Cass. com., 23 octobre 2007, n° 06-12.022
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Lidl (SNC)
Défendeur :
Comité interprofessionnel du gruyère de Comté
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
Mme Tric
Avocat général :
M. Jobard
Avocats :
SCP Célice, Blancpain, Soltner, Me Blondel
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt confirmatif déféré (Colmar, 8 décembre 2005), que la société Lidl distribue du gruyère de Comté sous la marque Etoile d'Or ; que l'emballage précise "Gruyère fabriqué en Franche-Comté" ; que le verso pointe la région franc comtoise sur une carte de France et indique : "Issu d'une tradition séculaire en Franche-Comté, notre gruyère, sélectionné pour vous, répond aux exigences les plus sévères. C'est un produit authentique, dont le long mûrissement durant quatre mois d'affinage minimum lui apporte la pleine saveur de son goût et de ses arômes. Gruyère des connaisseurs, il comblera les plus fins palais... Fabriqué en Franche-Comté pour Lidl..." ; que le Comité interprofessionnel du gruyère de Comté (CIGC) l'a assignée pour qu'elle soit jugée responsable du dommage qu'elle lui avait causé en portant atteinte à l'appellation Comté, qu'il lui soit fait interdiction sous astreinte d'utiliser toute référence à l'origine géographique de son gruyère comportant le mot "Comté" et qu'elle soit condamnée à des dommages-intérêts;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Lidl reproche à l'arrêt d'avoir déclaré recevable l'action du CIGC, alors, selon le moyen, que la procédure judiciaire de protection d'origine contrôlée est subordonnée à une formalité de publicité préalable à la charge du demandeur; qu'ensuite, cette formalité s'impose à nouveau dans la huitaine de la notification de l'acte d'appel; qu'en l'espèce, le CIGC, en sa double qualité de demandeur et d'appelant, n'a justifié d'aucune de ces mesures d'information préalables, de sorte qu'en déclarant son action recevable, la cour d'appel a violé les articles 6 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles L. 115-11 et L. 115-13 du Code de la consommation;
Mais attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des conclusions que la société Lidl ait soutenu le moyen invoqué, qui, nouveau et mélangé de fait et de droit, est irrecevable;
Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société Lidl fait encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen : 1°) que la procédure judiciaire de protection de l'appellation d'origine ne peut être engagée, quant aux droits qu'ils ont pour objet de défendre, que par des syndicats et associations régulièrement constitués depuis au moins six mois; qu'en accueillant l'action du CIGC, institué par décret, au motif qu'il disposait de la personnalité morale, bien qu'il ne fût ni un syndicat ni une association régulièrement constituée à cette fin, la cour d'appel a violé l'article L. 115-8, alinéa 2, du Code de la consommation et l'article 31 du nouveau Code de procédure civile; 2°) qu'un groupement ne peut agir en justice pour défendre l'intérêt collectif de ses membres que si une telle possibilité est expressément envisagée par ses statuts; qu'en fondant la qualité à agir du CIGC sur sa personnalité morale et sa vocation à faire respecter les décisions et textes relatifs à l'appellation d'origine " gruyère de Comté " ou " Comté ", sans rechercher si son objet réglementaire lui permettait de formuler à ce titre des demandes au nom de ses membres, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2 du décret n° 63-575 du 11 juin 1963 portant création du CIGC, ensemble l'article 31 du nouveau Code de procédure civile;
Mais attendu que par motifs propres et adoptés, l'arrêt relève que l'article 1er du décret du 11 juin 1963 dote le CIGC de la personnalité civile, que l'article 2 de ce décret le charge de veiller à l'application des décisions et textes relatifs à l'appellation d'origine "gruyère de Comté" ou "Comté", que ce texte lui donne le pouvoir, conformément à l'article L. 470-7 du Code de commerce, d'introduire l'action devant la juridiction civile ou commerciale pour les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession ou du secteur qu'il représente ou à la loyauté de la concurrence ; qu'il relève encore que le CIGC poursuit la société Lidl au motif qu'elle porterait atteinte illicite à l'appellation d'origine contrôlée "Comté" dont il est chargé d'assurer la défense; qu'ainsi, c'est à bon droit que la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer une recherche qui ne lui était pas demandée, a déclaré le CIGC recevable à agir; que le moyen n'est pas fondé;
Et sur le troisième moyen : - Attendu que la société Lidl reproche encore à l'arrêt de l'avoir condamnée à cesser, sous astreinte l'utilisation du mot "Comté" pour la vente de son gruyère générique et à payer 60 000 euro à titre de dommages-intérêts au CIGC, alors, selon le moyen, que l'appellation d'origine contrôlée " Comté " s'applique notamment aux fromages dont la production du lait, la fabrication et l'affinage sont effectués dans le département du Doubs; qu'en l'espèce, un même risque de confusion, découlant de l'obligation de mentionner le lieu de fabrication sur l'étiquetage, aurait été dans tous les cas généré soit par l'indication de la région de Franche-Comté, soit par l'indication du département du Doubs; qu'en s'appuyant néanmoins sur le choix de la région plutôt que sur celui du département, pour reprocher à la société Lidl d'avoir cherché à établir un risque de confusion entre son gruyère générique et l'AOC " Comté ", motif inopérant dès lors qu'aucune des possibilités offertes en matière d'étiquetage ne permettait d'écarter ce risque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1er du décret du 30 décembre 1998 relatif à l'AOC Comté, ensemble l'article 9 du décret du 30 décembre 1988 en matière d'étiquetage, l'article 1382 du Code civil et l'article 13-B du règlement européen n° 2081-92;
Mais attendu que l'arrêt retient que la similitude terminologique partielle entre "Comté" et "Franche-Comté", jointe aux autres similitudes vantant les qualités spécifiques traditionnelles de fabrication et d'affinage conduisent à un risque véritable de confusion; qu'il retient encore que le Doubs, qui aurait pu être porté sur les étiquettes au lieu de Franche-Comté, comme lieu de fabrication, aurait écarté le risque de confusion, de sorte que la justification invoquée de l'obligation de respecter l'article 9 du décret du 30 septembre 1988 ne peut être retenue ; qu'ainsi, la cour d'appel a légalement justifié sa décision; que le moyen n'est pas fondé;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.