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Décisions

CA Orléans, ch. com., économique et financière, 14 juin 2007, n° 06-02523

ORLÉANS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

L'Entre 2 (SARL)

Défendeur :

L'Arrache-Cœur (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Remery

Conseillers :

Mme Magdeleine, M. Garnier

Avoués :

Me Garnier, SCP Laval-Lueger

Avocats :

SCP de Kilmaine-Sérégé-Egon, Me Descot

T. com. Tours, du 21 juill. 2006

21 juillet 2006

Exposé du litige

LA COUR statue sur l'appel d'un jugement rendu le 21 juillet 2006 par le Tribunal de commerce de Tours, interjeté par la société L'Entre 2, suivant déclaration du 18 septembre 2006, enregistrée au greffe de la cour sous le n° 2523-2006.

Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions des parties signifiées et déposées les :

* 15 janvier 2007 (par la société L'Entre 2).

* 26 mars 2007 (par la société L'Arrache-Coeur).

Dans le présent arrêt, il sera seulement rappelé que par acte authentique du 16 janvier 2004, la société L'Arrache-Coeur a cédé à la société L'Entre 2 son fonds de commerce de bar-restaurant exploité à Tours rue de la Victoire et connu, d'après l'acte, " sous le nom commercial l'Arrache-Coeur ", comprenant, parmi les éléments incorporels, ce nom et l'enseigne identique. La société venderesse s'interdisait de se rétablir pendant 5 ans à moins de 500 mètres du lieu d'exploitation du fonds cédé.

Exposant que la société L'Arrache-Coeur avait acquis, en novembre 2004, un nouveau fonds de commerce de bar-brasserie qu'elle exploitait, au 51 rue Francisco Ferrer à Tours, à l'enseigne " L'Arrache-Cœur ", La société l'Entre 2 a saisi le Tribunal de commerce de Tours d'une action en responsabilité pour concurrence déloyale en réclamant, sous astreinte, la dépose de l'enseigne et l'interdiction d'utiliser le nom commercial " l'Arrache-Cœur ", ainsi qu'une somme de 16 600 euro à titre de dommages-intérêts.

Après avoir donné acte à la société L'Arrache-Coeur que, désormais, elle exerçait son activité sous le nom commercial composé des prénoms de ses associés, Georges et Maria, le tribunal, par le jugement entrepris, a rejeté la demande de la société L'Entre 2 et l'a elle-même condamnée à verser à la société L'Arrache-Coeur la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société L'Entre 2 a interjeté appel.

En cause d'appel, chaque partie a présenté, plus précisément, les demandes et moyens qui seront exposés et discutés dans les motifs ci-après.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 2 mai 2007, ainsi que les avoués des parties en ont été avisés.

Par note conjointe du président et du greffier adressée la veille de la date du présent arrêt, les avoués des parties ont été également avisés que le prononcé de l'arrêt était avancé à cette date.

Motifs de l'arrêt

Attendu qu'il n'est pas contesté que le nouveau fonds de commerce de la société L'Arrache-Coeur est exploité hors du périmètre défini par la clause de non-rétablissement insérée dans l'acte de cession du fonds du 16 janvier 2004; que si, dès lors, la société L'Entre 2, acquéreuse, ne peut se prévaloir de la violation de la clause de non-concurrence, elle est, en revanche, fondée à invoquer l'existence d'actes de concurrence, non pas illicite comme contraires à cette clause, mais déloyale ; qu'en effet, ayant vendu le nom commercial et l'enseigne Arrache-Coeur, comme éléments incorporels du fonds, la société L'Arrache-Coeur, même si elle conservait cette dénomination sociale, n'était pas elle-même fondée à se rétablir dans un fonds de même nature que celui-ci cédé en utilisant pour ce nouveau fonds le même nom commercial et la même enseigne, sur lesquels elle avait perdu tout droit; qu'il importe peu que la société L'Entre 2 en ait rapidement abandonné l'usage pour adopter comme enseigne et nom sa propre dénomination sociale l'Entre 2, dès lors que ce défaut d'usage, s'il pouvait être invoqué, le cas échéant, par un tiers - comme dans la jurisprudence citée par la société L'Arrache-Coeur - ne peut l'être par le cédant lui-même qui, par la vente du fonds a perdu le droit d'utiliser le nom et l'enseigne qu'il a cédés ; que, par ailleurs, il est établi par les pièces au dossier, notamment les attestations de deux clients, MM. Dumoulin et Luzier, qui ne sont pas suspectes par principe, qu'à deux reprises, dont une dernière fois en mai 2005, lorsqu'on a appelé téléphoniquement au n° indiqué par l'annuaire des pages jaunes pour le nouveau fonds, la personne qui repond a indiqué qu'il s'agit de celui précédemment exploité en centre-ville, réponse qui est de nature à entretenir la confusion ; qu'ainsi l'existence d'actes de concurrence déloyale est établi ;

Attendu, sur le préjudice, que si celui est incontestable, dès lors qu'a été constatée l'existence d'un acte de concurrence déloyale causant, par nature, un trouble commercial indemnisable, son importance, en l'espèce, doit être fortement relativisée, comme a fait le tribunal de commerce, même si sa décision ne peut qu'être infirmée en raison de son refus de toute réparation ; que le préjudice induit par la concurrence déloyale est nécessairement ici très limité par le fait qu'en n'utilisant pas comme nom ou enseigne l'expression Arrache-Coeur, la société L'Entre 2 reconnait elle même que cette expression, fort peu attractive au demeurant pour un restaurant, n'est pas de nature à capter la clientèle en soi, même si celle-ci a pu être attirée par le lien qu'elle établissait avec les gérants de la société L'Arrache-Coeur; que le préjudice est d'autant plus limité que les deux fonds sont situés dans des quartiers de Tours totalement différents, le centre-ville historique pour l'un, un quartier périphérique pour l'autre ; qu'encore, l'enseigne l'Arrache-Coeur a été très rapidement déposée, dès le mois de février 2005, après délivrance de l'assignation introductive de l'instance devant le premier juge le 22 décembre 2004; que, dès février 2005 également, la société L'Arache-Cœur, qui n'a conservé que sa dénomination sociale, a modifié sa devanture, sa publicité et son inscription au registre du commerce et des sociétés en prenant pour nom commercial et enseigne les prénoms "Georges et Maria" et qu'aucun fait de concurrence déloyale n'est démontré après le mois de mai 2005 ; que l'analyse des documents comptables de la société L'Entre 2 montre que, la nouvelle activité de la société L'Arrache-Coeur n'ayant réellement commencé avec l'inauguration du nouveau restaurant, qu'en décembre 2004, c'est en octobre, novembre et décembre 2004 que la société L'Entre 2 a elle-même réalisé ses meilleurs chiffres d'affaires de l'année et qu'on ne note, depuis l'ouverture du fonds concurrent, aucune inflexion sensible dans l'évolution à la hausse du chiffre d'affaires ; que, même si celui-ci demeure inférieur à celui réalisé par l'ancienne société, cette différence n'est pas significative d'une atteinte sérieuse à la concurrence, puisqu'elle est constatée dès l'origine de l'exploitation, en janvier 2004, bien avant l'ouverture du fonds concurrent ; qu'ainsi la société L'Entre 2 ne peut se plaindre que d'un simple trouble commercial dont la cour a les éléments suffisants pour fixer l'indemnisation à la somme de 2 500 euro, toute autre mesure étant inutile, puisque la société L'Arrache-Coeur a déjà pris, ainsi qu'il a été vu, toutes les mesures utiles pour faire cesser ce trouble ;

Sur les demandes accessoires

Attendu que la société L'Arrache-Coeur supportera les dépens de première instance et d'appel et, à ce titre, devra verser à la société L'Entre 2 la somme de 1 500 euro en remboursement des frais hors dépens exposés par cette dernière aux deux degrés de juridiction.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et rendu en dernier ressort : Infirme le jugement entrepris ; Juge que la société L'Arrache-Coeur a commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société L'Entre 2 ; Constate qu'elle a pris toutes les mesures nécessaires pour mettre fin pour l'avenir au trouble commercial occasionné et La condamne, toutes causes de préjudice confondues, à payer à la société L'Entre 2, la somme de 2 500 euro à titre de dommages-intérêts; Condamne la société L'Arrache-Coeur aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société L'Entre 2 la somme de 1 500 euro en remboursement de ses frais hors dépens exposés devant le Tribunal de commerce de Tours et la Cour d'appel d'Orléans, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Accorde à Me Garnier, titulaire d'un office d'avoué près cette cour, le droit à recouvrement direct reconnu par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.