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Décisions

Conseil Conc., 15 octobre 2007, n° 07-D-33

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des pratiques mises en œuvre par la société France Télécom dans le secteur de l'accès à Internet à haut débit

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Darodes de Tailly, par M. Lasserre, Président, Mmes Aubert, Perrot, Vice-Présidentes.

Conseil Conc. n° 07-D-33

15 octobre 2007

Le Conseil de la concurrence (Commission permanente),

Vu l'article 82 du traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et notamment l'article L. 420-2 ; Vu la lettre du 28 novembre 2001 enregistrée sous les numéros F 1360 et M 294 par laquelle la société T-Online France a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société France Télécom sur le marché de l'accès à Internet et a, en outre, sollicité le prononcé de mesures conservatoires ; Vu la décision du Conseil de la concurrence 02-MC-03 du 27 février 2002 statuant sur la demande de mesures conservatoires de la société T-Online France (M 294) et l'arrêt confirmatif de la Cour d'appel de Paris en date du 9 avril 2002 ; Vu la décision n° 02-D-46 du 19 juillet 2002 relative à l'application de l'article 3 de la décision n° 02-MC-03 du 27 février 2002 ; Vu la lettre du 19 février 2002 enregistrée sous les numéros 02/0027F et 02/0028M par laquelle la société Liberty Surf a saisi le Conseil de la concurrence de différentes pratiques mises en œuvre par le groupe France Télécom sur le marché de l'accès à Internet et a, en outre, sollicité le prononcé de mesures conservatoires ; Vu la décision du Conseil de la concurrence 02-D-38 du 19 juin 2002 statuant sur la demande de mesures conservatoires de la société Liberty Surf (02/0028M) ; Vu la décision 05-SO-06 du 22 juillet 2005 par laquelle le Conseil de la concurrence s'est saisi d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur des télécommunications, saisine qui a été enregistrée sous le numéro 05/0056F ; Vu les décisions du rapporteur général en date du 1er février 2005 et du 28 juillet 2005 procédant à la jonction de l'instruction des affaires F 1360 (saisine T-Online) et 02/0027 F (saisine Liberty Surf) et 05/0056F (saisine d'office) ; Vu la décision 05-DE-01 du 26 septembre 2005 du président du Conseil de la concurrence donnant acte du désistement de la société T-Online formulé par une lettre enregistrée le 19 septembre 2005 ; Vu la décision 06-DE-02 du 8 décembre 2006 du président du Conseil de la concurrence donnant acte du désistement de la société Liberty Surf formulé par une lettre enregistrée le 30 novembre 2006 ; Vu le procès-verbal du 1er juin 2007 par lequel la société France Télécom a demandé à bénéficier des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; Vu l'avis 06-584 adopté par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes le 16 juin 2006 ; Vu les observations présentées le 26 juillet 2007 par la société France Télécom et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement, les représentants de la société France Télécom entendus lors de la séance du 12 septembre 2007 ; Adopte la décision suivante :

I. Rappel de la procédure

1. La présente affaire résulte de la jonction de l'instruction de trois saisines distinctes : une première saisine de la société T-Online France du 28 novembre 2001, une deuxième saisine de la société Liberty Surf en date du 19 février 2002 et enfin une saisine d'office du Conseil de la concurrence par une décision du 22 juillet 2005.

1. LA SAISINE DE LA SOCIETE T-ONLINE FRANCE

2. Par lettre enregistrée le 28 novembre 2001 sous les numéros F 1360 et M 294, la société T-Online France a saisi le Conseil de la concurrence de différentes pratiques mises en œuvre par la société France Télécom qu'elle estime anticoncurrentielles et a sollicité, en outre, le prononcé de mesures conservatoires.

3. Tout d'abord, T-Online France (qui commercialisait ses services de détail de fournisseur d'accès à Internet sous la marque 'Club-Internet') soutenait que France Télécom aurait octroyé, de manière discriminatoire, à sa filiale Wanadoo Interactive une offre sur mesure (OSM) préférentielle pour la fourniture d'accès ADSL en gros. T-Online France considérait ensuite que France Télécom avait avantagé sa filiale Wanadoo Interactive par l'" octroi de subventions illicites indirectes ". La plaignante reprochait également à France Télécom d'avoir consenti un avantage discriminatoire à sa filiale Wanadoo Interactive en ce qui concerne l'accès aux informations relatives à l'éligibilité des lignes à l'ADSL ainsi que la passation des commandes de lignes ADSL. Ainsi, les agences France Télécom commercialisant les services de Wanadoo Interactive auraient bénéficié d'informations et de processus de commande bien plus rapides et bien plus fiables que les FAI alternatifs (FAI autres que Wanadoo Interactive).

4. Par une décision 02-MC-03 du 27 février 2002, le Conseil de la concurrence a prononcé des mesures conservatoires à l'encontre de la société France Télécom, notamment en enjoignant à cette dernière " de mettre à la disposition de l'ensemble des fournisseurs d'accès à Internet, un serveur Extranet permettant d'accéder aux mêmes informations sur l'éligibilité des lignes téléphoniques à l'ADSL et sur les caractéristiques des modems compatibles avec l'équipement de ces lignes que celles dont dispose Wanadoo Interactive, et de commander aux services spécialisés de France Télécom, l'opération matérielle de la connexion dans les mêmes conditions d'efficacité que celles accordées à Wanadoo Interactive, selon les mêmes conditions tarifaires, mais selon des conditions techniques autorisant le traitement de masse en ligne ". Le Conseil de la concurrence a, en outre, ordonné la suspension de la commercialisation des packs ADSL de Wanadoo Interactive dans les agences France Télécom dans l'attente de la mise en œuvre effective de la première injonction en envisageant un compte rendu au plus tard dans les quatre mois suivant la décision. Par une décision 02-D-46 du 19 juillet 2002, le Conseil de la concurrence a considéré que les mesures mises en œuvre par France Télécom pour se conformer à l'injonction justifiaient que l'injonction de suspension de commercialisation des packs ADSL de la société Wanadoo Interactive dans les agences commerciales de France Télécom soit levée. Par ailleurs, la décision 02-MC-03 du 27 février 2002 enjoignait en outre " à la société France Télécom de suspendre toute offre multi-FAI destinée à être commercialisée dans la grande distribution et associant la fourniture de son offre de service ADSL Netissimo à une offre de fourniture d'accès à Internet ". Cette décision du Conseil de la concurrence a été confirmée par un arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 9 avril 2002 qui a rejeté le recours formé par la société France Télécom. Cet arrêt n'a pas fait l'objet de pourvoi devant la Cour de cassation.

2. LA SAISINE DE LA SOCIETE LIBERTY SURF

5. Par lettre enregistrée le 19 février 2002 sous les numéros 02/0027F et 02/0028M, la société Liberty Surf a saisi le Conseil de la concurrence de différentes pratiques mises en œuvre par le groupe France Télécom qu'elle estime anticoncurrentielles et a sollicité, en outre, le prononcé de mesures conservatoires.

6. Liberty Surf, fournisseur d'accès à Internet (FAI), faisait tout d'abord valoir que, compte tenu des tarifs de l'offre IP/ADSL les FAI concurrents de Wanadoo ne pouvaient s'aligner sur les tarifs de détail de cette dernière sans subir de pertes. Liberty Surf dénonçait ensuite l'utilisation qui aurait été faite par France Télécom de certaines données techniques et commerciales dont elle disposait du fait de sa qualité d'exploitant du réseau téléphonique fixe, afin de favoriser sa filiale Wanadoo Interactive par rapport à ses concurrents sur le marché de l'accès à Internet par l'ADSL. Liberty Surf critiquait, par ailleurs, les conditions privilégiées que France Télécom aurait accordé à sa filiale, concernant l'accès aux informations relatives à l'éligibilité à l'ADSL des lignes téléphoniques et le processus de commande d'ouverture des lignes ADSL, par rapport à celles résultant, pour les fournisseurs d'accès concurrents, de l'application du contrat IP/ADSL.

7. Par une décision 02-D-38 du 19 juin 2002, le Conseil de la concurrence a rejeté la demande de mesures conservatoires de la société Liberty Surf mais a conservé l'affaire pour une instruction au fond. Cette décision n'a pas fait l'objet de recours.

3. LA SAISINE D'OFFICE DU CONSEIL DE LA CONCURRENCE

8. Par une décision du 22 juillet 2005, le Conseil de la concurrence s'est saisi d'office " des pratiques mises en œuvre dans le secteur des télécommunications - ADSL ". Cette affaire a été enregistrée sous le numéro 05/0056F.

4. LE RETRAIT DES SAISINES DES PLAIGNANTES

9. Par lettre du 19 septembre 2005, le Conseil de la concurrence a été informé " de la décision de la société T-Online de retirer sa saisine au fond et sa demande de mesures conservatoires et de se désister de ladite procédure, à effet immédiat ". Par décision 05-DE-01 du 26 septembre 2005, le président du Conseil de la concurrence " a donné acte à la société T-Online France de son désistement ; celle-ci n'est donc plus partie à la procédure relative aux pratiques visées ci-dessus, dont le Conseil poursuit l'instruction, conjointement aux dossiers 02/0027F et 05/0056 F ". Par lettre enregistrée le 30 novembre 2006, le Conseil de la concurrence a été informé, par l'intermédiaire de son avocat, de la décision " de la société Liberty Surf, qui est devenue Tiscali Accès, puis Telecom Italia " de se désister " purement et simplement de cette instance ". Par décision 06-DE-02 du 8 décembre 2006, le président du Conseil de la concurrence " a donné acte à la société Liberty Surf de son désistement ; celle-ci n'est donc plus partie à la procédure relative aux pratiques visées ci-dessus, dont le Conseil poursuit l'instruction, conjointement aux dossiers F 1360 et 05/0056 F ".

II. Constatations

A. LE SECTEUR DE L'ACCES A INTERNET A HAUT DEBIT AU DEBUT DES ANNEES 2000

1. ASPECTS COMMERCIAUX DE L'ACCES A INTERNET A HAUT DEBIT

10. Les premières offres commerciales d'accès haut débit ADSL pour la clientèle résidentielle sont apparues dès le milieu de l'année 1999. Limitées dans un premier temps à quelques grandes métropoles (notamment Paris), elles se sont rapidement étendues aux autres villes. Les premières offres commerciales ADSL au grand public reposaient sur deux prestations distinctes, l'une fournie par France Télécom (Netissimo), l'autre par un FAI, le service d'accès à Internet ne pouvant être fourni au client que sur une ligne " ADSLisée " par France Télécom. Cette prestation était subordonnée au caractère éligible de la ligne à l'ADSL (voir infra). En outre, le client devait souscrire un abonnement d'accès à Internet auprès d'un fournisseur d'accès à Internet qui comprenait l'abonnement aux services Internet ainsi que le transport des données. Le FAI devait acheter à France Télécom une prestation de gros de collecte des données IP, dénommée " Turbo IP ".

11. A partir de janvier 2001, les FAI ont pu proposer à leurs clients un ensemble comprenant Netissimo et l'abonnement d'accès à Internet sous leur propre marque, grâce à la revente en gros de Netissimo par France Télécom aux FAI. En effet, à partir du début de l'année 2001, France Télécom a proposé aux FAI une offre de gros dénommée " Accès IP/ADSL " (initialement " IP/ADSL ") consistant en la revente des accès Netissimo 1 et 2 sous la marque des FAI. Les FAI étaient ainsi en mesure de proposer des " packs ADSL " comprenant l'accès, le transport et l'abonnement à Internet par ADSL. Wanadoo a lancé son offre commerciale haut débit " pack eXtense " à partir du début de l'année 2001. Les FAI alternatifs ont réagi rapidement en sortant leurs packs ADSL quelques semaines plus tard.

12. Concernant les accès par câble, ces trois prestations étaient nécessairement liées (voir infra). Ainsi, l'utilisateur devait souscrire un abonnement Internet qui comprenait l'accès au réseau câblé, le transport des données ainsi que la fourniture d'un accès à Internet avec un FAI spécifique et unique.

13. Les chiffres suivants montrent le développement de l'accès à Internet en France au début des années 2000 :

<emplacement tableau>

2. LES PRINCIPAUX ACTEURS DU SECTEUR DE L'INTERNET HAUT DEBIT

Concernant les accès à Internet haut débit (câble + ADSL)

14. Les réponses apportées à la Commission européenne dans le cadre de l'affaire Wanadoo ayant donné lieu à la décision du 16 juillet 2003 (COMP/38.233, § 211) permettent d'établir le graphique suivant retraçant la part de marché de Wanadoo (ADSL+câble) sur le marché de l'accès à Internet à haut débit (ADSL+câble) :

<emplacement tableau>

15. Ces chiffres sont confirmés par différents documents internes de Wanadoo. Ainsi, dans une présentation Power Point interne de juin 2001, Wanadoo considérait détenir 60 % du marché du segment des accès haut débit (ADSL+câble). Pendant la période considérée (2001-2002), sur le marché de l'accès à Internet à haut débit, le principal concurrent de Wanadoo était Noos Net qui faisait office de FAI du câblo-opérateur Noos qui dès le début de l'année 2001 comptait plus de 110 000 clients haut débit quand Wanadoo en comptabilisait 180 000. Néanmoins, le déploiement relativement long et limité des accès à Internet par câble n'a pas permis à Noos de faire progresser sensiblement sa base de clientèle alors que dans le même temps, l'ouverture rapide de nouvelles plaques ADSL a permis à Wanadoo de conquérir rapidement de nouvelles parts de marché sur l'ADSL.

Concernant les seuls accès haut débit via ADSL

16. Pendant la période concernée par les présentes, le marché des FAI haut débit via l'ADSL n'était animé que par quatre principaux acteurs : Wanadoo, Club Internet (T-Online France), Liberty Surf (ayant racheté Infonie) et tardivement 9Online (9Telecom). Wanadoo a occupé en 2001 et jusqu'à l'été 2002 une position tout à fait singulière sur le marché des FAI proposant des accès à Internet haut débit via l'ADSL. Sur l'ensemble de la période, la part de marché de Wanadoo sur le marché des accès à Internet à haut débit par ADSL a oscillé autour de 90 %. T-Online, le premier challenger de Wanadoo, détenait environ 5 % de part de marché. Il convient cependant de remarquer qu'entre mars et juillet 2002, les concurrents de Wanadoo ont gagné des parts de marché, notamment en raison de la mesure conservatoire prononcée par le Conseil de la concurrence (décision 02-MC-03 du 27 février 2002) imposant la suspension de la commercialisation des packs ADSL de Wanadoo dans les agences France Télécom. Néanmoins, la décision Wanadoo de la Commission européenne du 16 juillet 2003 (COMP/38.233, § 214). fait état d'une part de marché de Wanadoo sur le segment de l'accès à Internet haut débit via l'ADSL de 87 % en août 2002.

B. L'ENTREPRISE MISE EN CAUSE

17. France Télécom, opérateur historique français de télécommunications, est propriétaire du réseau d'accès local de télécommunications raccordant à son réseau l'ensemble des abonnés au téléphone ainsi que des réseaux de transport de données et de voix issus, dans leur majorité, de l'ancien monopole. France Télécom dispose d'un réseau de près de sept cents agences commerciales réparties sur l'ensemble du territoire français. Le maillage des agences de France Télécom lui offre une présence sur l'ensemble du territoire. L'entreprise commercialise les services d'accès à Internet de sa filiale Wanadoo dans ses agences à l'exclusion des services de tout autre FAI.

18. France Télécom a créé en 1996 une filiale multimédia, France Télécom Multimédia, qui a pris en juin 2000 la dénomination de Wanadoo SA. Wanadoo avait elle-même une filiale (de second rang) Wanadoo Interactive (avant l'été 2001, cette filiale de second rang était nommée " France Télécom Interactive "). La société Wanadoo SA a été introduite en bourse au début du mois de juillet 2000. Depuis l'introduction en bourse jusqu'à l'été 2002, France Télécom a détenu de 70 à 73 % des actions (et des droits de vote) de Wanadoo SA. Au printemps 2004, France Télécom a racheté les minoritaires de sa filiale et ainsi réintégré sa filiale. Wanadoo SA regroupait l'essentiel des activités Internet du groupe France Télécom (accès Internet, sites marchands, portails généralistes ou thématiques) ainsi que les activités d'édition d'annuaires téléphoniques et de Minitel. Au sein de Wanadoo SA, Wanadoo Interactive assurait les responsabilités opérationnelles et techniques liées aux services d'accès à Internet sur le territoire français.

19. Sur la période appréhendée par la présente décision, le schéma capitalistique autour de la société Wanadoo SA peut être représenté ainsi :

<emplacement tableau>

20. Wanadoo Interactive, spécialisée dans les activités d'accès à Internet sur le territoire français, a réalisé en 2001 un chiffre d'affaires de 402 millions d'euro, une perte opérationnelle de 92 millions d'euro et une perte nette de 89 millions d'euro. Au premier semestre 2002, elle a réalisé un chiffre d'affaires de 305 millions d'euro pour un résultat opérationnel positif de 31 millions d'euro et un résultat net de 26 millions d'euro. Wanadoo Interactive commercialisait ses services essentiellement par le canal des agences France Télécom (plus de 50 %), la vente directe représentait environ un quart de ses ventes, la grande distribution un peu plus de 10 %. Dans le document d'introduction en bourse adressé aux actionnaires potentiels, Wanadoo SA précisait que le non renouvellement de la convention de commercialisation des ses services via les agences France Télécom serait susceptible d'avoir " un effet défavorable important sur l'activité, la situation financière, les résultats d'exploitation et la capacité du groupe à réaliser ses objectifs ".

21. Par ailleurs, à l'époque des faits, France Télécom demeurait un acteur majeur du câble. La situation du câble en France à la fin des années 1990 découlait très largement du Plan câble lancé en 1982 par le Gouvernement visant au déploiement du câble dans les 52 principales villes de France pour un coût de 20 milliards de francs. Cet historique explique la position singulière de France Télécom sur le câble à cette période, illustrée par les chiffres exposés ci-après.

<emplacement tableau>

22. Dans un avis du 15 janvier 2004 (avis n° 04-72, p.12), l'ART soulignait que " outre 100 % de France Télécom Câble, l'opérateur historique détient 70 % des prises de NC Numéricâble et en assure la maintenance. Enfin, France Télécom détient 27 % de Noos, ce qui en fait le second actionnaire du premier câblo-opérateur français. France Télécom contrôle donc directement ou indirectement plus de 40 % du capital des câblo-opérateurs et des abonnés ". En raison du mouvement de concentration du secteur, en décembre 2004, France Télécom s'est désengagée du câble en vendant les actifs et les activités de sa filiale câble à Ypso (propriété des fonds d'investissement CINVEN/ALTICE) déjà propriétaire de Numéricâble (anciennement détenue par Canal +).

C. LES PRATIQUES RELEVEES

1. CONCERNANT L'ACCES AUX INFORMATIONS RELATIVES A L'ELIGIBILITE DES LIGNES A

L'ADSL ET AU PROCESSUS DE COMMANDE

L'éligibilité des lignes à l'ADSL

23. Pour savoir si un consommateur peut commander un accès Internet par ADSL, il convient dans un premier temps de vérifier si sa ligne téléphonique peut recevoir une telle technologie, c'est-à-dire savoir si sa ligne téléphonique est " éligible " à l'ADSL. Pour cela, il est nécessaire qu'elle soit numérisée grâce, d'une part, à un modem présent chez le consommateur et, d'autre part, à un équipement spécifique dans le répartiteur de France Télécom : le DSLAM (Digital Subscriber Line Access Multiplexer).

24. France Télécom possède 12 000 répartiteurs, dispersés sur le territoire national. Chacun regroupe quelques milliers de lignes à plusieurs dizaines de milliers de lignes en fonction de la densité de population de la zone concernée. Le déploiement des DSLAM dans ces répartiteurs s'est s'opéré de façon progressive et a surtout concerné, dans un premier temps, les répartiteurs des zones denses. Durant la période concernée (2001-2002), seule une petite minorité des répartiteurs était équipée de DSLAM. Par ailleurs, même raccordée à un répartiteur équipé d'un DSLAM, une ligne peut, dans certains cas, ne pas être éligible à l'ADSL. Cette contrainte, directement liée à la technologie utilisée (xDSL), est liée à l'éloignement de la ligne du consommateur et du répartiteur. En effet, le signal des fréquences hautes de l'ADSL s'affaiblit en fonction de la distance entre le répartiteur et le point de raccordement de l'ordinateur de l'usager. La distance maximale est d'environ trois kilomètres mais varie en fonction du diamètre du fil de cuivre.

25. Enfin, une ultime contrainte était liée à la compatibilité des modems installés chez l'usager et des DSLAM installés dans les répartiteurs. Pendant la période considérée (2001-2002), les DSLAM étaient produits par deux constructeurs qui ne garantissaient pas l'inter-opérabilité de leurs équipements. Ainsi, en fonction du constructeur et du type de DSLAM auquel était raccordée la ligne téléphonique, seul un type de modem-utilisateur (du client) était compatible. L'article 5.1 du contrat pour la fourniture du service IP/ADSL résume très bien cette contrainte en exposant que " les modems Clients Alcatel ne peuvent fonctionner qu'en face des modems centre Alcatel et que les modems clients ECI ne fonctionnent qu'en face de modems centre ECI ". Ainsi, l'information relative à l'éligibilité de la ligne devait nécessairement être complétée par une information relative au type de DSLAM équipant le répartiteur concerné : celle-ci était nécessaire pour savoir quel type de modem-utilisateur devait être installé, afin que la ligne soit effectivement éligible à la réception de l'ADSL.

Une information exclusive du détenteur de la boucle locale

26. L'ensemble des informations relatives à l'éligibilité des lignes à l'ADSL étaient détenues exclusivement par France Télécom en sa qualité de propriétaire et d'exploitant des infrastructures de boucle locale. Seule France Télécom était en mesure de savoir quels répartiteurs étaient équipés de DSLAM, connaissait la distance entre la ligne et le répartiteur et pouvait indiquer le modem-utilisateur compatible avec le type de DSLAM du répartiteur.

Une information indispensable pour les FAI

27. Jusqu'en janvier 2001, le client dont la ligne était éligible à l'ADSL devait souscrire, d'une part, un abonnement au service Netissimo de France Télécom (accès ADSL) et, d'autre part, un abonnement auprès du FAI. Pour souscrire à Netissimo, le client devait payer des frais d'accès au service comprenant l'installation du modem à domicile par un technicien France Télécom. Ensuite, le client payait, tous les mois, d'une part, à France Télécom un abonnement à Netissimo et, d'autre part, un abonnement aux services de son FAI.

28. Ainsi qu'il l'a été indiqué au paragraphe 11 ci-dessus, à partir du mois de janvier 2001 les FAI ont pu revendre sous leur propre marque les services de Netissimo sans qu'il soit nécessaire qu'un agent de France Télécom intervienne auprès du client pour installer la ligne. Ainsi, sont nés les " packs " ADSL commercialisés par les FAI et comprenant non seulement une offre d'accès à l'ADSL (Netissimo) mais aussi un service d'abonnement aux services du FAI. Ainsi, Wanadoo a lancé le 8 janvier 2001 son pack " Xtense " devenu ensuite " eXtense ". Au même moment, plusieurs autres FAI lançaient leurs " packs " commercialisés sous leur seul marque (Club-Internet, Mangoosta notamment).

29. L'avantage de ces packs pour les FAI concurrents de Wanadoo est de permettre de rompre tout lien entre leur client et France Télécom s'agissant de l'accès à Internet (celui-ci devant néanmoins conserver un abonnement téléphonique auprès de France Télécom). Le client n'a plus besoin de souscrire auprès de France Télécom un abonnement à Netissimo ni même de louer le modem auprès de l'opérateur historique (celui-ci étant compris dans le pack et le client pouvant l'installer lui même). Néanmoins, aux contacts entre France Télécom et les clients des FAI alternatifs se sont substituées des relations directes entre ces mêmes FAI et France Télécom. Si, dans le schéma précédent début 2001, il appartenait aux prospects de se renseigner auprès de France Télécom pour savoir s'ils pouvaient bénéficier des services Netissimo (et donc un accès ADSL) sur leur ligne avant même de choisir un FAI, après 2001, ces mêmes prospects s'adressaient directement aux FAI pour savoir si leur ligne était éligible à l'ADSL, et ce sont les FAI qui se retournaient vers France Télécom pour savoir si la ligne du prospect pouvait recevoir les services de Netissimo.

Informations relatives à l'éligibilité et passation de commande pour les FAI alternatifs

30. Les conditions et modalités des relations entre les FAI alternatifs et France Télécom concernant les informations relatives à l'éligibilité des lignes à l'ADSL et les processus de commande de ces lignes figuraient dans le contrat type pour la fourniture IP/ADSL proposé aux FAI à partir de janvier 2001. L'article 5.1 du contrat pour la fourniture du service IP/ADSL prévoit que " France Télécom met à jour mensuellement un planning d'ouverture des plaques, ainsi que le planning détaillé d'ouverture des zones qui les composent, sur quatre mois glissants, sur le site web : www.data.francetelecom.fr ". Ainsi, concrètement, les FAI avaient accès à un fichier d'une centaine de pages dont un extrait est ci-après reproduit.

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31. Le contrat pour la fourniture du service IP/ADSL prévoit, dans son annexe 3, que les commandes sont prises par e-mail à raison d'un transfert de commandes par jour et que le processus suivant sera appliqué : " A réception des commandes, le serveur procède à une vérification de format de présentation des données. Tout fichier de commandes qui ne présente par un format attendu sera rejeté ; la notification prendra la forme d'un message spécifique en retour, avec retransmission de la pièce jointe.

Si le format de présentation est accepté, le serveur de commande engage un contrôle de recevabilité. La commande est recevable lorsque le client final de [FAI] dispose d'un abonnement au service téléphonique de France Télécom sur une ligne analogique isolée et est situé dans l'une des zones de couverture IP/ADSL ouverte. Le serveur délivre, à l'issue de ce contrôle, un accusé de réception portant pour chacune des commandes reçues, traduisant le résultat des contrôles effectués :

- Rejet de la commande, avec motivation

- Acceptation de la commande et transmission pour mise en œuvre ".

32. En matière de délai entre l'accusé réception positif de la commande et la mise en service effective de la ligne ADSL, l'article 5.5 du contrat pour la fourniture du service IP/ADSL : " Lorsque France Télécom ne réalise pas l'installation chez le client final de [FAI], la mise en service de la connexion IP au répartiteur de France Télécom, dans le cadre d'une commande de [FAI], est effectuée dans un délai de huit jours ouvrables après accusé de réception de la commande [...] ".

Informations relatives à l'éligibilité et passation de commande pour la commercialisation des services de Wanadoo par les agents France Télécom

33. France Télécom n'était pas, à l'époque des faits, un FAI ; en revanche, elle commercialisait les services de fourniture d'accès à Internet, à haut débit notamment, de sa filiale Wanadoo. Cette commercialisation s'opérait physiquement dans les sept cents points de vente France Télécom mais aussi par téléphone (numéro 1014). Ces deux modes de commercialisation des services d'accès à Internet ADSL de Wanadoo étaient assurés par des commerciaux de France Télécom ayant accès aux mêmes moyens et notamment aux mêmes applications informatiques.

34. Les agents France Télécom disposaient d'un accès par informatique au système d'information de l'entreprise qui les renseignait immédiatement sur l'éligibilité de la ligne à l'ADSL. Ainsi, dans un " Dossier d'information ADSL sur le service Netissimo -Turbo IP, version du 31/01/2001 ", France Télécom précisait qu'elle " possède un réseau de plus de 600 points de vente dans toute la France. De ce fait, France Télécom a mis en œuvre un processus permettant à tous les accueils physiques situés dans les zones de couverture de Netissimo de prendre commande d'une demande d'accès Netissimo. Cette organisation permet à tout agent France Télécom, face à un prospect, de vérifier immédiatement la faisabilité technique du raccordement, parallèlement aux étapes de démonstration et de prises de commande d'un accès Netissimo. ".

35. Plusieurs déclarations des commerciaux aux enquêteurs indiquent qu'un logiciel dénommé en interne " 42 C " permettait de savoir si la ligne était éligible ou non à l'ADSL. Ainsi, un commercial de l'agence France Télécom Grand Public de Lyon Bachut le 20 juin 2001 précisait : " 42 C est le logiciel du service technique de France Télécom. [...] des formateurs de France Télécom nous ont montré (aux vendeurs) comment se servir de 42C et comment on pouvait savoir si la ligne du client pouvait ou non recevoir l'ADSL. ". Les agents de France Télécom disposaient par ailleurs de la possibilité d'appeler un service technique capable de leur dire de manière fiable et instantanée si une ligne donnée était éligible ou non à l'ADSL. Ainsi, un commercial France Télécom d'une agence Grand Public de Lyon a précisé aux enquêteurs : " Lorsqu'un client vient à l'agence pour savoir s'il peut recevoir l'ADSL sur sa ligne téléphonique, j'appelle Autodoc : c'est le service technique de France Télécom pour Lyon et la périphérie. Autodoc est capable de me dire si le client peut ou non se connecter à l'ADSL ou pas, à partir de chez lui. Je donne à Autodoc l'adresse du client, ou si le client a déjà une ligne téléphonique, le numéro de la ligne téléphonique [...] l'information donnée par Autodoc est fiable. ".

36. Ces informations sont corroborées par plusieurs autres déclarations de commerciaux des agence France Télécom. Ainsi, une commerciale a indiqué aux enquêteurs : " Pendant une période, [...] je consultais également le 42 C pour savoir si une ligne pouvait recevoir l'ADSL. Mais souvent je téléphonais à la hot line France Télécom (un service technique de France Télécom appelé Autodoc). Ce service central Autodoc nous disait si la ligne pouvait recevoir ou non l'ADSL. ". Un conseiller vendeur de la boutique France Télécom d'Evreux-Oursel a précisé aux enquêteurs : " Avec l'application 42C, je peux savoir à partir du numéro de téléphone du client s'il peut recevoir l'ADSL immédiatement ou pas ". Un conseiller vendeur a même indiqué aux enquêteurs qu'il utilisait les applications d'éligibilité que pour vendre des services packagés Wanadoo (hors Netissimo) : " Sur une application informatique (42C), je consulte des tests qui ont déjà été faits (nos lignes sont en permanence testées) sur les lignes France Télécom et qui me permet de dire au client si sa ligne téléphonique peut recevoir l'ADSL ou pas (offre Wanadoo ADSL). Je demande au client son numéro de téléphone et je fais la recherche sur l'application 42C à partir de ce numéro. [...] Je ne fais cette consultation de 42C, uniquement si le client est intéressé par Wanadoo ADSL. ".

37. Dès lors, pour commercialiser les packs Wanadoo, les commerciaux de France Télécom pouvaient indiquer instantanément à un prospect si sa ligne était éligible. En outre, l'information quant à l'éligibilité de la ligne étant fournie directement par le système d'information de France Télécom, celle-ci était parfaitement à jour. Enfin, si la ligne n'était pas éligible, ce système d'information indiquait les dates envisagées d'ouverture de la plaque ADSL correspondante permettant d'informer précisément le client sur l'éventuelle future éligibilité de sa ligne. Par ailleurs, lorsque la ligne était éligible et que le client souhaitait passer commande de la ligne (notamment dans le cadre d'un pack Wanadoo), le commercial de France Télécom pouvait effectuer cette opération de commande à partir d'une application informatique connexe, instantanément après l'accord du client. La passation de commande était donc possible immédiatement après l'information relative à l'éligibilité.

38. Plusieurs constatations permettent d'observer que les commandes d'ouverture de lignes passées par les commerciaux de France Télécom étaient exécutées relativement rapidement. Ainsi, dans une lettre commerciale que France Télécom adressait à ses clients ('Paris & vous') publiée à l'automne 2001, celle-ci précisait que " Depuis janvier 2001, les nouveaux packs commercialisés par France Télécom [les packs Wanadoo] offrent l'avantage d'une installation simple et rapide. Le client branche son modem tout seul et obtient la connexion définitive sous quatre jours maximum. Parmi eux, 80 % des clients obtiennent la connexion dès le lendemain ". Ces informations sont corroborées par les constatations effectuées par Me Didier Benhamou, huissier, qui a noté que, autant sur le numéro d'appel 1014 que dans une agence, le délai annoncé d'activation d'une ligne dans le cadre de l'achat d'un pack Wanadoo était de quatre jours. Lors de sa visite dans une agence de Paris VI, le commercial de France Télécom lui a indiqué au sujet d'un pack Xtense de Wanadoo que " dans l'hypothèse où l'achat s'effectuerait ce jour, mercredi 14 novembre 2001, je serais activé samedi 17 novembre 2001. ".

2. CONCERNANT LE DISCOURS VEHICULE PAR LES AGENTS DE FRANCE TELECOM AU SUJET DES FAI CONCURRENTS DE WANADOO

Les contacts entre les agents de France Télécom et les prospects des FAI

39. France Télécom, opérateur historique, demeurait, à l'époque des faits (2001-2002) un interlocuteur référent pour la grande majorité des services de télécommunications en France. Ainsi, pour ouvrir une ligne téléphonique, il était nécessaire de se rendre dans une agence France Télécom ou d'appeler les services téléphoniques de France Télécom et notamment le 1014. Si, à partir de janvier 2001, un consommateur qui possédait déjà une ligne téléphonique pouvait s'adresser directement auprès d'un FAI concurrent pour souscrire à une offre ADSL (sous réserve de l'éligibilité), France Télécom demeurait l'interlocuteur privilégié des consommateurs pour toutes les questions relatives à la ligne téléphonique, le dégroupage (partiel puis total) n'ayant véritablement commencé à se développer au début de l'année 2003. Ainsi, France Télécom bénéficiait de contacts privilégiés avec l'ensemble des prospects potentiels aux services d'accès à Internet par ADSL.

L'argumentaire commercial des agents de France Télécom

40. Les argumentaires de vente des commerciaux de France Télécom étaient disponibles sur le réseau Intranet dans une application dénommée Americ, qui incluait une rubrique " comparatifs " : les agents pouvaient notamment y trouver un descriptif des offres de fourniture d'accès des concurrents de Wanadoo. Ces descriptifs donnaient accès à des " argumentaires face à la concurrence ", qui conseillaient aux agents de " savoir mettre le doute à propos des offres concurrentes ", notamment en matière de coût du service d'assistance, des services offerts, de la qualité, des durées d'engagement ou des publicités des fournisseurs gratuits. Pour aider les commerciaux à contrer une offre concurrente, l'application proposait des " fiches réactions ". Celles-ci comportaient deux volets : l'un positif (présentant les avantages des offres Wanadoo), l'autre négatif (il s'agissait alors pour France Télécom de souligner aux yeux des clients ce qu'il considère comme les inconvénients des offres concurrentes de Wanadoo). Ce volet négatif comportait notamment les indications suivantes :

• En ce qui concerne AOL : " un forfait 99 F TTC pour 50 heures de connexion ! La moyenne d'utilisation est d'environ 10 h par mois. On est proche de l'illimité...et l'on se souvient des problèmes rencontrés récemment. Les logiciels de navigation AOL sont leurs propriétés. En vous abonnant à AOL, vous naviguez dans le seul monde AOL. Vous vous retrouvez enfermés dans leurs services. Le suivi du compte est difficilement accessible. Un service après-vente et un service clientèle confondus et souvent saturés - l'appel à plusieurs réseaux d'opérateurs télécoms pour les connexions ".

• En ce qui concerne Club Internet : " Il n'est pas simple de changer de formule, quand on le veut. Quand cela est possible, cela se fait sous certaines conditions ! une assistance limitée ! Une qualité de connexion peu fiable ".

• En ce qui concerne Infonie : " le suivi du compte est difficilement accessible ", le service après vente et le service clientèle ne font qu'un. Résultats : ils sont souvent saturés. Infonie fait appel à plusieurs opérateurs pour assurer les connexions de ses clients, ce qui peut entraîner des dysfonctionnements ".

• En ce qui concerne Liberty Surf : " que penser d'un fournisseur d'accès à Internet qui augmente ses tarifs ! Une qualité de connexion non maîtrisée et donc aléatoire, due au recours de Liberty Surf à plusieurs opérateurs ".

• En ce qui concerne World Online : " un service après vente et [un] service clientèle confondus (...). De ce fait les communications sont souvent saturées, longues et coûteuses. Il est difficile de suivre l'état de votre compte. Il est souvent difficile de se connecter et de fréquents problèmes de connexion apparaissent. World Online " bénéficie " du plus mauvais indice de qualité déclaré par tous les instituts de sondage (mars 2001)... ! ".

• En ce qui concerne les services ADSL de Club Internet, " La commercialisation du pack ADSL de Club Internet n'est possible qu'à distance et uniquement en pré-réservation ! La mise en service effective est plus aléatoire ! Pas de suivi de commande et de garantie de livraison ! ". " Une hot line [...] disponible 7 j/7 de 12 h à 21 h. Après 9 h du soir, personne ne sera là pour vous conseiller ! Quand on sait que vous êtes nombreux à vous connecter le soir, en famille ou entre amis ! ! ".

• En ce qui concerne les services ADSL Mangoosta : " Mangoosta utilise des réseaux issus de plusieurs opérateurs. De ce fait, Mangoosta propose un accès à Internet qui manque de sécurité ".

• Pour les offres packagées, l'argumentaire précise pour Net Up : " Une hot-line très souvent occupée (avec renvoi sur répondeur et donc facturation) ". " L'offre de Net Up est destinée aux débutants ! Pourtant elle n'inclut pas d'offre d'installation, ni de formation ! Est ce la meilleure formule pour débuter sur Internet ? ".

• Pour l'accès par le câble Chello : " Avec Chello, au total, la première année, vous aurez payé 4 818F ttc ! et vous ne serez libre de rien ! ".

• Pour l'accès au câble par NoosNet : " A la moindre intervention sur votre ordinateur vous devrez vous faire assister d'un technicien. Vous ne pouvez pas le faire seul. ".

3. L'UTILISATION PAR DES AGENTS FRANCE TELECOM DES DONNEES DETENUES EN SA QUALITE D'EXPLOITANT DE LA BOUCLE LOCALE POUR COMMERCIALISER LES OFFRES WANADOO

Les informations détenues exclusivement par France Télécom en sa qualité de détenteur et d'exploitant de la boucle locale

41. France Télécom, en tant que propriétaire et exploitant de la quasi totalité des boucles locales sur le territoire français, avait accès à un certain nombre d'informations sur les habitudes de consommation ou sur les coordonnées des abonnés au service téléphonique. En effet, en l'absence de dégroupage ou de vente en gros de l'abonnement, France Télécom était la seule à assurer l'abonnement au service téléphonique et à détenir les informations relatives à l'ensemble des consommations de services de télécommunications des abonnés au téléphone ainsi que les coordonnées, notamment bancaires, de ces abonnés.

42. Plusieurs déclarations concordantes d'agents commerciaux de France Télécom établissent que tous les personnels de France Télécom en contact avec la clientèle, que ce soit dans le cadre d'un accueil physique (en agence) ou par téléphone (1014 notamment), avaient accès à des applications informatiques internes permettant de consulter de nombreuses informations sur les abonnés au téléphone fixe. Ainsi, un vendeur de l'agence France Télécom de Paris Daumesnil déclarait aux enquêteurs le 29 mai 2001 : " on peut accéder à la facturation d'un client grâce à Cristal (mais peu utilisé) surtout grâce à l'application Fregate. A partir du numéro de téléphone, du nom ou autre, on peut visualiser la liste des factures (date, total du montant), le détail de la facture, le détail des communications (avec la date, l'heure, le début du numéro de téléphone (ZABPQ) ou le numéro complet (ZABPQMCDU), le temps de communication, l'option tarifaire, le prix). Le détail des communications fait apparaître les catégories suivantes : communication : locales, International, national, Internet, Audiotel, Minitel, Mobiles... Il est possible pour les agents commerciaux des agences FT de voir si un client a ou non des communications Internet, le numéro de son fournisseur d'accès, le temps des communications, le tarif... ". Un conseiller commercial d'une autre agence France Télécom parisienne (Boutique St Paul) a confirmé ces propos : " Sur l'application facturation, figure tout le détail des consommations du client, ce qui peut être intéressant pour analyser ses besoins ". Un autre conseiller clientèle de la Station Internet Rive gauche de France Télécom indiquait aux enquêteurs que " l'application facturation permet notamment de savoir si le client est déjà abonné à Internet, combien il consomme, etc. ". De même un agent commercial de l'agence de la Part-Dieu à Lyon a précisé que " sur une ligne fixe, les employés ont accès à la gestion client (nom, adresse, numéro téléphone, consommation, types d'offres souscrites) ".

43. Les applications informatiques à disposition des agents de France Télécom, et notamment l'application Cristal, permettent d'avoir accès à l'ensemble des coordonnées de l'abonné à la ligne téléphonique, et, le cas échéant, à son relevé d'identité bancaire (RIB), notamment si celui-ci règle habituellement ses factures par titre interbancaire de paiement (TIP) ou par prélèvement automatique. L'utilisation par les agents commerciaux de France Télécom de ces informations pour la commercialisation des services de Wanadoo

44. L'enquête a montré que ces données, que France Télécom détient en sa qualité d'exploitant de la boucle locale, ont pu être utilisées par les agents de France Télécom dans le but de faciliter et de promouvoir la commercialisation des services de Wanadoo. Ainsi, il ressort des déclarations des agents France Télécom, que ce sont essentiellement les plates-formes proactives, chargées de démarcher des prospects, qui ont utilisé les données de la facture des abonnés, et notamment le volume de leur consommation Internet pour cibler la clientèle. Ainsi, le responsable du service client par téléphone de Haute Normandie déclarait le 5 juin 2001 aux enquêteurs : " Sur les applications Fregate et Cristal, les agents de la plate-forme inscrivent les informations retenues sur le client. La plate-forme pro-active de Rouen peut faire des croisements de fichiers de sorte à cibler leur démarchage [...] ". Dans le même sens, le responsable marketing de l'agence France Télécom Haute Normandie précisait " Quand nous réalisons un ciblage pour vendre des produits Wanadoo, nous utilisons la facturation FT mais dans sa globalité (cibler les 'gros clients') et non seulement la consommation Internet. ". Le 19 juin 2001, le responsable de la plate-forme pro-active France Télécom de Haute Normandie confirmait ces propos en exposant aux enquêteurs que " nous sélectionnons les prospects en accord avec le service marketing. Le service marketing peut par exemple sélectionner les clients résidentiels, qui, en Haute Normandie, ont un trafic national élevé. Nous travaillons à partir de ces données, de ces fichiers clients, mais ensuite le vendeur affine sa connaissance du client au téléphone. ". Il poursuivait en précisant que " une fois que le service marketing a dressé les listes des prospects, il nous envoie cette liste avec les dossiers-clients (noms, coordonnées, local, national, international et Internet, sa facture). Avant d'appeler le prospect, le vendeur consulte la facture du client pour faire une analyse de ses besoins. Nous réalisons un diagnostic-conseil à partir de toutes les informations que nous avons à notre disposition (dossier client) afin de placer au mieux nos produits. ".

45. Plusieurs usagers du service téléphonique ont fait part à leur FAI (concurrent de Wanadoo) de pratiques d'agents commerciaux de France Télécom qui confortent les déclarations recueillies par les enquêteurs (supra). Ainsi, M. R., abonné bas débit chez Liberty surf indique dans une lettre adressée à son fournisseur d'accès datée du 14 mars 2001 : " en tant qu'utilisateur de votre service d'accès à Internet, je vous écris pour vous informer que j'ai fait l'objet d'un démarchage téléphonique par France Télécom à la fin du mois de Février. L'agence France Télécom dont je dépends m'a contacté pour me proposer, comme j'étais abonné à un fournisseur d'accès sans forfait, un abonnement à Wanadoo Intégrales en me vantant les avantages de ce service par rapport à la solution que j'utilise actuellement. Pour ce faire, on m'a détaillé, à ma grande surprise, la durée et le coût implicite de mes connexions sur les derniers mois, m'invitant à faire des économies en passant sur un forfait. [...] ". Philippe C., abonné au service de téléphonie fixe, a adressé au président de Wanadoo Interactive la lettre de réclamation suivante (et en copie à Liberty Surf, AOL, Club Internet, DGCCRF, UFC Que Choisir) : " Lors d'un appel au début du mois de juillet 2001 au service clientèle de France Télécom afin de requérir des précisions sur la facturation de certains frais téléphoniques dans le cadre de mon abonnement téléphonique résidentiel (ligne fixe), un conseiller clientèle de France Télécom, après avoir développé un argumentaire sur les services de Wanadoo, m'a proposé de me faire parvenir un kit de connexion Wanadoo, ce que j'ai accepté. Suite à cet appel, j'ai reçu un courrier de Wanadoo Interactive en date du 11 juillet 2001 (copie ci-jointe), qui avait pour objet de me confirmer un abonnement à Wanadoo, effectif depuis le 10 juillet 2001 - que je n'avais nullement souscrit. Le 24 août 2001, j'ai été informé par ma banque de la réception d'un avis de prélèvement de Wanadoo/France Télécom Interactive d'un montant de 64,94 FRF : j'ai aussitôt requis le rejet de cette demande de prélèvement auprès de ma banque. Ainsi, mes coordonnées bancaires portées sur l'autorisation de prélèvement accordée par mes soins à France Télécom en vue du règlement de mon abonnement résidentiel (ligne fixe) exclusivement, ont dû manifestement être communiquées à Wanadoo/France Télécom Interactive nonobstant les règles du secret bancaire ".

Les mises en garde interne contre ces pratiques

46. France Télécom a diffusé des avertissements visant à interdire l'utilisation de telles données pour la commercialisation des services de Wanadoo. Ainsi, un responsable de l'agence France Télécom de Rouen a fourni aux enquêteurs un courrier en date du 20 décembre 1999 adressé par la division Distribution et services de la branche grand public à " Mesdames et Messieurs les Directeurs d'Agence " et ayant pour objet " Utilisation des données de nos fichiers à des fins commerciales ou marketing ". Cette lettre, qui rappelait les sanctions encourues devant le Conseil de la concurrence et l'ART, faisait référence à différentes notes et documents internes annexés mettant en garde contre certaines pratiques.

D. LES GRIEFS NOTIFIES

47. Par lettre du 28 mars 2007, le rapporteur général a adressé à la société France Télécom une notification de griefs relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'accès à Internet en 2001 et 2002. Les trois griefs ainsi notifiés reprochaient à la société France Télécom :

- " d'avoir abusé de sa position dominante sur la boucle locale téléphonique pour favoriser la commercialisation des services d'accès à Internet par l'ADSL de sa filiale Wanadoo en mettant à la disposition des FAI alternatifs (et de leurs distributeurs) des informations relatives à l'éligibilité des lignes à l'ADSL moins actualisées et moins précises que celles dont disposaient les agents commerciaux de France Télécom pour la commercialisation des packs Wanadoo ainsi qu'en ne mettant pas en place un système de commande d'une ligne ADSL aussi direct et rapide que celui dont disposait les agents commerciaux de France Télécom pour la commercialisation des packs Wanadoo. De telles discriminations doivent recevoir la qualification d'abus de position dominante au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce ainsi que de l'article 82 du traité CE. ", ci-après 'le premier grief' ;

- " d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché de la boucle locale, lui conférant une place singulière d'interlocuteur référent, pour avoir invité ses agents commerciaux à dénigrer les FAI concurrents de sa filiale Wanadoo par la mise en place d'un contre-argumentaire véhiculé sur une application (AMERIC) de l'Intranet de l'entreprise. Une telle pratique de dénigrement doit recevoir la qualification d'abus de position dominante au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce ainsi que de l'article 82 du traité CE. ", ci-après 'le deuxième grief';

- " d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché de la boucle locale, pour avoir utilisé des données que elle seule détenait en sa qualité de propriétaire et d'exploitant de la boucle locale dans le but de faciliter la commercialisation de services d'accès à Internet de sa filiale Wanadoo. Une telle pratique doit recevoir la qualification d'abus de position dominante au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce ainsi que de l'article 82 du traité CE ", ci-après 'le troisième grief'.

E. LA MISE EN OEUVRE DU III DE L'ARTICLE L. 464-2 DU CODE DE COMMERCE

48. Selon les dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce " lorsqu'un organisme ou une entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés et s'engage à modifier ses comportements pour l'avenir, le rapporteur général peut proposer au Conseil de la concurrence qui entend les parties et le commissaire du Gouvernement sans établissement préalable d'un rapport, de prononcer la sanction pécuniaire prévue au I en tenant compte de l'absence de contestation. Dans ce cas, le montant maximum de la sanction encourue est réduit de moitié ".

49. Au terme d'un procès verbal établi le 1er juin 2007, la société France Télécom a décidé de ne pas contester les trois griefs qui lui ont été notifiés. Conformément aux dispositions de l'article L.464-2 du Code de commerce, la société France Télécom a proposé de souscrire, pour l'avenir, les engagements suivants :

"1) mise en place d'un outil d'identification, dans le système actuel de gestion des réclamations des consommateurs, des réclamations spécifiquement liées à l'existence d'actes ou de pratiques litigieuses relevant du droit de la concurrence ;

2) mise en place d'une procédure de suivi statistique et qualitatif des informations collectées à partir de cet outil ;

3) mise en place, dans le système de commande de chacun des canaux de vente, d'un outil permettant de rapprocher les actes de vente des vendeurs concernés et, ainsi, d'identifier les vendeurs responsables d'actes de vente qui se révéleraient enfreindre le droit de la concurrence ;

4) mise en place d'une procédure d'alerte systématique dans les services décentralisés sur les réclamations des opérateurs concurrents ;

5) renforcement des actions de formation et d'information des juristes décentralisés, des 'marketeurs' et des vendeurs sur le respect du droit de la concurrence".

50. Prenant acte de la position de la société France Télécom, le rapporteur général a demandé au Conseil de lui accorder le bénéfice des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce et, pour tenir compte de l'absence de contestation des griefs et des engagements présentés, que la sanction pécuniaire, le cas échéant prononcée, n'excède pas soixante millions d'euro.

III. Discussion

A. SUR L'APPLICATION DU DROIT COMMUNAUTAIRE

51. Les trois griefs ont été notifiés sur le fondement de l'article L. 420-2 du Code de commerce et de l'article 82 du traité européen. L'article 82 du traité CE dispose qu'" est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci. ". Comme le soulignent les lignes directrices de la Commission européenne relatives à la notion d'affectation du commerce (2004-C 101-07), " lorsqu'une entreprise, qui occupe une position dominante couvrant l'ensemble d'un Etat membre constitue une entrave abusive à l'entrée, le commerce entre Etats membres peut normalement être affecté. En général, ce comportement abusif rendra plus difficile aux concurrents d'autres pays membres la pénétration sur le marché, auquel cas les courants d'échanges sont susceptibles d'être affectés. " (§ 93). En l'espèce, les pratiques de la société France Télécom ont pu élever des barrières à l'entrée du marché français des services d'accès à Internet qui, au moins potentiellement, ont limité les projets et les investissements en France de grands acteurs européens du secteur susceptibles de venir concurrencer l'opérateur historique. A l'inverse, les pratiques dénoncées ont pu conférer un avantage indu à la société France Télécom sur le marché français de l'accès à Internet à haut débit lui permettant de consacrer davantage de ressources à son développement dans d'autres pays européens. Dès lors, les pratiques objets des griefs ont bien été susceptibles d'affecter le commerce intracommunautaire et leur examen devra être conduit à l'aune de l'article 82 du traité CE, concomitamment à l'article L. 420-2 du Code de commerce.

B. SUR LA POSITION DOMINANTE DE FRANCE TELECOM

1. LE MARCHE DE DETAIL PERTINENT

52. Comme l'a déjà souligné le Conseil de la concurrence, les services offerts par le Minitel et Internet sont très sensiblement différents et leur accès appartient à des marchés pertinents distincts (décision n° 99-D-55 du 7 octobre 1999). Concernant l'accès à Internet, il convient d'opérer une distinction entre les accès à bas débit et les accès à haut débit. Si les notions de " bas débit " et de " haut débit " ne sont que des notions relatives, il convient de remarquer que, pendant la période appréhendée (2001-2002), la très grande majorité des offres haut débit annonçaient des débits en sens descendant égaux ou supérieurs à 512 kbit/s. Ainsi, le marché du haut débit français, sur la période considérée, regroupait des offres de débit égal ou supérieur à 512 kbit/s en sens descendant.

53. En effet, certains services ou fonctionnalités ne sont pas raisonnablement accessibles via une connexion bas débit. Ainsi, les téléchargements de fichiers audios, vidéos ou des photos prennent beaucoup trop de temps via une connexion bas débit et ne peuvent pas être considérés comme effectivement accessibles aux utilisateurs ne bénéficiant que du bas débit. En outre, les services de jeu en ligne ou interactifs nécessitent pour la plupart une connexion haut débit. Par ailleurs, la connexion haut débit se distingue très nettement du bas débit par la rapidité de connexion aux pages Web ou de téléchargement de fichiers. La connexion haut débit, et notamment l'ADSL, permet un accès direct à Internet sans temps de connexion préalable comme dans le cas d'une connexion bas débit (environ 45 secondes). En outre, l'accès à haut débit, et notamment via l'ADSL, laisse la ligne téléphonique classique (les fréquences basses) disponible ; tout en utilisant des fonctionnalités offertes par Internet, l'utilisateur peut recevoir et passer des appels téléphoniques sur la même ligne. De plus, il convient de constater que, sur la période considérée, le prix des offres d'accès à Internet à haut débit des FAI était très sensiblement plus élevé que celui des offres forfaitaires d'accès à Internet à bas débit (même pour des forfaits de 50 heures par mois). Au terme de ces constatations, il convient d'identifier un marché de l'accès à Internet bas débit distinct du marché de l'accès à Internet haut débit.

54. Sur le territoire français (voir infra la délimitation géographique des marchés), deux modes d'accès à Internet à haut débit dominaient le marché : l'accès par la technologie ADSL et l'accès par le câble. En effet, sur la période considérée, les autres technologies d'accès à Internet à haut débit demeuraient tout à fait marginales. Ainsi, dans une décision du 11 mai 2004 (04-D-17, § 6), le Conseil de la concurrence constatait que " d'autres technologies, comme l'UMTS, les courants porteurs ou le WIFI, sont apparues depuis peu mais ne présentent pas à l'heure actuelle un taux de pénétration significatif ".

55. Les opérateurs de câble ont, dans un premier temps, concentré leurs offres sur des services de télévision payants. Ce n'est qu'à partir de la fin des années 1990 que les câblo-opérateurs ont proposé les premiers services d'accès à Internet à haut débit. Néanmoins, pour proposer ces offres d'accès à Internet, les câblo-opérateurs ont dû réaliser des opérations d'amélioration de leur réseau.

<emplacement tableau>

56. L'accès à Internet par le câble offre des fonctionnalités très proches des accès par le réseau téléphonique fixe via l'ADSL. En effet, les débits proposés pour un accès à Internet par câble sont en général similaires à ceux offerts par l'ADSL et permettent donc des téléchargements de dossiers volumineux, notamment audios et vidéos, la consultation rapide des pages web, etc.... Cet accès à Internet est, comme l'ADSL, illimité et la ligne téléphonique reste disponible pendant son utilisation. Ainsi, le Conseil de la concurrence a pu considérer (décision 04-D-17 du 11 mai 2004, § 37) que " le câble est une technologie concurrente de l'ADSL sur une partie non négligeable du territoire. Selon l'AFORM, le câble dispose d'un potentiel de 6,5 millions de prises pour l'Internet contre 37 millions pour l'ADSL. " (§ 38).

57. Enfin, il convient de remarquer que la différence résiduelle de couverture géographique entre le câble et l'ADSL n'a pas eu d'influence sensible sur les conditions de concurrence entre les deux technologies, notamment en matière de prix. Ainsi, les prix des packs ADSL, et notamment du pack eXtense de Wanadoo étaient strictement les mêmes dans les zones également couvertes par le câble que dans les zones exclusivement couvertes par l'ADSL. Cette stricte identité de prix conduit à modérer l'impact de la différence marginale de couverture entre l'ADSL et le câble pendant la période considérée.

58. Dès lors, il convient de retenir un marché de l'accès à Internet haut débit toutes technologies, incluant les accès par câble et ceux par ADSL (via les paires de cuivre). Cette position est partagée par la Commission européenne, qui a estimé dans la décision Wanadoo du 16 juillet 2003 (COMP/38.233, §.170) que " dans le périmètre de cette définition de marché sont incluses tant les offres reposant techniquement sur la solution ADSL que les offres reposant sur la technologie du câble modem. ".

59. Les besoins de la plupart des petites entreprises (notamment les TPE, les artisans) en terme d'accès à Internet sont très largement similaires aux besoins des particuliers et les offres s'adressant à cette clientèle se rapprochent sensiblement des offres aux particuliers en proposant des services standards notamment avec des débits et ses systèmes de sécurisation standards. En revanche, la demande d'autres entreprises (souvent plus grandes) apparaît comme plus singulière, nécessitant des offres professionnelles spécifiques permettant notamment des débits plus élevés, des capacités d'hébergement de pages web plus importantes, des interfaces plus ou moins complexes avec les réseaux internes, une sécurisation renforcée. Dès lors, il apparaît pertinent de distinguer un marché des offres grand public standard (incluant celles adressées aux Small Office Home Office) et un marché des offres spécifiques aux professionnels répondant à des besoins singuliers. Cette position est celle à laquelle aboutissent les analyses menées par la Commission européenne dans la décision Wanadoo du 16 juillet 2003 (COMP/38.233) dans laquelle elle avait conclu que "l'accès à Internet haut débit pour la clientèle résidentielle se distingue de l'accès à Internet à haut débit pour la clientèle professionnelle " (§ 171).

60. Selon une jurisprudence constante, le marché géographique pertinent peut être défini comme le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans la fourniture ou la demande des produits ou services pertinents, où elles sont exposées à des conditions de concurrence similaires ou suffisamment homogènes et qui se distingue des territoires voisins sur lesquels les conditions de concurrence sont sensiblement différentes. En l'espèce, les fournisseurs d'accès à Internet présents sur le marché de l'accès à Internet à haut débit et les opérateurs de télécommunications présents sur le marché de services ADSL opéraient sur une base nationale. Même si certaines offres d'accès à Internet à haut débit étaient limitées à des zones bien déterminées en raison de contraintes de déploiement technique, il ne fait pas de doute que tous ces prestataires partageaient les mêmes ambitions de déploiement et de croissance au niveau national. De plus, les fournisseurs d'accès à Internet fournissaient un service qui s'adressait à la population résidant sur le territoire national avec des prix homogènes et étaient assujettis à une réglementation nationale. Pour toutes ces raisons, le marché géographique en cause est le marché national français.

61. En conclusion, à l'époque des faits, il existait un marché de détail pertinent de l'accès grand public à Internet à haut débit (quelque soit la technologie utilisée) sur le territoire français regroupant essentiellement les offres d'accès par ADSL et par câble.

2. SUR LE MARCHE DE GROS PERTINENT

62. Concernant les réseaux câblés, il n'existait pas de marché de gros dans la mesure où les technologies utilisées, spécifiques et différentes entre elles, ne permettaient pas de recevoir les services classiques de fourniture d'accès à Internet de l'ensemble des FAI. Ainsi, les réseaux câblés disposaient chacun de leur propre FAI spécifique.

63. En revanche, concernant les accès à Internet à haut débit à partir des paires de cuivres du réseau téléphonique via la technologie ADSL, l'existence de segments distincts et potentiellement concurrentiels ouvrait plusieurs marchés de gros aux FAI. Ainsi, le Conseil de la concurrence, comme l'ART, ont identifié trois " segments " bien distincts dans la " chaîne " de l'accès à Internet via l'ADSL. L'ART, dans un avis du 30 avril 2002 (n° 02-346), a exposé ainsi l'architecture de l'accès à Internet à haut débit via l'ADSL : " Trois segments, distincts à la fois en termes de métiers et d'intensité concurrentielle, interviennent dans la chaîne de fourniture de l'accès à Internet à haut débit via l'ADSL :

• l'accès, constitué de la ligne téléphonique raccordée au DSLAM [...]

• le transport des flux de trafic [...]

• le service Internet proprement dit, consistant en la gestion des abonnés et des services, assuré par le fournisseur d'accès à Internet [...]. "

64. Le coeur de métier des FAI était de proposer le service Internet proprement dit. En revanche, pour offrir des offres packagées d'accès à Internet haut débit au grand public, les FAI devaient acheter sur les marchés de gros les prestations d'accès et de " transport des flux de trafic ". Ainsi, pendant la période appréhendée par la décision, il est possible a priori d'identifier notamment deux marchés de gros dans le secteur de l'accès à Internet haut débit :

.. le marché de l'accès à la boucle locale ;

.. le marché de transport des flux de trafic.

Le marché de l'accès à la boucle locale

65. La boucle locale est l'élément de réseau qui est situé entre la prise téléphonique de l'utilisateur et le répartiteur auquel est rattachée cette prise. Chaque répartiteur regroupe de quelques milliers à plusieurs dizaines de milliers de lignes téléphoniques selon la densité d'habitation de la zone considérée. Ainsi, sur l'ensemble du territoire national, France Télécom dispose de plus de 12 000 répartiteurs regroupant plus de 35 millions de prises téléphoniques. Comme il a été exposé plus haut, seules les lignes raccordées à un répartiteur équipé d'un DSLAM pouvaient bénéficier d'un accès à l'ADSL. Ces DSLAM et les modems des particuliers permettaient une numérisation des données sur la boucle locale en séparant les bandes fréquences utilisées par les flux de données de celles réservées aux communications vocales. Le marché de l'accès à la boucle locale est donc le marché de l'accès au segment reliant les répartiteurs aux prises téléphoniques.

Le marché du transport des flux de trafic

66. Le marché du transport des flux de trafic correspond au segment reliant les DSLAM des répartiteurs et le point de raccordement du FAI. Ce segment peut être divisé en plusieurs sous-segments : en effet, l'architecture pyramidale du réseau de France Télécom permet de distinguer plusieurs niveaux pour le transport des flux de trafic en fonction du niveau auquel France Télécom livre le trafic, soit à un opérateur concurrent intermédiaire, soit directement au FAI (options). Néanmoins, pendant la période appréhendée (2001-2002), et comme il a été précisé plus haut, les conditions techniques et tarifaires n'ont pas permis aux opérateurs concurrents de bénéficier des options 1 et 3. Dès lors, de la prise téléphonique de l'abonné, jusqu'après les BAS (situés au niveau des plaques), seule France Télécom assurait des prestations de collecte et de transit. C'est ainsi que le Conseil de la concurrence a estimé dans une précédente décision que " la facilité essentielle propriété de France Télécom est donc constituée, à l'époque et en l'espèce, de la boucle filaire et de son prolongement vers l'aval des installations de l'opérateur téléphonique jusqu'aux points de branchement de l'option 3 (entre DSLAM et Broadband Access Server). " (décision 05-D-59 du 7 novembre 2005, § 125).

Caractère national des marchés de gros identifiés

67. Par cohérence avec la délimitation géographique nationale des marchés de détail précédemment délimités, les marchés de gros identifiés (boucle locale et transport des flux de trafic de données) sont aussi des marchés nationaux. Par ailleurs, la boucle locale constituée des 37 millions de paires de cuivre propriété de France Télécom constitue une spécificité qui singularise les marchés de gros français des autres marchés de gros nationaux, notamment en Europe.

3. POSITION DES SOCIETES DU GROUPE FRANCE TELECOM SUR LES MARCHES IDENTIFIES

Position de France Télécom sur le marché de la boucle locale

68. France Télécom était, pendant la période appréhendée dans le cas présent en situation de monopole sur les accès à sa boucle locale. En effet, alors que le dégroupage n'était pas encore effectivement mis en œuvre, seule France Télécom était en mesure de fournir un accès à la boucle locale. En l'absence de tout élément venant contrebalancer le pouvoir de monopole de la société France Télécom sur la boucle locale filaire (paires de cuivre), il y a lieu de qualifier sa position de dominante sur le marché de l'accès constitué du raccordement de la ligne téléphonique de l'usager au DSLAM. Position de France Télécom sur le marché du transport des flux de trafic

69. Pendant la période considérée (2001-2002), il n'existait pas de concurrence possible par des opérateurs alternatifs pour le transport des flux de trafic à partir des options 1 ou 3. Seule l'option 5 nationale pouvait faire l'objet d'une concurrence potentielle par d'autres opérateurs qui auraient souscrit l'option 5 régionale. Néanmoins dans les faits, France Télécom, notamment par l'intermédiaire de sa filiale de second rang à 100 % Transpac de 2000 à l'été 2001, assurait la quasi-totalité de ce transport. L'offre d'une option 5 nationale à partir de juillet 2001 a renforcé la position de France Télécom sur ce segment. Ainsi, comme l'a souligné l'ARCEP dans un avis du 3 décembre 2003 (avis n° 03-1298 de l'ART en date du 9 décembre 2003) : " Jusqu'à la fin 2002, la concurrence des opérateurs alternatifs à France Télécom par l'intermédiaire de l'option 1 et de l'option 3 était quasi inexistante et France Télécom était en monopole de fait sur le marché de l'option 5 à destination des fournisseurs d'accès. ".

Position de Wanadoo sur le marché de l'accès grand public à Internet à haut débit

70. A titre complémentaire des analyses de dominance de la société France Télécom précédemment opérées, il convient de souligner que sa filiale Wanadoo était elle aussi en position dominante sur le marché de la fourniture d'accès à Internet à haut débit. D'autres données contenues dans la décision Wanadoo du 13 juillet 2003 de la Commission européenne (COMP/38.233, §.211) permettent de souligner l'accroissement des parts de marché de Wanadoo par rapport aux FAI concurrents, câble et ASDL confondus.

<emplacement tableau>

71. Plusieurs documents internes du groupe France Télécom confortent cette analyse. Ainsi, une présentation Power Point effectuée lors d'un séminaire interne du 7 novembre 2001, exposait un descriptif de l'état de la concurrence sur le haut débit ADSL intitulé " le marché 2002 : les concurrents " comme suit :

" Club Internet : lancée mais pas en régime de croisière. Le plus crédible aujourd'hui

Tiscali/Liberty Surf : offre lancée mais peu présent en communication

9Online : lancé mais gros pb de QS et process

Free : annonce d'une offre 'moins chère que FT/

AOL : se prépare mais rien de concret : lancement avant fin 2001 ?/

Des acteurs de niches : easyNet, Freesurf, ClaraNet, Magic. "

La diapositive de présentation exposait un encadré de conclusion affirmant : " Aucun acteur crédible ne semble vraiment moteur aujourd'hui. Les concurrents sont en position d'attente ".

72. Il ressort des analyses qui précèdent que, pendant la période appréhendée en l'espèce (2001- 2002), d'une part, France Télécom se trouvait en situation de position dominante sur les marchés de gros de l'accès à la boucle locale filaire (paires de cuivre) et des offres de transport de flux de données, et d'autre part, sa filiale, Wanadoo se trouvait en position dominante sur le marché de détail de l'accès à Internet à haut débit pour la clientèle résidentielle.

C. SUR LES PRATIQUES

1. EN CE QUI CONCERNE LE GRIEF DE DISCRIMINATION

73. Il ressort de l'ensemble des constatations qui ont été précédemment exposées que, par rapport aux dispositions envisagées par le contrat pour la fourniture du service IP/ADSL qui offraient aux FAI un mode peu réactif et complexe pour vérifier l'éligibilité des lignes à l'ADSL et pour passer des commandes d'accès ADSL, France Télécom bénéficiait de conditions lui procurant de nombreux avantages :

• Le prospect s'adressant à France Télécom bénéficiait plus rapidement d'une information relative à l'éligibilité de sa ligne. Alors que le commercial de France Télécom n'avait qu'à entrer le numéro de la ligne du prospect pour voir aussitôt s'afficher à l'écran l'état de la ligne ainsi que son éventuelle éligibilité à l'ADSL, le FAI (ou son distributeur) devait consulter le listing des communes pour savoir si le prospect résidait dans une commune dont le répartiteur était équipé d'un DSLAM.

• Le prospect s'adressant à France Télécom bénéficiait d'une information relative à l'éligibilité de sa ligne plus fraîche. Alors que le commercial de France Télécom avait une information sur l'éligibilité d'une ligne quotidiennement mise à jour, le FAI (ou son distributeur) n'avait accès qu'à une liste de communes éligibles mise à jour mensuellement.

• Le prospect s'adressant à France Télécom bénéficiait d'une information relative à l'éligibilité de sa ligne plus précise. Alors que le commercial de France Télécom bénéficiait d'une information précise sur l'éligibilité de la ligne, le FAI (ou son distributeur) n'avait accès qu'à une liste de communes éligibles alors même que certaines lignes de la commune pouvaient ne pas l'être, chaque ligne d'une commune n'étant pas nécessairement reliée au même répartiteur. A l'inverse, un habitant pouvait résider dans une commune, en principe, non éligible à l'ADSL mais qui en raison de sa position géographique limitrophe avec une commune éligible et son raccordement au répartiteur voisin, était effectivement éligible.

• Une fois l'information relative à l'éligibilité transmise au prospect, le processus de commande de l'accès ADSL était plus rapide en cas de commercialisation directe par France Télécom. Alors que le commercial de France Télécom pouvait, juste après s'être assuré de l'éligibilité de la ligne du prospect, passer une commande de ligne ADSL à partir du même système d'information, les FAI devaient respecter un processus de commande plus lourd (voir supra) et plus complexe générant des risques d'erreurs et d'échecs plus nombreux.

74. De nombreux éléments du dossier, qui n'ont pas été contestés, ont démontré les effets sensibles de cette discrimination qui a sérieusement contraint les FAI alternatifs dans leur conquête de clientèle sur le marché de l'ADSL.

75. Avant janvier 2001, les FAI n'avaient pas à consulter France Télécom quant à l'éligibilité des lignes à l'ADSL ni même à commander un service d'accès puisque le client achetait lui-même à France Télécom un accès ADSL via le service Netissimo. En réalité, c'est donc précisément, à partir de l'arrivée de packs et notamment le début de la commercialisation des packs Wanadoo Xtense dans les agences France Télécom, le 8 janvier 2001, que la pratique de discrimination a commencé. Quant au terme de la pratique, la décision du 19 juillet 2002 constate que France Télécom a bien mis en œuvre des mécanismes permettant aux FAI alternatifs d'avoir accès au même processus de vérification d'éligibilité et de commande que ceux utilisés pour la commercialisation des services de Wanadoo. La pratique a ainsi été mise en œuvre de janvier 2001 à juin 2002.

Conclusion sur le premier grief

76. Il ressort de l'ensemble des analyses développées que, depuis le début de l'année 2001 jusqu'à la fin du premier semestre 2002, France Télécom a abusé de sa position dominante sur la boucle locale téléphonique pour favoriser la commercialisation des services d'accès à Internet par l'ADSL de sa filiale Wanadoo en mettant à la disposition des FAI alternatifs (et de leurs distributeurs) des informations relatives à l'éligibilité des lignes à l'ADSL moins actualisées et moins précises que celles dont disposaient les agents commerciaux de France Télécom pour la commercialisation des packs Wanadoo ainsi qu'en ne mettant pas en place un système de commande d'une ligne ADSL aussi direct et rapide que celui dont disposaient les agents commerciaux de France Télécom pour la commercialisation des packs Wanadoo. De telles discriminations, dont ni la matérialité, ni la qualification ou l'imputabilité ne sont contestées, constituent des abus de position dominante prohibée tant par l'article L. 420-2 du Code de commerce que par l'article 82 du traité CE.

2. EN CE QUI CONCERNE LE GRIEF DE DENIGREMENT

77. La concurrence suppose un certain degré de rivalité et de compétition entre les acteurs d'un marché. Néanmoins, cette lutte pour la conquête de la clientèle n'autorise pas tous les comportements, surtout de la part d'une entreprise qui, détenant une position dominante sur un marché, encourt une responsabilité particulière. Parmi les actes qui peuvent être regardés comme abusifs, le dénigrement occupe une place majeure. Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié ; il se distingue de la critique dans la mesure où il émane d'un acteur économique qui cherche à bénéficier d'un avantage concurrentiel en jetant le discrédit sur son concurrent ou sur les produits de ce dernier.

78. Néanmoins, tout dénigrement mis en œuvre par une entreprise en position dominante, s'il peut relever de la concurrence déloyale et engager la responsabilité de l'entreprise vis-à-vis de ses concurrents, n'est pas nécessairement constitutif d'un abus sanctionné au titre de l'article L. 420-2 du Code de commerce. Pour qu'un dénigrement puisse être qualifié d'abus de position dominante, il convient que soit établi un lien entre la domination de l'entreprise et la pratique de dénigrement.

79. En l'espèce, il convient de souligner la portée singulière des discours véhiculés par France Télécom à l'époque des faits. France Télécom est l'opérateur historique des télécommunications en France. La concurrence n'a commencé à se développer dans le secteur qu'à la fin des années 1990. Ainsi, au moment des faits, le développement de la concurrence sur les marchés des télécommunications était récent et France Télécom bénéficiait aux yeux du grand public de la réputation et de la notoriété d'un ancien monopole gérant un service public, encore largement détenu par l'Etat. France Télécom demeurait la référence en matière de télécommunications, notamment du point de vue technique mais aussi de la crédibilité. Par ailleurs, France Télécom était l'acteur principal et incontournable du monde de l'accès à Internet haut débit, notamment en raison du fait qu'il était propriétaire de la quasi-totalité des boucles locales et de son avantage historique en terme de capillarité des réseaux de transport des données. Ainsi, le statut de référence historique nationale et de leader dans le secteur des télécommunications a conféré, à l'époque des faits, à France Télécom une position tout à fait singulière.

80. L'accès à Internet et notamment à l'Internet à haut débit apparaissait à l'époque des faits comme une innovation technologique, assez complexe. Par ailleurs ce service venant interagir avec les services de téléphonie classique, le grand public percevait un risque de perturbation de l'utilisation traditionnelle de la ligne téléphonique en cas d'un mauvais paramétrage. Dès lors, les discours véhiculés par France Télécom étaient de nature à avoir un fort impact sur les choix des consommateurs entre tel ou tel type de service ou entre tel ou tel opérateur.

81. Le contre-argumentaire de vente des agents France Télécom développé dans l'Intranet de l'entreprise sous la rubrique Americ contenait des fiches-guides de réponse aux clients s'intéressant à des offres d'accès à Internet. Si certaines des mentions de ce contre- argumentaire étaient objectives et vérifiables, en revanche, d'autres étaient dépourvues de toute objectivité ou nuance et parfois mensongères. Ces contre-arguments étaient d'autant plus préjudiciables qu'ils portaient essentiellement sur la qualité technique du service que le client ne peut que difficilement évaluer lui-même a priori. L'avis très négatif de France Télécom, référence historique et publique en matière de télécommunications, est donc particulièrement dissuasif pour le prospect profane.

82. La diffusion de ce contre-argumentaire dénigrant sur l'Intranet de France Télécom a eu des effets sensibles sur les marchés des accès à Internet bas débit et haut débit. Il convient de relever que l'enquête établit que l'outil Americ, et notamment les contre-argumentaires litigieux, ont bien été utilisés par les agents commerciaux de France Télécom. En effet, plusieurs d'entre eux ont déclaré aux enquêteurs s'être servis ou se servir du contre- argumentaire Americ.

Conclusion sur le deuxième grief

83. Il ressort des constatations précédentes que France Télécom a abusé de sa position dominante sur le marché de la boucle locale, lui conférant une place singulière d'interlocuteur référent, en ayant invité ses agents commerciaux à dénigrer les FAI concurrents de sa filiale Wanadoo par la mise en place d'un contre-argumentaire véhiculé sur une application (Americ) de l'Intranet de l'entreprise. Une telle pratique de dénigrement, dont ni la matérialité, ni la qualification ou l'imputabilité ne sont contestées, constitue un abus de position dominante prohibée tant par l'article L. 420-2 du Code de commerce ainsi que par l'article 82 du traité CE.

3. EN CE QUI CONCERNE LE GRIEF D'UTILISATION DE DONNEES DETENUES DU FAIT DE SON MONOPOLE SUR LA BOUCLE LOCALE

84. A l'époque des faits, France Télécom occupait, notamment pour des raisons historiques, une position tout à fait particulière dans laquelle elle maîtrisait seule le segment final de réseau, à savoir la boucle locale. Cette maîtrise de la boucle locale permettait à France Télécom de bénéficier d'informations notamment sur les profils de consommation de l'ensemble des abonnés au service téléphonique. Ainsi, l'entreprise jouissait sur le marché de la boucle locale d'une position dominante lui permettant d'accéder à des informations stratégiques pour de nombreux autres marchés de communications électroniques, et notamment pour le marché de l'accès à Internet.

85. En utilisant des données stratégiques issues de son activité d'exploitation de la boucle locale afin de favoriser la commercialisation des services d'accès à Internet Wanadoo, France Télécom a octroyé à sa filiale un avantage exclusif qui a perturbé le jeu de la concurrence sur les marchés des FAI. En effet, en analysant les factures des abonnés, les agents France Télécom ont pu mettre en place des campagnes commerciales pro-actives visant les prospects les plus disposés à souscrire des offres packagée d'accès à Internet et notamment des packs ADSL. Or, France Télécom ne commercialisant que des services de Wanadoo, seule sa filiale, à l'exclusion de tous les concurrents de celle-ci, a profité de l'utilisation des données liées à l'exploitation de la boucle locale. Ainsi, les agents France Télécom ont pu mieux cibler leurs actions commerciales et de prospection et ainsi mieux mobiliser leurs ressources pour vendre davantage de services de Wanadoo.

86. France Télécom a donc abusé de sa position dominante sur le marché de la boucle locale, en utilisant des données qu'elle seule détenait en sa qualité de propriétaire et d'exploitant de la boucle locale, dans le but de faciliter la commercialisation de services d'accès à Internet de sa filiale Wanadoo. Une telle pratique, dont ni la matérialité, ni la qualification ou l'imputabilité ne sont contestées, constitue un abus de position dominante prohibée tant par l'article L. 420-2 du Code de commerce ainsi que par l'article 82 du traité CE.

D. SUR LES SANCTIONS

1. LE REGIME APPLICABLE

87. Dans son article 73, la loi relative aux Nouvelles Régulations Economiques (loi 2001-420 du 15 mai 2001, JORF 16 mai 2001), a modifié les dispositions de l'article L. 464-2 du Code de commerce relatives au plafond des sanctions pécuniaires que peut prononcer le Conseil de la concurrence. L'article 94 de la même loi a précisé que " les dispositions de l'article 69 et celles de l'article 73 en ce qu'elles concernent le l'application de l'article L. 464-2 du Code de commerce ne s'appliquent pas aux affaires pour lesquelles une saisine du Conseil de la concurrence a été effectuée avant la date d'entrée en vigueur de la présente loi. ". En l'espèce, la présente notification de griefs fait suite à trois saisines, enregistrées les 28 novembre 2001, 19 février 2002 et 22 juillet 2005. Ces trois saisines étant postérieures au 16 mai 2001 (date d'entrée en vigueur de la loi NRE), les nouvelles dispositions de l'article L. 464-2 du Code de commerce telles qu'issues de la loi NRE ont vocation à s'appliquer à la présente affaire.

88. Par ailleurs, le Conseil de la concurrence a déjà rappelé (décision 04-D-39 du 3 août 2004, § 156) que, " en vertu de la non rétroactivité des lois à caractère punitif " les dispositions issues de la loi NRE relatives au plafond des sanctions, " en ce qu'elles sont plus sévères que celles qui étaient en vigueur antérieurement ", n'étaient pas applicables aux infractions commises antérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi, quant bien même la saisine relative aux faits appréhendés serait postérieure à celle-ci. Néanmoins, s'agissant d'infractions continues, le Conseil de la concurrence a déjà estimé (décision 05-D-65 du 30 novembre 2005, § 328) que si les pratiques appréhendées avaient débuté avant l'entrée en vigueur de la loi NRE mais s'étaient poursuivies après cette date, les nouvelles dispositions de la loi NRE, et notamment celles modifiant l'article L. 464-2 du Code de commerce, étaient applicables. La cour d'appel a fait sienne cette interprétation en considérant pour l'affaire en cause que les nouvelles dispositions issues de la loi NRE trouvaient pleinement à s'appliquer (Cour d'appel de Paris, 12 décembre 2006).

89. En l'espèce, il est établi que les trois abus identifiés ont tous commencé antérieurement au 16 mai 2001, et se sont poursuivis, de manière continue, au-delà de cette date. Dès lors, les dispositions du Code de commerce, dans leur rédaction issue de la loi du 15 mai 2001, sont pleinement applicables à l'affaire en cause.

2. SUR LE PLAFOND DE LA SANCTION PECUNIAIRE

90. Le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 15 mai 2001, dispose : " Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 3 millions d'euro. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante ". Le III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, prévoit que " Lorsqu'un organisme ou une entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés et s'engage à modifier ses comportements pour l'avenir, le rapporteur général peut proposer au Conseil de la Concurrence, qui entend les parties et le commissaire du gouvernement sans établissement préalable d'un rapport, de prononcer la sanction pécuniaire prévue au I en tenant compte de l'absence de contestation ". Dès lors, pour la présente affaire, le plafond de la sanction que peut prononcer le Conseil de la concurrence s'élève à 5 % du chiffre d'affaires mondial hors taxes consolidé réalisé par la société France Télécom.

91. Le chiffre d'affaires consolidé de la société France Télécom s'est élevé en 2006 à 51 702 millions euro. En application du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, le plafond de la sanction que le Conseil de la concurrence peut prononcer en l'espèce s'élève à 2 585,1 millions euro.

3. SUR LE MONTANT DE LA SANCTION PECUNIAIRE

92. L'article L. 464-2 I du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 15 mai 2001 dispose notamment que : " les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ".

a) En ce qui concerne la gravité des pratiques

93. Les trois abus dénoncés par les présentes ont eu pour objet de rendre plus difficile la pénétration des concurrents de Wanadoo sur le marché de l'accès à Internet et sont d'autant plus graves qu'ils ont été commis sur un marché émergent. En effet, des abus de domination mis en œuvre sur un marché naissant sont d'une gravité particulière en raison du caractère potentiellement structurant qu'ils ont pour le marché, voire le secteur en cause. Ainsi, sur les marchés de l'Internet, les enjeux liés à l'acquisition rapide d'une base de clientèle suffisante sont élevés, d'une part en raison des coûts de changement (switching costs) que doivent supporter les abonnés désirant changer de fournisseur, coûts qui tendent à figer les parts de marché acquises, d'autre part parce que les contenus que les FAI sont en mesure d'offrir sont d'autant plus attractifs qu'ils peuvent les amortir sur une base large de clientèle. Or, Wanadoo a d'emblée conquis la quasi-totalité du marché alors qu'il s'agissait d'un marché nouveau sur lequel elle n'avait bénéficié d'aucun monopole et a conservé cette position jusqu'à la fin de l'année 2002. Néanmoins, les pratiques appréhendées par les présentes relèvent de degrés de gravité différents.

94. Tout d'abord, il convient de souligner que la discrimination opérée dans l'accès à l'information sur l'éligibilité des lignes et le processus de commande est d'une particulière gravité dans la mesure où France Télécom ne pouvait ignorer son caractère stratégique pour le marché et notamment pour le développement de la commercialisation de masse des offres des concurrents de Wanadoo. Il y a lieu cependant de prendre en compte la circonstance que le partage des informations relatives à l'éligibilité et du processus de commande requiert la mise en place d'une interface interactive entre le système d'information interne de France Télécom et l'extérieur. Une telle opération est délicate techniquement dans la mesure où elle ouvre des applications informatiques internes à des concurrents du groupe. S'il ne fait aucun doute que France Télécom a délibérément tardé à mettre en place cette interface (15 mois), une telle opération relativement nouvelle pour le groupe a soulevé des complexités techniques qui ne peuvent être ignorées.

95. Le discours dénigrant véhiculé sur l'Intranet de France Télécom est particulièrement grave eu égard à la responsabilité particulière de l'opérateur historique et au caractère institutionnalisé du contre-argumentaire visé qui ne relève pas de seuls comportements isolés d'agents.

96. L'utilisation par des agents France Télécom des données de la facture téléphonique pour faciliter la commercialisation des services de Wanadoo constitue également une pratique d'une particulière gravité, qui introduit une rupture majeure d'égalité dans la concurrence entre les différents FAI. Elle a permis à France Télécom d'abuser de son pouvoir de quasi- monopole sur la boucle locale, résultant d'une situation historique, pour renforcer la position dominante de sa filiale sur un marché nouveau et prometteur. Néanmoins, il convient de souligner que l'enquête a montré, d'une part, que cette pratique n'était pas généralisée, et, d'autre part, que France Télécom a diffusé un certain nombre d'avertissements à ses commerciaux mettant en exergue le caractère illégal et risqué de telles pratiques.

b) En ce qui concerne l'importance du dommage à l'économie

97. Afin d'apprécier l'importance du dommage à l'économie causé par les pratiques, il convient dans un premier temps de déterminer la taille du marché affecté. Si l'on ne peut prétendre à un chiffrage exact et précis de ce marché, un tel exercice permet d'apprécier l'importance du marché affecté. Le marché affecté est essentiellement celui des accès à Internet à haut débit (ADSL + câble).

98. Les développements suivants ne chercheront qu'à évaluer la taille du marché (chiffres d'affaires HT) de l'accès à Internet à haut débit. Il sera calculé sur la base d'un prix moyen du forfait d'accès à Internet par ADSL facturé mensuellement au client de 38 euro HT.

- Marché au 31/12/01 : 67 500 abonnés ADSL + 122 000 abonnés câble (à 38 euro HT) : 7,2 Meuro mensuel

- Marché au 31/12/01 : 408 000 abonnés ADSL + 190 000 abonnés câble (à 38 euro HT) : 22,7 Meuro mensuel

- Marché au 31/06/02 : 660 000 abonnés ADSL + 200 000 abonnés câble (à 38 euro HT) : 32,7 Meuro mensuel

99. Par approximation, pour calculer la valeur moyenne du marché de l'accès à Internet à haut débit en 2001, il est possible de faire une moyenne entre les valeurs mensuelles au 31/12/00 et au 31/12/01 : on aboutit à une valeur moyenne mensuelle de 15 Meuro [(7,2 + 22,7) / 2], soit 180 millions d'euro (15 x 12 mois) pour l'ensemble de l'année 2001. Par approximation, pour calculer la valeur moyenne du marché de l'accès à Internet à haut débit ADSL au premier semestre 2002, il est possible de faire une moyenne entre les valeurs au 31/12/01 et au 30/06/02 : on aboutit à une valeur moyenne mensuelle de 27,7 Meuro [(22,7 + 32,7) /2], soit 166 (6 x 27,7) millions d'euro pour le premier semestre 2002.

100. Ainsi, il est possible d'estimer la valeur moyenne du marché de l'accès à Internet à haut débit à 180 millions d'euro pour l'ensemble de l'année 2001 et 166 millions d'euro pour le seul premier semestre 2002, soit un total de 346 millions d'euro sur l'ensemble de la période considérée. Ce chiffre est une estimation globale de la taille du marché affecté par les pratiques et ne saurait représenter une approximation des dommages directement causés par celles-ci.

101. La discrimination dans l'accès aux informations relatives à l'éligibilité des lignes à l'ADSL et au processus de commande est celle qui a eu le plus d'effet des trois pratiques dénoncées par les présentes, même s'il convient de prendre en compte certaines nuances. L'absence d'outils de vérification instantanée de l'éligibilité des lignes pour les FAI (et notamment de l'application 42C) a constitué un frein majeur au développement de masse de l'ADSL. Ainsi, pour chaque prospect, le FAI alternatif devait vérifier à partir d'un fichier Excel si sa commune était reliée à une plaque éligible. Une telle opération, outre le fait qu'elle fournisse une information imprécise, est relativement longue et constitue une entrave à tout contact on-line avec le client.

102. Il convient de nuancer l'impact de ces pratiques par le fait que le déploiement ADSL s'est essentiellement concentré sur les centres urbains : de fait, les offres commerciales se sont limitées aux grandes métropoles. Or, dans ces métropoles, et notamment à Paris et Lyon, la quasi-totalité des lignes étaient éligibles à l'ADSL. Ainsi, si un client parisien s'adressait à un FAI pour commander une ligne ADSL, sans avoir besoin de consulter le fichier des communes éligibles, ce FAI savait qu'il y avait plus de 95 % de chances que sa ligne soit éligible. France Télécom souligne d'ailleurs que lorsque les outils informatisés de vérification de l'éligibilité ont été mis à la disposition des FAI concurrents, ceux-ci ne s'en sont que peu servis pour la commercialisation des services dans les centres urbains. A titre d'illustration, un conseiller vendeur de l'agence France Télécom Station Internet Rive Gauche de Paris a déclaré aux enquêteurs le 28 mai 2001 " Sur Paris, toutes les lignes peuvent recevoir l'ADSL : nous ne faisons donc pas de recherche sur l'éligibilité de lignes ADSL à partir des numéros de téléphone. ".

103. L'absence de système automatisé de commande des lignes ADSL a, elle aussi, empêché le développement de masse de la base de clientèle des FAI concurrents. En effet, pour chaque commande, le FAI devait suivre une procédure longue et complexe qui, non seulement empêchait une commande directe avec le prospect mais par ailleurs multipliait les risques d'erreur et donc de rejet des commandes. Ainsi, alors que les agences France Télécom disposaient des outils permettant une commercialisation de masse des packs ADSL de Wanadoo, les FAI n'ont pu utiliser de tels instruments pour se lancer dans une commercialisation de masse de leurs services. Le grand écart entre les ventes des packs Wanadoo et ceux de ses concurrents à la fin de l'année 2001 s'explique en grande partie par la pratique en cause. Dans un entretien avec Le Journal du Net du 4 octobre 2001, Yves X..., président directeur général de Wanadoo, déclarait que Wanadoo " enregistre actuellement 10 000 nouveaux abonnés ADSL par semaine " quand le stock de l'ensemble des abonnés des FAI concurrents ne dépassait pas 30 000 abonnés.

104. La pratique de dénigrement des concurrents de Wanadoo est elle aussi de nature à avoir dissuadé certains prospects de choisir un fournisseur d'accès à Internet parmi les concurrents de Wanadoo.

105. L'utilisation des données des abonnés aux services de téléphonie pour faciliter la commercialisation des services de Wanadoo, troisième pratique relevée, a permis aux agents France Télécom d'utiliser gratuitement une information particulièrement précieuse. En effet, le ciblage des gros consommateurs, notamment d'accès à Internet bas débit, pour leur vendre des forfaits Wanadoo, permet d'atteindre les prospects les plus susceptibles de souscrire aux offres. S'il est difficile d'évaluer le nombre de clients qui ont souscrit un abonnement Wanadoo après avoir fait l'objet d'un démarchage ou d'un conseil ciblé à partir des données issues de la facture téléphonique, il convient de souligner que les déclarations recueillies par les enquêteurs ne permettent pas d'établir que la pratique était généralisée dans l'ensemble des agences ou plates-formes proactives de France Télécom.

106. Indépendamment des dommages causés par chacune des pratiques, la mise en œuvre concomitante, pendant la même période, de ces trois types de comportements a constitué une entrave à la concurrence sur le marché de l'accès à Internet à haut débit et une barrière à l'entrée dissuadant l'entrée d'acteurs qui auraient pu animer la concurrence et proposer, plus tôt, des innovations techniques et commerciales. Au final, le développement de masse de l'accès à Internet à haut débit a été retardé du fait des pratiques appréhendées par la présente décision. Les abus constatés ont eu pour effet de limiter artificiellement le potentiel de développement des rares FAI qui se sont lancés dans la commercialisation des services d'accès à Internet à haut débit par ADSL. Or, sur un marché nouveau, en phase de décollage, les effets de volume et d'apprentissage sont déterminants. De plus, la période d'engagement d'un an et l'importance des switching costs ont fait perdurer ces effets au-delà de la seule période de mise en œuvre des pratiques.

107. Il est incontestable que les pratiques constatées par la présente décision ont contribué à élever des barrières à l'entrée sur le marché de l'accès à Internet à haut débit et a été un des facteurs de la lente pénétration du haut débit en France au début des années 2000. Ainsi dans son rapport annuel pour 2004 (p.14), l'ARCEP soulignait que " le taux de pénétration du DSL, c'est-à-dire de toutes les technologies xDSL confondues, n'était que de 3 % à fin septembre 2002, soit le dixième rang européen. Il est, deux ans plus tard, remonté au quatrième rang européen (16 %) ".

108. Néanmoins, comme l'ARCEP l'a précisé dans l'avis qu'elle a rendu sur la présente affaire, le principal verrou empêchant le décollage de l'ADSL qu'elle a identifié est le retard pris par le dégroupage et " la forte progression du haut débit depuis les dates de dépôt des saisines faisant l'objet du présent avis s'explique d'une part par l'accélération du déploiement du DSL par France Télécom et d'autre part par le développement du marché de gros marqué notamment par l'extension du dégroupage de la boucle locale par les opérateurs alternatifs, dans un contexte où la croissance globale s'est accompagnée d'une intensification de la concurrence. " (avis de l'ARCEP 06-584 du 16 juin 2006 rendu pour la présente affaire).

109. Par ailleurs, le Conseil de la concurrence a déjà sanctionné d'autres abus commis sur les marchés de gros de l'accès à Internet à haut débit en constatant qu'ils avaient empêché l'entrée de concurrents de Wanadoo sur le marché de détail et expliquaient en partie le retard pris par l'ADSL en France (décision 05-D-59 du 7 novembre 2005, infligeant à France Télécom une amende de 80 millions d'euro, confirmée par la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 4 juillet 2006).

110. De même, dans la décision du 16 juillet 2003, la Commission européenne soulignait que la pratique de prédation mise en œuvre par Wanadoo avait très largement contribué à fermer le marché de l'accès à Internet à haut débit, notamment par ADSL. La Commission avait prononcé une amende de 10,35 millions d'euro à l'encontre de la société Wanadoo en précisant que l'infraction avait débuté le 1er mars 2001 pour s'achever le 15 octobre 2002 (COMP/38.233, § 406 et 407). Ainsi, la Commission avait souligné dans un développement consacré à l' " impact sur le marché " relatif à la détermination de la sanction : " La part de l'entreprise [Wanadoo Interactive] sur le marché de l'accès à Internet à haut débit pour la clientèle résidentielle a progressé de 46 % à 72 % au cours de la période en cause. Un concurrent a été éliminé, les parts de marché de plusieurs concurrents ont fortement reculé, et celles des autres concurrents subsistants ont progressé très lentement ou sont demeurées stationnaires à un niveau négligeable. Bien qu'il ne soit pas établi que les évolutions observées sur le marché soient exclusivement imputables au comportement reproché à Wanadoo Interactive, il est clair que la politique de prix prédateurs de Wanadoo Interactive a exercé des répercussions négatives sur la concurrence. ". Elle en conclut que " l'infraction a profondément affecté la structure du marché " (COMP/38.233, § 400).

111. En conséquence, il convient de tenir compte du fait que, si les pratiques examinées dans la présente décision ont joué un rôle dans la préemption par France Télécom du marché de l'accès à Internet à haut débit jusqu'à la fin de l'année 2002 et le retard pris par le développement de ce marché en France, ceux-ci sont également imputables à d'autres pratiques mises en œuvre à la même époque par l'opérateur historique, pratiques qui ont déjà été sanctionnées par ailleurs.

c) En ce qui concerne la réitération

112. La réitération des pratiques est depuis longtemps considérée par le Conseil de la concurrence comme une circonstance aggravante justifiant une élévation de la sanction notamment au regard de l'objectif de dissuasion que poursuit sa politique de sanctions. La loi du 15 mai 2001 a expressément fait de la réitération un déterminant des sanctions pécuniaires prononcées par le Conseil. Si la lettre de l'article L. 464-2 du Code de commerce (sixième titre du Livre IV) envisage la prise en compte de " l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre ", il vise en réalité les pratiques prohibées par le deuxième titre du Livre IV intitulé " Des pratiques anticoncurrentielles " et non le sixième titre du Livre VI intitulé " Du Conseil de la concurrence ". Ainsi, le projet de loi NRE ainsi que les débats parlementaires exposent très clairement que cette disposition vise à renforcer la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles. La présentation de l'article 38 du projet de loi NRE (envisageant la modification de l'article L. 464-2) expose : qu' " est également prévue la possibilité pour le Conseil de tenir compte dans le calcul des sanctions de la réitération par la même entreprise de pratiques prohibées par les articles 7, 8 ou 10-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 précitée. ".

113. Le juge communautaire admet également la prise en compte de la réitération, qui marque un mépris des règles du droit de la concurrence et une défiance à l'égard du régulateur du marché. En effet, comme l'a souligné la Cour de justice des communautés européennes dans un arrêt du 8 février 2007 (arrêt Danone, précité, point 47), " la récidive constitue un élément important que la Commission est appelée à apprécier, étant donné que sa prise en compte vise à inciter les entreprises, qui ont manifesté une propension à s'affranchir des règles de concurrence, à modifier leur comportement. ". Elle a ainsi considéré que la récidive constituait " un indice très significatif de la gravité de l'infraction en vue de l'appréciation du montant de l'amende dans l'optique d'une dissuasion efficace " et a approuvé le tribunal de première instance d'avoir souligné que " la récidive constitue la preuve de ce que la sanction antérieurement imposée à l'encontre de la requérante n'avait pas produit d'effets suffisamment dissuasifs ".

114. La notion de réitération en droit de la concurrence connaît un régime juridique sui generis qui doit être distingué de notions voisines du droit pénal. Ainsi, la Cour d'appel de Paris (Cour d'appel de Paris, arrêt du 6 mai 1997) avait déjà eu l'occasion de souligner que " les sanctions administratives prononcées par le Conseil de la concurrence ne revêtent certes pas de caractère pénal et qu'aucune disposition légale ne prévoit qu'il soit fait application des règles pénales de la récidive ". La notion de réitération en droit de la concurrence, si elle se distingue donc à l'évidence de celle de la récidive en droit pénal, ne peut non plus être confondue avec celle de réitération propre au droit pénal. En effet, une loi du 12 décembre 2005 (loi n° 2005-1549, article 3) a introduit dans le Code pénal (article 132-16-7) la notion de réitération : " il y a réitération d'infractions pénales lorsqu'une personne a déjà été condamnée définitivement pour un crime ou un délit et commet une nouvelle infraction qui ne répond pas aux conditions de la récidive légale ". Cette définition de la réitération, spécifique au droit pénal, souligne néanmoins que la notion de réitération est moins restrictive que celle de récidive et vise à appréhender davantage de situations.

115. Quant à l'utilisation du terme " récidive " par la Commission européenne ainsi que par les juridictions communautaires, elle ne signifie nullement qu'il est fait référence à une notion de droit pénal, par essence étranger au droit communautaire.

Sur l'exigence d'une précédente décision constatant une infraction au droit de la concurrence

116. Il n'est possible de retenir la réitération d'éventuelles pratiques prohibées par le titre II du livre IV du Code de commerce que si ces pratiques ont déjà fait l'objet d'un constat d'infraction. N'entrent pas dans cette catégorie les pratiques qui, susceptibles en l'état de l'instruction d'être qualifiées d'anticoncurrentielles, ont justifié le prononcé de mesures conservatoires dans l'attente de la décision au fond, ni celles qui ont donné lieu à des décisions acceptant et rendant obligatoires, sur le fondement du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, des engagements proposés par les entreprises. Aucune infraction n'est, en effet, constatée dans ces deux cas.

117. En revanche, toute décision constatant une infraction doit être prise en compte au titre de la réitération, quelle que soit la suite à laquelle elle a donné lieu (injonction, amende, publication, ...). Comme l'a souligné la Cour de justice des communautés européennes dans un arrêt du février 2007 (Aff. C-3/06P, point 41), " la notion de récidive n'implique pas nécessairement le constat d'une sanction pécuniaire préalable, mais seulement celui d'une infraction au droit communautaire de la concurrence ".

118. Le constat de l'infraction peut procéder d'une décision du Conseil de la concurrence, ou d'un arrêt de la Cour d'appel de Paris réformant une telle décision dans le cadre de son contrôle de plein contentieux, sur le fondement des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce ou des articles 81 et 82 du traité CE. Il peut résulter aussi d'une décision de la Commission européenne, voire de toute autre autorité nationale compétente, prise sur le fondement de ces deux dernières dispositions du traité.

Sur l'exigence d'une condamnation définitive

119. Si le droit pénal exige, pour que la récidive puisse être retenue (articles 132-8 et 132-12 du Code pénal), que la première condamnation soit devenue définitive avant la commission de faits nouveaux, une telle exigence ne saurait être posée pour la qualification d'une réitération en droit de la concurrence, notion dont le caractère autonome a été souligné plus haut. Il convient en effet de rappeler que, selon les termes de l'article L. 464-8 du Code de commerce, les recours contre les décisions du Conseil de la concurrence devant la Cour d'appel de Paris n'ont pas d'effet suspensif. Dès lors, tant que la cour d'appel n'a pas infirmé ou annulé la décision du Conseil de la concurrence en cause, celle-ci produit pleinement ses effets. Ainsi, l'alinéa 3 de l'article L. 464-8 du Code de commerce n'envisage qu'il puisse être sursis à exécution d'une décision du Conseil de la concurrence qu'en raison de circonstances exceptionnelles. Dès lors, il importe peu qu'à l'époque de la réitération des pratiques un recours soit pendant contre la décision initiale. Tant que cette dernière n'a pas fait l'objet d'une réformation ou d'une annulation, elle produit pleinement ses effets, y compris ceux découlant de la qualification infractionnelle.

120. En revanche, afin de respecter pleinement le droit au recours des entreprises auxquelles une infraction a été imputée, seules les infractions qui ont été constatées par des décisions devenues définitives au moment où les nouveaux faits sont examinés peuvent être prises en compte au titre de la réitération.

Sur l'exigence de pratiques identiques ou similaires

121. La réitération a pour objet d'appréhender les cas dans lesquels une entreprise précédemment sanctionnée pour un type particulier de comportement, met de nouveau en œuvre des pratiques identiques ou similaires. En ce sens, le Conseil de la concurrence n'entend pas s'écarter des orientations exposées par la Commission européenne dans ses nouvelles Lignes directrices pour le calcul des amendes (JOCE C 210/2 du 1er septembre 2006), qui envisagent de retenir la réitération comme circonstance aggravante " lorsqu'une entreprise poursuit ou répète une infraction identique ou similaire après que la Commission ou une autorité nationale de concurrence a constaté que cette entreprise a enfreint les dispositions de l'article 81 ou de l'article 82 ".

122. Les pratiques peuvent être identiques ou similaires par leur même objet anticoncurrentiel, critère qui renvoie pour l'essentiel à la base légale utilisée pour les qualifier : ententes horizontales entre concurrents, restrictions verticales entre entreprises participant à une même chaîne économique, abus de position dominante peuvent ainsi être regardés comme relevant, a priori, de catégories différentes. Mais elles peuvent aussi être identiques ou similaires par leur même effet anticoncurrentiel, critère qui transcende au contraire les qualifications légales : des pratiques d'entente ou des comportements unilatéraux peuvent ainsi rechercher le même effet d'éviction à l'égard de concurrents sur un marché, sans pour autant relever du même régime de prohibition.

123. C'est le cas, par exemple, des pratiques d'éviction mises en œuvre sur le marché des transmissions de données de façon concertée par France Télécom et sa filiale Transpac (décision de Conseil n° 97-D-53 du 1er juillet 1997), qui ont aussi été qualifiées d'abus des positions dominantes détenues respectivement par la mère et la filiale : " Considérant qu'ainsi la décision prise par France Télécom et la société Transpac, qui disposait d'une autonomie commerciale par rapport à France Télécom, d'offrir " conjointement " la gratuité des frais d'accès à Numéris ainsi qu'un abonnement gratuit de deux mois avait pour objet et a pu, dans les circonstances de l'espèce, " éloigner la concurrence VSAT ", présentée par la société BT France, filiale de British Telecom, et favoriser la technologie Transpac via le canal D de Numéris auprès des utilisateurs potentiels constitués notamment par la quasi totalité des grandes compagnies d'assurance présentes sur le plan national ; que cette pratique est prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et tombe également sous le coup des dispositions de l'article 8 de ladite ordonnance compte tenu de la position monopolistique occupée par France Télécom sur le réseau public Numéris et par la position dominante occupée par Transpac sur le marché pertinent de la transmission de données aux entreprises ".

124. Plus récemment, le Conseil a estimé, dans une décision n° 07-D-28 du 13 septembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre sur les marchés de la manutention et de déchargement du charbon sur le port autonome du Havre, que les abus de position dominante reprochés à la CIPHA (discrimination tarifaire et offres couplées) poursuivaient en réalité le même effet d'éviction que l'entente anticoncurrentielle entre cette entreprise et sa maison mère, également constatée par le Conseil dans sa décision.

Sur la période écoulée entre les pratiques incriminées

125. Le législateur n'a pas fixé de limite à la prise en compte de décisions antérieures pour établir la réitération. En conséquence, le Conseil de la concurrence dispose d'une marge d'appréciation pour déterminer les périodes au cours desquelles il tiendra compte des infractions précédemment constatées. En revanche, le principe de proportionnalité invite à ce que la période de temps écoulée entre les pratiques incriminées et le ou les constats d'infraction antérieurs soit prise en compte notamment pour apprécier, à l'aune de l'objectif de dissuasion, la propension de l'entreprise à s'affranchir des règles de concurrence. La réitération de pratiques sanctionnées vingt ans auparavant n'appelle pas a priori la même réponse que celles qui l'ont été trois ans plus tôt.

126. Cette approche correspond à celle retenue par la Cour de justice des Communautés européennes dans l'arrêt Danone du 8 février 2007 qui a confirmé la position du tribunal de première instance validant la prise en compte par la Commission européenne d'une décision de 1974 pour établir la récidive au regard de nouvelles pratiques mises en œuvre de 1993 à 1998, soit plus de vingt ans plus tard. Cette approche extensive de la récidive a été associée à une prise en compte proportionnée et circonstanciée de la période de temps écoulée entre les différentes décisions : " le Tribunal a établi [...] l'historique des infractions aux règles de la concurrence constatées à l'encontre du Groupe Danone en précisant que, à chaque reprise, un laps de temps relativement bref, à savoir moins de dix ans, avait séparé chacune de ces infractions. Dans ces conditions, le Tribunal a pu conclure à bon droit que la répétition, par le Groupe Danone, d'un comportement infractionnel témoigne d'une propension de ce dernier à ne pas tirer les conséquences appropriées d'un constat à son encontre d'une infraction aux dites règles. " (§ 40).

Sur l'application au cas d'espèce

127. Quatre décisions ou arrêts sanctionnant la société France Télécom pour des faits antérieurs à ceux relevés dans la présente affaire ont été cités dans la notification de griefs.

128. La décision 94-D-21 du 22 mars 1994 a sanctionné des pratiques visant à exclure les agences de publicité du marché de la publicité dans les annuaires de France Télécom. Mises en œuvre de façon concertée par France Télécom et l'Office d'annonces, régisseur exclusif de la publicité dans les annuaires de France Télécom, ces pratiques ont été qualifiées au regard des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, codifié à l'article L. 420-1 du Code de commerce. La Cour d'appel de Paris (arrêt du 18 janvier 1995) a confirmé cette décision qui est aujourd'hui devenue définitive.

129. La décision 97-D-53 du 1er juillet 1997 a sanctionné les sociétés France Télécom et Transpac pour s'être concertées, en violation de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (à présent codifié sous l'article L. 420-1 du Code de commerce) et de l'article 85 du traité CE (aujourd'hui article 81), afin d'offrir à un client important des remises sur lesquelles le principal concurrent de France Télécom, British Telecom, ne pouvait s'aligner. Les mêmes faits constituaient également des abus de la position dominante des deux entreprises, en violation de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (à présent codifié sous l'article L. 420-2 du Code de commerce) et l'article 86 du traité CE (aujourd'hui article 82 CE). Un arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 19 mai 1998 a rejeté les recours contre la décision du Conseil, qui est également devenue définitive.

130. L'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 29 juin 1999, lui aussi devenu définitif, statuant sur les faits sanctionnés dans un premier temps par la décision 98-D-60 relative à des pratiques mises en œuvre par France Télécom dans le secteur de la commercialisation des listes d'abonnés au téléphone a jugé que la société France Télécom avait commis un abus de position dominante en imposant pour l'accès aux listes d'abonnés des tarifs élevés et hors de proportion avec les coûts des prestations offertes.

131. La décision 01-D-46 du Conseil de la concurrence en date du 13 juillet 2001 a sanctionné le dépôt par France Télécom, en réponse à un appel d'offres de la société Renault, d'une offre globale comportant des prestations en monopole et des prestations en concurrence. La même décision a retenu que France Télécom avait également abusé de sa position dominante sur plusieurs marchés de la téléphonie fixe en offrant des tarifs pour les communications fixes vers mobiles inférieurs à la seule charge de terminaison d'appel de France Télécom Mobiles. Elle est, elle aussi, devenue définitive.

132. Dans ses observations, France Télécom souligne tout d'abord que la décision 01-D-46 du 13 juillet 2001 ne saurait être prise en compte au titre de la réitération, celle-ci n'étant devenue définitive que le 13 août 2001, soit postérieurement au commencement de la pratique incriminée dans le premier grief (établi en janvier 2001) et aux pratiques incriminées dans les deuxième et troisième griefs (établies en mai et juin 2001). S'agissant de la décision 94-D-21, elle considère qu'elle ne peut être retenue au titre de la réitération puisqu'elle a été sanctionnée dans cette décision sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, codifié à l'article L. 420-1 du Code de commerce. Par ailleurs, France Télécom soutient que les décisions 97-D-53 et 98-D-60 ne répondent pas strictement à la condition de pratiques similaires aux pratiques incriminées en l'espèce. Enfin, elle estime que les décisions 94-D-21 du 22 mars 1994 et 97-D-53 du 1er juillet 1997 ne peuvent être 'pleinement' retenues au titre de la réitération en raison de la période de temps écoulée entre les pratiques incriminées par la présente procédure et les décisions de condamnations antérieures.

133. Cependant, d'une part, les faits relevés dans la présente affaire ont été commis ou se sont poursuivis après que France Télécom a reçu notification des décisions du Conseil ou arrêts de la Cour - cités plus haut - constatant des infractions imputées à cette entreprise. C'est notamment le cas de la décision 01-D-46, notifiée le 13 juillet 2001, soit antérieurement à la pratique faisant l'objet du premier grief qui a commencé en janvier 2001 pour se poursuivre jusqu'en 2002. D'autre part, les quatre décisions ou arrêts mentionnés plus haut sont tous devenus définitifs à la date à laquelle le Conseil adopte la présente décision.

134. Par ailleurs, si la décision 94-D-21 constate une infraction aux dispositions prohibant les ententes, elle a également relevé que cette entente entre France Télécom et l'une de ses filiales avait pour objet et pour effet l'éviction des agences de la publicité du marché de la publicité dans les annuaires de France Télécom. Il s'agit donc de pratiques similaires, au moins par leur effet, à celles examinées par la présente décision, qui toutes les trois sont de nature à avoir empêché les concurrents de Wanadoo de développer leur présence sur le marché de la fourniture d'accès à haut débit à Internet.

135. De même, la décision 97-D-53 a sanctionné l'octroi par France Télécom à sa filiale Transpac d'un avantage exclusif permettant à cette dernière de conforter sa position de leader sur le marché des transmissions de données et de nature à évincer British Telecom. Enfin, les pratiques sanctionnées par la décision 98-D-60 avaient également pour effet d'exclure d'un marché aval de nouveaux entrants en leur donnant accès à des données que France Télécom est la seule à détenir (les listes d'abonnés) à des conditions discriminatoires. Or, les nouveaux faits examinés par la présente décision consistent, pour le premier grief, en la mise à disposition exclusive de Wanadoo d'un serveur d'éligibilité et de modes de passation de commande lui donnant un avantage décisif sur ses concurrents et, pour le troisième grief, en l'utilisation par ses services commerciaux d'informations que France Télécom est la seule à détenir afin de renforcer sa situation sur un marché aval.

136. S'agissant de la durée écoulée entre la constatation des précédentes infractions et la commission des nouveaux faits, les décisions 94-D-21 du 22 mars 1994 et 97-D-53 du 1er juillet 1997 ont été notifiées, respectivement, sept ans et quatre ans avant la mise en œuvre des pratiques appréhendées dans la présente affaire. En outre, les décisions sanctionnant des pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par France Télécom se sont succédées à un rythme régulier : 1994, (94-D-21), 1997 (97-D-53), 1999 (arrêt de la cour d'appel du 29 juin) et 2001 (01-D-46) et un laps de temps très court s'est écoulé entre chacune de ces décisions.

137. Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de considérer, quel que soit le constat d'infraction que l'on retienne parmi les quatre décisions ou arrêts cités dans la notification de griefs, dont un seul suffit pour caractériser le premier terme de la réitération, que l'on se trouve dans un cas de réitération tel que prévu par le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce. Cette réitération justifie, dans les circonstances de l'espèce, une majoration de 50 % de la sanction infligée à France Télécom.

d) En ce qui concerne la non contestation des griefs et les engagements proposés par la société France Télécom

138. Lorsqu'est mise en œuvre la procédure prévue au III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, la décision du Conseil, qui examine la proposition du rapporteur général relative à l'aménagement de la sanction pécuniaire éventuellement encourue, tient compte à la fois de la non contestation des griefs et des engagements pris pour l'avenir. Toutefois, la simple renonciation à contester les griefs, qui a principalement pour effet d'alléger et d'accélérer le travail de l'instruction en dispensant de la rédaction du rapport ne peut conduire à accorder aux entreprises en cause qu'une réduction forfaitaire et relativement limitée de la sanction encourue. C'est la qualité des engagements qui peut permettre d'accorder des contreparties plus substantielles dans le cadre de cette procédure.

139. Comme l'a indiqué le Conseil dans sa décision 04-D-65 du 30 novembre 2004 : " Dans certaines situations de marché, les engagements pris par une entreprise en position dominante peuvent avoir, pour le respect des règles du jeu concurrentiel, une plus grande efficacité que les sanctions, en particulier si ces engagements traduisent une modification substantielle des pratiques de cette entreprise et si les autorités de concurrence sont mises en mesure d'en vérifier l'application effective ".

140. En l'espèce, les mesures que France Télécom propose de mettre en place et qu'elle a détaillées dans ses observations à la notification de griefs ont pour principal objet d'éviter la réitération de pratiques pour lesquelles peut être mis en cause le comportement individuel des agents, notamment ceux en contact avec la clientèle. France Télécom propose ainsi de mettre en place dans le système de gestion des réclamations des consommateurs un outil d'identification des réclamations spécifiquement liées à l'existence d'actes ou de pratiques litigieuses relevant du droit de la concurrence. L'identification des propos des clients laissant entendre qu'un concurrent, par exemple, aurait été dénigré, ainsi que de l'auteur du contact concerné avec le client, devrait être suivie d'enquêtes et de la mise en œuvre d'actions correctives tant au niveau individuel (entretien, formation, sanction,) que collectif (diffusion de consignes, rappel des règles).

141. Ce dispositif de surveillance prévoit également un suivi statistique des actes relevés afin d'identifier en particulier les points de vente qui présentent un taux anormal de plaintes et la mise en place, dans le système de passation de commandes, d'un outil permettant de rapprocher les actes de vente à l'origine des problèmes identifiés des vendeurs concernés. France Télécom explique en effet qu'elle rencontre des difficultés à identifier le ou les auteurs d'une pratique litigieuse, ce qui rend difficile la responsabilisation des agents.

142. Par rapport aux pratiques examinées dans la présente décision, sont ainsi visés les actes de dénigrement, même si en l'espèce ils avaient pour origine un argumentaire conçu à un niveau centralisé, et l'utilisation par les agents de données détenues du fait de son monopole sur la boucle locale, telles que les factures d'abonnés, pour le démarchage de prospects pour l'accès à Internet par ADSL. Le fait que cette dernière pratique ait pu être constatée en dépit des avertissements visant à l'interdire (cf. ci-dessus paragraphe 46) montre en effet les difficultés que peuvent rencontrer les niveaux centralisés de l'entreprise pour assurer le respect des consignes relatives au respect des règles de concurrence par l'ensemble des agents. La grande taille de France Télécom ainsi que le poids de son histoire donnent en l'espèce un intérêt tout particulier au renforcement du dispositif de surveillance et de sensibilisation qu'elle propose de mettre en place.

143. De plus, ce dispositif sera complété et renforcé par des actions de formation et d'information en droit de la concurrence adressées aux réseaux de vente, avec la diffusion d'un guide des bonnes et mauvaises pratiques en droit de la concurrence intégrant notamment le cas du dénigrement et de la bonne utilisation des données. Figurera également dans le programme des écoles internes de formation des vendeurs un module sensibilisant aux principes et règles de concurrence.

144. France Télécom assurera par ailleurs la diffusion d'une information concernant la présente décision auprès de tous les salariés de l'entreprise, mettant en avant les griefs non contestés, la sanction et les engagements pris et appelant à la vigilance sur les pratiques en question et plus généralement sur le droit de la concurrence. Cette action de communication est en effet importante pour assurer l'adhésion de l'ensemble des agents de l'entreprise à la démarche de non contestation et d'engagements adoptée par la direction de l'entreprise. Elle est de nature à compléter et renforcer l'efficacité des autres actions de sensibilisation auxquelles elle s'engage.

145. Enfin, les engagements prévoient l'envoi d'un rapport de suivi au Conseil dans les douze mois suivant la décision.

146. Les engagements proposés présentent donc un caractère substantiel et il est possible d'en vérifier l'application effective. Il y a donc lieu pour le Conseil d'en prendre acte, d'enjoindre à France Télécom de les respecter et d'accorder une réduction de la sanction de 25 %.

e) En ce qui concerne la situation particulière la société France Télécom

147. La société France Télécom a réalisé en 2006 un chiffre d'affaires consolidé (normes IFRS) d'un montant de 51,072 milliards d'euro pour un résultat d'exploitation de près de 7 milliards d'euro et un résultat net de l'ensemble consolidé d'un peu moins de 4,8 milliards d'euro. En 2006, le chiffre d'affaires réalisé sur le territoire national par France Télécom pour les services d'accès à Internet grand public s'élève à un peu moins de 2 milliards d'euro.

f) Conclusion sur la sanction pécuniaire

148. Eu égard à la gravité des trois pratiques relevées, à l'importance du dommage qu'elles ont causé à l'économie et à la situation particulière de l'entreprise, il y aurait lieu de sanctionner France Télécom à hauteur de 40 millions d'euro d'amende, montant qui doit être majoré de 50 % pour tenir compte de la réitération et donc porté à 60 millions d'euro. Pour tenir compte de la non contestation des griefs et des engagements souscrits par France Télécom, il y a lieu de diminuer la sanction de 25 % et de fixer finalement le montant de la sanction à 45 millions d'euro.

149. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils ont été appréciés ci-dessus, il est en conséquence infligé à la société France Télécom une sanction pécuniaire de 45 millions d'euro.

Décision

Article 1er : Il est établi que la société France Télécom a enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce et de l'article 82 du traité CE.

Article 2 : Il est pris acte des engagements souscrits par la société France Télécom tels qu'ils sont mentionnés au paragraphe 49. Il est enjoint à la société France Télécom de s'y conformer en tous points.

Article 3 : Est infligée à la société France Télécom une sanction pécuniaire de 45 millions d'euro.