Cass. com., 6 novembre 2007, n° 06-15.355
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Sade Compagnie générale de travaux d'hydraulique (SA), Colas Est (Sté), Eurovia Lorraine (Sté), Cereda (Sté)
Défendeur :
Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
Mme Maitrepierre
Avocat général :
M. Mellottée
Avocats :
Me Le Prado, SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky
LA COUR : - Joint les pourvois n° 06-15.355 et 06-15.371, qui attaquent le même arrêt; - Donne acte à la société Sade Compagnie générale des travaux d'hydraulique de son désistement du pourvoi n° 06-15.355 en tant que dirigé contre les sociétés Eurovia Lorraine et Cereda; - Donne acte à la société Colas Est de son désistement du pourvoi n° 06-15.371 en tant que dirigé contre les sociétés Eurovia Lorraine, Cereda et Sade;
Sur le premier moyen du pourvoi formé par la société Sade et le moyen unique du pourvoi formé par la société Colas, réunis : - Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 25 avril 2006), que, saisi par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie de diverses pratiques mises en œuvre au cours des années 1996 à 1998 lors de la passation de marchés de travaux publics dans le département de la Meuse, le Conseil de la concurrence (le Conseil), a, par décision du 9 juin 2005 (n° 05-D-26), estimé que plusieurs sociétés, dont la société Sade Compagnie générale de travaux hydrauliques (la société Sade) et la société Colas Est, venant aux droits de la société Axima (la société Colas), s'étaient rendues coupables de faits d'entente, prohibés par l'article L. 420-1 du Code de commerce, en échangeant des informations préalablement au dépôt de leurs offres, la première pour le marché de Longeville en Barrois, la seconde pour le marché de Verdun, et a infligé à ces dernières une sanction pécuniaire s'élevant respectivement aux sommes de 5 000 000 et de 189 000 euro;
Attendu que les sociétés Sade et Colas font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur recours contre la décision du Conseil, alors, selon le moyen : 1°) que toute personne a le droit, à toutes les étapes de la procédure, d'être informée en détail de la nature et de la cause de l'accusation portée contre elle ; que la partie poursuivie n'est pas suffisamment informée de ce qui peut lui être reproché lorsque des griefs que le rapporteur a expressément abandonnés sont repris en cours de délibéré par le Conseil de la concurrence; qu'en retenant que la notification des griefs initiaux est suffisante pour assurer le respect du principe du contradictoire et des droits de la défense sans qu'il soit nécessaire que le Conseil de la concurrence soit tenu d'aviser la partie poursuivie de son intention de retenir des griefs qui n'avaient pas été détaillés dès lors que le rapporteur les avait abandonnés, la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et l'article L. 463-1 du Code de commerce; 2°) que dès lors que le rapporteur proposait l'abandon de la totalité des griefs notifiés à la société Sade et que rien ne permettait de prévoir celui d'entre eux que le Conseil de la concurrence reprendrait lors de son délibéré, la circonstance que les parties ont disposé d'un délai de deux mois pour faire valoir leurs observations sur le rapport ne suffisait pas à assurer le plein exercice des droits de la défense; qu'en estimant néanmoins que ceux-ci n'avaient pas été méconnus, la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et l'article L. 463-1 du Code de commerce; 3°) que la constatation selon laquelle le commissaire du Gouvernement demandait, dans ses observations écrites, le maintien du grief n° 2 relatif à la participation des entreprises à une concertation généralisée portant sur les huit marchés examinés ne constitue qu'un élément purement contingent, rien, dans la lettre de l'article 36, alinéa 2, du décret du 30 avril 2002, ne permettant de faire dépendre le sort d'un grief de l'opinion exprimée par le commissaire du Gouvernement; qu'en considérant que la constatation selon laquelle le commissaire du Gouvernement avait demandé le maintien de griefs permettait de conclure à l'absence de violation du principe du contradictoire, la cour d'appel a violé les articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme, L. 463-1 du Code de commerce et 36 alinéa 2 du décret du 30 avril 2002; 4°) que la possibilité pour une partie de prendre connaissance quinze jours avant la séance des observations du commissaire du Gouvernement et d'y répondre oralement lors d'une séance du Conseil de la concurrence ne peut, en toute hypothèse, pallier, dans une procédure qui est essentiellement écrite, l'impossibilité de s'expliquer par écrit sur les griefs abandonnés par le rapporteur ; qu'en considérant que les droits de la défense avaient été respectés et qu'il n'y avait pas lieu de rouvrir l'instruction et les débats pour discuter des griefs initiaux abandonnés par le rapporteur et repris par le Conseil de la concurrence, la cour d'appel a violé les articles 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et L. 463-1 du Code de commerce; 5°) que si la disposition de l'article 36 du décret du 30 avril 2002 pouvait avoir comme effet de permettre au Conseil de la concurrence d'examiner le bien-fondé de tous les griefs notifiés, malgré la proposition d'abandon de ces griefs par le rapporteur, ce sans rouvrir les débats, elle serait alors illégale au regard des articles L. 463-1 et L. 663-2 du Code de commerce et de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, dont il résulte qu'est proscrit le caractère aléatoire d'une incrimination susceptible d'être reprise par l'autorité de décision malgré son abandon par l'organe d'instruction; 6°) que lorsque le rapporteur propose au Conseil de la concurrence dans son rapport l'abandon d'un grief préalablement notifié à une entreprise, le Conseil de la concurrence ne peut retenir l'existence de ce grief sans réouvrir les débats et inviter l'entreprise à s'expliquer; que si le Conseil de la concurrence n'est en effet pas lié par les appréciations développées par le rapporteur, l'entreprise qui doit pouvoir faire valoir ses observations sur le rapport avant que le Conseil ne statue est privée de cette possibilité lorsque le rapporteur propose au Conseil l'abandon d'un grief que celui-ci décide en définitive de retenir; qu'en estimant que le Conseil de la concurrence peut statuer dans un tel cas de figure sans réouvrir les débats, la cour d'appel a violé l'article L. 463-2 du Code de commerce, l'article 6 § 3 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, et a fait une fausse application des dispositions de l'article 36, alinéa 2 du décret du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce; 7°) que le Conseil de la concurrence ne peut, et a fortiori lorsque le rapport demande l'abandon d'un grief, sans, à tout le moins, ordonner la réouverture des débats, fonder sa décision sur la considération d'un document, fût-il annexé à la notification de griefs, qui n'a pas été invoqué dans cette notification, non plus que dans le rapport; qu'en affirmant que le Conseil de la concurrence pouvait prendre en compte une déclaration de M. Solignac, directeur adjoint de la société Aximo, simplement annexée à la notification de griefs, sans même ordonner la réouverture des débats, la cour d'appel a encore violé l'article L. 463-2 du Code de commerce et l'article 6 § 3 de la Convention européenne des Droits de l'Homme;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant relevé qu'un débat contradictoire avait été offert aux parties, dès la notification des griefs, sur l'ensemble des faits et que les sociétés avaient ainsi pu présenter leurs observations sur les griefs notifiés, puis sur le rapport établi en réponse, et exactement énoncé que le rapport soumet à la décision du Conseil une analyse des faits et de l'ensemble des griefs notifiés, c'est sans violer le principe de la contradiction, que la cour d'appel a décidé que le Conseil n'était pas tenu de rouvrir les débats sur les griefs dont le rapporteur proposait l'abandon;
Et attendu, en second lieu, qu'ayant constaté que les déclarations de M. Solignac figuraient en annexe de la notification des griefs, la cour d'appel a justement retenu que le Conseil pouvait fonder sa décision sur ces déclarations, qui avaient été soumises au débat contradictoire; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;
Et attendu que les deuxième et troisième moyens du pourvoi formé par la société Sade ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi;
Par ces motifs : Rejette les pourvois.