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Décisions

Cass. soc., 26 septembre 2007, n° 06-42.507

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Recyclage Emballage Industriel (SARL)

Défendeur :

Le Marre

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Collomp

Cons. prud'h. Saint-Brieuc, du 22 sept. …

22 septembre 2004

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 14 mars 2006), que M. Le Marre, engagé le 17 août 1998 en qualité de prospecteur de commercial par la société Recyclage Emballage Industriel (REI), occupant habituellement au moins onze salariés, a été convoqué à un entretien préalable qui s'est tenu le 28 février 2001 et au cours duquel il lui a été remis une lettre de licenciement lui proposant d'adhérer à une convention de conversion, qu'il a acceptée le 5 mars 2001 ; qu'une clause de non-concurrence ne prévoyant pas de contrepartie financière a été conclue entre les parties le 20 novembre 1998 ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné à payer au salarié une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen : 1°) que l'endettement de l'entreprise est de nature à caractériser, au sens de l'article L. 321-1 du Code du travail, des difficultés économiques susceptibles d'entraîner la nécessité de supprimer un emploi et, partant, de justifier le licenciement économique du salarié l'ayant occupé ; qu'en l'espèce, la société REI faisait valoir que son taux d'endettement était trop important par rapport à ses capacités de remboursement ; qu'il était ainsi de 62,73 % pour 1998 et de 74,50 % pour 1999, ce taux n'ayant pas diminué par la suite ; qu'en se fondant uniquement sur les résultats et le chiffre d'affaires de la société REI pour écarter la réalité des difficultés économiques alléguées, sans se prononcer sur l'importance de l'endettement de la société, véritable menace pour sa survie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 321-1 du Code du travail ; 2°) qu'en toute hypothèse, les juges du fond doivent répondre aux moyens formulés par les parties ; que pour justifier le motif économique du licenciement de M. Le Marre, la société REI faisait valoir qu'au jour de l'engagement de la procédure de licenciement, la situation de la société ne s'était pas améliorée, la société n'assurant sa survie que grâce aux prêts consentis par la société mère Figes, de l'ordre de 400 000 euro ; qu'en se bornant à retenir que la situation financière de la société s'était améliorée à partir de l'exercice 2000, sans répondre au moyen pris de ce que cette amélioration était fictive, puisqu'uniquement due au soutien financier de sa société mère, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 3°) que la suppression de poste s'apprécie à la date du licenciement ; qu'en l'espèce, le 28 février 2001, la société REI a adressé à M. Le Marre une lettre lui notifiant son licenciement tout en lui proposant une convention de conversion ; qu'en affirmant, pour dire que son poste n'avait pas été supprimé, que son poste avait été confié à Mme Y au mois de mai 2002, sans cependant caractériser que cette salariée s'était vu attribuer lesdites tâches de M. Le Marre immédiatement après le licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 321-1 du Code du travail ; 4°) qu'en toute hypothèse, la suppression d'un poste, même si elle s'accompagne de la reprise des tâches accomplies par le salarié licencié par un salarié demeuré dans l'entreprise, est une suppression d'emploi ; qu'en se fondant sur le fait que le poste de M. Le Marre avait été confié à une assistante commerciale, Mme Y, dont une grande partie de ses attributions correspondait à celle du salarié, pour en déduire que l'emploi de ce dernier n'avait pas été supprimé, la cour d'appel a violé l'article L. 321-1 du Code du travail ; 5°) que la preuve du respect par l'employeur de son obligation de reclassement est rapportée lorsque ce dernier établit l'absence, au sein de l'entreprise ou du groupe auquel elle peut appartenir, de tout poste disponible compatible avec la qualification du salarié, cette circonstance impliquant impossibilité de tout reclassement ; que dans ce cas, l'employeur n'a donc pas à justifier en outre de l'existence de tentatives de reclassement ; qu'en l'espèce, la société REI soulignait qu'il n'existait aucun poste disponible au sein du groupe auquel elle appartenait, et en justifiait par la production du registre du personnel ; qu'en considérant, pour juger que la société REI n'avait pas respecté son obligation de reclassement, que l'impossibilité dans laquelle elle se trouvait de proposer au salarié un autre emploi ne dispensait pas la société de justifier de son impossibilité de reclasser le salarié au sein du groupe, la cour d'appel a violé les articles L. 122-14-3 et L. 321-1 du Code du travail ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui, appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, a retenu, sans être tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, que la situation de l'entreprise s'était améliorée et que la société REI ne justifiait pas avoir procédé à des recherches d'emploi au sein du groupe auquel elle appartient, a pu en déduire que les difficultés économiques alléguées par l'employeur n'étaient pas établies et que celui-ci n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement ; qu'elle a ainsi, abstraction faite du motif erroné, mais surabondant, critiqué par les troisième et quatrième branches du moyen, légalement justifié sa décision ;

Sur le troisième moyen : - Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné à payer au salarié une somme au titre de l'indemnité compensatrice de la clause de non-concurrence, alors, selon le moyen : 1°) qu'en application des dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales selon lesquelles toute personne a droit à un procès équitable, il est interdit au juge d'appliquer rétroactivement un revirement de jurisprudence ; qu'en l'espèce, la société REI qui avait conclu le 20 novembre 1998 avec M. Le Marre une clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie financière, s'était alors conformée à la jurisprudence en vigueur de la Cour de cassation ne soumettant nullement la validité des clauses de non-concurrence à l'exigence d'une contrepartie financière ; que ce n'est que le 10 juillet 2002 que la Cour de cassation a modifié sa jurisprudence en exigeant à peine de nullité de la clause de non-concurrence une contrepartie financière ; qu'en faisant rétroactivement application de cette jurisprudence inaugurée en juillet 2002 à un acte conclu antérieurement, la cour d'appel a violé ainsi les articles 1, 2 et 1134 du Code civil ainsi que l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme ; 2°) que la régularité d'un acte s'apprécie au regard du droit et de la jurisprudence applicables au jour où cet acte a été pris ; qu'en l'espèce, au 20 novembre 1998, date à laquelle la clause de non-concurrence a été conclue, était considérée comme valable la clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie financière, dès lors qu'elle avait pour cause la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, était limitée dans le temps et l'espace et n'empêchait pas le salarié d'exercer une activité conforme à son expérience et à sa formation ; que la clause de non-concurrence litigieuse avait très exactement été conclue dans ces conditions, dès lors qu'elle n'interdisait à M. Le Marre d'exercer une activité concurrente de celle de l'entreprise que durant deux ans dans les régions de Bretagne, Normandie et Pays de Loire ; qu'en jugeant que la clause était nulle faute d'être pourvue de contrepartie financière, ceci en application d'une jurisprudence postérieure à la conclusion en 1998 de la clause de non-concurrence, la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; 3°) qu'en tout état de cause, que seul subit un préjudice du fait de l'existence dans son contrat de travail d'une clause de non-concurrence jugée illicite à raison de l'absence de contrepartie financière, le salarié qui a respecté cette clause ; qu'en l'espèce, l'employeur soutenait qu'en entrant dès le 15 octobre 2001 au sein de la société Unibois en qualité de prospecteur commercial sur différents départements, dont la Bretagne, M. Le Marre n'avait pas respecté la clause de non-concurrence insérée dans le contrat de travail conclu avec cette dernière le 20 novembre 1998, lui interdisant d'exercer une activité concurrente de celle de l'entreprise durant deux ans dans les régions de Bretagne, Normandie et Pays de Loire ; que ce n'est qu'à partir du 13 février 2002, suite à la découverte par le nouvel employeur du non-respect par M. Le Marre de la clause de non-concurrence, que ce dernier avait fait l'objet d'une mutation dans le Nord de la France, afin d'observer les dispositions de ladite clause ; qu'en se fondant sur cette mutation engendrée par le respect de la clause de non-concurrence, dont elle a constaté par ailleurs la nullité, pour allouer à M. Le Marre la somme de 12 000 euro de dommages-intérêts, sans rechercher, comme elle y avait été pourtant invitée, si au regard de la date à laquelle avait eu lieu cette mutation, le salarié n'avait pas que partiellement respecté cette clause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, d'abord, que l'exigence d'une contrepartie financière à la clause de non-concurrence répond à l'impérieuse nécessité d'assurer la sauvegarde et l'effectivité de la liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle ; que, loin de violer les textes visés par le moyen et notamment l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel en a, au contraire, fait une exacte application en décidant que cette exigence était d'application immédiate ;

Attendu, ensuite, que la cour d'appel, qui a fait ressortir que le salarié avait respecté la clause de non-concurrence illicite, a souverainement apprécié le montant du préjudice subi de ce fait par l'intéressé ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche : - Vu les articles L. 122-14-4 et L. 122-14-5 du Code du travail ; - Attendu que la cour d'appel a condamné l'employeur à payer au salarié cumulativement une indemnité pour inobservation de la procédure de licenciement et une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le salarié ayant plus de deux ans d'ancienneté et l'entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, l'indemnité prévue en cas de rupture dépourvue de motifs réels et sérieux ne se cumulait pas avec celle sanctionnant l'inobservation des règles de forme, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Vu l'article 627 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur la première branche du premier moyen ; Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a condamné la société REI à payer à M. Le Marre la somme de 2 000,65 euro au titre du non-respect de la procédure de licenciement, l'arrêt rendu le 14 mars 2006, entre les parties, par la Cour d'appel de Rennes ; Dit n'y avoir lieu à renvoi ; Déboute M. Le Marre de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement.