CA Douai, ch. soc., 27 janvier 2006, n° 05-01330
DOUAI
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Slama
Défendeur :
Brignier (ès qual.), Sica 2 (SARL), Jeanne (ès qual.), Association des aveugles et handicapés visuels d'Alsace-Lorraine, Centre de gestion et d'études AGS Ile-de-France Est
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Mericq
Conseillers :
MM. Mamelin, Liance
Avocats :
Mes Carlier, Vandaele, Laskier, Dietrich, SCP Deleforge Franchi
Exposé du litige :
Johanna Slama a été engagée en qualité de VRP multicartes à compter du 31 janvier 2002 suivant contrat du 23 juillet 2002 par l'Association des Aveugles d'Alsace-Lorraine. Elle a également été engagée par contrat du 31 mai 2002 en qualité de VRP multicartes par la Société Industrielle de Coopération d'Aveugles et Handicapés Physiques (Sica).
Considérant qu'elle avait été victime d'une rupture injustifiée de la relation de travail et estimant n'avoir pas été remplie de ses droits, Johanna Slama a saisi le Conseil de prud'hommes de Douai qui, après enquête et selon jugement du 4 mars 2005 auquel il est entièrement fait référence pour l'exposé des données de base du procès et des prétentions et moyens des parties, l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et a condamné la société Sica et l'Association des Aveugles et Handicapés Visuels d'Alsace-Lorraine à lui remettre les attestations Assedic et les certificats de travail à la date du 12 avril 2003.
Johanna Slama a relevé appel de ce jugement.
Par ses conclusions écrites et ses observations orales développées à l'audience devant la cour, de laquelle elle attend l'infirmation du jugement déféré et la condamnation de ces deux employeurs à lui verser :
- 750 euro pour le non-respect de la procédure de licenciement,
- 750 euro pour le paiement des congés,
- 4 571,47 euro à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 4 471,05 euro en paiement de la rémunération minimale due par l'Association des Aveugles et Handicapés visuels,
- 5 823,90 euro en paiement de la rémunération minimale due par la société Sica,
Johanna Slama reprend et complète l'argumentation présentée en première instance.
Elle expose qu'elle a été engagée en qualité de télévendeuse pour commercialiser les produits de l'Association des Aveugles et Handicapés Visuels puis, par un deuxième contrat, les fabrications de la société Sica. Elle indique que pour ces deux employeurs, le travail se déroulait dans les mêmes bureaux, suivant les mêmes horaires et sous le contrôle de la même chef d'agence, pour des rémunérations dérisoires.
Elle convient qu'en raison d'un arrêt maladie puis de son congé maternité, elle a cessé le travail dès le 26 août 2002 mais soutient qu'à son retour, il lui a été demandé de travailler à son domicile et que Mme Folcken, qui représentait à Douai les deux employeurs, s'est opposée à ce qu'elle reprenne le travail suivant les conditions habituelles. Elle en déduit que la rupture du contrat de travail est imputable aux employeurs et leur réclame à chacun 4 573,47 euro.
Johanna Slama se réfère à l'accord du 3 octobre 1975 pour revendiquer le bénéfice de la ressource minimale forfaitaire habituellement réservée aux VRP exclusifs. Elle fait valoir la particularité de sa situation pour réclamer, après déduction des sommes payées par chaque employeur, 4 471,05 euro à l'Association des Aveugles et Handicapés Visuels et 5 823,90 euro à la société Sica.
L'Association des Aveugles et Handicapés Visuels d'Alsace-Lorraine a conclu à la confirmation du jugement déféré.
Elle explique qu'elle emploie des personnes handicapées en ateliers protégés et qu'elle n'a aucun lien de droit avec la société Sica. Elle convient qu'elle a engagé Johanna Slama en qualité de VRP et constate qu'elle n'a pas de revendication salariale hormis sa prétention au bénéfice de l'accord du 3 octobre 1975.
L'Association conteste les allégations de la salariée selon lesquelles il lui aurait été imposé une modification inacceptable dans ses conditions de travail au moment de sa reprise alors qu'à l'issue de son arrêt maladie, elle n'a pas repris son travail.
L'employeur précise qu'il ne lui a jamais demandé de travailler à son domicile ce qu'ont confirmé les responsables de l'association entendus par les conseillers prud'hommes lors de l'enquête du 1er octobre 2004.
Il réfute l'application de l'accord du 3 octobre 1975 prévoyant une ressource minimale forfaitaire parce qu'il n'est réservé qu'aux représentants exclusifs.
La société Sica a conclu à la confirmation du jugement déféré.
Elle explique qu'elle fabrique et conditionne des produits d'entretien qu'elle fait distribuer par des VRP multicartes, souvent également employés par l'Association des Aveugles et Handicapés Visuels qui produit des articles complémentaires (brosses, pinceaux...).
Elle reprend les termes du contrat de travail pour faire valoir l'absence d'horaire contraignant et pour expliquer la rémunération dérisoire qui résulte de l'absence de chiffre d'affaires.
L'employeur fait savoir qu'il a été informé de la grossesse de sa salariée après lui avoir adressé une mise en demeure de justifier de son absence.
Au terme de son congé maternité et après deux lettres recommandées, il constate que Johanna Slama a saisi le conseil de prud'hommes pour faire juger que la rupture est imputable à ses employeurs.
En se référant à l'enquête ordonnée par les premiers juges, la société Sica affirme qu'elle n'a jamais demandé à sa salariée de rester à son domicile pour exercer son activité et qu'en réalité Johanna Slama a abandonné son poste, laissant sans réponse les injonctions de l'employeur.
Elle lui conteste le bénéfice de l'accord du 3 octobre 1975 car la salariée ne saurait exciper du statut de VRP exclusif.
Le CGEA rappelle qu'à la suite du redressement judiciaire de la société Sica, le Tribunal de commerce de Bobigny a adopté par jugement du 10 septembre 2002 un plan de redressement par voie de continuation, la société Sica étant redevenue "in bonis".
Le CGEA rappelle que sa garantie n'est susceptible d'intervenir qu'en l'absence de fonds disponibles et conclut sur le fond à la confirmation du jugement en faisant siennes les écritures des deux employeurs.
Maître Brignier, nommé administrateur judiciaire, fait savoir que sa mission s'est achevée avec le jugement du 10 septembre 2002 et conclut à sa mise hors de cause.
Exposé des motifs:
L'application de l'accord du 3 octobre 1975:
L'accord du 3 octobre 1975 précise à son article 5 que la fixation de la rémunération relève du libre accord des représentants de commerce et de leurs employeurs. Cet article prévoit une ressource minimale forfaitaire qui ne pourra être inférieure à 520 fois le taux horaire du salaire minimum de croissance par trimestre.
L'accord réserve cette disposition aux représentants de commerce engagés à titre exclusif.
En l'espèce, les contrats conclus accordent à l'intéressée le statut de VRP multicartes.
Johanna Slama tente de démontrer qu'elle était la représentante d'un groupement d'employeurs, travaillant sous l'autorité d'une seule responsable, Nadine Folcken, pour conclure au bénéfice de cet accord.
Certes, les employeurs se distinguent par leur statut social, la localisation de leurs sièges respectifs, leurs catalogues de produits, leurs tarifs.
Cependant, ils conviennent de la mise en commun de moyens (bureau, responsable local) et surtout, le contrat conclu avec la Sica, même s'il est intitulé contrat de VRP multicartes, oblige la salariée à son article 9 "à n'effectuer aucune opération pour son compte personnel ou pour le compte d'un tiers". Ce contrat lui impose à l'article 8 une obligation de fidélité qui lui interdit de s'intéresser à une entreprise concurrente.
Ces dispositions sont incompatibles avec un statut de VRP multicartes.
Compte tenu de ces dispositions, des moyens mis en commun par les deux employeurs et des conditions dans lesquelles ont été signés ces deux contrats, il apparaît que les deux employeurs ont voulu s'attacher les services exclusifs de Johanna Slama de telle sorte que celle-ci est fondée à revendiquer le bénéfice de l'accord du 3 octobre 1975.
Les quantum des demandes sont établis par un décompte qui apparaît cohérent et qui n'est pas discuté. Aussi, l'Association des Aveugles et Handicapés sera condamnée au paiement de la somme de 4 471,05 euro et la société Sica au paiement de celle de 5 823,90 euro.
La rupture du contrat de travail:
Johanna Slama demande que la rupture du contrat de travail soit imputée à l'employeur au motif qu'à son retour de congé maternité, Nadine Folcken lui a demandé de travailler à partir de son domicile, sans pouvoir emporter les fichiers clients, bons de commandes, catalogues....
Nadine Folcken, entendue par les premiers juges, conteste lui avoir demandé de travailler à son domicile.
Surtout, les deux employeurs et France Dulic, gérante de société affirment qu'en réalité Johanna Slama n'a pas repris le travail à l'issue de son congé maternité. Ils justifient de deux lettres des 24 mars et 10 avril 2003 restées sans réponse, la première étant rédigée comme suit:
"Votre responsable Madame Folcken, nous informe que depuis le 10 mars dernier, vous ne vous êtes pas présentée à votre travail."
Il résulte de ces versions incohérentes que la salariée ne démontre pas que l'employeur a modifié ses conditions de travail de façon inacceptable, lui rendant imputable la rupture du contrat, puisqu'elle ne justifie pas de sa reprise après son congé maternité.
Les faits invoqués pour justifier la rupture à la charge de l'employeur n'étant pas établis, la rupture s'analyse en démission de la salariée.
La société Sica étant redevenue in bonis, l'AGS IDF sera tenue de garantir les sommes mises à la charge de l'employeur à défaut de disponibilités suffisantes et dans la limite de la garantie légale fixée par les articles L. 143-11-8 et D. 143-2 du Code du travail.
L'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Johanna Slama le montant de ses frais irrépétibles; il lui sera alloué la somme de 1 200 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure.
Par ces motifs, Infirme le jugement du Conseil de prud'hommes de Douai du 4 mars 2005, sauf en ce qu'il a débouté Johanna Slama de sa demande de réolution des contrats de travail aux torts des employeurs. Condamne l'Association des Aveugles et Handicapés Visuels d'Alsace-Lorraine à payer à Johanna Slama la somme de 4471,05 euro (quatre mille quatre cent soixante et onze euro et 05 cts) au titre de l'accord du 3 octobre 1975. Condamne la société Sica à payer à Johanna Slama la somme de 5 823,90 euro (cinq mille huit cent vingt trois euro et 90 cts) au titre de l'accord du 3 octobre 1975. Dit que le présent arrêt est opposable à l'AGS IDF dans la limite de sa garantie légale et à défaut de disponibilités suffisantes de la société Sica. Met hors de cause Maître Brignier, ès qualité d'administrateur judiciaire. Condamne l'Association des Aveugles et Handicapés Visuels d'Alsace-Lorraine et la société Sica à payer solidairement à Johanna Slama la somme de 1 200 euro (mille deux cents euro) par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne l'Association des Aveugles et Handicapés Visuels et la société Sica au paiement des dépens de première instance et d'appel.