Conseil Conc., 24 octobre 2007, n° 07-D-34
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché de la restructuration de l'Hôpital Saint-Léon à Bayonne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de Mme Jaillon, par Mme Aubert, vice-présidente présidant la séance, Mme Béhar-Touchais, MM. Combe, Flichy, Piot, Ripotot, membres.
Le Conseil de la concurrence (Section IV),
Vu la lettre enregistrée le 24 novembre 2004, sous le numéro 04/0089 F, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés Mas, GTM GCS et Faure-Silva ; Vu les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par les sociétés Mas, GTM GCS, Faure-Silva et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Mas, GTM-GCS et Faure-Silva entendus lors de la séance du 25 septembre 2007 ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LE MARCHE PUBLIC CONCERNE
1. Le 7 septembre 2001, le Centre hospitalier de la Côte basque a lancé un appel d'offres en vue de la restructuration de l'hôpital de Bayonne. La date limite de réception des offres, fixée initialement au 3 décembre 2001, a finalement été reportée au 31 janvier 2002.
2. Les travaux concernaient 56 000 m2 à restructurer, dont 17 000 m2 à réhabiliter et 39 000 à reconstruire, étant précisé que tous les services de l'hôpital devaient continuer à fonctionner durant l'opération. La première tranche de travaux comportait treize lots, dont le lot n° 2 construction. La prévision initiale de la durée des travaux était fixée à cinq ans.
3. A l'issue de la consultation, deux offres ont été présentées pour le lot n° 2 construction, l'une par la société Mas et l'autre par le groupement GTM GCS/Faure-Silva.
4. Ces offres dépassaient l'estimation du donneur d'ordre de 56,86 %, s'agissant de l'offre de base de la société Mas et de 60,83 %, s'agissant de celle du groupement GTM GCS/Faure-Silva. Par ailleurs, les douze autres lots du marché, à l'exception du lot n° 1 dépassaient l'estimation du maître d'œuvre d'au moins 30 %.
<emplacement tableau>
5. La commission d'appel d'offres, après avoir décidé de déclarer l'ensemble des lots infructueux, a relancé une nouvelle consultation le 16 mai 2002, avec une date limite de réception des offres fixée au 22 juillet 2002.
6. L'estimation du projet, très peu modifié sur le plan technique par rapport à la première consultation, a été réévaluée de 18,27 %, le lot n° 2 voyant son estimation relevée de 30,45 %.
7. Alors que trois entreprises, Mas, GTM et Duhalde, avaient retiré un dossier de consultation, le lot principal n° 2 n'a recueilli qu'une seule offre émanant du groupement d'entreprises Mas/GTM-Faure-Silva pour un montant de 32 950 000 euro HT, soit une augmentation de 3,63 % par rapport à la précédente offre de base de la société Mas et de 24 % par rapport à la nouvelle estimation du marché.
8. Le rapport d'analyse des offres établi par la maîtrise d'œuvre proposait à la commission d'appel d'offres de déclarer l'appel d'offres infructueux pour le lot n° 2 et de relancer pour ce lot un marché négocié sans publication, afin d'obtenir de meilleurs résultats avec le groupement.
9. A l'issue de la réunion du 31 octobre 2002, la commission d'appel d'offres a toutefois décidé d'attribuer le lot n° 2 au groupement Mas/GTM/Faure-Silva.
B. LES ENTREPRISES
La société Mas
10. Cette société est une société anonyme dont le siège est à Pau et qui dispose d'une agence à Bayonne.
La société GTM GCS
11. GTM GCS est une filiale de GTM Construction qui fait partie du pôle construction du groupe Vinci. GTM GCS est organisée en directions régionales, dont la direction régionale du Sud-Ouest.
La société Faure-Silva
12. La société Faure-Silva est une filiale de GTM Construction, dont le siège social est situé à Bayonne.
C. LES PRATIQUES
13. L'unité marchés publics du secteur de Bayonne de la DGCCRF des Pyrénées-Atlantiques a diligenté une enquête relative aux conditions dans lesquelles les sociétés Mas, GTM GCS et Faure-Silva ont soumissionné au marché de restructuration de l'hôpital de Bayonne. Il est apparu suspect que ces entreprises, seules candidates, qui avaient soumissionné séparément lors du premier appel d'offres, se soient groupées lors du second appel d'offres et aient proposé un prix nettement supérieur aux prix offerts lors de la première consultation, pour des prestations sensiblement identiques.
14. Les enquêteurs, s'appuyant sur les indices de prix BT01 (tout corps d'État), BT02 (terrassements), BT03 (maçonnerie en béton) et BT50 (rénovation), publiés au Moniteur, ont en effet souligné que l'inflation ne pouvait que partiellement expliquer l'augmentation des prix en l'espace de moins de six mois. Une telle hausse ne pouvait pas davantage être justifiée par la nécessité d'anticiper les risques inhérents à ce type de chantiers, puisque les sociétés avaient dû déjà en tenir compte dans leurs premières offres. Ils ont enfin noté que le volume des travaux mensuels confié aux entreprises était très inférieur à celui qui est habituellement demandé pour ce type de chantiers et que la comparaison du marché de restructuration de cet hôpital avec celui de reconstruction de l'hôpital de Perpignan laissait apparaître, sur des postes communs, un différentiel de coût important et difficilement explicable.
15. Selon la DGCCRF, la constitution d'un groupement entre les sociétés Mas, GTM GCS et Faure-Silva pour répondre au second appel d'offres pouvait avoir pour but d'assécher la concurrence, dans la mesure où tant Mas que le groupement GTM GCS/Faure-Silva disposaient des moyens techniques et humains pour faire face, seuls, à ce chantier. Ainsi, le nombre d'ouvriers nécessaire a été évalué entre trente-cinq et quarante avec des variations importantes, ce qui apparaissait surmontable pour des sociétés de la taille de Mas ou de GTM GCS/Faure-Silva. Enfin, le chiffre moyen hors taxe par an de ce chantier a été estimé à 3 625 K, coût pouvant être supporté par la seule société Mas ou le seul groupement GTM GCS/Faure-Silva.
16. En outre, au cours des visites opérées dans les locaux des sociétés Mas, GTM GCS et Faure-Silva, des documents ont été saisis, confortant des soupçons d'échanges d'informations entre ces sociétés avant le premier appel d'offres.
17. Ainsi, il a été trouvé à l'agence régionale de Mérignac de la société GTM GCS un tableau d'études d'exécution des travaux du lot n° 2 - construction daté du 31 janvier 2002, comportant sur deux colonnes dix-sept totaux. L'addition des dix-sept totaux de la colonne de droite donne un résultat de 22 185 125 euro, somme qui correspond à la proposition faite lors de la seconde consultation, pour le lot n° 2-01 - gros œuvre (23 384 440 euro) diminuée du sous-total n° 17.1 "Divers", soit 1 199 315 euro.
18. Or, tant la date de ce tableau, concomitante à la date limite de réception des offres du premier appel d'offres, que la similitude du prix avec l'offre proposée par le groupement lors du second appel d'offres a pu laisser penser que Mas, GTM GCS et Faure-Silva avaient, dès le premier appel d'offres, prévu une autre proposition que celles qu'elles allaient faire initialement.
19. Divers documents ont été en outre saisis témoignant de la connaissance qu'avaient les sociétés de leur position respective lors du premier appel d'offres et de l'état d'avancement de la procédure. Ainsi, dans un cahier saisi à l'agence GTM GCS de Mérignac, il est indiqué : " 25 juin 2002 - Hôpital de Bayonne 1er tour 2e derrière Mas, 2e tour en cours (30/7 ?) ".
20. Dans un autre cahier provenant du bureau de Monsieur Simon au siège de la société Mas, il est mentionné : "le 15 mars 2002 : Dassié : hôpital St Léon. Prix des postes élevés. Réponse pour le 20 juillet, AO vers le 5 à 10 mai, commission des marchés le 26 mars".
21. Il apparaît donc que, nanties de ces renseignements sur la situation de chacune d'elles et sur les aléas du premier appel d'offres, les trois sociétés, après avoir soumissionné séparément au premier appel d'offres, ont, lors du second appel d'offres, constitué un groupement sans qu'il soit justifié par des raisons d'ordre technique ou économique.
D. LES GRIEFS NOTIFIES
22. Sur la base des constatations qui précèdent, un grief a été notifié, sur le fondement de l'article L. 420-1 du Code de commerce, aux sociétés Mas, GTM GCS et Faure-Silva pour : "avoir courant 2002, dans le cadre du marché de restructuration de l'hôpital de Bayonne, mis en œuvre une entente anticoncurrentielle en échangeant des informations sur leurs offres respectives avant le premier tour de l'appel d'offres et en constituant un groupement d'entreprises au second tour, alors que la constitution de ce groupement ne se justifiait pas et d'avoir ainsi empêché, restreint et faussé le jeu de la concurrence sur ce marché en limitant l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises et en faisant obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse".
II. Discussion
A. SUR LA CONSTITUTION DU GROUPEMENT
a) La pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence
23. En vertu d'une pratique décisionnelle constante, le Conseil de la concurrence estime que "la constitution par des entreprises indépendantes et concurrentes d'un groupement en vue de répondre à un appel d'offres n'est pas en soi illicite" (décisions n° 95-D-83 du 12 décembre 1995, n° 04-D-20 du 14 juin 2004, n° 05-D-24 du 31 mai 2005).
24. Il considère également que "de tels groupements peuvent avoir un effet pro-concurrentiel s'ils permettent à des entreprises, ainsi regroupées, de concourir alors qu'elles n'auraient pas été en état de le faire isolément ou de concourir sur la base d'une offre plus compétitive. Ils peuvent, en revanche, avoir un effet anticoncurrentiel s'ils provoquent une diminution artificielle du nombre des entreprises candidates, dissimulant une entente anticoncurrentielle ou de répartition des marchés. Si l'absence de nécessité technique et économique de nature à justifier ces groupements peut faire présumer leur caractère anticoncurrentiel, elle ne suffit pas à apporter la preuve d'un tel caractère" (décisions n° 04-D-57 du 16-11-2004 ; n° 01-D-16 du 24-04-2001 ; n° 03-D-19 du 15-04-2003).
25. La Cour d'appel de Paris a rappelé, dans un arrêt du 18 février 2003 (syndicat intercommunal de l'eau de Dunkerque), que la formule du groupement pouvait avoir plusieurs justifications pour une entreprise qui y a recours : l'aider à acquérir une compétence lui faisant défaut, s'assurer de meilleures chances de succès, répartir la charge de travail afin de gagner en souplesse, la mettre en situation de réaliser des travaux qu'il lui aurait été difficile de réaliser seule compte-tenu de leur importance. La pertinence de ces justifications techniques est appréciée au cas par cas, en évaluant leur effet sur l'intensité de la concurrence résiduelle une fois le groupement formé.
26. Le Conseil a également eu l'occasion de préciser les justifications techniques jugées acceptables au regard de la préservation de la concurrence. Ainsi, dans une décision n° 05-D-24 du 31 mai 2005, il a relevé que "la complémentarité technique entre les membres d'un groupement peut tout autant recouvrir l'addition de spécialités différentes, de procédés techniques exclusifs, de facilités d'approvisionnement en matériaux que la simple disponibilité de matériels et de personnels. L'existence supposée ou avérée de moyens matériels et humains au sein d'une entreprise ne permet pas de préjuger des capacités de mobilisation rapide voire simultanée, sur un territoire géographique aussi étendu qu'un département dans le cadre d'un processus de réalisation technique de travaux offrant peu de souplesse. Une soumission en partenariat permet d'accroître les marges de manœuvre en termes de moyens mobilisables".
27. Il a aussi, dans une décision n° 02-D-17 du 12 mars 2002, plus spécifiquement relative à des pratiques relevées dans le cadre de la passation de marchés pour la rénovation d'un centre hospitalier, rejeté l'existence d'une pratique d'entente anticoncurrentielle du fait de la constitution d'un groupement, lors d'une seconde procédure d'appel d'offres, entre deux entreprises ayant soumissionné indépendamment l'une de l'autre lors d'une première procédure d'appel d'offres (procédure annulée par la suite) et ce, alors même que le groupement avait proposé un prix supérieur à celui offert lors du premier tour par l'un des partenaires, déclaré moins-disant lors de cette première consultation. La Cour d'appel de Paris, le 16 octobre 2002, confirmant cette décision, a considéré que "la constitution du groupement n'était pas dépourvue de justification sur le plan technique ou économique" dans la mesure où ce groupement s'expliquait par la volonté de s'associer avec l'entreprise qui avait réalisé la meilleure étude de prix permettant de proposer l'offre la plus compétitive, de joindre les compétences et la notoriété d'une entreprise locale et d'une entreprise d'envergure nationale ou encore par l'augmentation des carnets de commande des entreprises soumissionnaires entre les deux appels d'offres.
28. Le Conseil considère enfin que "si l'absence de nécessités techniques ou économiques de nature à justifier ces groupements peut faire présumer de leur caractère anticoncurrentiel, elle ne suffit pas à apporter la preuve d'un tel caractère" (décision n° 07-D-01 du 17 janvier 2007).
b) L'application au cas d'espèce
29. S'agissant de l'offre proposée par le groupement, les éléments du dossier et les observations des parties n'ont pas permis de déterminer que le prix proposé par le groupement était effectivement surévalué, contrairement aux constatations figurant au paragraphe 14. En effet, il est établi que le maître de l'ouvrage avait sous-évalué le montant des travaux et leur complexité, que des prestations complémentaires avaient été demandées dans le cadre du second appel d'offres et qu'enfin les circonstances économiques avaient évolué, tous éléments pouvant expliquer la hausse du prix entre les deux appels d'offres.
Une sous-évaluation du montant des travaux par le maître de l'ouvrage
30. L'étude du dossier laisse apparaître que, contrairement à ce qu'indiquait l'avis d'appel d'offres, les opérations, particulièrement complexes, ne portaient pas sur 56 000 m2, mais sur 61 151 m2, ainsi qu'en atteste le permis de construire. Il en résulte donc que sur la base du mètre carré retenu par le maître d'œuvre lui-même, soit 914,70 euro (6 000 francs) pour les surfaces à réhabiliter et 1 265,30 euro (8 300 francs) pour les surfaces neuves, la sous-estimation du marché est comprise entre 4 711 589,30 euro (soit 30 906 000 francs) et 6 517 698,57 euro (soit 42 753 300 francs).
31. En outre, des erreurs de calcul ont été commises par le maître d'œuvre dans le cadre de la première consultation, conduisant à une sous-évaluation du prix. En effet, sur la base de 39 000 m2 à reconstruire à 8 300 francs le m2, et 17 000 m2 à réhabiliter à 6 000 francs le m2 , l'estimation aurait dû ressortir à 64 894 546,64 euro HT, soit une sous estimation de 7 596 006 euro HT (64 897 546,64 - 57 301 540).
32. De surcroît, le maître d'œuvre n'a pas pris en compte diverses prestations, telles que notamment les protections acoustiques, la protection coupe-feu, la signalétique intérieure, le tout représentant, selon le devis de la société Mas, 1 613 275 euro et, selon le devis de GTM GCS/Faure-Silva, 1 714 669 euro. Ainsi, en ne retenant que les erreurs de superficie et de calcul, on observe une sous-estimation du montant global des travaux comprise entre 12 307 595 euro HT et 14 113 704 euro HT lors du premier appel d'offres.
Des prestations complémentaires demandées entre les deux tours
33. La lecture du second appel d'offres permet de noter qu'au plan des modifications techniques (prestations supplémentaires), les voiles en béton armé (BA) extérieurs en façade (lot 2-1 poste 15) ont été modifiés dans le cahier des charges de la deuxième consultation, entraînant une augmentation de prix significative.
L'évolution des circonstances économiques
34. Il y a lieu tout d'abord de constater qu'en se fondant sur l'annexe 02 du Cahier des Clauses Administratives Particulières, les indices pertinents sont le BT06 (gros-œuvre) pour le lot 02-01, le BT08 (cloisons, doublages, murs mobiles) pour le lot 02-02 et 02-06 et le BT18 (menuiseries intérieures) pour le lot 02-03. Ils ont crû sur la période considérée, respectivement de 2,46 %, 2,42 % et 1,2 %, ce qui explique l'augmentation du prix des prestations de 2 % sur les postes principaux (lot 02-01).
35. En outre, une modification réglementaire explique aussi l'augmentation du prix des terrassements, du fait de l'accroissement des frais de décharge. En effet, la loi 92-646 du 13 juillet 1992 relative à l'élimination des déchets ainsi qu'aux installations classées pour la protection de l'environnement prévoyait en son article 2-1, qu'à compter du 1er juillet 2002, les installations d'élimination des déchets par stockage seraient uniquement autorisées à accueillir des déchets qui n'auraient pas pu être recyclés ou incinérés par les propriétaires de ces déchets dans des conditions économiques acceptables. Ces changements ont entraîné une augmentation du coût de la reprise des déchets, notamment du coût de leur transport, pour les propriétaires des déchets et notamment les entreprises de travaux publics. La mise en œuvre de cette loi a également conduit à la mise en place de sites de gestion de déchets conformes à ces nouvelles règles ; certaines déchèteries ont ainsi dû fermer, parfois temporairement, le temps de leur mise à niveau, ce qui a été le cas de la déchèterie de Bacheforès située au plus près du chantier de Bayonne. Ainsi, cette fermeture et les obligations nouvelles en termes de recyclage pesant sur les entreprises responsables de déchets ont conduit le groupement à revoir à la hausse le coût de la prestation de terrassement.
36. S'agissant des justifications économiques et techniques du groupement avancées par les sociétés en cause, elles sont plausibles. Contrairement aux constatations figurant au paragraphe 15, l'appréciation de la capacité de chaque société à exécuter seule ce marché, n'est pas fonction de leur effectif global mais du nombre de salariés dépendant de la structure locale, puisqu'il n'est pas envisageable, pour des raisons de logistique et de coût financier, que ces entreprises puissent allouer à tout moment leurs ouvriers à n'importe quel chantier sur l'ensemble du territoire. Il ne peut donc être affirmé qu'en raison de leurs dimensions nationales, ces sociétés avaient l'effectif suffisant pour faire face, seules, à ce chantier.
37. La comparaison entre le chiffre d'affaires d'une société et le chiffre d'affaires moyen annuel du chantier ne donne pas d'indication pertinente sur la capacité financière de chacune d'elles à assumer le chantier. En effet, l'engagement financier que souscrit une société couvre la totalité du chantier, soit près de six ans de travaux, en prenant en compte les trois mois de préparation du chantier et les intempéries évaluées à un mois par an.
38. Il s'agissait en outre d'un chantier lourd et complexe, en raison de l'imprécision du dossier de consultation, des retards de décision des donneurs d'ordre, des importantes fluctuations du nombre d'ouvriers en fonction des phases de travaux et de la gestion des interphases dans la mesure où les travaux se déroulent dans des locaux où l'activité de l'hôpital est en cours. Dès lors, l'argument des sociétés selon lequel elles ont souhaité mutualiser leurs risques ne peut, par principe, être rejeté.
39. D'ailleurs, et ainsi que l'ont fait observer les sociétés, la restructuration de l'hôpital de Bayonne a déjà pris environ trois ans de retard et ne sera pas achevée avant 2011 dans le meilleur des cas, c'est-à-dire si le planning initial est respecté. Il y a lieu de noter, en outre, que plus de 130 devis portant sur des travaux supplémentaires non-prévus initialement ont été élaborés par le groupement GTM GCS, Faure-Silva et Mas entre juin 2003 et décembre 2006.
40. Par ailleurs, le maître d'œuvre a lui-même admis l'existence de ces risques et difficultés ; en effet, dans son rapport d'analyse des offres du second tour, il a justifié le fait que les prix fixés par le groupement pour ce qui concerne, d'une part, les études réalisées en vue du marché et, d'autre part, les installations de chantier, représentaient un pourcentage du prix global supérieur à ceux généralement constatés, en invoquant précisément "la complexité du projet et l'importance des travaux de restructuration" ainsi que " la longueur du chantier et des difficultés liées au phasage de l'opération ".
41. Les enquêteurs ont, eux aussi noté dans leur rapport d'enquête, qu'un groupement pouvait se justifier : " la complexité des travaux à réaliser dans un hôpital en activité (peut) justifier que les entreprises aient pris des précautions en se groupant ".
42. Enfin, il n'a pas été établi que le groupement de ces sociétés avait eu pour objet ou pour effet d'assécher la concurrence. En premier lieu, il convient de constater que, lors d'une réunion organisée par le maître d'œuvre quelques jours après la publication du second appel d'offres, d'autres sociétés étaient représentées, ce qui laissait présager une certaine concurrence sur ce marché autorisant les sociétés Mas, GTM GCS et Faure-Silva à croire qu'elles ne seraient pas les seules à soumissionner. En second lieu, aucun élément du dossier ne permet d'affirmer que des concurrents potentiels aient renoncé à déposer une offre du fait de la constitution de ce groupement.
B. SUR LES INDICES MATERIELS DE L'ENTENTE
43. Les documents saisis lors des visites opérées dans les locaux des sociétés GTM GCS et Mas ne permettent pas de conclure à l'existence d'échange d'informations entre ces sociétés avant le premier appel d'offres.
44. En effet, s'agissant d'abord du tableau d'étude d'exécution des travaux du lot n° 2 construction daté du 31 janvier 2002 trouvé chez GTM GCS, il s'agit d'un document de travail transmis après la publication du second appel d'offres et dont le contenu montre que la date est erronée.
45. En effet, il mentionne expressément les modifications apportées au poste 15 "façades BA ouvrages neufs" au cours du second appel d'offres, à savoir "solution de base = panneaux préfabriqués Béton dans les zones rainurées sur les plans de façades. Voiles coulés en place en béton de teinte naturelle ailleurs". Deux courriers attestant d'ailleurs d'échanges entre le maître d'œuvre et la société Mas, à ce sujet, sont datés des 28 juin 2002 et 4 juillet 2002, soit après la publication du second appel d'offres.
46. S'agissant, en second lieu, des notes extraites, pour l'une, d'un cahier saisi chez GTM GCS et pour l'autre d'un cahier tenu par un responsable de la société Mas (§ 19 et 20), elles mentionnent toutes une date postérieure au dépôt des offres du premier appel d'offres. Elles ne peuvent donc constituer la preuve d'un échange illicite d'informations avant le premier appel d'offres.
47. Il résulte de ce qui précède que la pratique d'entente anticoncurrentielle par le biais d'échange d'informations avant le premier tour de l'appel d'offres et par la constitution d'un groupement d'entreprises au second tour n'est pas établie.
DÉCISION
Article unique : Il n'est pas établi que les sociétés Mas, GTM GCS et Faure-Silva aient enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.