas allusion ;
Considérant que dans le contexte ci-dessus, les appelantes ne peuvent légitimement faire état d'un abus de résiliation tenant au non-respect du délai nécessaire à l'amortissement des investissements réalisés ;
Considérant que l'exigence de création d'une entité distincte posée par la société Groupe Volkswagen France à la conclusion d'un nouveau contrat de concession exclusif Skoda en 1997 l'ayant été seulement en vue de l'exemption prévue au règlement communautaire du 28 juin 1995 à l'application de l'article 85 § 3 du traité concernant les accords de distribution et de service de vente de véhicules automobiles, la société Avenir Automobile, professionnelle en la matière, et nécessairement, informée de ces dispositions, n'a pu y voir l'expression d'une intention de la société Groupe Volkswagen France de conférer au contrat un caractère durable ;
Considérant que les documents sur les objectifs et plan d'action 2000 adressés par la société Groupe Volkswagen France à l'ensemble des concessionnaires Skoda y compris les concessionnaires dont le contrat avait été résilié et qui, demeurant membres jusqu'à la date d'effet de la résiliation, étaient concernés par ces objectifs, ne contenaient rien qui puisse faire présumer d'une suspension des décisions de résiliation déjà intervenues ;
Que dans la lettre mensuelle du 30 mars 2000, M. Teissier (directeur de Skoda France depuis la rentrée 1999) en indiquant, concernant le réseau, qu'il " préférait prendre le temps nécessaire au dialogue et à l'analyse de chaque situation avant de prendre position, en concertation, sur chaque cas individuel " visait manifestement les cas non déjà traités et qu'il en est de même (au regard de la question à lui posée sur la restructuration un cours du réseau Skoda considérée comme " non claire même pour les concessionnaires non résiliés ") dans son interview de juin 2000 où il indiquait que " la situation de chaque concessionnaire serait clarifiée d'ici l'automne " (soit eu égard à la question posée, uniquement les concessionnaires non résiliés et non ceux pour lesquels une décision de non-reconduction avait déjà été prise) ;
Considérant, dans ces conditions, que la société Avenir Automobile qui avait, par ailleurs, reçu confirmation de la décision de résiliation de son contrat par courrier du 5 juillet 1999 puis, dans un entretien par elle sollicité en septembre 2000, n'a pu avoir la croyance légitime d'une suspension de la résiliation à elle notifiée en avril 1999 et dès lors prétendre, alors qu'unilatéralement la société Groupe Volkswagen France avait porté le délai de préavis de un à deux ans, avoir été, du fait de celle-ci, retardée dans sa reconversion ;
Considérant que le compte rendu de la réunion du bureau national extraordinaire Skoda du 24 février 1999 fait état d'aides financières uniquement pour les concessionnaires déjà résiliés à cette date et au surplus pour les seuls " cas douloureux " dont (à supposer que l'offre d'aides ait concerné les résiliations à venir) ne faisait pas partie la société Avenir Automobile puisque cette aide impliquait une proposition concrète de la part de la société Groupe Volkswagen France dont la concernée n'a cependant jamais été destinataire ;
Considérant, en définitive, qu'aucune faute contractuelle à l'égard de la société Avenir Automobile par manquement à la bonne foi ni aucune faute sur le plan quasi-délictuel à l'égard de la société Espace Automobile par manquement au devoir général de ne pas nuire à autrui ne peut être retenue à l'encontre de la société Groupe Volkswagen France ;
Que le jugement déféré qui a débouté la société Avenir Automobile et la société Espace Automobile de toutes leurs demandes à l'encontre de la société Groupe Volkswagen France sera donc confirmé un toutes ses dispositions ;
Sur la demande des parties au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Considérant que les sociétés Avenir Automobile et Espace Automobile qui devront supporter la charge des dépens ne sauraient solliciter intimé au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Considérant, concernant la demande du même chef de la société Groupe Volkswagen France, qu'il n'est pas justifié de lui allouer une somme à cet égard tant pour les frais de première justice que d'appel ;
Par ces motifs, statuant en dernier ressort, I - Confirme le jugement déféré en ses dispositions principales et relatives aux dépens, II - Dit n'y avoir lieu à allocation de sommes au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour les frais de première instance et d'appel, III - Condamne les sociétés Avenir et Espace Automobile aux entiers dépens d'appel dont distraction, au profit de la SCP Monin-d'Auriac de Brons, avoué à la cour.