Livv
Décisions

CA Toulouse, 4e ch. soc. sect. 2, 3 mars 2006, n° 05-01462

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Gryger

Défendeur :

France Mode (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dardé

Conseillers :

M. Treilles, Mme Pellarin

Avocats :

SCP Matheu Rivière-Sacaze, Associés, SCPA Sultan Collin Barret Boizard

Cons. prud'h. Toulouse, du 7 févr. 2005

7 février 2005

Les faits et la procédure

Suivant un contrat de travail à durée indéterminée du 2 février 1993, Christian Gryger a été embauché en qualité de VRP multicarte par la société France Mode. Son contrat prévoit le rachat de la carte clientèle correspondant à un droit de représentation pour un montant global de 60 000 F payable par prélèvement périodique de janvier 1999 à février 2001. Le 19 décembre 2002, M. Gryger démissionnait.

Le 29 décembre 2003, il saisissait le Conseil de prud'hommes de Toulouse afin d'obtenir le remboursement des retenues sur commissions opérées par son employeur au titre du rachat de la carte clientèle.

Selon un jugement du 7 février 2005, la juridiction saisie s'est déclarée compétente sur le différend opposant les parties, a considéré que la cession de la carte à un autre VRP ne pouvait être réalisée qu'avec l'accord de l'employeur et qu'elle n'était pas restituable par la société France Mode.

Par un courrier du 7 mars 2005, M. Gryger a relevé appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 25 février 2005.

Les moyens et prétentions des parties

M. Christian Gryger fait valoir qu'il n'a pas signé l'annexe 1 du contrat fixant la valeur de la carte clientèle. Il soutient qu'un employeur ne peut imposer à un VRP un rachat de carte et qu'une convention en ce sens est frappée de nullité absolue puisqu'il est seul propriétaire de la clientèle.

L'appelant demande donc le remboursement des retenues opérées indûment sur ses commissions au titre du rachat de la clientèle et ce depuis 1998. Il sollicite donc l'infirmation du jugement déféré et la condamnation de la société France Mode à lui verser les sommes suivantes :

- 9 680,51 euro à titre de remboursement de retenues indues, assorties des intérêts de droit sur cette somme ;

- 3 000 euro à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive;

- 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

M. Gryger demande la régularisation de sa situation auprès des organismes sociaux et la délivrance de bulletins de salaires conformes sous astreinte de 300 euro par jour de retard.

La SARL France Mode souligne que M. Gryger a accepté la clause en litige et l'a exécutée pendant plusieurs années.

Elle précise qu'il a signé le contrat renvoyant explicitement à l'annexe prévoyant le rachat par le salarié de la clientèle.

Elle soutient qu'une telle convention qui s'analyse en un rachat du droit de présentation de clientèle est licite puisque la cession ne porte pas sur la propriété de ladite clientèle. Elle souligne que M. Gryger a prospecté et démarché cette clientèle qu'il n'a ni créée, ni apportée et dont il a tiré profit. Par ailleurs, l'intimée souligne que rien n'interdisait au salarié de revendre sa carte clientèle à un successeur et d'en négocier librement le prix. Elle ajoute qu'aucune nullité ne peut exister en l'absence d'un texte.

A titre subsidiaire, la société France Mode soutient que l'action en nullité du contrat est prescrite depuis le 5 février 2003. Elle fait aussi valoir que M. Gryger a toujours donné son accord définitif sur le montant des commissions et qu'il n'est donc pas fondé à réclamer le versement d'un solde.

La société intimée demande la condamnation de M. Gryger à lui verser les sommes suivantes:

- 5 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive;

- 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les motifs

Sur la validité de la clause

Dès lors que M. Gryger a signé le contrat de travail qui prévoit explicitement en son article 10 une clause permettant le rachat de la carte clientèle et que ce même article renvoie expressément à une annexe dûment jointe à la convention, qui fixe les conditions de mise en œuvre de ladite clause, il importe peu que le salarié, qui admet avoir pris connaissance de cette annexe au jour de la signature du contrat, ne l'ait pas signée.

Or en l'espèce, non seulement le salarié a eu connaissance de l'annexe en litige, mais encore il l'a exécutée sans émettre la moindre réserve pendant plusieurs années avant de demander à l'employeur d'en tirer toutes les conséquences juridiques après sa démission.

La clause de cession de carte n'est pas en soi illicite puisqu'elle permet au VRP qui n'est pas propriétaire de sa clientèle et qui souhaite cesser son activité de trouver un successeur acceptant de lui verser une somme d'argent représentant la valeur de la carte et de le présenter à l'agrément de l'employeur.

Le prix de cette cession de carte qui concerne, exclusivement la clientèle préexistant à l'embauche du VRP, doit être distingué de l'indemnité de clientèle qui représente la valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par le salarié au bénéfice de l'employeur.

Par ailleurs, cette clause de rachat de carte n'est pas dépourvue de cause puisqu'en contrepartie le cessionnaire est autorisé à prospecter, démarcher et tirer profit - par le biais de commissions versées par son employeur - de cette clientèle existante. Ainsi pendant cinq ans, M. Gryger a pu bénéficier de celle-ci.

Sur la demande en remboursement du prix de la carte

Lors de la rupture de son contrat de travail, le VRP, qui n'est pas propriétaire de cette clientèle et qui donc ne peut en disposer à sa guise, conserve la faculté de céder sa carte à un successeur par lui choisi et avec lequel il aura librement négocié la valeur de celle-ci à charge, cependant, pour lui de présenter le cessionnaire à l'agrément de son employeur. Si ce dernier embauche ce successeur, le VRP partant recevra du cessionnaire le paiement de la carte, dans le cas contraire il aura le choix entre continuer la relation contractuelle ou démissionner.

En l'espèce, M. Gryger a purement et simplement démissionné sans présenter de successeur à la société France Mode. Ayant prospecté, démarché et tiré bénéfice de cette clientèle pendant 5 années alors qu'elle ne lui appartenait pas et qu'elle préexistait à son engagement, il ne saurait aujourd'hui solliciter le remboursement du prix de cette carte clientèle. Il lui appartenait avant de démissionner de présenter un successeur à son employeur et en cas de refus d'agrément de poursuivre la relation salariale.

En conséquence, les demandes de M. Gryger doivent être rejetées; le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions.

La voie de recours présentée par M. Gryger étant rejetée, il devra payer les dépens de l'instance. Cette succombance ne lui permet pas d'obtenir des dommages et intérêts pour résistance abusive de l'intimée ni une quelconque somme en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'exercice d'une voie de recours est un droit qui ne peut dégénérer en faute qu'en cas d'abus manifeste. Ce n'est pas le cas, en l'espèce, où M. Gryger s'est simplement mépris sur l'étendue de ses droits. La demande présentée par la société France Mode visant à l'allocation de dommages-intérêts pour procédure abusive doit être rejetée.

Compte tenu des circonstances de l'affaire, il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la société intimée la totalité des sommes par elle exposées pour faire valoir ses droits.

Par ces motifs, LA COUR, Déclare régulier et recevable en la forme l'appel interjeté par M. Christian Gryger à l'encontre du jugement du Conseil de prud'hommes de Toulouse du 7 février 2005. Au fond, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré. Y ajoutant, Rejette les demandes en dommages-intérêts. Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Dit que M. Christian Gryger paiera les dépens.