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Décisions

CA Chambéry, ch. soc., 12 septembre 2006, n° 06-00345

CHAMBÉRY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cochet (Epoux)

Défendeur :

Total France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Landoz

Conseillers :

M. Francke, Mme Broutechoux

Avocats :

Mes Jourdan, Cornevaux

T. com. Paris, du 7 juin 2004

7 juin 2004

Exposé du litige

Le 21 avril 1998, la société Elf Antar France aux droits de laquelle se trouve la SA Total France depuis le 1er avril 2002, a consenti à la SARL Cochet, dont les époux Cochet sont les gérants, la location-gérance d'une station-service à La Tour du Pin, contrat résilié le 30 juin 1999 par avenant.

Le 14 juin 1999, un nouveau contrat a été conclu entre les mêmes parties portant sur l'exploitation d'une station-service à La Motte Servolex.

Le 15 avril 2000, par avenant, la résiliation amiable du contrat de gérance a été formalisée à compter du 29 mai, la SARL Cochet prenant par la suite la gérance d'un fonds de commerce d'hôtellerie-restauration à Saint-Pierre d'Entremont.

À l'issue de l'inventaire du 29 mai, un chèque de 533 703 F a été remis à la SA Total France par la SARL Cochet à titre d'arrêté de compte.

Par jugement du Tribunal de commerce de Paris du 7 juin 2004, la SARL Cochet a été condamnée à payer à la SA Total France la somme de 80 273,43 euro.

Gilles et Rosette Pepe épouse Cochet ont saisi le Conseil de prud'hommes de Chambéry les 21 et 22 mars 2005 afin de voir reconnue à leur profit, par application de l'article L. 781-1 du Code du travail, la qualité de salariés de la SA Total France.

Par jugement du 2 février 2006, le Conseil de prud'hommes de Chambéry s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris.

Les époux Gilles et Rosette Pepe épouse Cochet ont régulièrement formé contredit.

Ils demandent à la cour de:

- dire qu'ils remplissent les conditions d'application de l'article L. 781-1 du Code du travail,

- de les renvoyer devant le Conseil de prud'hommes de Chambéry pour qu'il soit statué sur les conséquences de l'application du statut de salariés.

Ils font valoir que la circonstance que la juridiction commerciale a été saisie ne les prive pas du droit de se prévaloir des dispositions du Code du travail pour l'ensemble de la période ayant couru depuis le 21 avril 1998, l'avenant ayant mis un terme à ce premier contrat pour la SARL Cochet ne valant pas transaction pour chacun des deux époux qui conservent ainsi un droit individuel à se voir reconnaître la qualité de salariés.

Ils soutiennent qu'un lien de droit entre les personnes en cause n'est pas requis pour l'application de l'article L. 781-1 du Code du travail, qui peut trouver à s'appliquer sans qu'il soit besoin que soit établi un lien de subordination, seules devant être prises en compte les conditions réelles d'exploitation.

Ils soutiennent en l'espèce qu'ils étaient sous couvert de la SARL, créée pour les besoins de la cause, les seuls interlocuteurs et exécutants de la SA Total France, tenus à des obligations personnelles à travers les clauses du contrat, et que les quatre conditions cumulatives requises pour l'application de l'article L. 781-1 du Code du travail, à savoir:

1. Vente de produits fournis exclusivement ou quasi-exclusivement par une seule entreprise industrielle ou commerciale,

2. Dans un local fourni ou agréé par cette entreprise,

3. A des conditions imposées par ladite entreprise,

4. A des prix imposés,

sont remplies en l'espèce dans le contrat lui-même, au vu des articles 8-2-7, 8-2-2 et 8-2-9 et 9-2-2 du contrat de location-gérance.

Ils ajoutent que le chiffre d'affaires carburant a représenté 97,42 % du chiffre d'affaires total au titre du premier contrat, 97,59 % au titre du second, seule mesure pertinente, ce qui démontre qu'ils se trouvaient sous la dépendance économique de la SA Total France, le chiffre d'affaires boutique représentant une part négligeable de leur activité, en tout état de cause déficitaire puisque la perte d'exploitation a été de 33 383 F du 1er juin 1998 au 30 juin 1999, et 371 338 F du 1er juillet 1999 au 29 mai 2000, le montant des commissions étant insuffisant pour assurer leur indépendance.

Ils rappellent que le local comme le matériel ont été fournis par la SA Total France, les prix imposés pour le carburant, que l'exploitation d'une autre activité était soumise à l'autorisation de la SA Total France par l'article 4-3 du contrat, les travaux imposés par celle-ci (article 5-3), la signalisation et les conditions de la publicité imposées (article 6-2-1, 6-2-2, 6-2-3, 6-2-4), comme les conditions d'utilisation du matériel (7-2-1, 7-2-2, 7-2-3) de garantie (7-2-5, 7-2-6), de stock et de commandes, d'approvisionnement et de vente (8-1-1, 8-1 -2, 8-1-3, 8-1-5, 8-1-6, 7, 8, 8-2-1, 2, 4, 6, 7, 8, 9, 10, 13, 9-1-1, 9-2-1, 2, 10 et 11, 13).

La SA Total France demande à la cour de:

- confirmer le jugement entrepris et renvoyer les Gilles et Rosette Pepe épouse Cochet à saisir la juridiction compétente, soit la Cour d'appel de Paris,

- condamner Gilles et Rosette Pepe épouse Cochet à lui payer la somme de 3 000 euro chacun sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle fait valoir que l'application des dispositions de l'article L. 781-1 du Code du travail est subordonnée à la démonstration, qui n'est pas faite en l'espèce, du caractère fictif de la personne morale qui s'interpose dans la relation avec eux, alors que la SARL Cochet a poursuivi son activité, que les seuls gérants ont qualité pour représenter la personne morale et signer en son nom, qu'ils ne justifient pas d'une relation personnelle de subordination.

Elle fait valoir que le contrat laissait à Gilles et Rosette Pepe épouse Cochet toute latitude d'organiser d'autres activités que la vente de carburant, réfute la présentation comptable de l'activité de la SARL par les demandeurs qui prend pour éléments de comparaison les chiffres d'affaires, sans pertinence pour mesurer la situation de dépendance.

Elle invoque la conformité des clauses du contrat de mandat aux dispositions du Code civil, qui, indicatives, n'ont à aucun moment eu de caractère impératif, et n'ont fait l'objet d'aucun contrôle de la part de la SA Total France qui ne s'est pas immiscée dans les conditions d'exploitation de la station-service.

Motifs de la décision

1 - Sur la recevabilité de la demande de Gilles et Rosette Pepe épouse Cochet

La signature par la SARL Cochet d'un avenant de résiliation avec la SA Total France ne prive pas Gilles et Rosette Pepe épouse Cochet de revendiquer à titre de personnes physiques l'application de l'article L. 781-1 du Code du travail devant la juridiction du travail.

L'article L. 781-1 du Code du travail exige pour le bénéfice de ses dispositions la réunion de quatre conditions cumulatives:

- la vente exclusive ou quasi-exclusive de produits fournis par une seule entreprise industrielle ou commerciale,

- la fourniture d'un local par cette entreprise,

- l'exploitation aux conditions et prix imposés par celle-ci,

- l'exploitation aux prix imposés par celle-ci.

Le bénéficie de cette disposition ne profite qu'aux gérants personnes physiques ayant contracté en leur nom et pour leur compte avec l'entreprise, ce qui exclut les gérances assurées par des personnes morales à moins que la société ne représente qu'un montage juridique de façade consistant à faire échec aux dispositions du droit du travail.

2- Sur l'interposition de la SARL Cochet

L'application des dispositions de l'article L. 781-1 du Code du travail n'est pas exclue si la gérance est assurée fictivement par une personne morale dès lors que celle-ci n'est qu'une société de façade conçue pour les besoins de la cause et que la gérance est en réalité exercée par les gérants, personnes physiques de ladite société.

Il incombe à ces derniers de rapporter la preuve de ce caractère fictif.

En l'espèce, la démonstration du caractère fictif de la SARL Cochet résulte suffisamment des pièces produites aux débats: la société Cochet a été créée le 2 juin 1998, indiscutablement de façon accessoire à la conclusion du contrat de location-gérance et pour ce seul objet.

Son objet, défini par l'article 2 des statuts est ainsi libellé:

"...l'exploitation de tous fonds de commerce de station-service,

- en qualité de mandataire pour la distribution des produits pétroliers, à l'exception des lubrifiants,

- en qualité de locataire-gérante pour ce qui concerne:

la distribution des lubrifiants et du mélange deux temps,

la vente de pneus, batteries et accessoires destinés aux véhicules et tous produits à usage domestique,

les prestations de lavage, graissage, pose, réparations courantes, échanges de pièces et d'accessoires automobiles,

la vente de produits alimentaires et de boissons,

la restauration rapide".

Elle n'a été instituée, comme cela est confirmé par le libellé de l'article 11, que pour l'exploitation d'une station-service avec la société Total, à partir d'un contrat type établi par celle-ci et impose aux gérants personnes physiques des obligations personnelles de non-concurrence (article 9-2-2) de caution (article 10-2-2) de garantie (article 13-2-1) et de confidentialité (article 13-2-2).

La conclusion éventuelle de contrats postérieurs ayant un autre objet ne remet pas en cause le caractère fictif de la SARL dans la relation de Gilles et Rosette Pepe épouse Cochet avec la SA Total France.

3- Sur la réunion des conditions cumulatives

- L'existence d'un lien exclusif ou quasi-exclusif entre les gérants et la société BP

L'analyse des conditions réelles d'exploitation doit déterminer l'application de l'article L. 781-1 du Code du travail.

Il ressort des pièces produites aux débats que le carburant vendu (gasoil, super) par les époux Cochet provient exclusivement de la SA Total France par le biais d'un contrat de mandat, les conditions et prix étant imposés par la SA Total France, que les produits vendus hors mandat à des prix et conditions imposés par la SA Total France sont les lubrifiants, que les composants du mélange deux temps sont fournis exclusivement par la SA Total France, la "SARL s'approvisionnant auprès des fournisseurs référencés par la SA Total France" pour les autres produits. (Article 8.2.9), sans exclusivité pour la SA Total France qui conserve cependant un droit d'information sur les contrats ainsi passés.

L'examen du compte de résultats de la SARL fait apparaître les chiffres suivants pour l'exercice courant du 30 juin 1999 au 31 juillet 2000, qui démontrent que Gilles et Rosette Pepe épouse Cochet ont développé des activités qui les ont de fait soustraits à la dépendance de la SA Total France:

- commissions super : 18 851,07

- commissions gasoil : 440 053,92

- commissions super 95 : 68 187,89

- commissions super 98 : 50 535,57

- ventes gaz : 331 014

- ventes pneus, chambres : 74 601,29

- ventes alimentation TR : 55 763,74

- ventes alimentation TN : 173 370,76

Le montant total des ventes réalisées par la SARL dans des conditions fixées par elle ou par des fournisseurs tiers, sans dépendance justifiée à l'égard de la SA Total France, même si cette dépendance peut être par ailleurs caractérisée à l'égard d'autres fournisseurs (gaz), est de 746 524,57 F au vu du compte de résultats pour l'exercice 1999/2000 alors que le montant des commissions et ventes provenant d'opérations effectuées sous un lien de dépendance économique à l'égard de la SA Total France est de 761 097,63 F, incluant deux temps et lubrifiants.

Gilles et Rosette Pepe épouse Cochet ne peuvent dans ces conditions soutenir, même si les autres conditions d'application de l'article L. 781-1 du Code du travail sont remplies, avoir vendu des produits fournis quasi-exclusivement par la SA Total France.

Sans qu'il soit besoin de s'interroger sur les autres conditions d'application de l'article L. 781-1 du Code du travail, il convient de relever qu'une d'elles n'est pas remplie en l'espèce.

En application des dispositions de l'article 86 du nouveau Code de procédure civile, la cour doit renvoyer l'affaire au juge du premier degré qu'elle estime compétent; la désignation du Tribunal de commerce de Paris sera confirmée.

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à chacune des parties l'entière charge des frais qu'elle a dû engager à l'occasion de la présente procédure.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, après on avoir délibéré, par décision contradictoire, Dit que les conditions d'application de l'article L. 781-1-2e du Code du travail ne sont pas réunies, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Laisse les dépens à la charge de Gilles et Rosette Pepe épouse Cochet.