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Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 21 mars 2006, n° 04-03563

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Atlas (SA), Société Bretonne de Tôlerie et de Serrurerie (SARL)

Défendeur :

Société industrielle du Ponant (SA), Géniteau (ès qual.), Etat français - ministère de la Défense

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Guillanton

Conseillers :

Mmes Nivelle, Cocchiello

Avoués :

SCP Gauvain & Demidoff, SCP Gautier-Lhermitte, SCP Bourges

Avocats :

Mes Cousin, Bazire, Gaultier

TGI Rennes, du 12 mars 2004

12 mars 2004

Exposé des faits - procédure - objet du recours

La Société industrielle du Ponant est titulaire d'un brevet déposé le 27 octobre 1997, enregistré sous le numéro 97 13670 et intitulé " Porte pivotante du type comportant au moins un battant sur lequel sont montés parallèles deux tringles par l'intermédiaire de biellettes ",

Le brevet français a été délivré le 17 décembre 1999;

Estimant que le modèle de porte objet du brevet, destiné à équiper notamment les navires de guerre, avait été contrefait par les sociétés Atlas et STBS qui fabriquaient et commercialisaient des portes reproduisant les principales caractéristiques du brevet, la Société industrielle du Ponant, après avoir été autorisée à faire pratiquer une saisie-contrefaçon par ordonnance du Président du Tribunal de grande instance de Rennes en date du 23 avril 1999, a fait assigner les sociétés Atlas et SBTS devant le Tribunal de grande instance de Rennes;

L'Etat français - ministère de la Défense est intervenu volontairement à la procédure;

Par un premier jugement en date du 25 janvier 2002, le Tribunal de grande instance de Rennes a sursis à statuer sur les demandes présentées par la société Atlas qui avait parallèlement déposé une demande de brevet européen;

La Société industrielle du Ponant ayant fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, et bénéficié d'un plan de continuation, Maître Géniteau, ès qualité de commissaire à l'exécution du plan est intervenu à la procédure;

Par jugement du 12 mars 2004 le Tribunal de grande instance de Rennes a:

* reçu en leurs interventions forcée l'Etat français - ministère de la Défense, et Maître Géniteau ès qualité d'administrateur judiciaire puis ès qualité de commissaire à l'exécution du plan de cession de la Société industrielle du Ponant;

* rejeté toutes les exceptions de nullité soulevées par les sociétés Atlas et SBTS;

* dit que la Société industrielle du Ponant a bénéficié des droits attachés au brevet français n° 97-13670 et au brevet européen n° 0911469 se substituant, pour la France, au brevet français pour la période allant du 27 octobre 1997 eu 30 juin 2003;

* dit que la Société industrielle du Ponant ne peut opposer à l'Etat français - ministère de la Défense, directions des constructions navales, le brevet français susvisés et le brevet européen précité le substituant pour ses besoins propres et ceux des tiers désignés dans le marché n° A9544720 notifié le 9 août 1995 à la SA Tôlerie du Ponant aux droits de laquelle vient la Société industrielle du Ponant;

* dit que le brevet français n° 97-13670 et le brevet européen n° 0911469 le substituant détenus par la Société industrielle du Ponant sont opposables aux sociétés Atlas et SBTS du 15 janvier 1999 au 30 juin 2003;

* rejeté la demande en nullité du brevet n° 97-13670 sollicité par l'Etat français - ministère de la Défense, direction des constructions navales;

* déclaré recevable et fondée l'action en contrefaçon diligentée par la Société industrielle du Ponant et Maître Géniteau ès qualité contre les sociétés Atlas et SBTS

* condamné in solidum ces deux sociétés à payer à la Société industrielle du Ponant et à Maître Géniteau ès qualité la somme de 107 000 euro;

* rejeté toutes les autres demandes;

* dit n'y avoir lieu à exécution provisoire;

* condamné la société Atlas et la SBTS à payer à la Société industrielle du Ponant et à Maître Géniteau ès qualité la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

La société Atlas et la Société Bretonne de Tôlerie et de Serrurerie ont interjeté appel de cette décision;

Elles demandent à la cour aux termes de leurs conclusions récapitulatives en date du 11 janvier 2006:

A titre principal

* de prononcer la nullité de l'assignation du 21 mai 1999;

* de prononcer la nullité de la saisie-contrefaçon effectuée le 11 mai 1999;

Subsidiairement de débouter la Société industrielle du Ponant et Maître Géniteau ès qualité de l'ensemble de leur demande tant sur la contrefaçon que sur la concurrence déloyale et de les condamner au paiement de la somme de 76 225 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

De condamner les même au paiement de la somme de 3 810 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Dans des conclusions récapitulatives en date du 9 janvier 2006 la Société industrielle du Ponant et Maître Géniteau, ès qualité d'administrateur judiciaire puis de commissaire à l'exécution du plan de la Société industrielle du Ponant demandent à la cour :

* de débouter les sociétés appelantes et l'Etat français de leurs appels et de l'ensemble de leurs demandes;

Formant appel incident, de :

* réformer partiellement le jugement du Tribunal de grande instance de Rennes du 22 mars 2004 en ce qu'il a limité à la période du 27 octobre 1997 au 30 juin 2003 la durée de la protection de la Société industrielle du Ponant du fait des brevets en cause;

* en ce qu'il a limité à 107 000 euro le préjudice subi par la Société industrielle du Ponant;

Y additant, de :

- dire que le brevet français n° 97-13670 est opposable aux sociétés Atlas et SBTS sans limitation de durée sur le territoire français;

- condamner in solidum les sociétés Atlas et SBTS à payer à la Société industrielle du Ponant et Maître Géniteau ès qualité les sommes de :

* 304 900 euro en réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation des 20 et 21 mai 1999 et jusqu'à parfait paiement;

* 150 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale;

* 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Ils demandent également à la cour d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir aux frais des appelantes ;

Aux termes de ses conclusions en date du 22 décembre 2004, l'Etat français - ministère de la Défense, Direction des Constructions Navales, demande à la cour :

- de lui donner acte de ce qu'il fait siennes les exceptions de nullité de l'assignation et du procès-verbal de saisie formées par les sociétés appelantes;

Infirmer le jugement dont appel et statuant à nouveau, de :

- prononcer la nullité du brevet 97-13670 pour défaut de nouveauté en application des articles L. 613-25 et L. 611-11 du Code de la propriété intellectuelle;

- dire que la Société industrielle du Ponant a violé les obligations contractuelles découlant pour elle des articles 52-1, 51-4 et 53-1 du CCAG/MI et qu'en conséquence elle ne peut opposer le brevet 97-13670 ni à l'Etat français ni à la société Atlas;

- déclarer ainsi non fondée la demande en contrefaçon formée par la Société industrielle du Ponant et Maître Géniteau ès qualité et les débouter de l'ensemble de leurs demandes;

- lui donner acte de ce qu'il se réserve de former une demande en dommages et intérêts pour procédure abusive à l'encontre de Maître Géniteau ès qualité;

- condamner dès à présent ce dernier au paiement de la somme de 8 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties la cour se réfère à la décision attaquée, et aux écritures des parties régulièrement signifiées;

MOTIFS DE LA COUR

Sur la nullité de l'assignation et de la saisie-contrefaçon

Considérant que la Société industrielle du Ponant a fait délivrer assignation à la société Atlas et à la Société Bretonne de Tôlerie et de Serrurerie par acte des 20 et 21 mai 1999 en se prévalant de sa demande de brevet n° 9713670 et en reprochant aux sociétés assignées d'en avoir commis la contrefaçon;

Considérant qu'aux termes de l'article 56 du nouveau Code de procédure civile l'assignation doit contenir à peine de nullité l'objet de la demande avec un exposé des moyens en fait et en droit;

Considérant en l'espèce que la Société industrielle du Ponant expose bien dans son assignation qu'elle est titulaire d'une demande de brevet parfaitement identifiée en insistant sur les revendication 1 à 6 de ce brevet; qu'elle vise par ailleurs l'article 615-1 du Code de la propriété intellectuelle et distingue la demande en concurrence déloyale de l'action en contrefaçon proprement dite;

Considérant ainsi que tant l'objet de la demande que son fondement juridique apparaissent suffisamment définis au sens de l'article précité, étant observé que la Société industrielle du Ponant a développé largement sa demande dans ses conclusions ultérieures et que les défendeurs ont eu tout loisir de développer leurs arguments en défense, quand bien même la Société industrielle du Ponant aurait déposé le même jour un brevet européen dont la délivrance a été effectuée le 7 août 2002 et est devenue définitive le 7 mai 2003 ;

Considérant que dûment autorisée par le Président du Tribunal de grande instance de Rennes par ordonnance en date du 23 avril 1999, la Société industrielle du Ponant a fait procéder par Maître Battais, huissier de justice à Redon, aux opérations de saisie-contrefaçon le 11 mai 1999 en application de l'article L. 615-5 du Code de la propriété intellectuelle;

Que le tribunal ayant été valablement saisi par assignation en date du 20 mai suivant la saisie-contrefaçon ne sera pas annulée;

Sur la recevabilité de l'action en contrefaçon

Considérant que le 27 octobre 1997 la Société industrielle du Ponant a déposé une demande de brevet à l'Institut national de la propriété industrielle ; que le brevet a été délivré le 17 décembre 1999;

Que le 1er octobre 1998, elle a déposé une demande de brevet européen EP 0.911.469 désignant la France ; que ce brevet a été délivré le 27 juin 2002 avec effet au jour de sa publication soit le 7 août 2002; qu'il s'intitule : " Porte pivotante du type comportant au moins un battant sur lequel sont montés parallèles deux tringles par l'intermédiaire de biellettes "; qu'il revendique la priorité du brevet français n° 9713670; qu'en application de l'article 9 de la Convention de Munich du 5 octobre 1973, ce brevet est devenu irrévocable le 7 mai 2003 et s'est substitué au brevet français conformément aux dispositions de l'article L. 614-13 du Code de la propriété intellectuelle;

Considérant ainsi que le tribunal a justement estimé que le brevet français avait cessé de produire ses effets le 7 mai 2003, remplacé par le brevet européen couvrant la même invention et appartenant au même inventeur dès lors qu'il n'est pas démontré que la Société industrielle du Ponant a renoncé pour la France à la protection du brevet européen, étant observé que ce brevet européen vise expressément la France (FR) parmi les états désignés ;

Que par ailleurs, si la Société industrielle du Ponant verse au dossier de la cour un récépissé relatif au paiement des droits relatifs au brevet français à la date du 24 octobre 2003, il n'en est pas de même en ce qui concerne le brevet européen;

Que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont estimé que la Société industrielle du Ponant n'était recevable à agir que jusqu'au 30 juin 2003, date à laquelle elle a cessé de payer la redevance due pour le brevet européen;

Sur la nullité du brevet

Considérant qu'en appel l'Etat français - ministère de la Défense soutient à nouveau que le brevet appartenant à la Société Industrielle du Ponant est nul pour défaut de nouveauté;

Considérant qu'il résulte de la combinaison des articles L. 613-25 et L. 611-11 du Code de la propriété intellectuelle que le brevet est déclaré nul si l'invention n'est pas nouvelle, c'est-à-dire si elle est comprise dans l'état de la technique et a été rendue accessible au public avant le dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen;

Que la divulgation de l'invention n'est pas prise en considération si elle a lieu dans les 6 mois précédant la date du dépôt de la demande de brevet selon les dispositions de l'article L. 611-13 du Code de la propriété intellectuelle;

Considérant que la présentation au public de l'objet de l'invention est destructrice de nouveauté dès lors que la présentation de l'objet est susceptible de révéler les moyens du brevet;

Qu'en l'espèce l'Etat français avait passé au mois d'août 1995 avec la société Tôlerie du Ponant, aux droits de laquelle vient la Société industrielle du Ponant à la suite d'une fusion-absorption ayant pris effet le 1er octobre 1996, une marché A 9544720 ayant pour objet la fourniture de portes et panneaux étanches destinés à équiper le navire Sirocco; que la partie étude du marché a été sous traitée à une société Agir au mois de février 1996;

Considérant que les portes ont été montées sur le Sirocco avant sa mise à flots qui a eu lieu le 14 décembre 1996; que les portes présentant des défauts constatés à l'occasion de la visite contradictoire du 20 décembre suivant, des travaux de rectification ont été effectués et terminés le 18 juin 1997;

Considérant qu'aucune confidentialité particulière n'avait été requise pour la construction et qu'aucune précaution n'a été prise lors du transport jusqu'au bateau;

Considérant que la mise à flots du navire s'est effectuée en présence d'un très nombreux public et de la presse; que les portes et leurs caractéristiques techniques constitués par le mécanisme de fermeture étaient accessibles et visibles par tous y compris par l'homme du métier qui a pu apprécier du premier coup d'œil les caractéristiques techniques de l'invention; que notamment apparaissait totalement la tringlerie appliquée sur la face de la porte et qui n'était dissimulée par aucune paroi; que de nombreuses photographies où figurent les portes ont été prises et ont pu être publiées;

Considérant qu'il apparaît ainsi que le brevet dont la Société industrielle du Ponant revendique la propriété doit être annulé pour défaut de nouveauté sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens proposés par l'Etat français;

Considérant que la Société industrielle du Ponant sera de ce fait déboutée de sa demande en contrefaçon et concurrence déloyale;

Considérant que la société Atlas ne démontre pas le caractère abusif de la procédure initiée par la Société industrielle du Ponant ;

Qu'il ne convient pas ailleurs de décerner acte à l'Etat français - ministère de la Défense de ce qu'il se réserve le droit de réclamer des dommages et intérêts;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Atlas et de la Société industrielle du Ponant les frais irrépétibles qu'ils ont exposés en cause d'appel et qu'il y a lieu en conséquence de condamner la Société industrielle du Ponant et Maître Géniteau ès qualité d'administrateur judiciaire puis de commissaire à l'exécution du plan de la Société industrielle du Ponant à payer à la société Atlas et à la Société Bretonne de Tôlerie et de Serrurerie et à l'Etat français - ministère de la Défense la somme de 3 000 euro chacun sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Considérant que succombant en appel la Société industrielle du Ponant et Maître Géniteau ès qualité d'administrateur judiciaire puis de commissaire à l'exécution du plan de la Société industrielle du Ponant seront condamnés aux dépens de première instance et d'appel;

DECISION

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité soulevées par la société Atlas et la Société Bretonne de Tôlerie et de Serrurerie; Le réformant pour le surplus ; Prononce la nullité du brevet français n° 97-13670 pour défaut de nouveauté; Déboute la Société industrielle du Ponant de ses demandes en contrefaçon et concurrence déloyale; Déboute la société Atlas et la Société Bretonne de Tôlerie et de Serrurerie de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive ; Décerne acte à l'Etat français - ministère de la Défense de ce qu'il se réserve le droit de demander des dommages et intérêts ; Condamne la Société industrielle du Ponant et Maître Géniteau ès qualité d'administrateur judiciaire puis de commissaire à l'exécution du plan de la Société industrielle du Ponant à payer à la société Atlas, à la Société Bretonne de Tôlerie et de Serrurerie et à l'Etat français la somme de 3 000 euro à chacun en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Dit que la présente décision sera communiquée au directeur de l'Institut national de la propriété industrielle pour information; Condamne la Société industrielle du Ponant et Maître Géniteau ès qualité d'administrateur judiciaire puis de commissaire à l'exécution du plan de la Société industrielle du Ponant aux dépens de première instance et d'appel ceux-ci pouvant être recouvrés suivant les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.