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Décisions

CA Besançon, ch. soc., 14 février 2006, n° 05-00422

BESANÇON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Carrera Cordoba

Défendeur :

GT Location (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Rey

Conseillers :

Mmes Boucon, Theurey-Parisot

Avocats :

Mes Belin, Bettinger, Guillemot

Cons. prud'h. Belfort, du 28 janv. 2005

28 janvier 2005

LA COUR,

Faits et prétentions des parties

Dans le cadre de la reprise de son contrat de travail, conclu avec la société GT Centre Est, par la société GT Location, M. Raymond Carrera Cordoba s'est vu confier le poste de responsable commercial Réseau 6 T, position cadre, groupe 5, coefficient 165 à compter du 1er avril 2001, le montant de sa rémunération restant inchangé.

Après rappel de l'obligation de discrétion à laquelle s'engageait le salarié, était stipulée dans la lettre d'engagement signée par les parties contractantes, la clause suivante:

"En considération de vos nouvelles fonctions, vous vous engagez à la rupture de votre contrat de travail, quelle qu'en soit la cause, à ne pas exercer directement ou indirectement de fonctions similaires ou concurrentes à celles exercées au sein de notre société. Cet engagement est limité à la clientèle visitée pour le compte de la société ou du groupe GT et à une durée de deux ans sur l'ensemble du territoire national".

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 30 mai 2001, la société GT Location notifiait à M. Carrera Cordoba son licenciement, dispense lui étant faite d'exécuter son préavis.

Par requête en date du 6 octobre 2003, M. Carrera Cordoba a saisi le Conseil de prud'hommes de Belfort d'une demande tendant à voir déclarer nulle la clause de non-concurrence ainsi incluse à son contrat et à se voir allouer une somme de 76 459,88 euro à titre de dommages-intérêts outre celle de 1 200 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par jugement en date du 28 juillet 2005, le conseil a débouté M. Carrera Cordoba de l'ensemble de ses demandes et a débouté la société GT Location de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Régulièrement appelant de cette décision, M. Carrera Cordoba conclut, au terme des écritures déposées le 26 septembre 2005 et développées par son conseil à l'audience de la cour, à sa réformation.

Estimant, en effet, que cette clause devait recevoir la qualification de clause de non-concurrence et non comme soutenu par la société GT Location celle de respect de clientèle, il maintient l'intégralité de la demande indemnitaire qu'il avait formulée devant la juridiction prud'homale outre l'allocation d'une somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions déposées le 14 décembre 2005 et soutenues par son conseil devant la cour, la société GT Location, qui a pour objet la location longue durée de véhicules poids lourds avec chauffeur, explique avoir en 2001 monté un réseau de petites entreprises sous-traitantes devant intervenir dans des zones géographiques où elle était faiblement présente, M. Carrera Cordoba étant chargé de démarcher des PME de transport destinées à devenir ses sous-traitantes.

Elle analyse la clause litigieuse comme une clause de respect de clientèle aux termes de laquelle l'engagement de l'appelant était limité à la clientèle des PME de transport qu'il avait démarchées dans le cadre de ses dernières attributions, obligation très limitée. La société intimée sollicite en conséquence la confirmation du jugement déféré.

A titre subsidiaire, elle conteste la méthode d'évaluation de son préjudice opérée par l'appelant.

Elle demande l'allocation d'une somme de 1 200 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs de la décision

Attendu que la clause litigieuse insérée dans la proposition du poste de responsable commercial Réseau GT immédiatement après le rappel de l'obligation de loyauté à laquelle est soumis le salarié pendant l'exécution de son contrat de travail, vise spécifiquement l'obligation imposée au salarié, après la rupture du contrat de travail, de ne pas exercer directement ou indirectement des fonctions similaires ou concurrentes à celles exercées au sein de la société, cet engagement étant limité à la clientèle visitée pour le compte de la société ou du groupe GT et à une durée de deux ans sur l'ensemble du territoire national;

Que malgré la qualification de clause de non-concurrence donnée à cet engagement par la société GT Location elle-même dans le paragraphe suivant la définition contractuelle ci-dessus rappelée, elle estime sa portée limitée aux trois seuls clients effectivement démarchés pour son compte par son salarié pendant les deux mois d'exercice de ses nouvelles attributions, soit les clients Dhanens, Navarro et Mery;

Mais attendu qu'une telle interprétation restrictive ne résulte nullement des termes clairs et précis de la clause, laquelle vise "la clientèle visitée pour le compte de la société ou du groupe GT";

Or attendu qu'avant la reprise de son contrat de travail par la société GT Location à compter du 1er avril 2001, M. Carrera Cordoba exerçait son activité professionnelle pour la société GT Centre Est laquelle fait indubitablement partie du groupe GT (les deux sociétés ont la même adresse, ainsi que permettent de le vérifier les bulletins de salaire de l'appelant, outre l'appellation commune GT) ; que, dès lors, l'engagement contracté par M. Carrera Cordoba concernait également la clientèle qu'il avait visitée dans l'exercice de ses attributions antérieures;

Que d'ailleurs le document contractuel du 31 mars 2001 prévoit expressément la mise à disposition du salarié à son successeur aux fonctions de directeur régional de GT Centre Est, afin de faciliter le transfert des dossiers dont il avait la charge, ce qui implique qu'il conservait la possibilité de maintenir des contacts avec la clientèle démarchée antérieurement au 31 mars 2001;

Attendu, au surplus que M. Albert (dont l'attestation non établie dans les formes prescrites par les dispositions de l'article 202 du nouveau Code de procédure civile ne peut être écartée des débats, ces dispositions n'étant pas prescrites à peine de nullité et cette attestation n'étant pas arguée de faux), a expressément spécifié que dans le cadre de sa fonction de responsable commercial Réseau, M. Carrera Cordoba avait pour mission outre la recherche de prospects, le suivi des clients existants de GT Location, afin de les mettre en relation avec des transporteurs dans le but de leur transférer une partie de l'activité transport;

Qu'en conséquence la généralité de l'engagement contracté par le salarié impose de le qualifier de clause de non-concurrence dont l'employeur n'a pas dispensé M. Carrera Cordoba lors de la rupture du contrat de travail;

Or attendu que ladite clause justifiée par les intérêts légitimes de l'entreprise et limitée dans le temps ne comporte, par contre aucune contrepartie pécuniaire ; qu'elle n'est donc pas licite, les conditions de sa validité sus-rappelées étant cumulatives;

Que l'intimée ne peut, en effet, se prévaloir du fait que cette clause a été conclue sous l'emprise de la jurisprudence antérieure aux arrêts de la Cour de cassation du 10 juillet 2002, alors que l'exigence d'une contrepartie financière à la clause de non-concurrence répond à la nécessité d'assurer la sauvegarde et l'effectivité de la liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle et est donc d'application immédiate, sans que puisse être invoquée une violation des dispositions de l'article 1134 du Code civil, comme retenu à tort par le conseil de prud'hommes;

Attendu que M. Carrera Cordoba qui a respecté une clause de non-concurrence, illicite en l'absence de contrepartie financière peut donc prétendre à l'allocation de dommages-intérêts

Que l'appelant justifie être resté au chômage jusqu'en septembre 2002 et avoir connu des difficultés financières du fait de l'impossibilité dans laquelle il se trouvait de répondre aux propositions d'emploi correspondant à son profil professionnel en raison de la clause de non-concurrence;

Qu'en considération de ces éléments, il échet de lui allouer une somme de 25 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice;

Attendu que l'équité commande en outre de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi, Reformant le jugement rendu le 28 janvier 2005 par le Conseil de prud'hommes de Belfort, Constate l'illicéité de la clause de non-concurrence conclue par les parties, Condamne la SA GT Location à payer à M. Raymond Carrera Cordoba la somme de vingt cinq mille euro (25 000 euro) à titre de dommages-intérêts, La Condamne, en outre, à lui verser la somme de huit cents euro (800 euro) en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, La Condamne, enfin, aux entiers dépens de première instance et d'appel.