CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 8 février 2007, n° 05-07851
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Eurotech (SARL)
Défendeur :
Eagle Picher Wolverine GmbH (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Laporte
Conseillers :
MM. Fedou, Coupin
Avoués :
SCP Debray-Chemin, SCP Jullien, Lecharny, Rol, Fertier
Avocats :
Mes Wolfer, Lechler
Faits et procédure :
La société allemande Eagle Picher Wolverine GmbH, qui fait partie du groupe industriel américain Eagle Picher, commercialise des composants pour l'industrie automobile, notamment des pièces destinées à limiter le bruit de freinage et des joints.
Le 22 novembre 1988, elle a signé avec Monsieur René Bich, gérant de la société Eurotech en formation, un contrat rédigé en anglais, dénommé " contract of représentation " pour l'exécution duquel la société Eurotech est venue aux droits de Monsieur Bich.
A l'article 6 du contrat, il était prévu le versement de la somme fixe mensuelle de 6 000 DM (3 060 euro) pour la première année, et d'une somme mensuelle minimum de 7 000 DM (3 570 euro) pour la période ultérieure ; il était également précisé qu'une commission serait à l'avenir versée à la société Eurotech.
A l'article 5, il était mentionné que chacune des parties pouvait mettre fin au contrat en fin de chaque année, moyennant un préavis de six mois.
Par courrier en date du 20 mars 2002, la société Eagle Picher a résilié, pour le 31 décembre 2002, le contrat liant les parties.
Par lettre du 11 février 2003, la société Eurotech a sollicité le versement de l'indemnité prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce ; par écrit en date des 17 mars et 27 juin 2003, la société Eagle Picher a refusé d'accéder à cette demande.
C'est dans ces circonstances que la SARL Eurotech a, par acte du 15 décembre 2003, assigné la société Eagle Picher Wolverine GmbH en paiement de l'indemnité compensatrice de rupture, majorée d'une indemnité de procédure.
Par jugement du 30 septembre 2005, le Tribunal de commerce de Versailles a :
- dit que le contrat de représentation signé le 22 novembre 1988 entre la société Eagle Picher Wolverine GmbH et Monsieur Raflé Bich, aux droits duquel vient la SARL Eurotech, ne doit pas être qualifié de contrat d'agent commercial régi par les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce;
- débouté la SARL Eurotech de sa demande de dommages-intérêts;
- condamné la SARL Eurotech au paiement de 1 500 au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
La SARL Eurotech a interjeté appel de cette décision.
A titre préliminaire, elle invoque la tardiveté de la contestation par la partie adverse de sa qualité d'agent commercial, puisque c'est seulement dans le cadre de la procédure de première instance que cette contestation a pour la première fois été émise par la société intimée.
Elle constate que les reproches formulés par la société Eagle Picher aux termes de la lettre de résiliation concernent les activités d'un agent commercial, et non celles d'un consultant.
Elle relève que le statut d'agent commercial ne saurait lui être dénié aux seuls motifs de son défaut d'inscription sur le registre spécial des agents commerciaux et de la non référence dans le contrat à la réglementation applicable.
Elle observe que ce statut n'impose en aucun cas un paiement à la commission, et qu'en l'occurrence, les parties avaient prévu, à l'origine de leur contrat, la rémunération usuelle de l'agent commercial calculée d'après le chiffre d'affaires réalisé par le mandant grâce aux activités du mandataire, même si la société Eagle Picher a préféré maintenir le régime de rémunération fixe, n'acceptant qu'une modification du montant forfaitaire.
Elle excipe du contenu du " contrat de représentation " pour conclure qu'il s'agit bien d'un contrat d'agent commercial, sans que le caractère limité du type de produits vendus puisse lui interdire de revendiquer cette qualification.
Elle fait valoir que la circonstance qu'elle n'ait pas conclu de contrats au nom et pour le compte de la société Eagle Picher ne saurait la priver du statut d'agent commercial.
Elle précise que, loin d'avoir été un simple consultant, elle établit avoir démarché de manière systématique des clients de l'industrie automobile, et avoir procédé à une activité de démarchage et de négociation qui caractérise l'activité essentielle d'un agent commercial, sans qu'il puisse être sérieusement allégué qu'elle ne disposait d'aucune autonomie dans l'exercice de ses attributions.
Elle conteste la distinction effectuée par le tribunal entre " négociation technique " (recouvrant la préparation de l'objet de la commande) et " négociation commerciale " (portant sur la fixation du prix), en ce qu'elle ne résulte pas des dispositions de l'article L. 134-1 du Code de commerce.
Elle estime qu'il importe peu que son intervention dans la phase " commerciale " de la négociation ait été plus rare que dans la phase technique de cette négociation, dans la mesure où les activités exercées par elle pour le compte de son mandant suffisent à caractériser la fonction d'agent commercial.
Elle soutient avoir exercé ses activités d'agent commercial de manière permanente, c'est-à-dire de façon continue de 1988 à 2002, ce qui doit lui ouvrir le bénéfice des dispositions des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce.
Elle ajoute qu'elle est fondée à obtenir le versement d'une indemnité de rupture, correspondant au montant des rémunérations perçues au cours des deux dernières années, afin de voir compenser le préjudice généré par la rupture du contrat d'agence.
Par voie de conséquence, elle demande à la cour, en infirmant le jugement entrepris, de dire que le contrat liant les parties est un contrat d'agent commercial régi par les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, de dire qu'elle a droit à l'indemnité compensatrice de fin de contrat conformément aux dispositions de l'article L. 134-12 du même Code, et de condamner la société Eagle Picher Wolverine GmbH à lui payer, à titre d'indemnité compensatrice, la somme de 110 439,12 euro (168 000 DM), majorée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 17 juin 2003, et avec capitalisation des intérêts.
Elle réclame en outre la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Eagle Picher Wolverine GmbH conclut à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement déféré.
Elle indique être en mesure de démontrer que les activités exercées par la société Eurotech (initialement Monsieur René Bich) ne correspondent pas à celles d'un agent commercial défini par l'article L. 134-1 du Code de commerce, ce qui interdit à cette dernière de prétendre à l'indemnité spécifique prévue par l'article L. 134-12 du même Code.
Elle relève qu'une convention intitulée " contrat de représentation " ne constitue pas nécessairement un contrat d'agent commercial, et elle observe qu'en l'occurrence, aucune des stipulations de la convention liant les parties ne caractérise la relation entre un mandant et son mandataire agissant dans le cadre d'un tel contrat.
Elle observe que c'est la raison pour laquelle la société Eurotech n'a jamais demandé ni reçu des commissions au titre des ventes réalisées en France par la société intimée, et n'a jamais entendu remettre en cause le mode de rémunération forfaitaire appliqué au cours des quatorze années de collaboration entre les parties.
Elle constate que la société appelante a exercé pour son compte une activité de conseil sur le territoire français, et ce, uniquement pour certains produits commercialisés par la société intimée, son intervention étant d'ailleurs limitée à une certaine catégorie de clientèle, essentiellement dans le domaine des systèmes de freins pour automobiles.
Elle fait valoir que la société Eurotech n'avait nullement pour mission la négociation des modalités des transactions, son intervention consistant seulement à apporter son assistance à la société Eagle Picher, tâche qui relevait essentiellement du domaine de la logistique, de l'organisation et plus précisément du domaine technique.
Elle soutient que, dans la phase de négociation des transactions, l'activité de la société appelante se réduisait à la transmission des demandes des acheteurs potentiels, accompagnées le cas échéant des explications techniques nécessaires, à la société Eagle Picher, qui se chargeait ensuite de dresser des devis que la partie adverse se contentait de retransmettre aux clients français de cette dernière.
Elle considère qu'une activité limitée à la prospection de la clientèle potentielle et existante, la transmission de documents, voire la préparation de la négociation qui doit ensuite être conduite directement entre le fabricant/vendeur et le client pour aboutir à la transaction, ne peut suffire à entraîner la qualification d'agent commercial.
Elle précise qu'elle est intervenue à tous les niveaux dans les domaines tant technique que commercial, et qu'en aucun cas la partie adverse ne disposait de l'autonomie suffisante, voire d'une indépendance totale, lui permettant de se prévaloir de la qualité d'agent commercial.
Elle ajoute que l'absence d'immatriculation de la société Eurotech au Registre Spécial des Agents Commerciaux, le défaut de comptes-rendus réguliers, la rémunération forfaitaire pendant touts la durée des relations contractuelles, et l'absence de référence dans le contrat d'origine à une activité d'agent commercial et à la législation applicable à cette catégorie spécifique d'intermédiaires, constituent autant d'indices concordants qui tendent à confirmer que la société appelante ne peut à bon droit revendiquer le bénéfice de ce statut.
Elle en déduit que l'élément essentiel et fondamental de l'activité d'agent commercial, à savoir la négociation (et éventuellement la conclusion) de contrats de vente, n'a pas été exercée de manière habituelle et permanente par la société appelante pour le compte de la société Eagle Picher.
Elle réclame la somme complémentaire de 5 000 au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 12 octobre 2006.
Motifs de la décision :
Sur la qualité revendiquée d'agent commercial
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 134-1 du Code de commerce, " l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier, et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels ou de commerçants ";
Considérant qu'en l'occurrence, il est acquis aux débats qu'en vertu du " contract of representation" conclu le 22 novembre 1988, Monsieur René Bich aux droits duquel se trouve la société Eurotech, s'est engagé à travailler en tant que représentant de la société Eagle Picher sur le marché français et à fournir "ses meilleurs efforts afin d'augmenter la part de marché de EP pour tous les produits" ;
Considérant qu'à la rubrique " Commission ", il a été stipulé que le mandataire:
"Recevra un paiement mensuel de 6 000 DM pour les premiers douze mois. Pour les mois suivants, 7 000 DM seront payés. Les 7 000 DM seront garantis comme un paiement mensuel minimum pour la durée de ce contrat. Après dix-huit mois (juin 1990), une commission sera déterminée entre René Bich et EP afin de lui assurer un revenu supérieur dans les années suivantes ";
Considérant qu'il est toutefois admis que l'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leurs conventions, mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée;
Considérant qu'il est également admis que l'activité essentielle de l'agent commercial consiste en la négociation de contrats pour le compte de son mandant, et qu'il ne rentre pas nécessairement dans sa mission de conclure des contrats;
Considérant que, dès lors, ainsi que le relève le tribunal, la circonstance que la société Eurotech n'ait pas eu à conclure des contrats pour le compte de la société Eagle Picher ne saurait à elle seule lui faire perdre le bénéfice du statut légal des agents commerciaux;
Mais considérant que, dans le cadre de son pouvoir de négociation des contrats, l'agent commercial est investi d'une fonction de prospection de la clientèle, devant se traduire par des prises de commandes au nom et pour le compte de son mandant;
Or considérant que les nombreuses correspondances communiquées par elle dans le cadre de la présente instance font apparaître que, pour l'essentiel, la société appelante effectuait auprès des clients de l'industrie automobile des présentations techniques des produits Eagle Picher, et participait au suivi de l'exécution des commandes notamment en attirant l'attention de la société intimée sur les problèmes de qualité dont ces mêmes clients l'avaient entretenu ;
Considérant que, si la société appelante verse aux débats plusieurs courriers dans lesquels elle se présente à la clientèle comme étant le représentant en France de la société intimée, il n'est cependant nullement démontré que ses diligences pour faire connaître les particularités techniques des produits industriels du Groupe Eagle Picher auraient été le résultat d'un travail de démarchage ayant effectivement généré de nouvelles commandes;
Considérant qu'au demeurant, la spécificité des produits commercialisés par la société intimée, reposant sur une technologie très élaborée, et destinés à être proposés à la clientèle restreinte des constructeurs et équipementiers automobiles, limitait nécessairement l'intervention de la société appelante à une activité d'assistance et de conseil, à charge pour elle de transmettre les commandes à son mandant et d'informer ce dernier des difficultés rencontrées dans la phase d'exécution de celles-ci;
Considérant qu'au surplus, il ne peut se déduire des éléments de la cause que la sensible progression du chiffre d'affaires réalisé jusqu'en 2000 par la société Eagle Picher avec le client Federal Mogul aurait été la conséquence des actions de prospection entreprises par la société Eurotech auprès de cette dernière;
Que, dès lors, ayant exactement analysé le contenu des correspondances échangées entre la société appelante et ses divers interlocuteurs, et ayant à juste titre constaté que la société Eurotech avait eu rarement à intervenir directement dans les tractations relatives aux quantités de produits vendus et aux conditions de délais et de prix, le tribunal a logiquement conclu que les attributions de ce mandataire s'étaient pour l'essentiel limitées à celles d'un intermédiaire technique;
Considérant que la société Eurotech apparaît d'autant moins fondée à revendiquer la qualité d'agent commercial qu'outre son défaut d'immatriculation au Registre Spécial des Agents Commerciaux, elle ne justifie avoir, au cours des quatorze années d'exécution du contrat, ni adressé à son mandant des comptes-rendus réguliers, ni sollicité, en lieu et place de la rémunération forfaitaire qui lui a été allouée, le versement des commissions pourtant prévues par la convention d'origine ;
Que, par ailleurs, la circonstance que, dans une lettre-circulaire du 3 janvier 2002, la société Eagle Picher ait invité ses "représentants étrangers" (parmi lesquels figurait la société appelante) à lui fournir dans la perspective de la réunion annuelle des ventes, un récapitulatif de leur secteur de marché et de leurs clients, ne saurait valoir reconnaissance par elle de la qualité d'agent commercial de la société Eurotech;
Considérant qu'une telle reconnaissance ne saurait davantage se déduire de la constatation que, pour s'opposer à la demande de versement d'une indemnité de rupture formulée par référence au droit français, la société intimée, qui est de droit allemand, n'ait pas expressément dénié à son mandataire le bénéfice du statut des agents commerciaux tel qu'il est régi par la législation française;
Considérant qu'il est également sans incidence sur le présent litige qu'à l'issue de leur collaboration avec certains de leurs représentants, des sociétés du Groupe Eagle Picher aient accepté de verser à ces derniers une indemnité de fin de contrat, dans la mesure où il n'est nullement démontré que les attributions de ces représentants, au demeurant non régies par le droit français, étaient identiques à celles dont la société appelante s'est trouvée investie;
Considérant qu'il s'ensuit que ne se trouve pas mise en évidence l'existence dûment établie d'une activité de négociation, et, éventuellement, de conclusion de contrats de vente, qui aurait été exercée de façon habituelle et permanente par la société Eurotech pour le compte de la société Eagle Picher;
Considérant que, par voie de conséquence, il convient, en confirmant le jugement déféré, de dire que la société Eurotech ne peut se prévaloir de la qualité d'agent commercial au sens des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, et de la débouter de sa demande de dommages-intérêts fondée sur ces dispositions légales.
Sur les demandes annexes:
Considérant que l'équité commande d'allouer à la société Eagle Picher Wolverine GmbH la somme complémentaire de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Considérant qu'il n'est cependant pas inéquitable que la société appelante conserve la charge des frais non compris dans les dépens exposés par elle dans le cadre de la présente instance;
Considérant que le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a condamné la société Eurotech aux dépens de première instance;
Considérant que cette dernière, qui succombe en son recours, doit être condamnée aux dépens d'appel.
Par ces motifs, Statuant en audience publique, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Déclare recevable l'appel interjeté par la société Eurotech, le dit mal fondé; Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré; Y ajoutant : Condamne la société Eurotech à payer à la société Eagle Picher Wolverine GmbH la somme complémentaire de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société Eurotech aux dépens d'appel, et Autorise la SCP Jullien Lecharny Rol Fertier, société d'avoués, à recouvrer directement la part la concernant, conformément à ce qui est prescrit par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.