Cass. com., 20 février 2007, n° 05-13.927
COUR DE CASSATION
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Auchan France (SA)
Défendeur :
Confiserie Léonidas (SA), Pralifood (Sté), Pralibel (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Rapporteur :
M. Sémériva
Avocat général :
M. Jobard
Avocats :
SCP Baraduc, Duhamel, Mes Ricard, Cossa
LA COUR : - Joint les pourvois n° 05-13.927, formé par la société Auchan France, et n° 05-14.039, formé par les sociétés Pralifood et Pralibel, qui attaquent le même arrêt ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 janvier 2005), que la société Confiserie Léonidas (la société Léonidas), titulaire de la marque internationale complexe "Léonidas", enregistrée pour la France en 1983 sous le numéro 478 471, afin de désigner des produits ou services relevant de la classe 30, et spécialement des chocolats et confiseries, composée de cet élément verbal ainsi que d'éléments figuratifs tenant à la calligraphie employée et à la présence d'un médaillon figurant la tête d'un soldat grec, a agi en contrefaçon de marque et concurrence déloyale à l'encontre des sociétés Pralibel et Pralifood, ainsi que de la société Auchan France, en leur reprochant, d'une part, d'avoir déposé en 2001 la marque "Belidas" en classe 30, et d'avoir, d'autre part, fait usage de cette marque pour commercialiser, notamment en grandes surfaces, des produits chocolatés ; que la société Auchan France a recherché la garantie contractuelle de la société Pralifood, fournisseur des produits incriminés ;
Sur le moyen unique du pourvoi des sociétés Pralifood et Pralibel, pris en sa première branche : - Attendu que ces sociétés font grief à l'arrêt d'avoir accueilli l'action en contrefaçon, alors, selon le moyen, que les décisions rendues dans un Etat membre de l'Union européenne sont reconnues dans les autres Etats membres, sans qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure ; qu'en l'espèce, elles s'étaient prévalues dans leurs conclusions et ont produit devant la Cour d'appel de Paris le jugement du Tribunal de commerce de Courtrai du 16 décembre 2002, en précisant qu'il avait été confirmé par la Cour d'appel de Gand par arrêt du 22 novembre 2004 ; que selon ces décisions rendues en Belgique, il n'y a pas de risque de confusion entre les marques "Belidas" et "Léonidas", la première ne contrefaisant pas la seconde ; qu'en ne tenant pas compte de l'autorité de la chose jugée en Belgique, la cour d'appel a violé les articles 33 du règlement CE n° 44-2001 du 22 décembre 2000, et 1351 du Code civil ;
Mais attendu que les sociétés Pralibel et Pralifood, qui n'ont pas invoqué devant les juges du fond l'autorité de chose jugée attachée aux décisions qu'elles citent, ne sont pas recevables à l'invoquer pour la première fois devant la Cour de cassation ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi de la société Auchan France, pris en sa première branche, et sur le moyen unique du pourvoi des sociétés Pralifood et Pralibel, pris en sa seconde branche, les moyens étant réunis : - Vu l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle ; - Attendu que pour accueillir l'action en contrefaçon, l'arrêt retient que les produits désignés sont identiques, que la notoriété et l'ancienneté de la marque "Léonidas" depuis le début du siècle en matière de confiseries et de chocolats est constante et constitue une référence dans ce domaine, son renom ayant depuis longtemps dépassé les frontières belges, que l'élément caractéristique de cette marque complexe figurative demeure son nom, la référence au guerrier grec de la bataille des Thermopyles n'étant pas, à l'évidence, celle qui prévaut dans l'esprit du consommateur, que ce nom apparaît à deux reprises dans l'enregistrement de la marque, dont une fois en lettres bâtons et une autre fois en lettres anglaises avec un "L" majuscule et un "S" final en majuscule, que le nom Léonidas est un élément fort et distinctif de la marque complexe, qu'il existe dès lors une ressemblance visuelle entre la mention du nom Léonidas et la mention du nom Belidas en caractères bâtons, que les deux signes résonnent phonétiquement de la même manière, leur finale étant ce qui s'impose à l'écoute, que si les consonances respectives se distinguent par les syllabes d'attaque, "Bel" fait penser à la provenance des chocolats "Léonidas" à savoir la Belgique, accréditant dans l'esprit du consommateur moyen l'idée d'une déclinaison de la même marque ou d'une sous-marque se rattachant à la première et destinée à un circuit de commercialisation différent, par exemple le circuit des grandes surfaces, que le suffixe "Idas" évoque la Grèce antique, cette référence, tout à fait originale en matière de confiserie et chocolats, traduisant une similitude conceptuelle entre les deux signes, qu'une étude réalisée par l'institut BVA démontre que la marque "Léonidas" présentée sans être prononcée, en lettres bâtons, bénéficie d'un très fort taux de reconnaissance ; que ce fort caractère distinctif rend le risque de confusion plus élevé, que cette étude révèle également que la marque "Belidas" est très fortement associée à la marque "Léonidas" par les personnes interrogées, et qu'il résulte de ces éléments une similitude phonétique et de référence induite entre les marques, renforcée par la notoriété de la marque première, ne pouvant que créer dans l'esprit du client d'attention moyenne n'ayant pas les deux marques sous les yeux en même temps un rapprochement et une impression d'analogie susceptible de provoquer la confusion ;
Attendu qu'en se déterminant par ces motifs exclusivement tirés, quant au risque de confusion pouvant résulter des ressemblances entre les signes constituant les marques en présence, des similitudes de leurs éléments verbaux, plus particulièrement de celle pouvant exister visuellement et conceptuellement entre leur désinence, au motif que l'élément purement verbal de la marque complexe arguée de contrefaçon était caractéristique, fort et distinctif, alors qu'il y a lieu, pour l'examen d'un risque de confusion entre les signes en présence, de comparer l'impression d'ensemble produite par chacun d'eux en prenant en compte tous les facteurs pertinents à ce propos, et, partant, de caractériser en quoi les autres éléments de cette marque complexe sont insignifiants et ne peuvent constituer de tels facteurs, ce qui ne pouvait résulter, ni du fait que la référence au guerrier grec de la bataille des Thermopyles n'était pas dominante, cette circonstance n'impliquant pas que cet élément du signe n'ait aucune valeur distinctive, ni de la seule mention de la calligraphie du signe enregistré, sans évaluation des incidences de cette constatation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi de la société Auchan France, pris en sa première branche : - Vu l'article 1382 du Code civil ; - Attendu que pour dire que cette société avait commis des actes de concurrence déloyale, l'arrêt retient que les chocolats "Léonidas" ont été vendus dans les grandes surfaces Auchan à l'occasion d'une vente promotionnelle "test" pour la vente en ballotins dorés à la fin de l'année 1999/2000, puis également durant la période des fêtes de l'hiver 2000/2001 pour la vente de produits nouveaux préemballés, que si les ballotins Belidas sont de couleur rouge avec un ruban bleu nuit et une étiquette blanche sur laquelle figure la marque "Belidas", tandis que les chocolats "Léonidas" sont proposés à la vente dans des ballotins de papier d'emballage majoritairement blanc, fermés par un ruban bleu ou rouge, les circonstances précitées révèlent que la vente de produits similaires aux pralinés "Léonidas" par les magasins Auchan lors des fêtes de fin d'année 2001/2002 tend à profiter de la notoriété de la société Léonidas ainsi que des investissements promotionnels de cette société, que compte tenu des relations commerciales qu'avaient entretenues les sociétés Léonidas et Auchan France, la vente de produits similaires aux produits "Léonidas" procède de la concurrence déloyale, la société Auchan France ayant ainsi cherché à détourner la clientèle de la société Léonidas, le consommateur d'attention moyenne pouvant en effet croire que les produits provenaient de la société Léonidas ou de l'une de ses succursales, comme une sorte de déclinaison pour la vente en grande distribution, que ces faits distincts de concurrence déloyale ont causé un préjudice à la société Léonidas en détournant une partie de sa clientèle, les produits "Belidas" étant diffusés dans les 350 points de vente Auchan et Atac, leur prix moyen de vente au kilo étant de 23 euros et plusieurs centaines de kilos de ces produits étant mentionnés sur la facture de la société Pralifood ;
Attendu qu'en se fondant, pour prononcer une condamnation distincte de celle résultant de la contrefaçon de marque, sur des faits qui ne se distinguent pas de ceux caractérisant cette contrefaçon, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 janvier 2005, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.