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Décisions

Conseil Conc., 15 novembre 2007, n° 07-D-38

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à une demande de mesures conservatoires dans le secteur de la boulangerie industrielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Bourhis par M. Nasse, vice-président, présidant la séance, Mmes Aubert, Perrot, vice-présidentes.

Conseil Conc. n° 07-D-38

15 novembre 2007

Le Conseil de la concurrence (Commission permanente),

Vu la lettre, enregistrée le 25 juin 2007 sous les numéros 07/0051 F et 07/0052 M, par laquelle la société Boulay Frères a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de la société GBN (Boulangerie Thibaudat) qu'elle estime anticoncurrentielles et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; Vu l'article 82 du traité ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu les observations présentées par la société GBN et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement, les représentants des sociétés Boulay Frères et GBN entendus lors de la séance du 17 octobre 2007 ; Adopte la décision suivante :

I - Constatations

A. LE SECTEUR D'ACTIVITE

1. Il n'existe pas de définition officielle de la boulangerie industrielle et semi-industrielle mais on admet généralement qu'entrent dans cette catégorie les entreprises traitant au moins 5 000 quintaux de farine par an, utilisant des fours d'au moins 30 mètres carrés, employant au moins vingt salariés et vendant, au stade du détail, moins de 30 % de leur production. Il y a cependant lieu de distinguer, d'une part, les boulangeries industrielles de taille plus importante qui assurent la production de pain à partir d'installations totalement automatisées et fonctionnant en continu, et, d'autre part, les boulangeries semi-industrielles de taille plus réduite.

2. La fabrication de pains frais par ces boulangeries industrielles est destinée à trois catégories de clients : les collectivités publiques (hôpitaux, cantines, bases militaires notamment), certaines grandes et moyennes surfaces et les professionnels de la restauration collective.

3. Les collectivités publiques font appel, la plupart du temps, aux boulangeries industrielles ou semi-industrielles pour la fourniture de pain frais, de viennoiseries et de pâtisserie aux hôpitaux, cantines scolaires et maisons de retraite. Le choix des prestataires s'effectue après consultation et mise en concurrence des entreprises susceptibles de répondre à une telle demande.

4. Cette activité est soumise à de fortes contraintes logistiques car, outre les quantités et les spécifications techniques figurant dans les cahiers des charges des collectivités publiques, elle impose des horaires de livraisons quotidiennes entre 6 heures et 7 heures du matin, et ce, 365 jours par an dans le cas des hôpitaux et, parfois, la desserte de plusieurs sites sur l'ensemble d'un même département. La part moyenne du coût du transport dans le prix de vente du pain dans ce type de prestation peut être estimée entre 10 et 20 %.

B. LES PARTIES

a) Le plaignant : la société Boulay Frères

5. La société Boulay Frères est une SARL au capital social de 137 204 euro inscrite au RCS de Châteauroux. C'est une entreprise de boulangerie semi-industrielle spécialisée dans la fabrique de pain et de pâtisserie fraîche.

6. Historiquement, l'implantation de l'entreprise Boulay dans le département du Cher, à Graçay, remonte à l'année 1992, année du regroupement de l'entreprise familiale Boulay sous l'enseigne commerciale " Centre Pain SAE ". La création de la société Boulay Frères était intervenue en juin 1993 dans le but de concentrer son activité " exclusivement sur le Cher ". A partir de 1997, une autre clientèle a été développée dans les zones limitrophes du Cher situées plus à l'Ouest, dans les départements de l'Indre et du Loir-et-Cher.

7. En 2000, désirant améliorer l'outil industriel qui n'" était plus conforme ", Boulay Frères a décidé le transfert de l'activité dans des locaux neufs situés à Vatan, dans le département de l'Indre, à 6 km du Cher et en bordure de l'autoroute A20. Cette nouvelle implantation, dans un bâtiment construit par la communauté de communes de Vatan grâce à des aides publiques, devait permettre à la Boulangerie Boulay Frères, selon son gérant, de desservir idéalement les clients publics et privés situés dans les agglomérations de Bourges, Blois et Châteauroux grâce à une flotte de 10 véhicules.

8. Le chiffre d'affaires réalisé par la société Boulay Frères au cours de l'exercice clos le 30 juin 1999, soit au cours de l'exercice ayant suivi l'installation de la société GBB près de Bourges, s'est élevé à 2,27 M euro. Mais ce chiffre a décliné les années suivantes : 1,7 M euro en 2004, puis 1,3 M euro en 2005 et 1 M euro en 2006. L'entreprise a enregistré des pertes de 131 000 euro en 2005 et de 185 000 euro en 2006. Environ 50 % du chiffre d'affaires était réalisé auprès des collectivités publiques, le reste auprès de la restauration privée et de la grande distribution. La quantité de farine utilisée par an s'élevait à environ 10 000 quintaux. L'effectif s'élevait à 38 salariés en 1999 ; il est tombé à 25 en juin 2005.

9. Par jugement du 8 juin 2005 du Tribunal de commerce de Châteauroux, la société Boulay Frères a été admise au redressement judiciaire simplifié puis, par jugement du 18 janvier 2006, cette entreprise a bénéficié d'un plan de continuation d'activité. L'entreprise a été mise en liquidation judiciaire, par jugement en date du 27 juin 2007, avec autorisation de poursuite de l'activité jusqu'au 30 juin 2007.

b) Le mis en cause : La Boulangerie Thibaudat

10. La Boulangerie Thibaudat est le nom commercial de deux sociétés spécialisées dans la boulangerie semi-industrielle et artisanale, la société GBN dont le siège social se trouve à Nevers et la société GBB dont le siège social se trouve à Plaimpieds-Givaudins près de Bourges. Leur dirigeant est commun.

11. La SARL GBN, qui exerce également une activité de pâtisserie fraîche à Nevers, a réalisé un chiffre d'affaires de 1,3 M euro en 2006, en diminution de 5 % par rapport à 2005. Le volume de farine traité est d'environ 4 000 quintaux par an. La société GBN, outre son activité de vente en gros de pains, exploite deux magasins de détail à Nevers.

12. La SARL GBB exerce son activité dans un bâtiment industriel de 1 000 m2, construit en 1997 près de Bourges. Elle a réalisé un chiffre d'affaires de 860 000 euro au cours de l'exercice 2006 clos le 31 décembre, en progression de 6 % par rapport à l'exercice précédent. Le volume de farine traitée est d'environ 6 000 quintaux par an. La situation nette de la société s'étant fortement dégradée (report à nouveau de - 464 505 euro au 31 décembre 2006 pour un capital social de 45 735 euro), un délai de 6 mois avait été accordé à cette entreprise, par jugement en date du 12 septembre 2006 du Tribunal de commerce de Bourges, pour reconstituer ses fonds propres.

13. L'activité des deux entités, bien que juridiquement distinctes, est très imbriquée, la SARL GBN de Nevers abritant notamment les services comptables de GBB. A la différence de GBB, de création plus récente, le pain élaboré par la société GBN est fabriqué de façon artisanale. Ceci explique que c'est la société GBB qui livre l'hôpital de Nevers.

c) La situation du marché local

14. A l'époque des faits dénoncés dans la saisine, deux producteurs de pain frais exerçaient principalement cette activité dans le département du Cher : la société Boulay Frères et la SARL GBB. D'autres entreprises semi-industrielles ou artisanales implantées dans d'autres départements contigus présentent cependant également, de manière plus ponctuelle, des offres aux collectivités publiques pour la fourniture de pain frais.

15. La situation du marché local est ainsi décrite dans le rapport de gestion de la société GBB pour l'exercice 2006 : " L'offre est trop importante par rapport à la demande et ne permet pas d'assurer la pérennité des entreprises de fabrication et vente en gros de pains et viennoiserie ".

16. La société Boulay Frères constate également, lors de son audition au Conseil de la concurrence : " le marché est fragilisé par la fermeture de nombreux sites industriels ", comme MBDA et Matra, au début des années 2000.

17. Le tableau ci-après, fourni par la société GBB, détaille l'activité de boulangerie dans les départements de l'Indre, de la Nièvre et du Cher, étant précisé que le lieu de production de la société Boulay Frères était situé dans l'Indre, à la limite du département du Cher :

<emplacement tableau>

d) Les pratiques dénoncées par Boulay Frères

18. Dans sa lettre de saisine, la société Boulay Frères dénonce, d'une part, un abus de position dominante de la part de son concurrent principal, la Boulangerie Thibaudat, abus consistant en la pratique de " tarifs déraisonnablement bas " sur le marché de la fourniture de pain frais aux collectivités publiques, depuis son installation près de Bourges et, d'autre part, une " politique de prix abusivement bas " de la part de ce concurrent. A titre d'exemple, elle mentionne des offres de prix pour le pain de 400 g emballé qui est le produit principal demandé dans les marchés concernés : le prix obtenu par la société Boulay Frères, lors du marché de 1999 conclu avec le centre hospitalier Jacques Coeur de Bourges, s'élevait à 2,75 F/pièce, soit 0,42 euro. Le prix obtenu par la Boulangerie Thibaudat pour le même produit lors de la consultation collective du 10 octobre 2000 s'est élevé à 1,98 F/pièce, soit 0,30 euro.

19. Le 29 décembre 2000, le gérant de la Boulangerie Thibaudat, s'adressant à la société Boulay Frères, évoque par écrit des " marges trop basses bridées par les marchés publics " et la " nécessité de soumissionner à des prix inférieurs à nos (aux) coûts " pour obtenir les marchés publics. Dans cette correspondance, le signataire de la lettre propose au gérant de Boulay Frères de réaliser une restructuration des deux entités dans le but de réduire les coûts de production et de redresser une trésorerie devenue " exsangue ".

20. Depuis 1999, la société Boulay Frères était régulièrement titulaire du marché relatif à la fourniture de pains au centre Hospitalier George Sand à Bourges. Le prix unitaire pratiqué pour le pain de 400 grammes emballé s'élevait à 0,44 euro HT en 2006, ce type de pain constituant l'essentiel de la fourniture totale de pain au centre hospitalier concerné.

21. En réponse à une demande de la même collectivité publique du 27 novembre 2006, la société Boulay Frères adresse une proposition tarifaire de 0,40 euro HT pour le pain de 400 grammes emballé au titre de l'année 2007. Le 13 décembre 2006, le directeur des services économiques et des travaux du centre Hospitalier George Sand informe la société Boulay Frères du rejet de sa proposition. Ce prix est en effet jugé trop élevé par l'acheteur, l'offre remise par la Boulangerie Thibaudat s'élevant à 0,33 euro pièce.

22. Enfin, à la suite à d'une plainte déposée par la SARL Boulay Frères à l'encontre de la Boulangerie Thibaudat au sujet de pratiques de revente à perte dans la pâtisserie en mai 2007, une procédure a été ouverte par le Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Bourges.

II. Discussion

23. L'article R. 464-1 du Code de commerce énonce que "la demande de mesures conservatoires mentionnée à l'article L. 464-1 du Code de commerce ne peut être formée qu'accessoirement à une saisine au fond du Conseil de la concurrence. Elle peut être présentée à tout moment de la procédure et doit être motivée". Une demande de mesures conservatoires ne peut donc être examinée que si la saisine au fond n'est pas rejetée faute d'éléments suffisamment probants, en application de l'alinéa 2 de l'article L. 462-8 du Code de commerce selon lequel le Conseil de la concurrence, "(...) peut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsqu'il estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants".

A. SUR LA COMPETENCE DU CONSEIL

24. Il n'appartient pas au Conseil d'apprécier la conformité des pratiques dénoncées à d'autres règles que celles posées par le titre II du Code de commerce, comme par exemple l'article 55 du Code des marchés publics relatif aux offres anormalement basses, dont la méconnaissance est invoquée par l'entreprise saisissante.

B. SUR LES PRATIQUES

1. LE MARCHE PERTINENT

25. Concernant, en premier lieu, le marché des produits, l'offre concernée porte sur la production de pain frais aux acheteurs publics et privés. Elle est différente de celle qui porte sur la fourniture de pains surgelés et qui émane d'entreprises industrielles de taille plus importante (Cf. lettre du ministre de l'Economie des Finances et de l'Industrie du 24 mai 2006 relative à une concentration dans le secteur de la boulangerie industrielle).

26. Il convient également de distinguer, pour des considérations de prix et de relations commerciales, la demande émanant, d'une part, de la restauration privée et de la grande distribution et, d'autre part, celle émanant des collectivités publiques qui se manifeste lors des mises en concurrence des différents fournisseurs potentiels dans le cadre de consultations organisées par les acheteurs concernés.

27. Conformément à une jurisprudence constante en droit interne, ces marchés publics successifs constituent autant de marchés pertinents sur lesquels des comportements anticoncurrentiels peuvent être constatés.

28. Le Conseil de la concurrence a cependant précisé dans son rapport annuel 2001 que la situation de dominance ne s'apprécie généralement pas sur ces marchés instantanés et qu'" est pertinent, en revanche, pour déterminer si une entreprise active dans un secteur qui fonctionne par appels d'offres (chacun déterminant un marché) détient une position dominante, non le marché particulier résultant du croisement d'un appel d'offres et des soumissions qui ont été déposées en réponse, mais le marché plus général où sont actifs l'ensemble des opérateurs susceptibles de répondre à l'appel d'offres concerné (décisions n° 01-D-08, n° 01-D-46 et n° 01-D-66) ".

29. S'agissant, en deuxième lieu, du marché géographique, le Conseil de la concurrence, dans une décision n° 95-D-84 du 19 décembre 1995 relative à la situation de la concurrence sur le marché de la fourniture de pain à certaines collectivités publiques de Franche-Comté, a relevé que la plus importante boulangerie industrielle de la région effectuait des livraisons dans un rayon maximal de 100-120 kilomètres au moyen de trente véhicules spéciaux et que, " compte tenu des contraintes de transport ", le marché du pain frais ne peut avoir qu'une " dimension locale ".

30. La question de savoir si le bassin d'activité de la commune de Nevers, distante de 70 km de Bourges, appartient ou non au même marché géographique est donc essentielle car elle permet de déterminer si notamment les sociétés GBN, d'une part, et GBB et Boulay Frères, d'autre part, opéraient sur un même marché.

31. Lors de son audition au Conseil de la concurrence, la société Boulay a déclaré que le marché géographique sur lequel elle intervenait comprenait " essentiellement le Cher, le Loir-et-Cher, l'Indre et une partie de la Nièvre ". Elle a également admis avoir soumissionné aux consultations organisées par le centre Hospitalier de Nevers " en-dessous de ses prix de revient " jusqu'en 2005, " pour répondre aux attaques de la Boulangerie Thibaudat ". Il y a également lieu d'observer que la ville d'Imphy, qui était desservie par la société Boulay Frères, est située à une distance comparable à celle séparant Nevers de Vatan, commune d'implantation de Boulay Frères.

32. Le gérant de la SARL GBB évoque, dans la lettre adressée à la SARL Boulay Frères, le 29 décembre 2000, un " marché restreint en population (3 départements de 300 000 habitants) et grand géographiquement, d'où un chiffre d'affaires limité ". Elle a également déclaré avoir regagné le marché du Lycée Raoul Follereau de Nevers pour lequel Boulay Frères avait soumissionné à un prix nettement inférieur au sien en 2004. Par ailleurs, c'est la société GBB qui livre les grosses collectivités de Nevers, dans le cadre des marchés obtenus par la Boulangerie Thibaudat, et ce, dans l'attente d'investissements à effectuer à Nevers.

33. Pour ces raisons, il y a lieu de considérer que le bassin d'activité de Nevers appartient au même marché géographique que celui sur lequel interviennent concurremment la société Boulay Frères et la Boulangerie Thibaudat.

34. Le marché pertinent, dans l'état du dossier, peut être défini comme étant celui de la fourniture de pain frais aux établissements des collectivités publiques situés dans un rayon d'environ 100 à 120 km autour de la ville de Bourges, c'est-à-dire dans le département du Cher et dans des centres urbains situés en zones limitrophes de ce département, et de l'Indre, du Loir-et-Cher et de la Nièvre.

2. LA POSITION DES INTERVENANTS SUR LE MARCHE

35. La position dominante d'une entreprise, telle que visée par les articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CEE, est la situation dans laquelle la puissance économique détenue par cette entreprise lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui permettant de se comporter, dans une mesure appréciable, de manière indépendante vis-à-vis de ses concurrents, de ses fournisseurs et de ses clients.

36. Les volumes de farine traités annuellement par la société Boulay Frères et la Boulangerie Thibaudat étaient du même ordre de grandeur, environ 10 000 quintaux par an, tandis que d'autres entreprises de moindre importance sises dans l'Indre mais intervenant également dans le département du Cher, à savoir Boulangerie Nouvelle à Saint-Sépulcre, Berry Pains à La Châtre et le Fournil de Camille à Châteauroux traitent environ 2 000 à 3 000 quintaux par an chacune.

37. En outre, lors de la séance, les sociétés Boulay Frères et GBB ont confirmé qu'une importante entreprise industrielle sise à Orléans, la société Paindor Rousseau, qui traite de l'ordre de 60 000 quintaux par an, est également présente sur le marché.

38. La société GBB a en outre déclaré en séance, sans être contredite, que la Boulangerie Nouvelle avait regagné certains des marchés précédemment obtenus par la société Boulay Frères, à des prix identiques à ceux pratiqués par son ancien concurrent, soit un prix d'environ 0,32 euro pour un pain de 400 g, et que le niveau des prix vis-à-vis des collectivités publiques demeure à ce jour relativement stable. Ce constat contredit l'hypothèse d'une possibilité pour GBB de fixer ses prix indépendamment de la concurrence, qui aurait pu constituer un indice de position dominante.

39. Ainsi, sans qu'il y ait lieu d'examiner si la politique de bas prix menée par GBB peut ou non s'analyser comme une pratique de prédation, il convient au vu de ces éléments, de constater que le saisissant n'apporte aucun élément probant de nature à caractériser l'existence d'une position dominante de cette société sur le marché concerné.

3. EN CE QUI CONCERNE UNE PRATIQUE DE PRIX ABUSIVEMENT BAS

40. L'article L. 420-5 du Code de commerce prohibe " les offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation, dès lors que ces offres ou pratiques ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'éliminer d'un marché ou d'empêcher d'accéder à un marché une entreprise ou l'un de ses produits ".

41. Selon la jurisprudence, la notion de consommateur au sens de l'article L. 420-5 du Code de commerce doit être interprétée comme étant " la personne physique ou morale qui, sans expérience particulière dans le domaine où elle contracte, agit pour la satisfaction de ses besoins personnels et utilise dans ce seul but le produit ou le service acquis " (Cour d'appel de Paris, Société Moderne d'Assainissement et de Nettoiement, 3 juillet 1998).

42. Dans sa saisine, la SARL Boulay Frères dénonçait " une politique de prix abusivement bas des produits de boulangerie pratiquée par La Boulangerie Thibaudat ", notamment sur les marchés publics locaux. Mais les acheteurs publics agissent pour la satisfaction non pas de leurs besoins personnels mais de ceux des personnes, patients ou élèves, hébergées dans les établissements concernés et auxquels ces derniers rendent un service de restauration. De plus, le Code des marchés publics fait peser sur ces acheteurs des exigences de contrôle des offres tarifaires et de respect des cahiers des charges qui nécessitent des compétences techniques incompatibles avec la notion de consommateur " sans expérience particulière " au sens de la jurisprudence évoquée ci-dessus.

43. La notion de prix abusivement bas concerne les pratiques de prix sur les marchés de détail : elle ne peut donc s'appliquer aux soumissions d'une entreprise de boulangerie industrielle à un appel d'offres d'une collectivité publique.

44. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les faits dénoncés par la saisine, qui sont antérieurs à la disparition de la société Boulay Frères du marché, ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants pour présumer l'existence de pratiques qualifiables au regard des articles L. 420-2 ou L. 420-5 du Code de commerce.

45. Il convient, en conséquence, de faire application des dispositions de l'article L. 462-8 du Code de commerce et de rejeter la saisine au fond et par voie de conséquence la demande de mesures conservatoires.

DECISION

Article 1er : La saisine de la société Boulay Frères, enregistrée sous le numéro 07/0051 F, est rejetée faute d'éléments suffisamment probants.

Article 2 : La demande de mesures conservatoires, enregistrée sous le numéro 07/0052 M, est rejetée.