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Décisions

CA Douai, ch. soc., 31 mai 2006, n° 05-01402

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Nuyten

Défendeur :

Richez Distribution (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Froment

Conseillers :

Mmes Montpied, Marquant

Avocats :

Mes Boulanger, Brement

Cons. prud'h. Lille, du 8 avr. 2005

8 avril 2005

Vu le jugement en date du 8 avril 2005 par lequel le Conseil de prud'hommes de Lille statuant sur le litige opposant la société Richez Distribution à son ancien salarié, Didier Nuyten a:

- Dit que la clause de non-concurrence signée entre les parties était parfaitement licite et devait trouver application,

- En conséquence, en constatant que Didier Nuyten avait été embauché sur son ancien secteur de prospection par la société Socoldis, une société directement concurrente de la société Richez Distribution, considéré que cette situation avait entraîné une violation de ladite clause qui justifiait la condamnation de Didier Nuyten à verser à la société Richez Distribution les sommes suivantes :

* 1 348,60 euro nets au titre de la restitution d'un solde de contrepartie de la clause de non-concurrence injustifié,

* 54 236 euro au titre de la réparation du préjudice subi,

- Condamné en conséquence Didier Nuyten aux dépens et à verser à la société Richez Distribution 750 euro sur le fondement de l'article 700 du NCPC;

- Débouté les deux parties du surplus de leurs demandes,

- Condamné en conséquence Didier Nuyten aux dépens;

Vu l'appel régulièrement interjeté par Didier Nuyten le 9 mai 2005

Vu les conclusions des parties, visées par le greffe le 10 février 2006 et leurs observations orales, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel;

Attendu qu'aux termes de ses conclusions et observations orales, Didier Nuyten demande à la cour de:

- Dire mal jugée et bien appelée,

- Le dire bien fondé et recevable en ses demandes, fins et conclusions,

- En application de l'article 17 de l'accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975, dire nulle et de nul effet la clause de non-concurrence convenue entre la société Richez Distribution et lui-même aux termes de l'article 5 du contrat de travail,

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il reconnaît la créance de la société Richez Distribution à hauteur de 1 348,60 euro au titre de la contrepartie financière,

- Subsidiairement, l'exonérer de toutes responsabilités dans la baisse des résultats de la société Richez Distribution,

- Sur le fondement de l'article 700 du NCPC, condamner la société Richez Distribution à devoir lui payer la somme de 1 500 euro,

- Condamner la société Richez Distribution aux entiers dépens;

Attendu que discutant l'argumentation et les moyens développés par Didier Nuyten, la société Richez Distribution demande pour sa part à la cour de :

- Condamner Didier Nuyten pour concurrence déloyale :

* à verser 72 236 euro au titre de la perte subie par son ex-employeur au cours de la période du 1er avril 2004 au 31 mars 2005,

* à rembourser 1 348,60 euro au titre de la contrepartie financière,

* à verser la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 1382 du Code civil pour procédure abusive et dilatoire,

* à verser la somme de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du NCPC,

*à payer les entiers dépens;

Sur ce, LA COUR

Attendu que selon contrat écrit de travail à durée indéterminée en date du 30 novembre 2000, Didier Nuyten a été engagé par la société Richez Distribution à compter du 2 janvier 2001 en qualité de représentant VRP mono-carte.

Attendu qu'il est prévu à l'article V dudit contrat une clause de non-concurrence rédigée comme suit :

" Vous vous interdisez, en cas de rupture du présent contrat, de représenter et de vendre, pendant un an, des produits concurrents ou même similaires sur le secteur de la société Richez Distribution (département du Nord)."

Attendu que dans le cadre d'une annexe 1 signée à la même date du 30 novembre 2000, il est confié à Didier Nuyten le secteur de " Lille et agglomérations ", la clientèle de l'arrondissement de Lille lui étant confiée après la période d'essai;

Attendu que par courrier daté du 31 mars 2004, Didier Nuyten a notifié à son employeur sa démission, lui demandant d'être dispensé de son préavis;

Attendu que par lettre datée du 1er avril 2004, la société Richez Distribution a accepté cette démission sans préavis et lui a confirmé qu'elle entendait faire valoir la clause de non-concurrence pour une période d'un an sur le secteur du département du Nord;

Attendu que par courrier du 14 avril 2004, Didier Nuyten, a retourné le chèque de règlement de la contrepartie financière versée par l'employeur au titre du mois d'avril 2004;

Attendu que par courrier daté du 16 avril 2004, Didier Nuyten a confirmé son refus de voir appliquer la clause de non-concurrence et l'a considérée comme nulle en l'absence de contrepartie prévue au contrat de travail;

Attendu que par courrier daté du 27 mai 2004, la société Richez Distribution a maintenu son intention de voir respecter la clause de non-concurrence, par application de l'article 17 de l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975 estimant qu'elle s'appliquait de droit sans qu'il soit obligatoire de faire mention de la convention collective en cause dans le contrat de travail;

Attendu que par courrier du 5 juin 2004, Didier Nuyten a de nouveau invoqué la nullité de la clause de non-concurrence en l'absence de contrepartie figurant au contrat de travail et en raison du fait que cette clause empêche toute fonction concurrente sur l'ensemble du département du Nord alors que cette interdiction est limitée conventionnellement au secteur d'activité couvert par le salarié à la date de rupture du contrat de travail, soit l'arrondissement de Lille;

Attendu que par contrat écrit daté du 1er juin 2004, Didier Nuyten a été embauché à compter de cette date en qualité de représentant VRP par la société Socoldis, société concurrente de la société Richez Distribution sur le secteur de Lille intra muros/Lille Sud;

Attendu que c'est dans ces conditions que la société Richez Distribution a saisi le Conseil de prud'hommes de Lille le 28 juillet 2004 afin de voir condamner Didier Nuyten à des dommages et intérêts pour concurrence déloyale;

Discussion

Sur la clause de non-concurrence :

Attendu qu'une clause de non-concurrence insérée dans un contrat de travail n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, qu'elle tient compte des spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives.

Attendu que les parties ne contestent pas être soumises à l'Accord National Interprofessionnel du 3 octobre 1975;

Attendu qu'aux termes de l'article 17 de l'Accord National Interprofessionnel du 3 octobre 1975, l'interdiction contractuelle de concurrence après la rupture du contrat de travail n'est valable " qu'en ce qui concerne les secteurs et catégories de clients que le représentant de commerce était chargé de visiter au moment de la notification de la rupture du contrat " ;

Attendu qu'en l'espèce, l'interdiction contractuelle de concurrence concerne le département du Nord, alors que le secteur d'activité de ce salarié était limité à " Lille et agglomérations " ; que cette clause de non-concurrence contraire aux dispositions conventionnelles est nulle de ce chef;

Attendu que la décision dont appel sera infirmée sur ce point;

Attendu en conséquence que Didier Nuyten doit rembourser le montant de la contrepartie mensuelle ainsi versée sans cause; qu'il n'est pas sérieusement contesté que sur les 5 règlements mensuels versés à ce salarié pour la somme globale de 2 313,40 euro, seule la somme de 964,80 euro a été remboursée par ce dernier; qu'il reste dû à l'employeur la somme de 1 348,60 euro qu'il appartient à Didier Nuyten de restituer ;

Attendu que la décision de première instance sera confirmée de ce chef;

Attendu que cette condamnation portera intérêts au taux légal à compter de la décision déférée;

Sur le préjudice invoqué au titre de la concurrence déloyale :

Attendu que la société Richez Distribution fait valoir que Didier Nuyten démarche son ancienne clientèle afin de lui proposer des produits d'hygiène pour le compte de la société concurrente Socoldis qui l'a embauché le 1er juin 2004;

Attendu qu'à l'appui de son argumentation la société Richez Distribution verse aux débats :

- les attestations de Messieurs Rotoaert et Torres non régulières en la forme en ce qu'elles ne font pas mention de ce qu'elles sont destinées à être produites en justice et de ce que leur auteur s'expose, en cas de faux témoignage, à des sanctions pénales et sans pièces justificatives de l'identité de leur auteur;

- l'attestation de Karine Zeggai en date du 4 septembre 2004, régulière en la forme, ayant constaté qu'en effectuant la tournée avec lui que Didier Nuyten démarchait ses anciens clients;

- un courrier d'un client de la société Richez Distribution confirmant la visite de Didier Nuyten pour fournir des produits d'entretien d'une autre marque;

- un devis à entête de la société Socoldis pour un client de Tourcoing géré par Didier Nuyten,

- une facture à entête de la société Socoldis en date du 15 septembre 2004, dont le vendeur est bien Didier Nuyten sur le secteur de Lille;

- une attestation de l'expert comptable de la SA Richez Distribution en date du 2 août 2004 accompagnée de pièces justificatives sur le chiffre d'affaires de Didier Nuyten par rapport à celui de son successeur Monsieur Torres, affirmant une baisse du chiffre d'affaires et de la marge de cette société sur la même période d'avril à juillet en 2003 et 2004;

- un ensemble de commandes à entête de la SA Richez Distribution à l'initiative de Didier Nuyten en 2002 et 2003.

Attendu qu'il en résulte que si Didier Nuyten, postérieurement à la rupture de son contrat de travail, a effectivement démarché son ancienne clientèle dans l'agglomération et la communauté urbaine de Lille, pour leur proposer les produits diffusés par la société Socoldis, dans le cadre d'une concurrence normale, il n'est pas établi, au vu de ces seules pièces, par son ancien employeur à qui appartient la charge de la preuve, que ce salarié par ses agissements ait eu un comportement délibéré ou des méthodes répréhensibles de concurrence déloyale, telles que des actes de débauchage de salariés de son ancien employeur ou même de méthodes de confusion caractérisée auprès de la clientèle ainsi démarchée en lien direct avec une perte de chiffre d'affaires et de marge;

Attendu dans ces conditions que la société Richez Distribution sera déboutée de ses demandes en réparation du préjudice subi, au titre de la contrepartie financière et sur le fondement de l'article 1382 du Code civil pour procédure abusive;

Attendu que la décision entreprise sera infirmée de ce chef;

Sur la demande d'indemnité au titre de l'article 700 du NCPC :

Attendu qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de Didier Nuyten, les frais par lui exposés, non compris dans les dépens; qu'il sera débouté de sa demande sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Attendu que succombant, la société Richez Distribution supportera ses propres frais irrépétibles et les dépens de première instance et d'appel;

Par ces motifs, Infirme la décision attaquée, sauf en ce qui concerne la condamnation de Didier Nuyten à restituer le solde de contrepartie de la clause de non-concurrence; Statuant à nouveau pour le surplus et y ajoutant, Annule la clause de non-concurrence convenue entre la société Richez Distribution et Didier Nuyten au titre du contrat de travail du 30 novembre 2000, Déboute la société Richez Distribution pour le surplus de ses demandes, fins et conclusions; Déboute Didier Nuyten de sa demande sur le fondement de l'article 700 du NCPC; Dit que la condamnation confirmée portera intérêts aux taux légal à compter de la décision déférée; Condamne la société Richez Distribution aux dépens de première instance et d'appel.