CA Douai, 2e ch. sect. 2, 10 mai 2007, n° 06-04352
DOUAI
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Réminiscence Diffusion Internationale (SAS)
Défendeur :
Marie H (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Fossier
Conseillers :
M. Zanatta, Mme Neve de Mevergnies
Avoués :
SCP Deleforge Franchi, Me Quignon
Avocats :
Mes Montagard, Ricouart Maillet
La SA (devenue ensuite SAS) Réminiscence a été fondée en 1982 pour la distribution à des détaillants, de bijoux fantaisie et parfums de milieu de gamme, sous la marque Réminiscence.
A partir de 1990, l'un de ses distributeurs (non-exclusif ; une boutique à l'enseigne "Amphitrite" est également agréée) à Lille a été une SARL Marie-H, place du Lion d'Or, exploitante sur une petite surface (20 m²). Le fonds a été cédé à Mme Michel en 1993, l'enseigne devenant "Marie M". Réminiscence a représenté jusqu'aux deux tiers de la marchandise vendue au détail par Marie-H puis Marie-M. En 2005, Réminiscence a décidé d'ouvrir son propre magasin à Lille, sur une centaine de m² ; elle l'a annoncé à Marie-M par LRAR du 9 mars, a annoncé dans la presse spécialisée l'achat d'un droit au bail rue des Chats Bossus (30 m de distance d'avec la boutique Marie-M), a sommé par une autre LRAR du 21 juin la SARL Marie-H de ne plus utiliser la dénomination Réminiscence et aurait cessé ses livraisons de produits à cette société peu après (septembre 2005, avant de les reprendre en janvier 2006).
Les parties s'opposent d'abord par voie de référé-astreinte (dont appels devant une autre section) puis, par jugement du 20 juin 2006, dont appel, le Tribunal de commerce de Lille indemnise la SARL Marie-H à hauteur de 115 000 euro (65 000 euro pour abus du droit de ne pas vendre et 50 000 euro de perte de valeur du fonds) mais lui ordonne de cesser de faire voir en vitrine ou façade, pour l'avenir, la marque Réminiscence.
La SAS Réminiscence est appelante principale. Elle estime qu'étant propriétaire de l'enseigne et marque Réminiscence, elle était en droit d'ouvrir son propre magasin, qu'elle a pris les précautions possibles pour en avertir l'exploitante Marie-M, et qu'elle était aussi en droit de se réserver l'usage de l'enseigne et marque litigieuse. L'appelante réclame aussi une astreinte pour assortir l'interdiction d'exploiter la marque, outre 10 000 euro de dommages et intérêts et 7 500 euro pour frais.
Quant au refus de vente, Réminiscence dénie avoir empêché Marie-H de se fournir : les produits auraient été livrés, ou auraient été indisponibles, ou auraient été seulement retardés, en conformité avec les conditions générales de vente.
Marie-H demande la confirmation dans le principe et l'augmentation en quantum (150 000 euro pour atteinte à son image et 150 000 euro pour perte de valeur du fonds, outre 7 000 euro pour frais) de la condamnation de l'appelante à la fois pour abus de droit, pratiques discriminatoires, concurrence déloyale, rupture de relations commerciales établies et enrichissement sans cause (Réminiscence aurait tiré profit d'un coup des quinze ans d'effort publicitaire de Marie-H). Mais l'intimée fait appel incident sur l'interdiction qui lui a été faite par les premiers juges d'utiliser la marque Réminiscence parce qu'elle en vend encore des articles.
Sur quoi LA COUR
1°) Sur l'abus de droit:
Attendu que, se plaignant des mesures prises par son fournisseur pour gêner ses affaires, notamment des retards ou refus de livraison et une interdiction d'user de la marque litigieuse, la SARL Marie-H invoque un préjudice, essentiellement moral mais qui s'est traduit par le licenciement d'une salariée, une dépression de la dirigeante et une atteinte à l'image de Marie-H;
Attendu qu'à supposer établies les fautes susdites, il n'apparaît pas que les préjudices invoqués soient démontrés;
Attendu que le licenciement est, selon toute vraisemblance et sans contradiction avec les éléments du dossier (pièce n° 21), dû à un tassement d'activité qui relève de la concurrence nouvelle de Réminiscence, exposée ci-après (2°) dans son mécanisme et dans ses effets ; que Marie-H ne peut prétendre à une double indemnisation de ce chef;
Attendu que le certificat médical produit par Mme Michel, dirigeante de Marie-H, n'est pas explicite (pièce n° 26);
Attendu que l'atteinte à l'image n'apparaît pas davantage démontrée, aucune pièce du dossier de l'intimée n'établissant que sa clientèle ou ses fournisseurs aient douté d'elle à la suite des événements litigieux;
Attendu par suite que Réminiscence est bien fondée à solliciter la réformation de ce chef;
2°) Sur la concurrence déloyale:
Attendu que s'il était légitime pour Réminiscence de passer à la vente directe de ses produits, et s'il était naturel qu'elle veuille le faire dans les lieux du meilleur achalandage, en hyper-centre du Vieux Lille, rien ne la contraignait à retenir, dans une offre dont elle ne démontre pas qu'elle fût excessivement restreinte, le magasin le plus proche possible de celui de Mme Michel;
Qu'autrement dit, si ses choix ont été partiellement contraints, ils ont emprunté aussi à une certaine désinvolture;
Attendu que cette attitude volontaire, sinon dolosive, a permis de créer une confusion dans l'esprit du public, d'autant que le magasin nouveau était plus grand et plus neuf que la Boutique Marie-H, et par ailleurs en harmonie avec les lignes de couleur de la marque à laquelle ledit magasin était exclusivement consacré ;
Attendu qu'une telle pratique a été contraire à la loyauté du commerce et aux usages et ouvre droit à une réparation, comme l'ont admis les premiers juges, serait-ce pour d'autres motifs;
Attendu que toute concurrence déloyale crée nécessairement un préjudice au commerçant qui la subit;
Attendu que ce préjudice se traduit par une baisse de chiffre et une baisse de valeur du fonds;
Attendu que Marie H se garde de fournir à la cour des éléments suffisants de sa comptabilité démontrant ses pertes, ou de celle de Réminiscence pour démontrer des gains indus ; que la baisse de valeur du fonds est en revanche clairement établie;
Qu'en effet, elle fournit une offre de reprise (pièce n° 27) qui chiffre le fonds en question à 300 000 euro, éléments corporels compris;
Qu'elle indique, sans être contredite et selon les éléments les plus habituels en la matière, qu'elle obtiendrait aujourd'hui la moitié environ de ce prix;
Attendu que pour tenir compte de l'érosion naturelle de la valeur d'un tel fonds, dont la clientèle jeune se lasse vite, et ne se renouvelle pas à proportion, la cour dispose d'éléments suffisants pour retenir le même chiffre que les premiers juges, serait-ce sur un autre fondement;
3°) Sur l'enrichissement sans cause:
Attendu qu'après avoir invoqué cette source possible de paiement à son profit, Marie-H n'a pas articulé de demande chiffrée;
4°) Sur l'utilisation de la marque litigieuse:
Attendu que Réminiscence ne peut pas sans contradiction évidente affirmer qu'elle a continué ou repris les ventes à Marie-H et lui refuser d'utiliser la marque;
Attendu que l'offre faite par Marie-H de proportionner les références à cette marque, à celles des autres marques distribuées, remplit Réminiscence de ses attentes légitimes;
Attendu que le premier jugement sera donc réformé sur ce point, les demandes connexes de l'appelante étant par suite sans objet;
5°) Sur les accessoires:
Attendu qu'il n'apparaît pas que Marie-H ait abusé de ses droits, substantiels ou procéduraux, et qu'il faille la condamner à payer des dommages-intérêts;
Attendu que succombante en son appel, Réminiscence subira l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et paiera les dépens;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe, Réforme le jugement en ce qu'il a fait interdiction à la SARL Marie-H d'utiliser la marque Réminiscence. Statuant à nouveau de ce chef, autorise cette utilisation, la référence à Réminiscence devant être de même importance que celle faite par Marie-H à d'autres marques. Confirme pour le surplus, sauf quant aux motifs de la condamnation principale; Dit n'y avoir lieu à dommages-intérêts; Condamne la SAS Réminiscence à payer les dépens d'appel et la somme de 2 500 (deux mille cinq cents) euro pour frais à son adversaire. Accorde aux avoués constitués le bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.