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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 26 novembre 2007, n° 06-02622

REIMS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Craeye (Consorts)

Défendeur :

Daimler Chrysler France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Maunand

Conseillers :

Mme Souciet, M. Mansion

Avoués :

SCP Six-Guillaume-Six, SCP Delvincourt-Jacquemet-Caulier-Richard

Avocats :

Me Honnet, SCP Vogel & Vogel

CA Reims n° 06-02622

26 novembre 2007

La SA Craeye, société familiale dirigée par M. Guy Craeye a été concessionnaire de la société Mercedes devenue la SAS Daimler Chrysler France (la société) durant plusieurs années. Deux nouveaux contrats ont été souscrits le 20 novembre 1996 notamment pour les départements de l'Aube et de la Haute-Marne.

Estimant que la société aurait eu une " attitude ambiguë " à l'égard de son concessionnaire pour finalement lui imposer de céder les parts de la SA Craeye dans des conditions qualifiées d'extrêmement défavorables, MM. Guy, Patrick, Philippe Craeye et Mmes Evelyne Craeye épouse Larbalétier et Béatrice Craeye ont saisi le Tribunal de grande instance de Troyes qui a, par jugement du 4 septembre 2006, rejeté la fin de non-recevoir invoquée par la société à l'encontre de M. Guy Craeye au titre de son action en responsabilité délictuelle intentée à son encontre en remboursement de sa perte de rémunération, déclaré les demandeurs irrecevables en leur action en responsabilité délictuelle et tendant au paiement des sommes de 1 524 490,10 euro à titre de dommages et intérêts pour la perte de dividendes pour les actionnaires, et de 990 918,61 euro au titre de la perte de valeur du fonds de commerce, débouté M. Guy Craeye de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour perte de rémunération en tant que dirigeant et pour un montant de 762 245,09 euro, rejeté toutes les autres demandes, les demandeurs étant condamnés à payer in solidum un somme de 750 euro pour frais irrépétibles, outre les dépens.

Les consorts Craeye ont interjeté appel le 17 octobre 2006.

Ils réclament le paiement des mêmes sommes qu'en première instance sur le fondement de l'article 1382 du Code civil et 15 000 euro en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les appelants soutiennent avoir un intérêt à agir pour le préjudice par eux subis et reprochent à l'intimée une attitude fautive et un manque de loyauté résidant dans le fait d'avoir imposé à la société Craeye des investissements en 1990 sur la Haute-Marne et l'arrondissement de Bar-le-Duc, d'avoir traité en cours de contrat directement avec l'un de ses plus gros clients, la société Miko, en lui accordant des remises supérieures à celles habituellement pratiquées, tout en lui imposant des objectifs de vente irréalistes (surévaluation des objectifs au regard de la situation économique des départements susvisés) ne permettant pas au concessionnaire de bénéficier des primes afférentes. De plus, cette faute résiderait dans une résiliation abusive d'un contrat de concession le 28 mai 1998 à effet du 30 juin 2000, ce qui constituerait une pression pour céder l'affaire tout en pratiquant un traitement discriminatoire afin de faire baisser le prix de cession au profit d'un repreneur déjà choisi, bénéficiant avant cession d'un report de clientèle suite à annonce anticipée de ce changement à tout le réseau et de multiples aides financières.

M. Guy Craeye souligne qu'il ne percevait aucun appointement depuis 1989 en qualité de PDG, pour préserver l'équilibre financier de la société de même nom et assurer sa pérennité face aux agissements du concédant.

La société reprend l'argumentation du jugement dont appel sur l'intérêt et la qualité à agir en ce que la diminution de l'actif net et la perte de valeur du fonds de commerce seraient des préjudices propres à la société Craeye et non à ses actionnaires. De plus, la rémunération du dirigeant incomberait à la société et non au concédant.

A défaut d'irrecevabilité de toutes les demandes, l'intimée conclut, à titre subsidiaire, à l'absence de faute délictuelle de sa part en ce que les investissements de 1990 notamment sur la Haute-Marne correspondent à une initiative du concessionnaire sur recommandations contraires de la société, mais pour lesquels une aide financière a été apportée.

Par ailleurs, les primes auraient été versées selon l'atteinte ou non des objectifs proposés et acceptés sans recours à un tiers expert selon dispositions contractuelles, le contrat exécuté avec loyauté notamment en fonction des objectifs de vente élaborés au regard du potentiel du territoire concédé et après concertation avec la société concessionnaire, objectifs revus à la baisse par la suite tout en maintenant le versement de primes ce qui traduirait un traitement plus favorable que l'ensemble du réseau.

La résiliation du 28 mai 1998 résulterait de l'absence de rentabilité de la branche " véhicules particuliers " et aurait été sans incidence sur les résultats dès lors qu'envisagée indépendamment de la cession du fonds et intervenue avant le terme du préavis de deux ans.

La vente aurait été faite volontairement au prix demandé, soit 4 862 513,80 euro, sans pression ni discrimination pour détourner la clientèle. A titre infiniment subsidiaire, il est souligné le défaut de preuve confortant les préjudices dont la réparation est demandée et du lien de causalité allégué. De plus, les difficultés financières rencontrées ne proviendraient que des carences de gestion du concessionnaire, averti par l'intimée dès octobre 1992, son repreneur, la société Covéma, ayant atteint les mêmes objectifs dès la première année d'exploitation.

Enfin, si M. Guy Craeye n'a pas été rémunéré depuis 1990 en sa qualité de PDG, cette décision a été votée à l'unanimité par les administrateurs, dont l'intéressé. Il est donc sollicité la confirmation du jugement du 4 septembre 2006, soit par irrecevabilité soit par rejet au fond des demandes adverses et le paiement de 8 000 euro en vertu de l'article 700 précité.

Il sera renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et demandes des parties aux conclusions des 12 et 23 octobre 2007, respectivement pour les appelants et l'intimée.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 octobre 2007.

MOTIFS

Sur l'irrecevabilité :

Au regard des articles 31 du nouveau Code de procédure civile et L. 225-252 du Code de commerce, l'actionnaire ne peut agir en justice afin d'obtenir réparation d'un préjudice résultant de la perte de valeur de ses actions ou de l'amoindrissement du capital social, faute de préjudice distinct de celui subi par la société. En revanche, l'ancien actionnaire peut exercer une action personnelle en raison du préjudice distinct par lui subi du fait d'un tiers, lorsqu'il démontre que les agissements fautifs de ce tiers sont à l'origine d'un préjudice différent de celui supporté par la société.

Ici, si MM. Guy, Patrick, Philippe Craeye et Mmes Evelyne Craeye épouse Larbalétier et Béatrice Craeye sollicitent, à titre personnel, indemnisation de préjudices imputés aux agissements de la société, leurs demandes portent sur le paiement de sommes correspondant à 1 524 490,10 euro à titre de dommages et intérêts pour la perte de dividendes pour les actionnaires, et à 990 918,61 euro au titre de la perte du fonds de commerce, soit des préjudices exclusivement subis par la SA Craeye.

Au surplus, les appelants sont incapables de démontrer que la cession de leurs parts, par contrat du 8 février 2000, pour un prix définitif de 11 000 087 F non contesté, leur ait été imposée non pas par l'acquéreur mais par l'intimée.

Il en résulte confirmation du jugement dont appel en ce qu'il a déclaré ces demandes irrecevables.

Sur la demande de M. Guy Craeye

Sur ce point, force est de relever, avec le tribunal, que la demande porte sur un préjudice personnel, constitutif de l'absence de rémunération, et partant recevable.

Toutefois, la décision du conseil d'administration du 30 octobre 1989 prise à l'unanimité des actionnaires, dont M. Guy Craeye, vaut mise à la retraite de ce dernier en qualité de salarié de la société à compter du 31 janvier 1990 et maintien à son poste de PDG sans appointement à compter de cette date. Ce seul fait ne vaut pas démonstration d'une absence totale de rémunération ni la preuve d'un lien de causalité entre l'activité non rémunérée de PDG et les agissements imputés au concédant.

De plus, l'intéressé ne produit aucun document probant en ce sens. Là encore, le jugement dont appel sera confirmé.

Sur les autres demandes :

Les appelants paieront à la société une somme de 1 500 euro au titre des frais irrépétibles et verront leur propre demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile rejetée.

Les appelants supporteront les dépens d'appel, avec bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile pour la SCP Delvincourt et associés.

Par ces motifs, LA COUR statuant après débat public et par décision contradictoire : - Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Troyes en date du 4 septembre 2006, Y ajoutant : - Condamne MM. Guy, Patrick, Philippe Craeye et Mmes Evelyne Craeye épouse Larbalétier et Béatrice Craeye à payer à la SAS Daimler Chrysler France une somme de 1 500 euro en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - Rejette toutes les autres demandes, - Condamne MM. Guy, Patrick, Philippe Craeye et Mmes Evelyne Craeye épouse Larbalétier et Béatrice Craeye aux dépens d'appel, avec bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile pour la SCP Delvincourt et associés.